Dr François Reeves, M.D., FRCPC

Cardiologue d’intervention, CHUM et Cité-de-la-santé de Laval. Professeur agrégé de médecine avec affiliation à l’École de santé publique, Université de Montréal.

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Cardiologie environnementale: du tuteur coronarien au tuteur d’arbres.

Pourquoi le cardiologue d’intervention s’intéresse-t-il à la cardiologie environnementale?

En raison d’un stupéfiant tableau de l’OMS : les hommes russes et ukrainiens (25-64 ans) ont un taux de mortalité cardiovasculaire 11 fois plus élevé (1100 % !!) que les Suisses et les Espagnols. Monstrueuse différence que les facteurs de risque classiques n’expliquent pas à eux seuls. J’ai pris acte de cette statistique lors de la rédaction d’un livre de vulgarisation pour les Éditions du CHU Ste-Justine, « Prévenir l’infarctus ». Pour documenter ce livre, j’ai consulté des centaines de documents que normalement un cardiologue d’intervention ne lit pas, dont les rapports de l’OMS, de l’ONU, de l’UNESCO, du CDC, du NIH, de l’EPA, du GIEC.

Bref, intrigué par ce tableau de l’OMS, je suis sorti de ma zone de confort en posant la simple question « Quelle est la part de l’environnement dans les maladies cardiovasculaires? ». De là sont apparus « Planète Cœur » en 2011, puis « Planet Heart » chez Greystone Books en 2014.

Les facteurs de risque individuels de la maladie sont bien identifiés : hérédité, tabac, diabète, hypercholestérolémie, hypertension, obésité, sédentarité. Dans notre école traditionnelle de médecine, on a bien caractérisé les facteurs héréditaires et individuels mais ce n’est que récemment que l’on s’est intéressé aux facteurs environnementaux.

En prenant du recul, on réalise que la maladie cardiovasculaire était beaucoup moins fréquente dans l’ère préindustrielle. De fait, de 1900 à 1950, le nombre d’infarctus a quadruplé aux USA, motivant l’étude Framingham. Les humains vivant hors du monde industriel en sont aussi beaucoup moins affligés. Dans le temps et l’espace, chaque révolution industrielle a vu déferler une vague de mortalité cardiovasculaire. Principaux responsables environnementaux: nano-agresseurs aériens (polluants), nano-agresseurs alimentaires (additifs industriels), minéralisation urbaine.

Il a fallu attendre mars 2014 pour que l’OMS révèle que 7 millions de décès sont imputables à la pollution de l’air, un décès sur huit mondialement. On pense évidemment aux pays émergents comme principales victimes. Toutefois il faut rappeler qu’au Canada (2008), David Boyd d’UBC estimait à 20,000 le nombre de décès excédentaires et à 9,1 milliards les frais de santé imputables à l’environnement.

Les mécanismes par lesquels les polluants atmosphériques entrainent infarctus, AVC et morts subites sont aujourd’hui bien documentés sur le plan épidémiologique et physiologique. Résumons-les en stress oxydatif et inflammation systémique. Heureusement, les progrès sont significatifs: les taux de polluants des centres-villes canadiens des années 50-60 donnent froid dans le dos au vu des connaissances récentes.

Une victoire récente et historique: en 2014, Montréal et Toronto voient un été sans smog pour la première fois depuis que l’on fait des relevés. L’Université de Toronto a estimé qu’avec cette amélioration de la qualité de l’air il y a eu baisse des mortalités excédentaires dues à la pollution (1300 contre 1700 en 2004) et baisse des hospitalisations (3,550 contre 6,000). Les experts l’attribuent principalement à la fermeture des usines au charbon et au programme « Drive Clean » ontarien.

Il y a eu une victoire semblable dans les années 80. Avec l’éradication règlementée du plomb dans l’essence, les niveaux de plomb ambiant ont tellement baissé que le Réseau de surveillance de la qualité de l’air (RSQA) de Montréal ne le mesure plus. On se rappelle de la crise initiale pour faire ce changement massif.  Aujourd’hui, tous s’en félicitent. Hormis le classique saturnisme et la démence, le plomb cause de l’hypertension et des infarctus.

Mais il reste encore beaucoup à faire : seulement une journée sur trois est considérée comme « bonne » (indice de la qualité de l’air <25) au centre-ville de Montréal. Une étude récente faite à Boston par l’Université Harvard démontre que lorsque l’air passe de « bon » à « passable » (IQA 25-50), il y a hausse de 35-50% d’AVC.

Le Chicago Medicine d’octobre 2014 souligne cette estimé de l’Environment Protection Agency (EPA): chaque dollar investi pour se conformer au « Clean Air Act » entraine une réduction de $25 en frais de santé.

Avec les nano-agresseurs aériens émis par les combustibles fossiles, des nano-agresseurs alimentaires sont apparus dans notre quotidien: les additifs alimentaires industriels. Parmi une kyrielle de nouvelles molécules, trois en particulier entrainent leur lot de complications : excès de sel omniprésent, gras trans et sucres industriels ajoutés, en particulier le sirop fructose-glucose. La dissémination massive de ces molécules entraine hypertension, dyslipidémie, syndrome métabolique, obésité et à terme infarctus et AVC. La pollution atmosphérique aggrave ces agressions.

Plusieurs avis et mots d’ordre sont donnés par les associations, souvent en vain par manque de juridiction efficace. Et en raison des 30,000 messages publicitaires de malbouffe que l’enfant reçoit avant l’âge adulte sans parler des distributrices de sodas dans les écoles et leur proximité des « fast-foods ».

La conjonction de la pollution et de la nourriture industrielle s’additionne et entraine dans nos artères la tempête vasculaire parfaite, élégamment démontré dans les laboratoires du respecté Dr Valentin Fuster du Mount-Sinaï de New York. Ses doctorants ont démontré que des souris exposés simultanément à de la nourriture grasse (type fast-food) et de la pollution développent des plaques massives d’athérosclérose dans leurs aortes. Pollution et nourriture industrielle se potentialisent.

Par ailleurs, le milieu urbain s’étend, se minéralise et de nouvelles contraintes apparaissent : ilots de chaleur urbain, pics de smogs, absence de couvert végétal qui tempère et filtre l’air, problèmes de ruissèlement et de drainage.

2003, coup de semonce climatique en Europe : 70,000 décès excédentaires lors de la canicule d’août, dont 20,000 en France surtout dans les milieux urbains minéralisés. À Paris, les morgues ne suffisent pas, on entasse les cadavres dans les frigos à viande. Situation irréelle dans ce pays considéré par l’OMS comme ayant le meilleur système de santé. Sur un évènement climatique, l’espérance de vie recule en France pour la première fois depuis la 2ème guerre mondiale. Le concept d’ilot de chaleur urbain gagne en force.

Nouveau regard sur la déforestation, nous réalisons que nous avons coupé la moitié des forêts de la Terre. Nous réalisons aussi l’importance des arbres dans nos milieux urbains, dans tous les aspects de notre vie : beauté et harmonie, bien-être psychique et physique, tempérance de climat, diminution des frais d’énergie des bâtiments, purification de l’air, extraction et métabolisme des molécules polluantes.

Des centaines d’études témoignent des effets positifs des arbres dans notre milieu, la plus spectaculaire étant celle des Écossais Mitchell et Popham (Lancet 2008) qui ont voulu mesurer l’impact du niveau socioéconomique et d’un milieu vert sur la santé. Sur les 40 millions de sujets britanniques de l’étude, toute classe confondue, on observe 6% moins de mortalité cardiovasculaire en milieu vert en seulement 5 ans de suivi. Mais surtout, on observe en milieu vert une diminution de moitié de la différence de mortalité cardiaque liée au niveau socioéconomique. Trois mécanismes : moins de pollution en milieu vert, filtration et épuration de l’air par les arbres, action positive bénéfique des protéines arboricoles sur notre organisme.

Les économistes réalisent maintenant l’ampleur économique du capital vert urbain. La banque Toronto Dominion évalue à 4,5 milliards de dollars la valeur de la canopée de Montréal, en raison de tous les services fournis par cette biodiversité. Au Canada, chaque dollar dépensé pour le maintien de la forêt urbaine entraine un bénéfice de $1,88 à $12,70 selon la ville.

Mode solution. Les hôpitaux d’abord.

Si une cité éradique les nano-agresseurs aériens et alimentaires et promeut un milieu vert et actif, cette cité peut s’attendre à une baisse de 25 à 75 % de morbidité cardiovasculaire.

Lors du premier sommet Climat-Santé de l’OMS en août 2014, plusieurs pays et organismes ont signé une entente de reforestation et s’engagent à planter 100 millions d’arbres. Partout, l’application des différents « Clean Air Acts » entraîne une baisse de mortalité cardiovasculaire. L’argumentaire de la santé rejoint celui des changements climatiques : moins de combustibles fossiles, plus d’arbres. Montréal s’engage à augmenter la canopée de 20 à 25%. Révolution? Toronto est à 27%, Halifax est à 40%, et le grand Vancouver à 42%.

Les centres de santé sont des acteurs importants de nos milieux, non seulement pour les soins que l’on y donne, mais aussi comme exemple de bons citoyens corporatifs. De plus en plus, on se préoccupe de l’empreinte environnementale des bâtiments et on les jauge avec les critères BOMA et LEAD. L’hôpital vert émerge. La santé environnementale rejoint les objectifs des experts du climat. Dans le mandat global du gouvernement du Québec, on note la préoccupation que tous les ministères et organismes (MO) incluent dans leur développement une stratégie pour abaisser les émissions de GES, de polluants et optent sur des solutions vertes à tous égards. Les 3R (réduction, réemploi, recyclage) se diffusent dans le système de santé, conscient que les hôpitaux émettent à eux seuls 2% des GES du pays.

Les modèles urbains se multiplient: l’ÉcoCampus Hubert Reeves du Technoparc Montréal de Ville-St-Laurent; la Cité-de-la-santé avec ses sources géothermiques et son reverdissement (sans parler de l’élimination des frites du menu); la bibliothèque du Boisé de Ville St-Laurent, non seulement un chef d’oeuvre architectural certifié LEED, mais une intégration harmonieuse à un boisé et à la trame urbaine. Les exemples se multiplient en progression avec les nouvelles façons de concevoir l’humain dans la ville.

Les institutions de santé commencent à s’inclure dans cette démarche d’hygiène environnementale. La Journée de l’arbre de la santé (23 septembre 2015) s’étend maintenant de Sherbrooke à Val d’Or en passant par Trois-Rivières et Lanaudière. Cette journée est une occasion pour souligner les liens entre environnement et santé, de diffuser des connaissances récentes en santé environnementale et de souligner les bons coups de nos institutions.

À Montréal, cette journée s’inscrit dans la démarche du Mouvement Ceinture verte et de l’Alliance Forêt urbaine de Montréal qui vise l’augmentation de la canopée de Montréal surtout en milieu défavorisé et industriel.

J’ai le privilège d’être représentant de la santé au comité-aviseur du Ministre de l’environnement du Québec dans la lutte aux changements climatiques (PACC 2015-2020). Dans ce comité très représentatif des différents acteurs concernés, il y a beaucoup d’efforts faits pour atteindre les objectifs de réduction des GES en plus de mobiliser toutes les ressources vers ce que l’on peut appeler des cité cardio-protectrices. Un tel comité est au moins symbole d’espoir mais nous souhaitons qu’il soit aussi catalyseur de bienfaits concrets.

En dépit des soubresauts politico-administratifs temporels, les administrateurs hospitaliers et les médecins doivent intégrer ces  nouvelles connaissances à leurs décisions pour joindre les efforts des gouvernements et entreprises. Chacun de nos gestes individuels renforce les comportements collectifs. Penser globalement, agir localement.

Donc le 27 septembre 2017, soyez tous bienvenus à la Journée de l’arbre de la santé! Pour plus d’informations, visitez le site de Médecins francophones du Canada 

François Reeves MD FRCPC
Cardiologue d’intervention, CHUM et Cité-de-la-santé de Laval
Professeur agrégé de médecine avec affiliation à l’École de santé publique,
Université de Montréal

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