Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Les légumes crucifères, c’est bon pour les artères !

Tous les organismes dédiés à la prévention des maladies chroniques, qu’il s’agisse des maladies cardiovasculaires, du diabète ou du cancer, s’accordent pour dire que la consommation d’un minimum de 5 portions de fruits et de légumes par jour est absolument essentielle pour réduire l’incidence et la mortalité associées à ces maladies. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne les maladies cardiovasculaires : l’Organisation mondiale de la santé estime en effet que 2,2 millions de décès causés par les maladies coronariennes et les AVC à l’échelle mondiale sont directement liés à une consommation insuffisante de fruits et de légumes.

Cette estimation provient d’un très grand nombre d’études qui ont démontré que les personnes qui mangent beaucoup de fruits et de légumes risquent moins d’être affectées par une maladie cardiovasculaire que celles qui en mangent très peu. Par exemple, dans la  EPIC-Heart Study, réalisée auprès de 313 074 hommes et femmes en bonne santé, les personnes qui consommaient au moins 8 portions de fruits et de légumes par jour avaient 22 % moins de risque de décéder prématurément d’une maladie coronarienne, comparativement à celles qui en mangeaient trois ou moins. Globalement, on estime que chaque portion quotidienne de fruit et de légume réduit le risque de maladie cardiovasculaire d’environ 4 %, ce qui montre à quel point il est important d’intégrer ces végétaux aux habitudes alimentaires.

Quantité vs qualité

Tous les fruits et légumes contiennent des quantités importantes de vitamines, minéraux et fibres et on assume généralement que ce sont ces nutriments qui médient l’effet protecteur des végétaux sur le risque de maladie cardiovasculaire.  C’est pour cette raison qu’on entend souvent dire que tous les végétaux sont équivalents et que l’important est d’en manger le plus souvent possible, sans se préoccuper de la nature des fruits et légumes qui sont consommés.

Cette approche ne tient cependant pas compte des résultats de nombreuses études montrant que les végétaux sont une classe très hétérogène d’aliments, et que certains d’entre eux sont clairement supérieurs en termes d’impact sur la santé (voir encadré).

Les végétaux ne sont pas tous égaux

Le règne végétal est extrêmement diversifié, comprenant des milliers d’espèces très différentes les unes des autres. Dans le langage courant, on simplifie cette complexité en utilisant des termes génériques comme le mot « fruit » pour désigner tous les organes végétaux à graines issus de la fécondation d’une fleur, ou encore le terme « légume » pour faire référence à l’ensemble des parties comestibles des plantes potagères (racine, tubercule, bulbe, pousse, feuilles). Ces termes généraux sont utiles, mais ils ne doivent pas nous faire oublier que chaque espèce végétale est unique du point de vue de sa composition moléculaire et que cette « signature » lui confère des propriétés spécifiques. Par exemple, les études montrent que certains végétaux riches en polyphénols de la classe des flavonoïdes semblent posséder une action cardioprotectrice supérieure. Même chose pour les légumes verts à feuilles riches en nitrates, les noix et graines contenant des quantités élevées d’acide linolénique ou encore l’huile d’olive extra-vierge riche en polyphénols. Sans nécessairement parler de « superaliments » (un terme ambigu parce qu’il laisse sous-entendre une action « miraculeuse »), il est indéniable que certains fruits et légumes sont supérieurs à d’autres et que la consommation régulière de ces aliments pourrait permettre de maximiser le potentiel cardioprotecteur des végétaux.

C’est notamment le cas de la grande famille des légumes crucifères, un groupe d’aliments contenant des quantités élevées de composés organosoufrés appelés isothiocyanates. Surtout connus pour leurs propriétés anticancéreuses, des études récentes indiquent que certains isothiocyanates, en particulier le sulforaphane du brocoli,  pourraient aussi exercer des effets bénéfiques sur la santé cardiovasculaire en protégeant les vaisseaux sanguins des dommages causés par le stress oxydatif et l’hyperglycémie.

Un effet cardioprotecteur des légumes crucifères est également suggéré par les résultats d’une étude récemment publiée dans le journal de l’association américaine de cardiologie (JAHA). Dans cette étude réalisée auprès de femmes âgées de plus de 70 ans, les chercheurs ont utilisé l’ultrasonographie pour déterminer l’épaississement de la paroi interne de l’artère carotide (carotid artery intima-media thickness). Cette  mesure permet de visualiser le degré d’athérosclérose qui affecte une personne et est reconnue comme un bon marqueur du risque d’AVC et d’infarctus du myocarde.

En analysant les habitudes alimentaires des femmes participant à l’étude, ils ont observé que celles qui mangeaient plus de 3 portions de légumes par jour présentaient un épaississement de la paroi de la carotide environ 5 % (0,05 millimètre) moindre que celles qui en mangeaient moins de 2 portions par jour. Une analyse plus poussée des différentes catégories de légumes consommés indique que cette diminution de l’épaississement de la paroi de la carotide est principalement due aux légumes crucifères, tandis que la consommation des autres classes de légumes (famille de l’ail, légumes verts à feuille, légumes jaune/orange/rouge, légumineuses)  n’avait pas d’effet significatif. Autrement dit, tous les légumes ne sont pas égaux en termes de prévention de l’athérosclérose et il est important de mettre une emphase particulière sur la consommation régulière de légumes crucifères pour maximiser ce potentiel de prévention.

Une réduction de 0,05 mm de l’épaississement de la paroi de la carotide peut sembler modeste, mais il faut se rappeler qu’une faible modification du diamètre d’une artère cause une importante variation du débit, car la résistance au flot sanguin varie de façon exponentielle en fonction du diamètre de l’artère. Dans le cas de la carotide, une étude montre qu’une diminution de 0,1 mm de l’épaisseur de la paroi est associée à une réduction d’environ 18 % du risque d’AVC et d’infarctus du myocarde.  Il est donc fort probable que les diminutions observées chez les personnes qui consommaient régulièrement des légumes crucifères (0,05 mm) peuvent se traduire par une baisse du risque d’événements cardiovasculaires chez ces personnes.

La très grande variété de légumes crucifères disponibles sur le marché rend très facile l’inclusion de ces légumes dans nos habitudes alimentaires. Les différentes formes de choux (choux pommés, choux de Bruxelles, kale), le brocoli, le chou-fleur, le radis et le navet sont les principaux crucifères consommés, mais il ne faut pas oublier que le cresson, la roquette, les feuilles de moutarde ou le rapini font eux aussi partie de cette famille et peuvent permettre de profiter des bienfaits des crucifères tout en ajoutant une touche de variété.

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