Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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« Manger un peu de tout » : un concept dépassé qui peut favoriser le surpoids

La diversité nutritionnelle, c’est-à-dire « manger un peu de tout » en langage populaire, représente un des principaux dogmes de la nutrition moderne.  Ce concept est basé sur le principe qu’aucun aliment ne contient à lui seul tous les nutriments essentiels à la santé et que ce n’est qu’en consommant une grande variété d’aliments différents (fruits, légumes, viandes, produits laitiers, etc.) qu’on peut combler adéquatement les exigences nutritionnelles de base, essentielles au maintien d’une bonne santé.

Le concept de diversité nutritionnelle a été élaboré au début du 20esiècle, une époque où les carences en nutriments essentiels étaient fréquentes. Au cours des années 20 et 30, par exemple, plusieurs personnes étaient touchées par le scorbut (carence en vitamine C), le béribéri (carence en thiamine),  le rachitisme (carence en vitamine D), la pellagre (carence en tryptophane et vitamine B3) ou encore la xérophtalmie (carence en riboflavine). Une alimentation plus diversifiée, facilitée par l’avènement du réfrigérateur et une augmentation de l’offre alimentaire par la production industrielle des aliments de base, a permis de corriger ces carences et d’éradiquer du même coup ces maladies causées par la malnutrition.

Un siècle plus tard, l’alimentation suscite toujours des inquiétudes, mais totalement à l’inverse : ce n’est plus la carence alimentaire qui pose problème, mais plutôt la surabondance et la mauvaise qualité de plusieurs aliments industriels qui nous sont offerts, en particulier les aliments hypertranformés très riches en sucres et gras ajoutés (et donc en calories).  Alors que ces produits n’existaient même pas il y a 100 ans, ils représentent aujourd’hui à eux seuls la moitié des calories consommées par la population et il n’y a pas de doute qu’ils contribuent à l’augmentation fulgurante de la proportion de personnes en surpoids qui affecte présentement la plupart des pays du globe. Dans un tel contexte, promouvoir la diversité nutritionnelle en proposant de « manger un peu de tout » revient à mettre ces aliments hypercaloriques sur un pied d’égalité avec des aliments plus sains, notamment ceux d’origine végétale, et on peut se questionner si cette approche est valable pour améliorer les habitudes alimentaires et la santé de la population.

Dans un article récemment paru dans la revue Circulation, l’American Heart Assocation prend position contre ce concept de diversité nutritionnelle et propose plutôt de miser sur la qualité des aliments consommés. Cette recommandation s’appuie sur une analyse détaillée des études réalisées jusqu’à présent sur ce sujet qui montrent que la diversité nutritionnelle est généralement associée à une alimentation de moindre qualité, caractérisée par un apport accru en aliments transformés et un apport excessif en calories. Par exemple, une étude brésilienne a montré qu’une plus grande diversité nutritionnelle, mesurée en déterminant le nombre d’items différents consommés durant une semaine, était associée à une consommation accrue d’aliments transformés comme les sucreries, les boissons gazeuses, de même que de craquelins, biscuits et gâteaux et pourrait en conséquence favoriser le surpoids.  Ceci est en accord avec une autre étude montrant qu’une plus grande diversité nutritionnelle était corrélée avec un apport plus élevé en sucreries et diverses collations et à un excès de calories.

L’apport énergétique plus élevé qui est observé chez les personnes qui mangent le plus diversifié s’explique, d’une part, par la très grande disponibilité des produits transformés riches en sucre et en gras et, d’autre part, par ce qui semble être une adaptation physiologique à la diversité alimentaire.  Chez les animaux de laboratoire, par exemple, l’accès à une variété d’aliments induit une consommation de nourriture et un gain de poids supérieurs à ce qui est observé lorsque les animaux sont exposés à un seul type d’aliment.  Des observations similaires ont été faites chez les humains, c’est-à-dire que les sujets consommaient plus de nourriture totale lorsque mis en présence d’aliments variés comparativement à un seul aliment. Étant donné qu’à l’époque moderne la diversité nutritionnelle provient essentiellement des produits industriels hypercaloriques (avec environ 15,000 nouveaux produits qui font leur apparition sur le marché chaque année), cette plus grande consommation de nourriture se traduit forcément par une hausse du risque de surpoids.

En somme, l’environnement alimentaire dans lequel nous vivons a considérablement changé au cours des 50 dernières années et il est certain que ces bouleversements, en particulier l’omniprésence d’aliments hypercaloriques, contribuent à la hausse du surpoids de la population et à l’augmentation des maladies chroniques qui découlent de cet excès de graisse (diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, certains cancers). La devise « manger un peu de tout », aussi utile soit-elle dans un contexte de carence alimentaire, devient inappropriée dans cet environnement de surabondance de nourriture, car elle ne tient pas compte de l’impact négatif de ces aliments industriels et, en pratique, les considèrent même comme des aliments aussi valables les autres.

Comme le souligne l’avis de l’AHA, plutôt que de promouvoir la diversité à tout prix, il est de loin préférable de privilégier la qualité des aliments consommés, c’est-à-dire choisir préférentiellement ceux qui exercent des effets positifs sur la santé.  Comme nous l’avons récemment mentionné, il existe un consensus pour dire qu’une alimentation principalement basée sur la consommation d’aliments d’origine végétale (fruits, légumes, légumineuses, graines et noix), combinée à un apport réduit en viandes rouges, en charcuteries et en produits contenant des sucres ajoutés et/ou des farines raffinées représente la combinaison optimale pour le maintien d’un poids corporel normal et la prévention des maladies chroniques, particulièrement les maladies cardiovasculaires.  Le régime méditerranéen ou encore son proche cousin, l’alimentation DASH (Dietary Approaches to Stop Hypertension), sont des exemples concrets de modes d’alimentation qui mettent l’emphase sur ces aliments bénéfiques et qui permettent de profiter de l’abondance et de la diversité de fruits et légumes frais tout au long de l’année pour non seulement élargir nos horizons culinaires, mais aussi vivre longtemps en bonne santé.

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