Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

Voir tous les articles
13 octobre 2018
Le cannabis à usage récréatif légal au Canada à partir d’octobre 2018

Le 17 octobre 2018, le Canada deviendra le premier pays du G7 à légaliser le cannabis à usage récréatif. Nous présentons ici sous forme de résumé quelques informations utiles sur cette drogue douce. Voir aussi ces articles sur les effets du cannabis sur la santé, publiés précédemment sur l’Observatoire de la prévention :

Le cannabis et la santé cardiovasculaire, publié en mai 2017 (mis à jour le 11.09.2018)
Les vaporisateurs pour le cannabis : plus sain que d’inhaler la fumée, publié en juillet 2017.

Pour de plus amples informations sur le cannabis, consultez cette collection d’articles publiés dans la revue Nature, les dossiers de l’Institut national de santé publique du Québec et du Gouvernement du Canada.

Le cannabis (genre Cannabis L.) est cultivé et utilisé par les humains depuis plus de 12 000 ans et est l’une des sources les plus anciennes de nourriture, d’huile et de fibre textile. Cette plante a aussi été utilisée à des fins médicinales depuis des milliers d’années, notamment en Égypte, en Chine et en Inde. Les feuilles et les bourgeons floraux de la plante contiennent les substances psychoactives qui sont utilisées comme médicament et comme drogue récréative. Jusqu’à ce jour 545 composés appartenant à différentes classes chimiques ont été identifiés dans le cannabis, dont 104 cannabinoïdes. Les principaux cannabinoïdes sont le delta-9-trans-tetrahydrocannabinol (Δ9–THC ou THC), le cannabidiol (CBD) et le cannabinol (CBN).

Les effets physiologiques du THC les plus notables sont l’euphorie, l’augmentation du rythme cardiaque, des rougeurs oculaires et une sécheresse de la bouche, l’augmentation de l’appétit, et un dysfonctionnement modéré des facultés motrices et de la concentration. En plus de l’euphorie recherchée par l’utilisateur du cannabis à des fins récréatives, le THC peut avoir d’autres effets psychoactifs non-souhaités, tels les troubles cognitifs, l’anxiété, la dysphorie (perception d’un inconfort émotionnel ou mental) et la psychose. Le CBD n’a pas de propriété euphorisante, mais a des effets anti-inflammatoires, analgésiques et antipsychotiques, et il peut contrecarrer plusieurs des effets secondaires non souhaités du THC.

Mécanisme d’action des cannabinoïdes
Les composés psychoactifs du cannabis interagissent avec le système endocannabinoïde, qui est composé des récepteurs, des ligands endogènes (endocannabinoïdes), et de protéines qui participent au transport et à la dégradation de ces ligands. Les récepteurs des cannabinoïdes se retrouvent dans différentes parties du corps humain, mais on les retrouve en plus grand nombre dans le système nerveux central (récepteur CB1) et dans le système immunitaire (récepteur CB2). Ce système est impliqué dans différents processus tels l’appétit, la mémoire, l’éveil, la douleur, l’inflammation et la santé des os. Les récepteurs des cannabinoïdes ne sont bien entendu pas apparus pour que les humains puissent jouir des effets du cannabis, mais pour capter les endocannabinoïdes et relayer leurs signaux aux cellules cibles. Deux exemples d’endocannabinoïdes sont l’anandamide, retrouvé principalement dans le cerveau, et le 2-arachidonoyl glycérol (2-AG) retrouvé surtout dans le reste du corps. Ces deux composés lipidiques miment les effets du THC et peuvent être considérés comme des neuromodulateurs.

Le cannabidiol (CBD)
Selon le comité d’experts de la pharmacodépendance de l’Organisation mondiale de la santé, le CBD à l’état pur ne semble pas présenter de potentiel d’abus, ni être nocif pour la santé. Le rapport conclut que les informations actuelles ne justifient ni le changement de statut ni une classification comme substance contrôlée. Bien que le CBD ne procure pas d’effet euphorisant, cela ne signifie pas qu’il ne soit pas psychoactif. Le CBD agit comme modulateur du THC, c’est-à-dire que l’augmentation de sa concentration atténue les effets psychoactifs du THC. Ce cannabinoïde a longtemps été ignoré, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui puisqu’il a de nombreuses applications thérapeutiques potentielles, entre autres pour réduire la douleur neuropathique (sclérose en plaques, fibromyalgie) et les crises d’épilepsie. Un mélange spécifique de THC et de CBD a été développé comme médicament (nabiximols, commercialisé sous le nom de Sativex) pour le traitement de la sclérose en plaques afin de diminuer les douleurs neuropathiques, la spasticité musculaire et divers autres symptômes. Le CBD pur est utilisé comme médicament (Epidiolex) pour traiter deux formes graves d’épilepsie juvénile, le syndrome de Lennox-Gastaut et le syndrome de Dravet.

Selon Santé Canada, les produits contenant du CBD, pourtant offerts en magasin et en ligne, sont illégaux sans une ordonnance d’un médecin.  À partir du 17 octobre, les produits contenant du CBD seront réglementés comme le seront tous les produits à base de cannabis. Santé Canada considère cependant de permettre dans l’avenir aux produits de santé naturels de contenir du cannabis et des cannabinoïdes tels le CBD. La compagnie Coca-Cola est en discussion avec le producteur canadien Auraura Cannabis pour produire des boissons contenant du CBD (mais aucun autre composant du cannabis).

Augmentation de la puissance du cannabis depuis 25 ans
Selon une étude américaine, la teneur moyenne en Δ9–THC dans les produits de cannabis illégaux confisqués par la Drug Enforcement Administration des États-Unis a triplé en 20 ans, passant de 4 % en 1995 à 12 % en 2015. Le contenu en cannabidiol (CBD) a diminué en moyenne de ∼0,28 % en 2001 à <0,15 % en 2014, ce qui fait que le ratio THC/CBD qui était de 14 fois en 1995 était de ∼80 fois en 2014.

Une étude française couvrant la période 1992-2016 montre que le contenu moyen en THC de l’herbe de cannabis a aussi augmenté considérablement en France : de 2 % en 1995, à 7 % en 2009 et à 13 % en 2015/2016. Le contenu moyen en THC dans la résine de cannabis (hachich), le produit de cannabis le plus consommé en France, a aussi augmenté : de 10 % en 2009, il a plus que doublé à 23 % en 2016.

Les taux de THC du cannabis offert dans les coffee-shops aux Pays-Bas a beaucoup augmenté de 1999 à 2004 (de 8,5 % à 20 % dans l’herbe de cannabis), mais il a légèrement diminué de 2005 à 2015 dans la plupart des produits de cannabis. Le contenu moyen en THC dans l’herbe de cannabis de la marque la plus populaire « Nederwiet » était de 16 % durant cette décennie et de 30,2 % pour la résine de cannabis. L’herbe de cannabis « Nederwiet » contient peu de CBD (0,1 %) en comparaison à des produits importés (0,7 %). Les auteurs s’inquiètent du taux de THC qui demeure élevé et du faible taux de CBD dans ces produits populaires aux Pays-Bas. Il y avait 614 coffee-shops en 2014 dans ce pays, dont environ la moitié sont situés dans les 4 plus grandes villes. Selon des estimations, environ 70 % du cannabis consommé localement est acheté directement dans ces établissements.

Les différentes formes des produits de cannabis
Le cannabis est consommé sous diverses formes, soit sous forme de cigarette (« joint ») qui contient des bourgeons floraux femelles ou des feuilles de cannabis séchées, de hachich qui est fabriqué à partir de la résine extraite de différentes parties de la plante et de particules solides de la plante, d’huile de cannabis (ou huile de hachich) qui est extraite à l’aide de solvants organiques et qui est très concentrée en cannabinoïdes et sous forme de biscuits ou boissons contenant du cannabis ou des extraits de cannabis. L’herbe de cannabis, le hachich et l’huile de cannabis sont fumés dans des cigarettes ou dans des pipes, mélangés ou non avec du tabac. L’huile de cannabis est aussi consommée par vaporisation dans des cigarettes électroniques et des vaporisateurs. Les jeunes Canadiens et Américains utilisent de plus en plus la cigarette électronique pour consommer du cannabis. Selon des données obtenues en 2016-2018, 5 % à 8,9 % des étudiants à l’école secondaire ont consommé un produit de cannabis à l’aide de la cigarette électronique durant l’année (voir ici et ici).

Le « dabbing » est un mode de consommation qui consiste à chauffer l’huile ou extrait concentré de cannabis (« dab », « oil », « wax », « shatter », « budder ») à haute température et à inhaler la vapeur produite. Le « dab » est souvent obtenu par extraction des cannabinoïdes contenus dans les fleurs de cannabis à l’aide de butane liquide. Cette substance est concentrée en THC, habituellement 20 %-30 %, parfois davantage, alors que les fleurs de cannabis en contiennent normalement entre 3 % et 6 %. Des cas de psychose et de cardiotoxicité ont été rapportés suite à la consommation de « dab ».

Cannabis comestible
Certains utilisateurs du cannabis le consomment par voie orale sous forme de gâteaux, de biscuits ou de comprimés. L’Association canadienne de santé publique est d’avis que les produits de cannabis comestibles devraient être préférés aux produits combustibles et autres modes de consommation. Le cannabis récréatif deviendra légal le 17 octobre, mais la vente de produits comestibles ne sera permise qu’à partir de 2019. La compagnie Molson s’est associé avec le producteur de cannabis québécois Hexo pour créer des boissons non alcoolisées contenant du cannabis. Heineken produit la boisson Lagunitas Hi-Fi Hops qui contient du THC pour le marché californien. Plusieurs autres compagnies ont l’intention de mettre sur le marché des boissons contenant du cannabis lorsque cela sera permis par la loi.

L’effet euphorisant du cannabis est ressenti après quelques minutes seulement lorsqu’on inhale la fumée ou la vapeur de cannabis, mais seulement environ 1 à 2 heures après l’avoir ingéré. Cette différence n’est pas toujours bien comprise par ceux qui sont habitués à fumer le cannabis plutôt qu’à l’ingérer, et cela peut mener à des surdoses, au délire et à un comportement psychotique. Au Colorado un jeune homme de 19 ans est mort en mars 2014 après avoir consommé un produit comestible du cannabis. Cette personne avait d’abord mangé un seul morceau (1/6e) de biscuit contenant 10 mg de THC, comme recommandé par le vendeur, mais ne ressentant aucun effet après 30-60 minutes il a mangé le reste du biscuit (5/6e). Durant les 2 heures suivantes, le jeune homme a eu un discours erratique et un comportement hostile. Environ 2 heures et demie après avoir mangé le reste du biscuit il a sauté du balcon de son appartement situé au 4eétage et est mort des suites de ses blessures. Ce cas illustre le danger potentiel associé à l’utilisation du cannabis comestible. L’État du Colorado a introduit depuis de nouvelles règles d’étiquetage et d’emballage.

Cannabinoïdes synthétiques
Des cannabinoïdes synthétiques ont été produits et commercialisés. Bien que leur structure soit différente des phytocannabinoïdes, ils agissent sur les mêmes récepteurs que le THC et provoquent des effets psychoactifs similaires. On retrouve également sur le marché noir des cannabinoïdes synthétiques (« spice » ou « K2 »). Ces drogues sont produites dans des laboratoires clandestins et peuvent contenir des contaminants et des adultérants. Récemment, un nombre anormalement élevé de personnes se sont présentées dans des hôpitaux de l’Illinois pour des coagulopathies ou des hémorragies. Cette explosion de cas était due à une intoxication par du cannabis synthétique adultéré avec du brodifacoum, un anticoagulant normalement utilisé comme rodenticide (mort aux rats). La grande majorité des patients ont été traités avec succès avec un antidote (vitamine Ket des facteurs de coagulation), mais une patiente est morte des suites des complications causées par une hémorragie intracraniale.

À partir du 17 octobre 2018, les utilisateurs de cannabis âgés de 18 et plus pourront s’approvisionner en ligne ou dans l’un des magasins de la Société québécoise du cannabis (SQDC). Contrairement aux produits de cannabis retrouvés sur le marché noir, les produits légaux vendus par la SQDC ne contiendront pas de contaminants (insecticides, adultérants) et seront soumis à un contrôle de la qualité rigoureux.

Partagez cet article :