Les effets des boissons énergisantes sur le système cardiovasculaire

Les effets des boissons énergisantes sur le système cardiovasculaire

EN BREF

  • En plus de l’eau et du sucre, les boissons énergisantes contiennent de la caféine synthétique ou de source naturelle (extrait de guarana) et d’autres substances naturelles (taurine, ginseng, glucuronolactone, inositol, vitamines) qui contribuent présumément à l’effet stimulant de ces boissons.
  • La quantité de caféine contenue dans les boissons énergisantes ne présente aucun risque pour la plupart des personnes, mais un excès peut causer des effets néfastes tels des maux de tête, de la nervosité, de l’irritabilité et de l’insomnie.
  • Santé Canada déconseille les boissons énergisantes aux femmes enceintes ou qui allaitent, ainsi qu’aux enfants de moins de 12 ans, et recommande à toutes les personnes de limiter l’apport quotidien maximal en caféine.
La popularité des boissons énergisantes a connu une croissance phénoménale à l’échelle mondiale depuis une vingtaine d’années. Ces boissons sont consommées pour diverses raisons : se tenir éveillé, obtenir un regain d’énergie, se motiver, augmenter la performance sportive ou faire la fête, dans ce dernier cas souvent en combinaison avec de l’alcool (voir la synthèse et cet article de l’Institut national de santé publique du Québec, INSPQ). Dans cet article, nous focaliserons sur les effets de ces boissons sur le système cardiovasculaire (voir aussi cette revue en anglais publiée en 2016).

Les principaux ingrédients contenus dans les boissons énergisantes sont l’eau, le sucre et la caféine synthétique ou de source naturelle (extrait de guarana). Il y a plus de 200 marques de boissons énergisantes offertes aux États-Unis seulement, mais quelques marques dominent le marché avec des produits dont le contenu en caféine et sucres est très similaire. D’autres substances naturelles sont également ajoutées (taurine, ginseng, glucuronolactone, inositol, vitamines) pour contribuer présumément à l’effet stimulant de ces boissons (Tableau 1). Il n’y a pas de contre-indications pour le glucuronolactone, l’inositol et les vitamines du complexe B.  Ces 3 substances ont peu ou pas d’effets indésirables et elles sont sans risque pour la santé aux doses contenues dans les boissons énergisantes. Le ginseng pourrait avoir des effets nuisibles pour les patients atteints d’hypertension artérielle, de problèmes cardiaques, de diabète, de schizophrénie, et d’insomnie. De plus, il a été démontré que les composants actifs du ginseng peuvent avoir des interactions avec d’autres molécules ou médicaments causant, par exemple, une augmentation des effets de la caféine, des anticoagulants et des antiplaquettaires.

Tableau 1. Principaux ingrédients contenus dans les boissons énergisantes : teneur par dose et description sommaire. Adapté de INSPQ, 2010. 

Ingrédient Teneur par doseDescription sommaire
Caféine 50-350 mgSource synthétique ou naturelle, stimulant mineur du système nerveux central.
Guarana 35-350 mgSource naturelle de caféine, stimulant mineur du système nerveux central.
Taurine 25-4000 mgAcide aminé
Ginseng 25-600 mgSource naturelle de ginsénosides, stimulant mineur du système nerveux central.
Glucuronolactone600-1135 mgMolécule produite par le foie à partir du glucose. On l’ajoute aux boissons énergisantes pour ses propriétés détoxifiantes présumées.
Inositol10-150 mgMolécule organique cyclique qui joue un rôle important de messager secondaire dans les cellules.
Vitamines du complexe BSelon la vitamineVitamines hydrosolubles (B2, B3, B6, B12), notamment impliquées dans le métabolisme de l’énergie.
Sucre0-72 gNutriment fournissant 4 kilocalories par gramme.

Caféine
La caféine est un alcaloïde présent dans plusieurs plantes (dont les graines du caféier, du cacaoyer et du guarana, la noix de kola, les feuilles du théier et du yerba mate) où elle joue un rôle de pesticide naturel, la caféine entraînant la paralysie, voire la mort de certains insectes qui se nourrissent de la plante.

C’est la substance psychoactive la plus consommée dans le monde, principalement sous forme de café, thé, boissons gazeuses, boissons énergisantes et chocolat. Pour consommation humaine, la caféine est classée dans la catégorie des substances moyennement toxiques, et la Food and Drug Administration des É.-U. l’inclut dans la liste des substances généralement reconnues comme sans danger (Generally recognized as safe). La consommation régulière de café est bénéfique pour la santé puisqu’elle a été associée à un risque réduit de maladies cardiovasculaires, neurodégénératives, de certains cancers et de la mortalité en général (voir cet article de l’Observatoire sur le sujet).

En quantité modérée, la caféine ne présente aucun risque pour la plupart des personnes, mais un excès peut causer des effets néfastes tels des maux de tête, de la nervosité, de l’irritabilité et de l’insomnie. Les femmes enceintes devraient éviter de consommer des boissons énergisantes et autres boissons caféinées, à cause des risques de fausse couche et de retard de croissance fœtale qui sont liés à la caféine. Santé Canada déconseille les boissons énergisantes aux femmes enceintes ou qui allaitent, ainsi qu’aux enfants de moins de 12 ans. Santé Canada recommande de limiter l’apport quotidien maximal en caféine à 400 mg pour les adultes en bonne santé (environ 5 canettes contenant chacune 80 mg de caféine). L’apport quotidien maximal en caféine pour les femmes qui prévoient devenir enceintes, qui sont enceintes ou qui allaitent est de 300 mg. Pour les enfants, l’apport maximal est 2,5 mg/kg par jour, soit environ (selon le poids corporel) :

  • 45 mg pour les enfants de 4 à 6 ans (1/2 canette de boisson énergisante contenant 80 mg de caféine ou 1 boisson gazeuse)
  • 62,5 mg pour les enfants de 7 à 9 ans (3/4 canette de boisson énergisante contenant 80 mg de caféine ou 1 1/2 boisson gazeuse)
  • 85 mg pour les enfants de 10 à 12 ans (1 canette de boisson énergisante contenant 80 mg de caféine ou 2 boissons gazeuses)
  • Enfants de 13 et plus : selon le poids corporel (max : 400 mg de caféine)

La quantité de caféine contenue dans la plupart des boissons énergisantes (Tableau 2) est proche ou dépasse les limites maximales recommandées pour les enfants de 12 ans ou moins. Pour les adolescents (13 ans et plus), la quantité de caféine contenue dans une canette de boisson énergisante de petit format est inférieure à la limite recommandée, mais avec une seule canette de grand format (444 mL et plus) on atteint ou dépasse la limite quotidienne recommandée. De plus, d’autres produits alimentaires susceptibles d’être consommés par les enfants contiennent de la caféine : café, thé, boissons gazeuses « cola », chocolat. Comme les autres boissons sucrées, les boissons énergisantes peuvent être nocives pour la santé dentaire si elles sont consommées fréquemment et elles fournissent un excès de sucres qui favorise le gain de poids. Par ailleurs, le nouveau Guide alimentaire canadien (2019) recommande de faire de l’eau notre boisson de choix et par conséquent de remplacer les boissons sucrées par de l’eau.

Tableau 2. Teneur en caféine de différentes boissons. Adapté de l’INSPQ.

BoissonsVolume (mL)Caféine (mg)
Café
Expresso allongé
Infusé (café filtre)
1 Tasse
237
237

75
135
Thé
Noir, régulier
Vert
1 tasse
237
237

43
30
Boissons gazeuses
Cola
1 canette ou 1 bouteille
355
590

36-46
60-76
Boisson contenant du cacao
Lait au chocolat
1 tasse
237

8
Boissons énergisantes concentrées
Red Bull
Rockstar energy shot
1 bouteille
60
73

80
200
Boissons énergisantes
Red Bull
Monster Java
Full Throttle, Red Bull, No Fear
Amp, Monster, Rockstar,
NOS
Monster, Rockstar
1 canette ou 1 bouteille
250
444
473
473
650
710

80
190
160–182
142-164
343
246

Les boissons énergisantes ciblent principalement les jeunes adultes âgés de 18 à 34 ans, qui en consomment 1 à 4 fois par mois aux États-Unis. Au Québec, une enquête aux niveaux secondaire et collégial indique qu’une majorité des jeunes ont déjà consommé une boisson énergisante et environ le quart en consommait souvent (12 %) ou à l’occasion (15 %) pour se stimuler ou se tenir éveillé. La moitié des étudiants américains au niveau collégial consomment des boissons énergisantes lorsqu’ils étudient ou qu’ils travaillent sur un projet important. Une revue récente sur les effets indésirables survenus après avoir consommé des boissons énergisantes montre que plus de 50 % des cas cliniques rapportés étaient liés au système cardiovasculaire, suivi par des problèmes neurologiques. De plus en plus d’éléments tendent à montrer que ces boissons ont des effets négatifs sur le système cardiovasculaire (voir plus loin), ce qui a mené à des recommandations spécifiques pour les adolescents afin prévenir les arythmies cardiaques.

Un sondage réalisé sur le web auprès d’adolescents (12-17 ans) et de jeunes adultes (18-24 ans) canadiens indique que plus de la moitié de ceux qui ont consommé des boissons énergisantes ont rapporté avoir expérimenté au moins un effet indésirable, certains étant suffisamment sérieux pour chercher de l’aide médicale. Ces effets indésirables incluaient un rythme cardiaque accéléré (24,7 %), de la difficulté à dormir (24,1 %), maux de tête (18,3 %), nausée/vomissement/diarrhée (5,1 %), douleur thoracique (3,6 %) et convulsions (0,2 %). La prévalence des effets indésirables rapportés était significativement plus grande parmi les consommateurs de boissons énergisantes (55,4 %) que parmi les consommateurs de café (36,0 %). Davantage de consommateurs de boissons énergisantes ont considéré avoir recours à de l’aide médicale que les consommateurs de café (3,1 % vs 1,4 %).

Effets cardiovasculaires
De nombreuses études sur l’impact cardiovasculaire des boissons énergisantes auprès de jeunes personnes ont montré des effets sur le cœur, en particulier sur la pression artérielle et le rythme cardiaque. Des études récentes réalisées en mesurant la variabilité de la fréquence cardiaque ont montré que l’ingestion d’une seule canette (355 mL) de boisson énergisante sucrée fait augmenter la charge de travail du cœur (augmentation de la pression artérielle, du rythme cardiaque, du débit cardiaque et le « double produit », soit la fréquence cardiaque x pression systolique, voir Figure 1).


Figure 1. Conséquences hémodynamiques de la consommation d’une boisson énergisante sucrée. Adapté de Grasser et coll., Adv. Nut., 2016.

En plus de l’augmentation de la pression artérielle systolique et de l’intervalle QT, une étude a démontré que la consommation de boissons énergisantes peut mener à des altérations de l’agrégation plaquettaire et de la fonction endothéliale.

Des chercheurs ont voulu savoir si c’est la caféine contenue dans les boissons énergisantes ou plutôt les autres composés qu’elles contiennent qui cause parfois des effets nuisibles. Dans une étude randomisée contrôlée avec permutation des groupes, les jeunes participants ont consommé soit 946 mL d’une boisson énergisante contenant de la caféine et plusieurs additifs (sucre, vitamines, taurine, ginseng, L-carnitine, glucuronolactone, inositol, extrait de guarana, maltodextrine) ou 946 mL d’une boisson contenant la même quantité de caféine, et seulement du jus de lime et de l’eau gazeuse. Des mesures de la pression artérielle et des électrocardiogrammes ont été prises avant et 1, 2, 4, 6 et 24 heures après avoir consommé ces boissons. La pression systolique était significativement plus élevée 6 heures après avoir consommé la boisson énergisante, par comparaison à la boisson contrôle caféinée. L’intervalle QTc était significativement plus élevé (≈10 millisecondes) dans le groupe qui a consommé la boisson énergisante que dans le groupe témoin (caféine) à 2 h, mais pas à 4 h, 6 h et 24 h. Il faut savoir que l’augmentation de l’intervalle QTc est un marqueur reconnu d’un risque accru d’arythmies mortelles. Les résultats de cette étude suggèrent que les ingrédients autres que la caféine qui sont présents dans les boissons énergisantes pourraient avoir des effets néfastes pour le cœur.


Figure 2. Intervalle QT normal et anormal (long) sur l’électrocardiogramme.

Une autre étude rapporte que 57 % des participants qui ont consommé 32 onces (946 mL) d’une boisson énergisante avaient par la suite un QTc >500 millisecondes, une condition connue sous le nom de « syndrome du QT long acquis ». Ce syndrome prédispose les personnes qui en sont atteintes à des arythmies ventriculaires, en particulier aux torsades de pointes, une tachycardie ventriculaire polymorphe qui peut mener à la fibrillation ventriculaire. Des nouvelles études auprès d’un plus grand nombre de participants seront nécessaires pour confirmer ou infirmer ces résultats. Par ailleurs, la Food and Drug Administration des É.-U. requiert un examen approfondi des effets sur QT/QTc pour tous les nouveaux médicaments et une prolongation de plus de 10 millisecondes déclenche un processus de vérification réglementaire. Plusieurs médicaments et produits naturels ont été retirés du marché pour cause de prolongement de l’intervalle QT/QTc (ex. : antitussifs, suppléments contenant de l’éphédra).

La plus récente étude randomisée contrôlée avec placebo et permutation des groupes confirme les effets potentiellement nuisibles des boissons énergisantes sur le cœur. Dans cette étude, les participants ont consommé 2 différentes boissons énergisantes (en vente dans le commerce) ou une boisson placebo sans caféine. Les deux boissons énergisantes contenaient des quantités similaires de caféine, taurine, glucuronolactone et de vitamines. Parmi les différences entre les 2 boissons énergisantes il y avait présence de carnitine, de guarana et de ginseng dans l’une ou l’autre des boissons seulement. Le placebo contenait de l’eau gazéifiée, du jus de lime et un arôme de cerise. Les 2 boissons énergisantes ont produit une augmentation de l’intervalle QT corrigé (QTc) de 18 à 20 ms qui a persisté jusqu’à 4 h après la consommation. Par contre, le placebo n’a provoqué qu’une légère augmentation transitoire du QTc. Bien qu’aucun participant n’ait vu son QTc augmenter >500 ms, les 2 boissons énergisantes ont provoqué une prolongation du QTc de >50 ms chez 2 participants, un écart qui est associé à un risque accru d’arythmies. Les effets des boissons énergisantes sur le rythme cardiaque et la pression artérielle étaient similaires à ceux déjà observés dans les études antérieures.

Quel est l’ingrédient des boissons énergisantes qui cause l’allongement de l’intervalle QT ? Il n’y a pas de données convaincantes pour la caféine seule, non plus que pour le ginseng. Aux concentrations retrouvées dans les boissons énergisantes, aucun des ingrédients habituels tels la taurine, le guarana, la L-carnitine, les sucres ou les vitamines B n’est connu pour causer l’allongement de l’intervalle QT.

Une revue des cas d’événements cardiovasculaires survenus après avoir consommé des boissons énergisantes a recensé 15 cas qui ont fait l’objet d’une publication avant 2014 : 5 arythmies auriculaires, 5 arythmies ventriculaires, 1 syndrome du QT long et 4 cas d’élévation du segment ST. Dans la majorité des cas, aucune anomalie cardiaque prédisposant à un événement cardiovasculaire n’a été identifiée. Parmi les 11 cas graves (c.-à-d. arrêt cardiaque, arythmie ventriculaire ou élévation du segment ST), 5 personnes ont rapporté avoir consommé de grandes quantités de boissons énergisantes en peu de temps, 4 ont rapporté avoir consommé aussi de l’alcool ou d’autres drogues et 2 se sont avérés avoir une canalopathie (dysfonctionnement des canaux ioniques membranaires). Bien qu’une relation de cause à effet ne puisse être établie, les auteurs conseillent aux médecins d’être vigilants et de demander systématiquement à leurs patients s’ils ont consommé des boissons énergisantes lorsque de pareils cas surviennent. Les consommateurs vulnérables comme les jeunes doivent être avisés qu’il faut faire preuve d’une grande prudence quand les boissons énergisantes sont consommées en excès ou avec de l’alcool ou des drogues.

 

 

 

 

 

 

 

Les effets des changements climatiques sur la santé

Les effets des changements climatiques sur la santé

Le 11 mai dernier, l’Observatoire de Mauna Loa à Hawaii enregistrait des niveaux de dioxyde de carbone (CO2) atteignant 415 parties par million (ppm), une concentration atmosphérique presque deux fois plus élevée que celle présente avant le début de l’ère industrielle (280 ppm). Cette concentration record, jamais atteinte au cours des trois derniers millions d’années, est une conséquence directe de la croissance continue des émissions de COprovenant de la combustion des énergies fossiles ainsi que de l’utilisation des terres (déforestation, changement d’affectation des sols). Pourtant, et en dépit des cris d’alarme lancés depuis plusieurs années par les spécialistes du climat, les émissions globales de COne cessent d’augmenter, de sorte que si la tendance actuelle se maintient, les modèles prévoient que la concentration de COatmosphérique pourrait atteindre 550 ppm en 2050 et près de 940 ppm à la fin du siècle

Le COest le principal gaz à effet de serre et la hausse de sa concentration est corrélée avec une augmentation de la température moyenne de surface de la planète. Comparativement à la période précédant le début de l’ère industrielle (donc avant la montée en flèche des émissions de COd’origine humaine), la température moyenne globale du globe a augmenté d’environ 1°C, la majorité de cette hausse (0,8°C) s’étant produite à partir des années 1970 (Figure 1). À l’heure actuelle, on estime que la température globale moyenne augmente à un rythme de 0,2 °C par décennie, conséquence de l’accumulation de COproduit par les émissions polluantes actuelles et passées (jusqu’à 20 % du COpersiste dans l’atmosphère pendant plus de 1000 ans).  Il semble donc que le réchauffement pourrait atteindre 3,2 °C en 2100, et ce même si les signataires de l’accord de Paris respectaient leurs engagements de réductions des émissions polluantes. L’objectif initial de l’accord de Paris de limiter la hausse de température du globe en deçà de 2 °C semble donc inatteignable.

Figure 1. Évolution des températures globales moyennes de surface de l’ère préindustrielle à nos jours. Les anomalies indiquées représentent les écarts de températures en °C par rapport aux normales calculées pour la période 1951-1980.

L’incapacité à atteindre cet objectif du « 2 degrés maximum » est réellement inquiétante, car cette cible représentait un compromis politique visant à limiter les dégâts causés par le changement climatique, non pas à les prévenir. Les nombreuses modélisations faites par les climatologistes montrent en effet que chaque degré supplémentaire augmente le risque, la fréquence et l’ampleur des conséquences directes du réchauffement, que ce soit en termes d’événements climatiques extrêmes (sécheresses, vagues de chaleur, ouragans, montée du niveau des mers) que de ses impacts directs sur la vie terrestre (extinction d’espèces, chute des rendements agricoles, hausse des maladies infectieuses, etc.).  Selon les travaux récents du Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), la limite du réchauffement devrait plutôt se situer aux environs de 1,5°C pour espérer éviter les principales conséquences des changements climatiques. Avec une hausse qui atteint déjà 1°C et possiblement 3°C d’ici la fin de ce siècle, nous sommes donc sur une trajectoire qui va bien au-delà de ce « seuil de sécurité »  et il semble inévitable que nous serons confrontés, à court et à moyen terme, aux conséquences potentiellement dangereuses du réchauffement climatique.

Impacts sur la santé

Les analyses récentes (ici et ici, par exemple) montrent clairement que les effets du changement climatique sur la santé commencent déjà à se faire sentir. La figure 2 résume les principaux dommages causés par le réchauffement : maladies, blessures et morts causées par des événements météorologiques extrêmes (inondations, vagues de chaleur, etc.), maladies respiratoires et cardiovasculaires associées à l’augmentation de la pollution atmosphérique, hausse des intoxications causées par la détérioration de la qualité de l’eau et de certaines denrées, malnutrition due à la diminution des rendements agricoles, augmentation des maladies transmissibles par des insectes et problèmes de santé mentale causés ou aggravés par des changements sociétaux dus aux variations du climat (migrations, conflits) (Figure 2).  Selon les estimations de l’Organisation mondiale de la Santé, ces phénomènes causés par les changements climatiques pourraient être responsables d’environ 250 000 morts additionnelles par année entre 2030 et 2050.

 

Figure 2. Principales conséquences des changements climatiques sur la santé.  Adapté de Haines et Ebi (2019).

Événements météorologiques extrêmes. La hausse des émissions de gaz à effet de serre ajoute de l’énergie au climat, ce qui augmente la fréquence, l’intensité et la durée d’événements extrêmes comme les vagues de chaleur, les sécheresses et les inondations. Selon le Centre for Research on the Epidemiology of Disasters, le nombre de désastres causés par les tempêtes et les inondations a augmenté chaque année de 7,4 % au cours des dernières décennies. En 2017, un total de 712 événements météorologiques extrêmes ont été répertoriés, générant des coûts estimés à 326 milliards de dollars US, soit près du triple des pertes enregistrées en 2016. Près de la moitié de la population du globe vit à moins de 60 km de la mer et on estime le nombre de personnes à risque d’inondation pourrait passer de 75 millions actuellement à 200 millions en 2080 si la hausse du niveau de la mer de 40 cm prévue par les modèles actuels se concrétise. Il faut toutefois noter que cette hausse pourrait être beaucoup plus importante et atteindre plusieurs mètres si la calotte glaciaire de l’Antarctique est déstabilisée et/ou que celle du Groenland disparait suite au réchauffement.

Chaleurs extrêmes. Plusieurs études ont rapporté une hausse de la mortalité associée à des épisodes de chaleurs extrêmes, les mieux documentés étant ceux qui ont touché les grandes agglomérations urbaines comme Chicago en 1995 (740 décès), Paris en 2003 (4,867 décès) et Moscou en 2010 (10,860 décès). Les villes sont particulièrement vulnérables aux vagues de chaleur en raison de l’effet « îlot de chaleur » qui génère des températures de 5 à 11 °C plus élevées que les zones rurales avoisinantes.  Si la tendance actuelle se maintient, on prévoit qu’à la fin du siècle, la mortalité causée par les chaleurs extrêmes pourrait augmenter de 3 à 12 % dans le sud des États-Unis et de l’Europe et dans le Sud-est asiatique.

Comme nous l’avons mentionné dans un autre article, la chaleur extrême augmente le risque de mortalité lorsque la température excède les capacités de thermorégulation du corps humain et atteint 40 °C. Dans ces conditions, la redistribution massive du sang vers la surface du corps fait en sorte que les organes internes comme le cœur ne sont pas suffisamment irrigués (ce qu’on appelle une ischémie) et cessent de fonctionner.  Le choc thermique et l’ischémie favorisent également l’infiltration de pathogènes dans le sang et le développement d’une réponse inflammatoire systémique qui endommage les organes (sepsis) et peut également entrainer la désintégration des fibres musculaires (rhabdomyolyse), libérant la myoglobine qui est très toxique pour les reins.  Les personnes âgées sont particulièrement vulnérables aux grandes chaleurs, avec une augmentation significative de la mortalité observée lorsque la température maximale excède de 5 degrés et plus la température normale (Figure 3). Au Centre ÉPIC de l’ICM, une équipe de recherche dirigée par le Dr Daniel Gagnon PhD étudie les répercussions de la chaleur extrême chez les gens agés et chez les patients cardiaques.

Figure 3. Hausse du risque de mortalité chez les personnes âgées de 65 ans et plus causée par les chaleurs excédant les températures normales.  Tiré de l’OMS (2014).

Détérioration de la qualité de l’air.  On estime qu’actuellement les particules fines présentes dans la pollution atmosphérique sont responsables d’environ 9 millions de décès prématurés dans le monde, un nombre auquel s’ajoute 1 million de décès causés par l’ozone de basse altitude (troposphérique).  Les poumons sont évidemment les organes les plus exposés à la pollution atmosphérique et les personnes qui vivent en zones polluées sont plus à risque de développer des maladies pulmonaires.   Ce sont cependant les maladies cardiovasculaires qui représentent la plus grande conséquence de la détérioration de la qualité de l’air, ces maladies étant à elles seules responsables d’environ 80 % de l’ensemble des décès causés par la pollution de l’air ambiant.  Les particules fines et ultrafines inhalées par les poumons atteignent la circulation sanguine où elles causent une réaction inflammatoire et un stress oxydatif qui endommagent la paroi des vaisseaux et augmentent le risque d’événements cardiovasculaires,  en particulier chez les personnes qui sont déjà à risque (maladie coronarienne existante, athérosclérose à un stade avancé).  Il va de soi qu’à défaut d’une réduction importante des émissions polluantes, ces morts prématurées vont augmenter au cours des prochaines années, d’autant plus que certaines conséquences des changements climatiques comme les feux de forêt peuvent augmenter plus de 10 fois les niveaux de pollution atmosphérique.

Impact sur l’approvisionnement en nourriture.  Les températures plus élevées, les variations des cycles de précipitations et les événements météorologiques extrêmes causés par les changements climatiques peuvent grandement affecter la production de nourriture.   Plusieurs pays sont déjà aux prises avec une baisse des rendements agricoles, en particulier en Afrique et dans le Sud-est asiatique, principalement en raison de périodes prolongées de sécheresse. La hausse des températures a également un impact sur la salubrité de la nourriture : en Europe, par exemple, des températures supérieures à la normale sont responsables d’environ 30 % des cas de salmonelloses  et l’incidence d’empoisonnements alimentaires est fortement associée à une hausse des températures dans les 2 à 5 semaines précédentes.

Il faut aussi noter que plusieurs études récentes (ici, ici et ici, par exemple) ont montré que la hausse des concentrations atmosphériques de COest associée à une diminution de la qualité nutritionnelle de certaines cultures importantes comme le riz et le blé, notamment en abaissant les niveaux de protéines, de plusieurs micronutriments (zinc et fer, notamment) ainsi que des vitamines du groupe B.  Selon une analyse récente, si la concentration atmosphérique de COdépasse comme prévu 550 ppm au cours des prochaines décennies, 175 millions de personnes pourraient présenter une déficience en zinc et 122 millions une déficience en protéines (principalement dans le sud-est asiatique, l’Afrique et le Moyen-Orient).

Hausse des maladies zoonotiques à transmission vectorielle. Selon le Intergovernmental Panel on Climate Change, l’augmentation du risque de transmission de maladies infectieuses par des vecteurs comme les moustiques et les tiques est l’une des conséquences les plus probables des changements climatiques. Le réchauffement favorise en effet l’expansion géographique de plusieurs de ces vecteurs, notamment les moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus, responsables de la transmission des arbovirus comme la dengue, le chikungunya, la fièvre jaune et le Zika, les moustiques du genre Culex, responsables de la transmission du virus du Nil, et certaines tiques comme Ixodes scapularis,  l’espèce vectrice de la bactérie Borrelia burgdorferi responsable de la maladie de Lyme.

L’apparition de la maladie de Lyme dans le sud du Canada, incluant le sud du Québec, représente un exemple particulièrement inquiétant des conséquences du réchauffement climatique. Originaire de Nouvelle-Angleterre (la maladie a été décrite pour la première fois dans la ville de Lyme au Connecticut, d’où son nom), la tique responsable de la transmission de cette maladie a commencé à être détectée dans le Sud-est canadien au début des années 2000.  Cette expansion du territoire de la tique I. scapularis vers le nord, à un rythme d’environ 33 à 55 km par année, est fortement corrélée avec une hausse des températures qui permettent maintenant à la tique de compléter son cycle de vie.  En conséquence, l’incidence annuelle de la maladie de Lyme au Canada a grimpé en flèche au cours des dernières années, passant de 40 cas en 2004 à près de 1000 cas en 2016 (Figure 4).

Figure 4. Incidence de la maladie de Lyme au Canada entre 1994 et 2016.  Tiré de Ogden et coll. (2014) et du Gouverment du Canada.

Il est probable que les changements climatiques auront un impact similaire sur le risque d’infection par le virus du Nil et pourraient même favoriser l’émergence de maladies transmises par les vecteurs des arbovirus (Aedes aegypti et Aedes albopictus). Par exemple selon les modèles actuelsAe. albopictus sera présent dans 197 pays d’ici 2080, incluant le Canada, exposant potentiellement ces populations à des maladies infectieuses (la dengue, par exemple) qui étaient jusqu’à exclusivement présentes dans les pays plus chauds.

En somme, il est clair que si rien n’est fait, les effets négatifs des changements climatiques sur la santé humaine vont aller en s’accentuant, en particulier chez les populations qui sont vulnérables au réchauffement en raison de leur localisation géographique (inondations, sécheresse, vagues de chaleur).  Mais même lorsque les catastrophes se produisent ailleurs, elles peuvent néanmoins grandement influencer la vie d’ici, que ce soit en termes économiques (perturbations de la production de biens et de services, baisse des rendements agricoles) ou sociaux (migrations massives, conflits armés).  C’est donc toute l’humanité qui fait face à la crise du climat, et on ne peut que souhaiter que des actions concrètes soient rapidement mises en place réduire les émissions de gaz à effet de serre.