Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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12 juin 2019
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Les effets des changements climatiques sur la santé

Le 11 mai dernier, l’Observatoire de Mauna Loa à Hawaii enregistrait des niveaux de dioxyde de carbone (CO2) atteignant 415 parties par million (ppm), une concentration atmosphérique presque deux fois plus élevée que celle présente avant le début de l’ère industrielle (280 ppm). Cette concentration record, jamais atteinte au cours des trois derniers millions d’années, est une conséquence directe de la croissance continue des émissions de COprovenant de la combustion des énergies fossiles ainsi que de l’utilisation des terres (déforestation, changement d’affectation des sols). Pourtant, et en dépit des cris d’alarme lancés depuis plusieurs années par les spécialistes du climat, les émissions globales de COne cessent d’augmenter, de sorte que si la tendance actuelle se maintient, les modèles prévoient que la concentration de COatmosphérique pourrait atteindre 550 ppm en 2050 et près de 940 ppm à la fin du siècle

Le COest le principal gaz à effet de serre et la hausse de sa concentration est corrélée avec une augmentation de la température moyenne de surface de la planète. Comparativement à la période précédant le début de l’ère industrielle (donc avant la montée en flèche des émissions de COd’origine humaine), la température moyenne globale du globe a augmenté d’environ 1°C, la majorité de cette hausse (0,8°C) s’étant produite à partir des années 1970 (Figure 1). À l’heure actuelle, on estime que la température globale moyenne augmente à un rythme de 0,2 °C par décennie, conséquence de l’accumulation de COproduit par les émissions polluantes actuelles et passées (jusqu’à 20 % du COpersiste dans l’atmosphère pendant plus de 1000 ans).  Il semble donc que le réchauffement pourrait atteindre 3,2 °C en 2100, et ce même si les signataires de l’accord de Paris respectaient leurs engagements de réductions des émissions polluantes. L’objectif initial de l’accord de Paris de limiter la hausse de température du globe en deçà de 2 °C semble donc inatteignable.

Figure 1. Évolution des températures globales moyennes de surface de l’ère préindustrielle à nos jours. Les anomalies indiquées représentent les écarts de températures en °C par rapport aux normales calculées pour la période 1951-1980.

L’incapacité à atteindre cet objectif du « 2 degrés maximum » est réellement inquiétante, car cette cible représentait un compromis politique visant à limiter les dégâts causés par le changement climatique, non pas à les prévenir. Les nombreuses modélisations faites par les climatologistes montrent en effet que chaque degré supplémentaire augmente le risque, la fréquence et l’ampleur des conséquences directes du réchauffement, que ce soit en termes d’événements climatiques extrêmes (sécheresses, vagues de chaleur, ouragans, montée du niveau des mers) que de ses impacts directs sur la vie terrestre (extinction d’espèces, chute des rendements agricoles, hausse des maladies infectieuses, etc.).  Selon les travaux récents du Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), la limite du réchauffement devrait plutôt se situer aux environs de 1,5°C pour espérer éviter les principales conséquences des changements climatiques. Avec une hausse qui atteint déjà 1°C et possiblement 3°C d’ici la fin de ce siècle, nous sommes donc sur une trajectoire qui va bien au-delà de ce « seuil de sécurité »  et il semble inévitable que nous serons confrontés, à court et à moyen terme, aux conséquences potentiellement dangereuses du réchauffement climatique.

Impacts sur la santé

Les analyses récentes (ici et ici, par exemple) montrent clairement que les effets du changement climatique sur la santé commencent déjà à se faire sentir. La figure 2 résume les principaux dommages causés par le réchauffement : maladies, blessures et morts causées par des événements météorologiques extrêmes (inondations, vagues de chaleur, etc.), maladies respiratoires et cardiovasculaires associées à l’augmentation de la pollution atmosphérique, hausse des intoxications causées par la détérioration de la qualité de l’eau et de certaines denrées, malnutrition due à la diminution des rendements agricoles, augmentation des maladies transmissibles par des insectes et problèmes de santé mentale causés ou aggravés par des changements sociétaux dus aux variations du climat (migrations, conflits) (Figure 2).  Selon les estimations de l’Organisation mondiale de la Santé, ces phénomènes causés par les changements climatiques pourraient être responsables d’environ 250 000 morts additionnelles par année entre 2030 et 2050.

Figure 2. Principales conséquences des changements climatiques sur la santé.  Adapté de Haines et Ebi (2019).

Événements météorologiques extrêmes. La hausse des émissions de gaz à effet de serre ajoute de l’énergie au climat, ce qui augmente la fréquence, l’intensité et la durée d’événements extrêmes comme les vagues de chaleur, les sécheresses et les inondations. Selon le Centre for Research on the Epidemiology of Disasters, le nombre de désastres causés par les tempêtes et les inondations a augmenté chaque année de 7,4 % au cours des dernières décennies. En 2017, un total de 712 événements météorologiques extrêmes ont été répertoriés, générant des coûts estimés à 326 milliards de dollars US, soit près du triple des pertes enregistrées en 2016. Près de la moitié de la population du globe vit à moins de 60 km de la mer et on estime le nombre de personnes à risque d’inondation pourrait passer de 75 millions actuellement à 200 millions en 2080 si la hausse du niveau de la mer de 40 cm prévue par les modèles actuels se concrétise. Il faut toutefois noter que cette hausse pourrait être beaucoup plus importante et atteindre plusieurs mètres si la calotte glaciaire de l’Antarctique est déstabilisée et/ou que celle du Groenland disparait suite au réchauffement.

Chaleurs extrêmes. Plusieurs études ont rapporté une hausse de la mortalité associée à des épisodes de chaleurs extrêmes, les mieux documentés étant ceux qui ont touché les grandes agglomérations urbaines comme Chicago en 1995 (740 décès), Paris en 2003 (4,867 décès) et Moscou en 2010 (10,860 décès). Les villes sont particulièrement vulnérables aux vagues de chaleur en raison de l’effet « îlot de chaleur » qui génère des températures de 5 à 11 °C plus élevées que les zones rurales avoisinantes.  Si la tendance actuelle se maintient, on prévoit qu’à la fin du siècle, la mortalité causée par les chaleurs extrêmes pourrait augmenter de 3 à 12 % dans le sud des États-Unis et de l’Europe et dans le Sud-est asiatique.

Comme nous l’avons mentionné dans un autre article, la chaleur extrême augmente le risque de mortalité lorsque la température excède les capacités de thermorégulation du corps humain et atteint 40 °C. Dans ces conditions, la redistribution massive du sang vers la surface du corps fait en sorte que les organes internes comme le cœur ne sont pas suffisamment irrigués (ce qu’on appelle une ischémie) et cessent de fonctionner.  Le choc thermique et l’ischémie favorisent également l’infiltration de pathogènes dans le sang et le développement d’une réponse inflammatoire systémique qui endommage les organes (sepsis) et peut également entrainer la désintégration des fibres musculaires (rhabdomyolyse), libérant la myoglobine qui est très toxique pour les reins.  Les personnes âgées sont particulièrement vulnérables aux grandes chaleurs, avec une augmentation significative de la mortalité observée lorsque la température maximale excède de 5 degrés et plus la température normale (Figure 3). Au Centre ÉPIC de l’ICM, une équipe de recherche dirigée par le Dr Daniel Gagnon PhD étudie les répercussions de la chaleur extrême chez les gens agés et chez les patients cardiaques.

Figure 3. Hausse du risque de mortalité chez les personnes âgées de 65 ans et plus causée par les chaleurs excédant les températures normales.  Tiré de l’OMS (2014).

Détérioration de la qualité de l’air.  On estime qu’actuellement les particules fines présentes dans la pollution atmosphérique sont responsables d’environ 9 millions de décès prématurés dans le monde, un nombre auquel s’ajoute 1 million de décès causés par l’ozone de basse altitude (troposphérique).  Les poumons sont évidemment les organes les plus exposés à la pollution atmosphérique et les personnes qui vivent en zones polluées sont plus à risque de développer des maladies pulmonaires.   Ce sont cependant les maladies cardiovasculaires qui représentent la plus grande conséquence de la détérioration de la qualité de l’air, ces maladies étant à elles seules responsables d’environ 80 % de l’ensemble des décès causés par la pollution de l’air ambiant.  Les particules fines et ultrafines inhalées par les poumons atteignent la circulation sanguine où elles causent une réaction inflammatoire et un stress oxydatif qui endommagent la paroi des vaisseaux et augmentent le risque d’événements cardiovasculaires,  en particulier chez les personnes qui sont déjà à risque (maladie coronarienne existante, athérosclérose à un stade avancé).  Il va de soi qu’à défaut d’une réduction importante des émissions polluantes, ces morts prématurées vont augmenter au cours des prochaines années, d’autant plus que certaines conséquences des changements climatiques comme les feux de forêt peuvent augmenter plus de 10 fois les niveaux de pollution atmosphérique.

Impact sur l’approvisionnement en nourriture.  Les températures plus élevées, les variations des cycles de précipitations et les événements météorologiques extrêmes causés par les changements climatiques peuvent grandement affecter la production de nourriture.   Plusieurs pays sont déjà aux prises avec une baisse des rendements agricoles, en particulier en Afrique et dans le Sud-est asiatique, principalement en raison de périodes prolongées de sécheresse. La hausse des températures a également un impact sur la salubrité de la nourriture : en Europe, par exemple, des températures supérieures à la normale sont responsables d’environ 30 % des cas de salmonelloses  et l’incidence d’empoisonnements alimentaires est fortement associée à une hausse des températures dans les 2 à 5 semaines précédentes.

Il faut aussi noter que plusieurs études récentes (ici, ici et ici, par exemple) ont montré que la hausse des concentrations atmosphériques de COest associée à une diminution de la qualité nutritionnelle de certaines cultures importantes comme le riz et le blé, notamment en abaissant les niveaux de protéines, de plusieurs micronutriments (zinc et fer, notamment) ainsi que des vitamines du groupe B.  Selon une analyse récente, si la concentration atmosphérique de COdépasse comme prévu 550 ppm au cours des prochaines décennies, 175 millions de personnes pourraient présenter une déficience en zinc et 122 millions une déficience en protéines (principalement dans le sud-est asiatique, l’Afrique et le Moyen-Orient).

Hausse des maladies zoonotiques à transmission vectorielle. Selon le Intergovernmental Panel on Climate Change, l’augmentation du risque de transmission de maladies infectieuses par des vecteurs comme les moustiques et les tiques est l’une des conséquences les plus probables des changements climatiques. Le réchauffement favorise en effet l’expansion géographique de plusieurs de ces vecteurs, notamment les moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus, responsables de la transmission des arbovirus comme la dengue, le chikungunya, la fièvre jaune et le Zika, les moustiques du genre Culex, responsables de la transmission du virus du Nil, et certaines tiques comme Ixodes scapularis,  l’espèce vectrice de la bactérie Borrelia burgdorferi responsable de la maladie de Lyme.

L’apparition de la maladie de Lyme dans le sud du Canada, incluant le sud du Québec, représente un exemple particulièrement inquiétant des conséquences du réchauffement climatique. Originaire de Nouvelle-Angleterre (la maladie a été décrite pour la première fois dans la ville de Lyme au Connecticut, d’où son nom), la tique responsable de la transmission de cette maladie a commencé à être détectée dans le Sud-est canadien au début des années 2000.  Cette expansion du territoire de la tique I. scapularis vers le nord, à un rythme d’environ 33 à 55 km par année, est fortement corrélée avec une hausse des températures qui permettent maintenant à la tique de compléter son cycle de vie.  En conséquence, l’incidence annuelle de la maladie de Lyme au Canada a grimpé en flèche au cours des dernières années, passant de 40 cas en 2004 à près de 1000 cas en 2016 (Figure 4).

Figure 4. Incidence de la maladie de Lyme au Canada entre 1994 et 2016.  Tiré de Ogden et coll. (2014) et du Gouverment du Canada.

Il est probable que les changements climatiques auront un impact similaire sur le risque d’infection par le virus du Nil et pourraient même favoriser l’émergence de maladies transmises par les vecteurs des arbovirus (Aedes aegypti et Aedes albopictus). Par exemple selon les modèles actuelsAe. albopictus sera présent dans 197 pays d’ici 2080, incluant le Canada, exposant potentiellement ces populations à des maladies infectieuses (la dengue, par exemple) qui étaient jusqu’à exclusivement présentes dans les pays plus chauds.

En somme, il est clair que si rien n’est fait, les effets négatifs des changements climatiques sur la santé humaine vont aller en s’accentuant, en particulier chez les populations qui sont vulnérables au réchauffement en raison de leur localisation géographique (inondations, sécheresse, vagues de chaleur).  Mais même lorsque les catastrophes se produisent ailleurs, elles peuvent néanmoins grandement influencer la vie d’ici, que ce soit en termes économiques (perturbations de la production de biens et de services, baisse des rendements agricoles) ou sociaux (migrations massives, conflits armés).  C’est donc toute l’humanité qui fait face à la crise du climat, et on ne peut que souhaiter que des actions concrètes soient rapidement mises en place réduire les émissions de gaz à effet de serre.

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