Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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28 mai 2019
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Pour demeurer mince, évitez les aliments ultratransformés

MIs à jour le 30 mai 2019

Nos habitudes alimentaires se sont considérablement modifiées au cours des dernières années.  Parfois pour le mieux, par exemple en profitant de la disponibilité de plusieurs aliments, ingrédients et épices provenant des quatre coins du globe pour diversifier notre alimentation et élargir nos horizons culinaires.  Mais aussi parfois pour le pire, notamment en raison d’une augmentation très importante de la consommation d’aliments industriels ultratransformés riches en gras, en sucre, et en sel (voir l’encadré pour la définition d’aliments ultratransformés).  La révolution engendrée par ces « nouveaux » aliments est particulièrement remarquable : alors que ces produits n’existaient même pas il y a un siècle à peine, ils représentent actuellement environ 50 % de l’ensemble des calories consommées par la population.

Malheureusement, la plupart de ces produits ultratransformés doivent être considérés comme des aliments de piètre qualité nutritionnelle. Non seulement leur contenu élevé en sucre et en gras leur confère une très forte densité énergétique qui favorise la surconsommation de calories, mais l’utilisation d’ingrédients peu coûteux pour leur fabrication fait aussi en sorte aussi qu’ils sont dépourvus de plusieurs éléments essentiels retrouvés dans les aliments non transformés (fibres, oméga-3, polyphénols, vitamines, minéraux, etc.). Pour toutes ces raisons, on recommande de limiter autant que possible la consommation de ces aliments ultratransformés et de privilégier les repas cuisinés à la maison, tel que proposé dans la dernière version du guide alimentaire canadien.

Aliments ultratransformés: la classification NOVA

Au lieu de la classification traditionnelle des aliments selon leur contenu en certains nutriments (protéines, glucides, vitamines), des chercheurs brésiliens ont proposé en 2009 une nouvelle façon de les catégoriser selon leur degré de transformation. Cette classification, appelée NOVA, comprend 4 groupes :

Groupe 1 : Aliments peu ou non transformés

Les aliments non transformés peuvent être d’origine végétale (feuilles, pousses, racines, tubercules, fruits, noix, graines) ou animale (viande, œufs, lait). Ces aliments sont périssables et doivent être consommés peu de temps après leur production. On dit de ces aliments qu’ils sont « peu transformés» lorsqu’ils sont soumis à certains traitements qui augmentent leur durée de conservation (lavage, congélation, pasteurisation, etc.) ou qui modifient leur goût (fermentation en yogourt, torréfaction du café), mais sans altérer leurs propriétés nutritionnelles.

Exemples : Fruits et légumes (frais, congelés), les céréales, champignons, les viandes et poissons, les fruits de mer, les volailles, les œufs, le lait pasteurisé, les yogourts natures, le café, le thé, les épices, les noix et graines.

Groupe 2 : Ingrédients culinaires

Ces produits sont obtenus à partir des aliments du groupe 1 par diverses transformations physiques (pressage, meulage, raffinage). Ces ingrédients ne sont pas consommés tels quels, mais plutôt utilisés en combinaison avec les aliments du groupe 1 pour cuisiner différents plats.

Exemple : huiles végétales, farines, beurre, sucre, sel, vinaigre.

Groupe 3 : Aliments transformés

Les aliments de ce groupe sont des produits fabriqués avec des aliments du groupe 1, auxquels sont ajoutées des substances du groupe 2 (sel, huile, sucre…) pour augmenter leur durée de vie, ou encore en utilisant différents procédés destinés à les rendre plus attirants et meilleurs au goût. Bien que ces produits conservent généralement les attributs et les constituants des aliments de base dont ils sont issus, leur profil nutritionnel est la plupart du temps altéré en raison de l’ajout de gras, de sucre ou de sel.

Exemple : aliments en conserve, aliments fumés, charcuteries, fromages. À noter que les boissons alcoolisées, qui sont réalisées à partir de la fermentation d’aliments du premier groupe, font aussi partie du groupe 3.

Groupe 4 : Aliments ultratransformés

Ces produits sont de pures créations industrielles fabriquées à partir de plusieurs ingrédients isolés. Certains de ces ingrédients sont du groupe 2 (sucre, huile, farine, sel), tandis que d’autres sont inconnus dans la nature et fabriqués industriellement (protéines hydrolysées, huiles hydrogénées, amidons modifiés). Les produits ultratransformés contiennent également une vaste gamme d’additifs destinés à améliorer leur apparence, goût, texture et durée de conservation (émulsifiants, stabilisants, texturants, colorants, saveurs artificielles, édulcorants). En somme, les produits ultratransformés ne sont pas des aliments au sens où on l’entend habituellement, mais plutôt une combinaison d’ingrédients, agencés de façon à donner l’illusion d’un aliment.

Exemples : Céréales du petit déjeuner, soupes et nouilles instantanées, pâtisseries, gâteaux, pains, diverses collations sucrées ou salées (croustilles, barres tendres, biscuits, craquelins, etc.), boissons gazeuses ou énergisantes, margarine, friandises, mets « prêt-à-manger » (croquettes de poulet ou poisson, pizzas et pâtes surgelées, etc.).

Aliments ultratransformés et gain de poids

Un des principaux arguments contre les aliments ultratransformés est qu’on soupçonne depuis plusieurs années que leur forte teneur en calories pourrait favoriser le développement de l’obésité.  Par exemple, tous les pays, sans exception, qui ont augmenté la proportion d’aliments industriels ultratransformés dans leur alimentation doivent composer avec une plus grande proportion d’individus obèses. Ceci est particulièrement frappant dans les pays en transition économique, où la grande disponibilité et le faible coût des aliments ultratransformés font en sorte que l’incidence de l’obésité a augmenté en flèche, et ce même chez les personnes pauvres.

Une étude tout à fait remarquable vient de confirmer ce lien étroit qui existe entre la consommation d’aliments ultratransformés et le gain de poids.  Dans cette étude clinique randomisée réalisée par l’équipe du Dr Kevin Hall (National Institute of Heath), les chercheurs ont comparé les effets d’un régime composé exclusivement d’aliments ultratransformés à celui d’un régime basé sur la consommation d’aliments peu transformés.  Ils ont recruté 20 personnes jeunes en bonne santé (mais qui présentait un léger excès de poids avec un IMC moyen de 27) et, moyennant une compensation financière de 6000$, les volontaires ont accepté d’être hébergés pendant 28 jours consécutifs dans les laboratoires du centre, sans possibilité de sortie et avec l’obligation de se nourrir exclusivement à partir des repas faits à partir d’aliments ultratransformés (groupe 1) ou peu transformés (groupe 2) préparés par l’équipe de recherche.  Dans tous les cas, les repas ont été élaborés pour être équivalents en termes de calories, de densité énergétique, de gras, de sucre et de sel, mais différaient forcément beaucoup quant aux types de sucres et de gras présents.  Par exemple, les aliments ultratransformés contenaient beaucoup plus de sucres ajoutés (54 % des sucres totaux, comparativement à 1 % pour les aliments peu transformés), de gras saturés (34 % des gras totaux, comparativement à 19 %) et quatre fois moins d’oméga-3.  Les sujets ont reçu l’instruction de manger à leur faim, sans se préoccuper des quantités ingérées.

Pendant les deux premières semaines, chacun des participants a mangé 3 repas par jour du groupe 1 (aliments ultratransformés comme des céréales, muffins, pain blanc ou yogourts aromatisés pour le petit déjeuner, sandwiches de charcuteries pour le diner et  croquettes de poulet pour le souper) ou du groupe 2 (aliments peu transformés comme des fruits et légumes frais, œufs, poisson, volaille, grains entiers, noix) (la différence entre les types de repas consommés par les participants peut être visualisée ici). Des collations étaient mises à la disposition des volontaires toute la journée (croustilles, craquelins et barres tendres pour le groupe 1 ou noix, amandes et fruits  pour le groupe 2). Pour les deux semaines suivantes, les volontaires sont passés à l’autre régime, c’est-à-dire que ceux qui avaient mangé les aliments ultratransformés étaient maintenant nourris avec les aliments peu transformés et vice versa.

Le résultat le plus spectaculaire de l’étude est que le simple fait d’être exposé aux aliments ultratransformés provoque une hausse très importante de la quantité de calories consommées tout au long de la durée de l’étude (Figure 1).  Globalement, cette hausse est d’environ 510 kcal par jour, résultat d’une augmentation de l’apport en glucides (280 kcal /jour) et en gras (230 kcal/ jour) (mais non en protéines).

Figure 1. Comparaison des apports en calories chez les personnes soumises à des régimes composés d’aliments ultratransformés ou peu transformés. Tiré de Hall et coll. (2019).

Une hausse aussi importante de l’apport calorique n’est évidemment pas sans conséquence : la pesée quotidienne des participants montre une augmentation rapide du poids corporel qui atteint 1 kg dès la fin de la première semaine de l’étude (Figure 2).  À l’inverse, les personnes qui avaient consommé le régime à base d’aliments peu transformés avaient perdu 1 kg durant la durée de l’étude, résultant en une différence nette de 2 kg avec les personnes nourries avec des aliments ultratransformés.  C’est énorme, surtout si l’on considère que ces différences peuvent être observées en deux semaines à peine.

Figure 2.  Variation du poids corporel associée à la consommation d’aliments ultratransformés ou peu transformés. Tiré de Hall et coll. (2019).

Pourquoi manger plus ?

Les aliments ultratransformés sont conçus d’abord et avant tout pour provoquer un plaisir sensoriel  (apparence, texture) et satisfaire à notre inclination naturelle pour le gras, le sucre et le sel. On aurait donc pu s’attendre à ce que la plus forte consommation de ces aliments par les participants de l’étude soit due au fait qu’ils avaient préféré manger ces repas plutôt que ceux concoctés à partir d’aliments peu transformés.  Ce n’est pourtant pas le cas, car le degré de satisfaction des participants à l’égard des deux classes d’aliments était identique, autant au point de vue de l’appétit que du plaisir associé à leur consommation.  La principale différence observée entre les deux groupes est que les personnes mangeaient presque deux fois plus rapidement lorsque leurs repas étaient composés d’aliments ultratransformés plutôt que peu transformés (50 kcal/min comparativement à 30 kcal/min).  Ceci est probablement dû au fait que les aliments ultratransformés sont généralement plus faciles à mastiquer et à avaler, ce qui permet l’ingestion d’une plus grande quantité de nourriture dans un plus court laps de temps et donc d’un excès calorique.  En ce sens, il faut noter que les chercheurs ont observé que les taux sanguins du peptide YY (une hormone qui diminue l’appétit) étaient augmentés chez les personnes qui mangeaient des aliments peu transformés, tandis que les taux de ghréline (une hormone qui stimule l’appétit) étaient diminués. Il est donc possible que la consommation d’aliments ultratransformés dérègle nos mécanismes impliqués dans la satiété, ce qui favorise une surconsommation de nourriture.

Ces observations suggèrent fortement que la consommation d’aliments ultratransformés joue un rôle prédominant dans  la hausse vertigineuse de l’incidence de personnes en surpoids à l’échelle mondiale. Il s’agit vraiment d’une avancée majeure, qui a le potentiel de révolutionner notre compréhension des mécanismes responsables de cette épidémie d’obésité.  Depuis plusieurs années, l’excès de poids est toujours considéré sous l’angle d’un apport excessif en gras ou en sucre et on ne compte plus le nombre de régimes « miracles » qui promettent des pertes de poids importantes en coupant l’un ou l’autre.  Pourtant, comme nous l’avons mentionné dans un autre article, il n’y a pas réellement de différence cliniquement significative quant à l’efficacité des régimes faibles en gras (low-fat) ou en glucides (low-carb) à induire des pertes de poids à long terme.  Au lieu de se préoccuper outre mesure des quantités de gras et/ou de sucre ingérées, l’étude du Dr Hall suggère fortement que c’est la source de ces nutriments qui représente le facteur le plus important dans le contrôle du poids corporel.  Pour demeurer mince, la clé est donc de manger le plus souvent possible des aliments peu transformés et limiter au minimum la consommation d’aliments industriels ultratransformés. D’autant plus que plusieurs études récentes ont montré que les personnes qui consomment régulièrement ce type d’aliments sont à plus haut risque de maladies cardiovasculaires et de mortalité prématurée.

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