Après une crise cardiaque, l’alimentation méditerranéenne permet de réduire significativement le risque de récidives

Après une crise cardiaque, l’alimentation méditerranéenne permet de réduire significativement le risque de récidives

Les médicaments et les mesures invasives comme la revascularisation (pose d’endoprothèses vasculaires ou stents) permettent de sauver un grand nombre de patients coronariens, c’est-à-dire qui ont subi un infarctus du myocarde ou un autre syndrome coronarien aigu.  Par contre, ces patients demeurent généralement à haut risque de récidive s’ils ne s’attaquent pas aux causes responsables de leur maladie coronarienne, qui sont dans la majorité des cas liés à certains aspects de leur mode de vie (tabagisme, sédentarité, stress chronique, mauvaise alimentation).

Un des facteurs qui a reçu le plus d’attention au cours des dernières décennies est la nature de l’alimentation. Étant donné le rôle des gras saturés dans le développement des plaques responsables de l’athérosclérose (le blocage des artères coronaires qui mène à l’infarctus), la réduction des graisses alimentaires s’est imposée dès le départ comme l’approche standard pour réduire le risque de récidives chez les patients coronariens. Ces régimes « low-fat » ont évolué avec le temps, notamment pour y inclure des glucides complexes (grains entiers, légumineuses) afin d’obtenir un apport adéquat en fibres, mais visent d’abord et avant tout à réduire l’apport total en gras à 25-30 % des calories quotidiennes et celui en gras saturés à moins de 10 % .

Régime méditerranéen

Nous avons discuté à maintes reprises des nombreuses études qui ont clairement montré que l’alimentation de type méditerranéenne était associée à une réduction du risque de maladies cardiovasculaires (voir ici et ici, par exemple).  Ce mode d’alimentation se caractérise par son contenu élevé en aliments végétaux non transformés (céréales complètes, légumes, fruits, légumineuses, noix et huile d’olive extravierge), un apport modéré en poisson/crustacés et un apport faible en viandes rouges et charcuteries et en graisses d’origine animale.

La principale caractéristique du régime méditerranéen demeure cependant  l’utilisation abondante d’huile d’olive extravierge comme source principale de graisses alimentaires, ce qui peut mener à un apport total en gras aux environs de 40 % des calories totales, donc bien au-delà de celui des régimes faibles en gras utilisé pour réduire le risque d’accidents cardiovasculaires chez les patients coronariens.  Cependant, loin d’être problématique, cet apport élevé en gras insaturés semble au contraire être bénéfique pour la prévention des maladies cardiovasculaires, autant en prévention primaire, chez les personnes qui n’ont pas d’antécédents d’accidents cardiovasculaires, qu’en prévention secondaire,  chez les patients coronariens qui ont déjà subi un infarctus ou qui sont à très haut risque de subir ces accidents. Par exemple,  les résultats de l’étude PREDIMED montrent qu’un apport élevé en gras insaturés, provenant des noix ou de l’huile d’olive, était associé à une diminution significative du risque de maladie cardiovasculaire.  Cet effet protecteur des gras insaturés a également été observé dans l’étude de Lyon, réalisée auprès de 605 survivants d’un infarctus du myocarde : l’addition d’acide linolénique (un oméga-3 à courte chaine présent dans les végétaux) à l’alimentation des patients a provoqué une diminution très importante (73%) de récidives d’évènements CV après un infarctus du myocarde, incluant la mortalité cardiaque.

Autrement dit, il semble que c’est beaucoup plus la nature que la quantité de gras de l’alimentation qui importe et qu’un apport élevé en gras insaturés pourrait s’avérer supérieur à une alimentation faible en gras pour réduire significativement le risque de maladies cardiovasculaires, incluant chez les personnes à haut risque en raison d’antécédents d’infarctus du myocarde.   Dans ce dernier cas, par contre, les bénéfices concrets de l’alimentation méditerranéenne sur le risque de récidives demeurent mal compris puisqu’aucune étude d’envergure portant spécifiquement sur les patients coronariens n’a été réalisée depuis près de 25 ans, soit depuis l’étude de Lyon.

Étude CORDIOPREV

C’est dans ce contexte que les résultats de l’étude CORDIOPREV, récemment publiés dans le prestigieux Lancet, arrivent à point nommé et pourrait permettre de diminuer les risques élevés de récidives qui affectent les patients coronariens. Cette étude, réalisée en Espagne auprès de 1002 patients atteints d’une maladie coronarienne et qui ont été suivis pendant une période de 7 ans,  a comparé les impacts d’une alimentation « standard » faible en gras ou de type méditerranéen sur le risque des patients de subir un accident cardiovasculaire (infarctus du myocarde, AVC, revascularisation, maladie artérielle périphérique ou mortalité d’origine cardiovasculaire).

Les participants ont été répartis aléatoirement entre les 2 groupes et encadrés par une équipe de nutritionnistes pour qu’ils adhèrent autant que possible au régime alimentaire qui leur avait été assigné (Tableau 1).  Pour le groupe « low-fat », les principales consignes étaient évidemment de limiter l’apport en matières grasses (huile végétale, noix, poissons gras, œufs) et de hausser celui d’aliments riches en glucides (céréales, légumineuses), tandis que les participants du groupe méditerranéen étaient au contraire encouragés à hausser leur apport en gras insaturés, principalement sous forme d’huile d’olive extra-vierge, de noix et de poissons gras (saumon et sardines, par exemple). Dans les deux cas, on encourageait les participants à consommer 5 portions et plus de fruits et de légumes et de limiter l’apport en viandes rouges et charcuteries (en privilégiant les volailles maigres comme source de viande), en pâtisseries et desserts et en boissons sucrées.

Dans l’ensemble, il s’agissait donc de deux régimes alimentaires d’excellente qualité, riches en végétaux et faibles en gras saturés (< 10%) et en sucres simples. La principale différence entre les deux régimes est la consommation plus élevée de matières grasses insaturées dans le régime méditerranéen, qui atteint 40 % des calories totales (incluant 22 % sous forme de monosaturés), tandis que le régime « low-fat »  est principalement composé de glucides (46 % des calories totales) et relativement faible en gras (32 % des calories totales, incluant 12% de monoinsaturés).

AlimentsRégime méditerranéenRégime faible en gras
Huiles≥ 4 c. à s. par jour d’huile d’olive extra-vierge (40-60 g/j)≤ 2 c. à s. par jour d’huile végétale (20-30 g/j)
Céréales,pommes de terre et légumineuses6 portions de céréales (grains entiers) par jour
≥ 3 portions légumineuses par jour
6 à 11 portions de céréales (préférablement grains entiers), pommes de terre et légumineuses par jour
Fruits≥ 3 portions de fruits frais par jour≥ 3 portions de fruits frais, congelés ou en conserve par jour
Légumes≥ 2 portions de légumes frais par jour (au moins 1 portion crue ou sous forme de salade)≥ 2 portions de légumes frais, congelés ou en conserve par jour
Produits laitiers2 portions par jour2-3 portions de produits faibles en gras ou dépourvus de gras par jour
Noix≥ 3 portions par semaine≤ 1 portion par semaine
Poissons et fruits de mer≥ 3 portions par semaine (poissons gras de préférence)Choisir des poissons maigres; ≤ 1 portion de poisson gras par semaine
Viandes rouges et charcuteries≤ 1 portion par semaine (privilégier les volailles maigres)1 portion max. par semaine (privilégier les volailles maigres)
Œufs2-4 œufs par semaine≤ 2 œufs par semaine
Beurre et margarineÀ éviter≤ 1 portion par semaine
Vin1 verre par jour pour les femmes, 2 verres par jour pour les hommes (si consommation habituelle d’alcool)À éviter
Pâtisseries et desserts≤ 1 portion par semaine≤ 1 portion par semaine
Boissons sucrées≤ 1 portion par jour≤ 1 portion par jour
Techniques culinairesUtiliser l’huile d’olive extra-vierge comme corps gras principal, par exemple pour la confection de sofrito*.Cuire les aliments dans un minimum de gras (microonde, étuve, bouilli).

Tableau 1. Principales recommandations alimentaires pour les deux groupes de l’étude. Notez que la principale différence entre les deux régimes est la quantité plus élevée de gras insaturés (huile d’olive, noix) consommée dans le cadre de l’alimentation méditerranéenne. * Le sofrito est une préparation de légumes et d’aromates (fines herbes, ail) cuite dans l’huile d’olive à feu très doux.

Protection cardiovasculaire

Les résultats obtenus montrent que cette différence dans l’apport en gras insaturés a des répercussions importantes sur le risque des patients coronariens de subir un accident cardiovasculaire.  Les chercheurs ont en effet observé que le groupe « méditerranéen » avait, globalement, un risque d’accidents réduit de 27 % comparativement au groupe « low-fat », une diminution qui atteint 33 % chez les hommes (Figure 1).  Chez les personnes qui adhéraient le plus fortement au régime méditerranéen, cette protection est même de 40%, ce qui est considérable si l’on considère que ces personnes sont considérées comme étant à très haut risque de maladies cardiovasculaires. Ces résultats confirment donc la supériorité du régime méditerranéen sur les régimes faibles en gras pour réduire les risques de récidives d’accidents cardiovasculaires chez les patients coronariens.

Figure 1. Comparaison de l’incidence d’accidents cardiovasculaires chez les hommes coronariens soumis à un régime faible en gras (bleu) ou un régime méditerranéen (rouge).  Notez la réduction significative (33%) du risque d’accidents associée à l’adhérence au régime méditerranéen. Tiré de Delgado-Vista et coll. (2022).

La protection offerte par le régime méditerranéen observée dans l’étude est particulièrement impressionnante pour deux raisons :

  • La comparaison avec un régime « low-fat » de grande qualité. L’alimentation faible en gras prescrite au groupe contrôle peut être considérée comme un régime d’excellente qualité en raison de sa richesse en végétaux (fruits, légumes, légumineuses) et de son apport réduit en gras saturés et en sucres simples.  D’ailleurs, comme l’ont noté les auteurs, la mortalité de ce groupe contrôle est réduite de moitié comparativement à ce que l’on observe habituellement dans les essais cliniques auprès de populations de patients coronariens à haut risque de récidives. La capacité du régime méditerranéen à réduire encore davantage le risque d’accidents cardiovasculaires comparativement à cette alimentation contrôle de grande qualité représente donc un exemple éclatant des bénéfices cardiovasculaires associés à l’alimentation méditerranéenne.
  • L’état de santé des patients recrutés dans l’étude. Ces bénéfices sont d’autant plus marquants qu’ils touchent des patients coronariens à très haut risque de récidive en raison de la présence d’un grand nombre de facteurs de risques affectant cette population (Tableau 2).

Caractéristiques% des participants
Antécédent d’infarctus du myocarde62 %
Antécédent de revascularisation (angioplastie coronarienne )91 %
Antécédent de pontage coronarien3 %
Diabète54 %
Hypertension68 %
Syndrome métabolique58 %
Obésité (IMC>30)100 %

Tableau 2. Principales caractéristiques de la population à l’étude.

Ces patients étaient aussi fortement médicamentés, la totalité d’entre eux étant traités avec des statines ou autres agents hypocholestérolémiants, 98 % avec des anticoagulants, 83 % avec des antihypertenseurs  et 80 % avec des bêta-bloquants.  En d’autres mots, en dépit d’un état de santé assez précaire et d’une médication agressive, l’adhérence de ces patients coronariens au régime méditerranéen est tout de même parvenue à diminuer significativement le risque d’accidents cardiovasculaires.

Ces observations illustrent à quel point l’adoption d’un mode de vie sain, particulièrement au point de vue alimentaire, peut avoir des répercussions positives sur la santé cardiovasculaire, et ce même chez les personnes à très haut risque.

Ozempic® (semaglutide) et Mounjaro™ (tirzepatide), une grande avancée pour le traitement de l’obésité

Ozempic® (semaglutide) et Mounjaro™ (tirzepatide), une grande avancée pour le traitement de l’obésité

EN BREF

 

  • Le semaglutide et le tirzepatide sont des peptides analogues à deux hormones produites par le système digestif, soit le glucagon-like peptide-1 (GLP-1) et le glucose‐dependent insulinotropic polypeptide (GIP).

  • En plus d’améliorer le contrôle de la glycémie, l’administration de ces médicaments cause une baisse drastique de l’appétit et de l’apport calorique.

  • Ces effets  se traduisent par des pertes de poids très importantes (15- 20 % du poids corporel initial), soit du même ordre de grandeur que celles obtenues par la chirurgie bariatrique.

La prévalence du surpoids a augmenté de façon phénoménale au cours des dernières décennies, avec près de 2 milliards de personnes souffrant d’embonpoint, incluant 650 millions d’obèses. Il s’agit d’une crise sanitaire mondiale sans précédent, qui impose un fardeau considérable sur les systèmes de santé : l’excès de poids favorise en effet le développement d’une vaste gamme de pathologies (résistance à l’insuline, hypertension, inflammation chronique, dyslipidémies) qui haussent le risque de complications comme le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires, les stéatoses hépatiques, plusieurs types de cancers et diminuent l’espérance de vie.

L’embonpoint et l’obésité sont fondamentalement des conséquences d’un apport calorique excessif, mais le nombre toujours croissant de personnes en surpoids, en dépit de ses effets négatifs bien documentés sur la santé, montre que rétablir ce déséquilibre n’est pas chose facile, surtout à notre époque d’abondance alimentaire. Bien que les interventions misant sur une amélioration du mode de vie (régimes hypocaloriques et exercice) représentent toujours la pierre angulaire de la gestion du poids, les pertes de poids obtenues par cette approche sont extrêmement difficiles à maintenir à long terme, notamment en raison d’adaptations physiologiques qui diminuent l’énergie dépensée ou encore augmentent l’appétit pour compenser les calories manquantes.  Autrement dit, une fois que l’obésité s’est installée de façon durable, ces mécanismes rendent le retour à un poids plus faible très difficile.

Pour pallier à ces limitations, un certain nombre d’approches pharmacologiques ont été développées au cours des dernières décennies, mais ces médicaments sont généralement d’une efficacité assez limitée, coûteux et peuvent causer dans certains cas des effets secondaires importants.   Des approches beaucoup plus drastiques, la chirurgie bariatrique notamment, parviennent quant à elles à générer des pertes de poids importantes et durables, mais ces procédures invasives sont intrinsèquement plus risquées et sont généralement restreintes aux personnes souffrant d’obésité morbide  (IMC>40).

C’est donc dans ce contexte, où les options de traitement de l’obésité demeurent très limitées, que l’apparition de Ozempic® et Mounjaro™ sur le marché suscite actuellement énormément d’intérêt, autant dans les communautés médicale et scientifique que dans la population en général.  Car bien que ces deux médicaments aient été à la base développés pour améliorer le contrôle de la glycémie chez les personnes atteintes de diabète de type 2,  ils provoquent en parallèle chez ces patients des pertes de poids importantes, sans trop d’effets secondaires majeurs, et pourraient donc représenter une nouvelle stratégie thérapeutique pour la normalisation du poids corporel.

Une nouvelle approche pharmacologique : l’effet incrétine

Mentionnons tout d’abord que même s’ils sont surtout connus du public sous leurs noms commerciaux (Ozempic®, Mounjaro™), ce sont les noms génériques de ces médicaments (semaglutide et tirzepatide, respectivement) qui sont utilisés dans la littérature scientifique et nous emploierons donc cette nomenclature tout au long de cet article. L’utilisation des noms génériques a aussi l’avantage d’éviter la confusion qui peut être générée par les différents noms commerciaux donnés aux médicaments selon leur mode d’administration et/ou indication thérapeutique (Tableau 1).

Tableau 1.  Les nouveaux médicaments antidiabétiques et anti-obésité.  Notez que l’indication thérapeutique de l’ensemble de ces médicaments est pour le diabète de type 2, à l’exception du Wegovy® (2,4 mg/semaine de semaglutide en injection sous-cutanée) qui a récemment été approuvé pour la perte de poids.

Le semaglutide et le tirzepatide sont des peptides (d’où leurs noms se terminant en «- ide ») analogues à deux hormones produites par le système digestif, soit le glucagon-like peptide-1 (GLP-1) et le glucose‐dependent insulinotropic polypeptide (GIP). Ces peptides ont été conçus pour mimer l’action de ces hormones (ce qu’on appelle en pharmacologie un effet agoniste) sur le contrôle de la glycémie : suite à l’absorption de sucre, le GLP-1 et le GIP sécrétés par les cellules de l’intestin permettent en effet d’augmenter de façon très importante la production d’insuline par le pancréas, à des taux très supérieurs à ceux qui sont produits simplement en réponse à la présence de sucre dans le sang (Figure 1).

Figure 1.  Variation de la réponse insulinique suite à l’administration d’un bolus de glucose à des personnes en bonne santé métabolique ou à des patients atteints d’un diabète de type 2.  Les valeurs représentent les taux d’insuline plasmatique induits par le glucose administré par voie orale (50 g/400 mL) (cercles rouges) ou une quantité équivalente (isoglycémique) administrée par voie intraveineuse (IV) (cercles noirs).  Notez la forte augmentation de la réponse insulinique provoquée par le glucose oral comparativement au glucose par intraveineuse chez les personnes en bonne santé (zone rouge clair). Ce phénomène, connu sous le nom « d’effet incrétine », est considérablement réduit chez les diabétiques, une différence qui a mené au développement des analogues des incrétines GLP-1 et GIP. Adapté de Nauck et coll. (1986).

Historiquement, cette augmentation de la réponse insulinique médiée par le GLP-1 et le GIP avait été attribuée à des facteurs nommés « incrétines » (dérivé « d’incrétion », un terme utilisé à cette époque pour désigner une sécrétion qui reste à l’intérieur de l’organisme), d’où le nom « d’effet incrétine » utilisé encore aujourd’hui pour décrire la hausse d’insuline médiée par l’action ces hormones. Il s’agit d’un élément essentiel de la réponse insulinique à ce que nous mangeons : chez des personnes en bonne santé, on estime qu’environ 70 % de l’insuline produite par le pancréas est une conséquence de l’effet incrétine.

C’est dans ce contexte qu’ont été développés le semaglutide et le tirzepatide : cet effet incrétine est considérablement atténué chez les personnes atteintes d’un diabète de type 2 (voir Figure 1), une perte qui est même considérée comme un indicateur précoce de la maladie, mais il a été observé que ce déficit pouvait être entièrement corrigé par l’infusion en continu de GLP-1 aux patients diabétiques. On a donc postulé que l’administration de molécules capables de mimer l’action du GLP-1 et/ou du GIP pourrait reproduire cet effet incrétine et ainsi stimuler la production d’insuline et améliorer le contrôle de la glycémie chez les diabétiques de type 2. Ces efforts ont mené au développement de différents agonistes du récepteur au GLP-1, les plus récents étant le semaglutide et le tirzepatide, approuvés pour le traitement du diabète de type 2 en 2018 et 2022, respectivement.

Agonistes simple et double

La différence fondamentale entre ces deux molécules est que le semaglutide est un agoniste du GLP-1, c’est-à-dire qu’il présente une forte similitude structurale (95%) avec cette hormone et active spécifiquement son récepteur, tandis que le tirpetazide est un agoniste double, c’est-à-dire qu’il présente une structure hybride qui lui permet d’activer à la fois les récepteurs du GLP-1 et du GIP (Figure 2). Dans les deux cas, des modifications apportées aux structures des peptides font en sorte que leur biodisponibilité est augmentée de façon spectaculaire par rapport aux hormones sécrétées naturellement par l’intestin, passant de quelques minutes à peine à plus d’une centaine d’heures, ce qui permet d’administrer ces médicaments par injection sous-cutanée une seule fois par semaine.  Notons aussi qu’une forme orale du semaglutide a été développée par l’ajout à la formulation du médicament d’un agent qui augmente la perméabilité intestinale, le N-(8-(2-hydroxybenzoyl) amino) caprylate (SNAC), mais la plus faible biodisponibilité de la molécule requiert une administration quotidienne pour parvenir à un contrôle de la glycémie équivalent à celui obtenu par la forme administrée sous-cutanée.

Figure 2. Structures du semaglutide et du tirzepatide et leur similitude au GLP-1 et GIP.  Le GLP-1 est une hormone de 31 acides aminés (cercles jaunes), certains d’entre eux étant conservés dans le GIP, une hormone de 42 acides aminés (cercles bleus). Les deux hormones possèdent une demi-vie très courte (le temps correspondant à une perte de la moitié de leur activité physiologique), de 1-2 minutes seulement, notamment en raison de leur dégradation par la dipeptidyl peptidase-4 (DPP-4).  Deux principales stratégies ont été utilisées pour modifier les séquences du semaglutide et du tirzepatide (cercles rouges) et augmenter leur biodisponibilité:  1) l’élimination du site de clivage de la DPP-4, en remplaçant l’alanine par une molécule analogue (acide α-aminoisobutyrique (Aib)), mais non reconnue par l’enzyme; 2) l’addition d’un acide gras à l’aide d’un « linker » pour favoriser la liaison des molécules à l’albumine sérique et ainsi réduire leur élimination au niveau rénal. Notez que le semaglutide est très similaire au GLP-1 et son mécanisme d’action est donc limité à l’activation du récepteur de cette hormone, tandis que le tirzepatide est formé d’un amalgame d’acides aminés retrouvés à la fois dans le GLP-1 (cercles jaunes), le GIP (cercles bleus) ainsi que dans les deux hormones (cercles verts), ce qui lui confère une activité de double agoniste, capable d’activer les deux récepteurs de ces hormones.  Les cercles bleus foncés de la portion terminale du tirzepatide sont des acides aminés provenant de l’exenatide, un peptide dérivé d’une protéine (exendine-4) présente dans le venin du monstre de Gila (Heloderma suspectum) et connu pour activer le récepteur GLP-1.

Ces différences structurales entre le semaglutide et le tirzepatide ont évidemment des conséquences sur leurs actions biologiques.  Puisque le semaglutide est un agoniste « pur » du récepteur au GLP-1, il stimule exclusivement les phénomènes contrôlés par ce récepteur, tandis que la capacité du tirzepatide à agir simultanément sur les récepteurs GLP-1 et GIP permet l’activation de l’ensemble des processus médiés par ces incrétines (Figure 3).

Figure 3. Mécanismes d’action du GIP, du GLP-1 et de leurs agonistes. Adapté de Bass et coll. (2023).

Comme mentionné plus tôt, l’effet le plus important des incrétines est de stimuler la production et la sécrétion d’insuline par le pancréas, et les études cliniques montrent que l’activation de ce processus, que ce soit par la seule stimulation du GLP-1 par le semaglutide ou la stimulation simultanée du GLP-1/GIP par le tirzepatide est associé à un meilleur contrôle de la glycémie chez les diabétiques de type 2. À cet égard, l’effet double agoniste du tirzepatide semble lui conférer une supériorité sur le semaglutide, avec une diminution plus importante (plus de 2%) des taux d’hémoglobine glyquée (A1c), un marqueur de l’hyperglycémie chronique (Figure 4).  À titre de comparaison, l’amélioration du contrôle de la glycémie suite à la chirurgie bariatrique est du même ordre, avec une diminution de A1c variant entre 1,8 et 3,5 %.

Figure 4.  Comparaison de la diminution des taux d’hémoglobine glyquée de patients diabétiques provoquée par un traitement de 40 semaines avec le tirzepatide (5, 10 ou 15 mg/sem) ou le semaglutide (1 mg/sem). Tiré de Frias et coll. (2021).

Effets sur le poids corporel

Un autre aspect extrêmement intéressant du mode d’action des mimétiques du GLP-1 et du GIP est leur effet sur certains processus impliqués dans le contrôle de l’appétit (Figure 3).  Dans les études d’infusion du GLP-1 mentionnées plus tôt, on a observé que la molécule activait la sensation de satiété, ce qui suggérait un effet thérapeutique possible sur la diminution de l’appétit et de l’apport calorique. Les études subséquentes ont montré que ce phénomène pouvait être lié à un ralentissement de la vidange gastrique par le GLP-1, ainsi que par l’action de cette hormone au niveau de certains circuits neuronaux du cerveau impliqués dans la suppression de l’appétit et le développement de nausées.  L’action du GIP au niveau du cerveau, quant à elle, fait également intervenir une diminution des circuits de l’appétit mais aurait paradoxalement un effet anti-nausée : ceci pourrait expliquer pourquoi le tirzepatide (qui stimule la voie GIP en plus de GLP-1) peut être administré à des doses plus élevées que le semaglutide (qui stimule seulement GLP-1), sans amplifier les effets secondaires typiques aux agonistes du GLP-1 (nausées, vomissements).

Les études qui se sont penchées sur les effets du semaglutide et du tirzepatide sur l’apport calorique confirment ces impacts des deux molécules sur l’appétit.  Par exemple, dans une étude où des volontaires obèses avaient un accès à volonté (ad libitum) à trois repas (diner, souper et collations), on a observé que le traitement au semaglutide (1 mg/sem) provoquait une diminution de 24 % de l’apport en énergie durant la journée, menant à une réduction du poids corporel d’environ 5 kg après 12 semaines de traitement.  Cette réduction de l’apport calorique, et la perte de poids qui s’ensuit, serait causée à une diminution de l’appétit et des fringales et à une réduction de l’attirance envers les aliments riches en gras.  Des résultats similaires ont été obtenus suite au traitement avec le tirzepatide et il semble de plus en plus certain que la diminution de l’appétit et le désintérêt envers les aliments hypercaloriques, en particulier ceux riches en gras, représente un mode d’action commun aux deux molécules.

Un grand nombre d’études cliniques ont montré que cette perte d’appétit provoquée par le traitement au semaglutide ou au tirzepatide est associée à une diminution importante du poids corporel chez les personnes qui souffrent d’obésité. Par exemple, une étude a montré que chez les personnes atteintes d’un diabète de type 2, le traitement avec le semaglutide (1 mg par semaine) provoque une perte moyenne d’environ 6 % du poids corporel en 40 semaines, tandis que le traitement avec le tirzepatide  (15 mg/semaine) mène à une perte de poids de 11% chez cette population.

Ces pertes de poids sont encore plus prononcées chez les personnes obèses, mais qui ne sont pas diabétiques (Figure 5). Par exemple, l’administration de 2,4 mg/semaine de semaglutide (au lieu du 1 mg utilisé chez les diabétiques) pendant 68 semaines mène à des pertes moyennes de 15 % du poids corporel initial, soit environ le double que chez les diabétiques de type 2 (Figure 5A).  Encore ici, le tirzepatide semble plus puissant, générant des pertes moyennes d’environ 20 % aux doses les plus élevées (10 et 15 mg/semaine) administrées pendant 72 semaines (Figure 5B).  Ces pertes de poids sont vraiment exceptionnelles, du même ordre de grandeur que celles qui sont typiquement obtenues suite à la chirurgie bariatrique.

Figure 5. Pertes de poids moyennes induites par le semaglutide et le tirzepatide chez les personnes obèses, mais non diabétiques. A.1961 adultes obèses (IMC>30) ont été traités pendant 68 semaines avec un placebo ou 2,4 mg/semaine de semaglutide, en combinaison avec un programme supervisé d’amélioration du mode de vie (régime hypocalorique et activité physique régulière). Adapté de Wilding et coll. (2021). B. 2539 adultes obèses (IMC>30) ont été traités pendant 72 semaines avec un placebo ou des doses de 5, 10 ou 15 mg/semaine de tirzepatide, en combinaison avec un programme supervisé d’amélioration du mode de vie (régime hypocalorique et activité physique régulière). Adapté de Jastreboff et coll. (2022).

Plusieurs études indiquent qu’une perte de poids durable d’au moins 10 % du poids corporel initial améliore plusieurs complications associées à l’obésité, incluant la prévention et le contrôle du diabète de type 2, l’hypertension, la stéatose hépatique et l’apnée du sommeil.  Par exemple, dans l’étude DIRECT réalisée auprès de personnes obèses et diabétiques, une restriction calorique très sévère menant à une perte de 15 % du poids corporel a entrainé une rémission complète du diabète de type 2 chez 85% des participants.

Les données actuelles indiquent que la grande majorité des personnes obèses traitées avec le semaglutide et le tirzepatide parviennent à atteindre des pertes de poids de cette ampleur (Figure 6). Par exemple, le semaglutide induit des pertes de poids supérieures à 15% chez 60 % des personnes traitées, et près de 40 % ont même perdu plus de 20 % de leur poids corporel initial (Figure 6A).  Ces succès sont encore plus prononcés chez les personnes traitées avec le tirzepatide, avec près de 60 % des patients qui ont perdu 20 % de leur poids et près de 40 % qui ont même perdu plus de 25 % de leur poids initial (Figure 6B). Il s’agit de perte de poids considérables : dans les 2 études, le poids moyen des participants était aux environs de 110 kg; une perte de 20 % signifie donc que ces personnes ont perdu presque 25 kg au cours du traitement et il est certain que des pertes de cette magnitude, si elles sont maintenues à long terme,  auront des effets positifs sur la santé.

Figure 6.  Répartition des pertes de poids selon le pourcentage du poids corporel initial perdu suite au traitement. Notez que chez la majorité des participants, la perte de poids obtenue est largement supérieure à 5 % du poids initial (le minimum associé à une amélioration de la santé) et excède même 20 % chez plusieurs d’entre eux, en particulier chez les participants qui ont reçu le tirzepatide. Pour plus de clarté, seules les pertes obtenues pour la dose la plus élevée de tirzepatide (15 mg) sont indiquées sur la figure.  Adapté de Wadden et coll. (2021) pour le semaglutide et de Jastreboff et coll. (2022) pour le tirzepatide.

Dans l’ensemble, ces résultats montrent de façon sans équivoque que la diminution de l’appétit provoquée par les mimétiques du GLP-1 et du GIP est associée à une réduction importante du poids corporel.  Cependant, les données actuellement disponibles suggèrent qu’un traitement continu avec ces médicaments est requis pour que ces pertes de poids deviennent durables. Par exemple, une étude a montré que même si les personnes traitées pendant 68 semaines avec le semaglutide (2,4 mg/semaine) avaient perdu en moyenne 18 % de leur poids corporel initial, la majorité de ce poids était regagné dans l’année suivant l’arrêt du traitement (Figure 7).

Figure 7. Réversibilité de la perte de poids associée au traitement avec le semaglutide.  Notez que les 2/3 du poids perdu par les participants ont été repris dans l’année suivant l’arrêt du traitement avec le semaglutide. Adapté de Wilding et coll. (2022).

Il n’y a donc pas de doute que le semaglutide et le tirzepatide représentent des ajouts extrêmement intéressants à l’approche pharmacologique de l’obésité, d’autant plus que ces médicaments sont en général relativement bien tolérés. Bien qu’une proportion assez importante des patients aient rapporté un certain nombre d’effets secondaires, en particulier au niveau gastro-intestinal (nausées, vomissement, diarrhées), ces effets indésirables ont cependant tendance à s’amenuiser avec le temps et l’adhérence au traitement demeure élevée, avec environ 5 % des patients qui cessent le traitement en raison des effets secondaires.

D’un point de vue plus général, il est particulièrement intéressant que ces médicaments exercent leur action thérapeutique en agissant sur le cerveau pour diminuer l’appétit et ainsi créer un important déficit calorique. Ce mode d’action confirme ce que les experts disent plusieurs années, c’est-à-dire que c’est une réduction de l’apport en calories qui demeure le principal moyen de perdre du poids (l’exercice physique a énormément de bienfaits de la santé, mais n’a pas d’effets majeurs sur la perte de poids). La hausse importante du nombre de personnes en surpoids observée au cours des dernières décennies reflète donc essentiellement une surconsommation de nourriture, possiblement due à l’omniprésence d’aliments industriels extrêmement attirants en raison de leurs propriétés organoleptiques (palatabilité) et qui entrainent un apport excessif en énergie. Les personnes traitées avec le semaglutide et le tirzepatide cessent d’être attirées vers ce type d’aliments hypercaloriques et il n’y a pas de doute que l’élimination de ces produits de l’alimentation quotidienne contribue aux pertes de poids observées dans les études cliniques.

Par contre, les données actuellement disponibles indiquent que ce sevrage vis-à-vis des produits riches en calories (et de la surconsommation de nourriture en général) est réversible et que l’arrêt du traitement mène rapidement à un regain de la majorité du poids initialement perdu. Il est donc probable que ces médicaments parviennent à contrecarrer les adaptations physiologiques normalement provoquées par la perte de poids (la hausse de l’appétit, en particulier), mais que ces adaptations reprennent rapidement le dessus après l’arrêt de la médication et favorisent le retour vers le surpoids initial, avant le traitement.

Est-ce à dire que l’on doit se résigner à traiter l’obésité « à vie », un peu comme on contrôle l’hypertension, l’excès de cholestérol sanguin ou encore la carence en insuline à l’aide de médicaments qui doivent être administrés en continu à partir de l’apparition des pathologies? Il est encore trop tôt pour le dire, mais, chose certaine, de tels traitements imposeraient un fardeau économique extraordinaire à notre système de santé: au Québec, où un adulte sur quatre est obèse, le coût actuel de ces nouveaux médicaments (environ 500$ par mois) impliquerait une dépense annuelle de plusieurs centaines de millions de dollars (aux États-Unis, la situation est encore pire:  le coût d’un traitement de 72 semaines au tirzepatide (15 mg/semaine) est d’environ 17,000 $US, tandis que le traitement de 68 semaines avec le semaglutide (2,4 mg/semaine) est près de 23,000 $US !). Comme pour toutes les maladies chroniques, il serait beaucoup plus rentable de prévenir que de guérir l’obésité en s’attaquant en priorité aux causes de ce surpoids, plutôt que consacrer tous nos efforts et nos moyens financiers à leur traitement.

On sait depuis plusieurs années qu’il est extrêmement difficile de maigrir une fois que l’obésité s’est installée, ce qui signifie qu’il faut agir en amont, chez les enfants et les adolescents, avant qu’ils n’accumulent un excès de poids qui les exposent à un risque très élevé d’obésité à l’âge adulte (plus de 80 % des adultes obèses étaient déjà obèses durant leur enfance).  Malheureusement, la tendance actuelle va complètement à l’inverse, avec une augmentation constante de l’embonpoint et de l’obésité touchant les plus jeunes, les mettant à très haut risque de développer une véritable épidémie de maladies cardiométaboliques dans quelques années (voir notre article à ce sujet). Il est illusoire de penser que l’arrivée de nouveaux médicaments pourra à elle seule endiguer ce problème.

 

Les bons et mauvais côtés de l’alcool

Les bons et mauvais côtés de l’alcool

Ceci est une mise jour d’un article initialement publié en 2018

Bien que l’alcool fasse partie du quotidien de l’humanité depuis des millénaires, cette substance est loin d’être inoffensive et exerce même des effets très complexes sur la santé. Cette complexité est bien illustrée par la relation en « J » qui existe entre la quantité d’alcool ingérée et le risque de mort prématurée observée dans un grand nombre d’études épidémiologiques :  par exemple, une étude de grande envergure, réalisée auprès de plus de 300,000 personnes suivies pendant près de 10 ans, montre que la consommation modérée d’alcool (de 3 à 14 verres par semaine pour les hommes et de 3 à 7 verres pour les femmes) est associée à une diminution d’environ 20 % du risque de mortalité toute cause comparativement aux personnes qui n’ont jamais bu d’alcool de leur vie (Figure 1). Cette fenêtre protectrice est cependant très étroite, avec une hausse rapide du risque de mortalité observée à des quantités plus élevées.


Figure 1. Relation entre la consommation d’alcool et le risque de mortalité prématurée. La réduction maximale du risque observée dans l’étude (-0,1 log) correspond à une diminution d’environ 20 % du risque. Adapté de Xi et coll. (2017).

Rappelons que ce qu’on appelle communément un « verre » ou encore une « consommation standard » fait référence à la quantité de boisson alcoolisée qui entraine l’absorption d’environ 12 à 15 grammes d’alcool pur (Tableau 1). La taille d’un verre dépend donc directement de la teneur en alcool de la boisson consommée.

Type de boisson alcoolisée
Une consommation standard correspond à:
Bière (5 % alc/vol)
340 mL (12 oz)
Vin (12 % alc/vol)
140 mL (5 oz)
Vin fortifié (ex. Porto) (20 % alc/vol)
85 mL (3 oz)
Spiritueux (40 % alc/vol)
45 mL (1,5 oz)
Tableau 1. Teneur en alcool des principaux types de boissons alcoolisées. Adapté de Educ’alcool.

Cette effet protecteur de faibles doses d’alcool sur la mortalité a cependant été remis en question par une grande étude récemment publiée dans Lancet. Dans cette étude, qui a analysé les habitudes de consommation d’alcool d’environ 600,000 buveurs, les auteurs n’ont pas observé de diminution de la mortalité, même à des quantités faibles d’alcool, mais plutôt une hausse significative du risque de mort prématurée à partir de 100 g d’alcool par semaine, ce qui correspond à seulement un verre par jour (Figure 2A). Par contre, l’analyse des mêmes données a révélé une baisse du risque de mortalité cardiovasculaire, en accord avec des centaines d’études qui ont observé un effet cardioprotecteur découlant de la consommation modérée d’alcool (Figure 2B).  Malgré tout, les auteurs proposent que les quantités d’alcool qui sont actuellement recommandées (1 verre quotidien pour les femmes, deux pour les hommes) sont trop élevées et qu’il faudrait revoir ces limites à la baisse. Une autre étude, encore une fois publiée dans Lancet, en arrive à des conclusions similaires, c’est-à-dire qu’un apport aussi faible qu’un seul verre par jour est associé  à une hausse du risque de développer une ou l’autre des 23 pathologies associées à la consommation d’alcool et qu’il ne semble donc pas y avoir de seuil sécuritaire de consommation selon les auteurs.  Cependant, comme certains spécialistes l’ont fait remarquer, cette approche est quelque peu « absolutiste », car la hausse du risque observée aux faibles quantités d’alcool est excessivement faible, passant de 0,914 pour cent chez les non-buveurs à  0,918 chez ceux qui consomment un verre par jour et à 0,977 pour ceux qui en consomment deux. Pour les buveurs modérés, le risque réel associée à la consommation d’alcool est donc à toute fin pratique négligeable.


Figure 2. Relation entre la consommation d’alcool (en g par semaine) et le risque de mortalité prématurée toute cause (A) ou de mortalité d’origine cardiovasculaire (B) calculée à partir d’une synthèse de 83 études épidémiologiques regroupant 600,000 participants. Adapté de Wood et coll (2018).

Il est difficile à ce stade de dire si ces dernières études sont supérieures aux études précédentes et que la consommation modérée d’alcool est effectivement dépourvue d’effets bénéfiques sur la mortalité (voir l’encadré).  Chaque étude épidémiologique a ses forces et ses faiblesses et la seule véritable façon de résoudre cette ambiguïté serait de mener une étude clinique randomisée où on pourrait comparer la santé des buveurs modérés à celle d’abstinents, mais une telle étude n’est pas réalisable en raisons de considérations éthiques.  Chose certaine, une interprétation prudente de l’ensemble de ces études est de dire qu’il ne faut surtout pas banaliser les effets négatifs de l’alcool et qu’il est important d’en consommer très modérément pour profiter de ses bénéfices éventuels tout en évitant ses effets nocifs bien documentés (Tableau 2). Historiquement, on considère que les quantités maximales d’alcool qui sont associées à des bénéfices pour la santé sont de 1 à 3 verres par jour pour les hommes et de 1 à 2 verres par jour pour les femmes. À ces faibles doses, l’alcool augmente les taux de cholestérol-HDL, améliore le contrôle de la glycémie et exerce des actions anticoagulante et anti-inflammatoire, ce qui globalement contribue à diminuer le risque d’événement cardiovasculaire, notamment l’infarctus du myocarde. À la lumière des résultats des deux études du Lancet, il semble cependant préférable de diminuer quelque peu ces limites à 2 verres pour les hommes et 1 verre pour les femmes.

La cardioprotection par l’alcool n’est pas un mythe

On assiste depuis quelques années à l’émergence d’un courant de pensée assez radical qui prétend que les bénéfices cardiovasculaires de l’alcool sont un « mythe » et qu’il n’y a aucun niveau de consommation qui soit sécuritaire. Ce message, véhiculé par des organismes comme l’OMS ou encore le Centre canadien des dépendances et l’usage de substances (CCDUS), est cependant basé sur une lecture assez limitée de la recherche; par exemple, dans le récent rapport du CCDUS, les analystes ont sélectionné seulement 16 études sur plus de 5000 publications disponibles, ce qui augmente forcément les risques de biais. Mais même dans ces conditions, le rapport montre clairement une diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques à de faibles quantités d’alcool consommé, en accord avec des centaines d’études d’envergure qui se sont penchées sur cette question, incluant celle du Lancet mentionnée plus tôt (Figure 2B). La conclusion du CCDUS, selon laquelle il n’y a aucun bénéfice sur la santé associé à la consommation modérée d’alcool, va donc à l’encontre de leurs propres résultats et de l’ensemble des données accumulées depuis les 30 dernières années, en particulier en ce qui concerne la diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques comme l’infarctus du myocarde, la principale cause de mortalité d’origine cardiovasculaire. Une dissonance du même type est retrouvée dans un article récent, où les auteurs prétendent que la cardioprotection par l’alcool est un « mythe », tout en présentant du même souffle des données montrant une forte diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques. Autrement dit, les résultats obtenus par la recherche sur l’impact positif de l’alcool à faible dose sur la santé cardiovasculaire ne justifient aucunement la conclusion qu’il n’y a aucun seuil de consommation d’alcool qui soit sécuritaire. À notre avis, les recommandations d’organismes très sérieux comme l’école de santé publique d’Harvard ou encore l’institut national américain pour l’abus d’alcool et l’alcoolisme (NIAAA), soit une consommation quotidienne de 2 verres pour les hommes et de 1 verre pour les femmes, demeurent toujours les plus pertinentes.

Au-delà de ces quantités, par contre, la consommation est clairement abusive, car elle est associée à une augmentation du risque de plusieurs cancers, en particulier ceux de la bouche, du larynx, de l’œsophage, du côlon, du foie ainsi que du sein. L’ingestion chronique de fortes quantités d’alcool est également associée à plusieurs pathologies du système cardiovasculaire, incluant l’athérosclérose, l’hypertension, certaines cardiomyopathies ainsi que des arythmies, ce qui hausse considérablement le risque de mortalité cardiovasculaire. Il faut aussi noter que les beuveries, où de grandes quantités d’alcool peuvent être consommées dans un court laps de temps, sont également associées à plusieurs effets nocifs, en particulier une hausse très importante du risque d’AVC.

Mode de consommationAlcool pur (g)Consommations standardsEffet sur la santé
Légère
< 20 g par jour (hommes)
< 10 g par jour (femmes)
1 verre
¾ verre
Positif
Modérée
20-45 g par jour (hommes)
10-30 g par jour (femmes)
1-3 verres
1-2 verres
Controversé, pourrait dépendre du type d'alcool
Abusive
> 45 g par jour (hommes)
> 30 g par jour (femmes)
Plus de 3 verres
Plus de 2 verres
Négatif
Beuverie (“binge drinking”)
> 60 g en une seule occasion
4 verres et plus
Négatif
Tableau 2. Les différents types de consommation d’alcool. Adapté de Fernandez-Sola (2015).

L’alcool est donc une redoutable arme à double tranchant et il est important de limiter la consommation quotidienne d’alcool à des niveaux faibles, idéalement un maximum de 2 verres par jour pour les hommes et de 1 verre pour les femmes, et même fort probablement un peu moins.

Privilégier le vin rouge 

Le vin rouge est un breuvage complexe contenant plusieurs milligrammes de composés phénoliques (le resvératrol, notamment) qui sont extraits de la peau du raisin au cours du processus de fermentation.   Ces molécules possèdent des propriétés antioxydante, anti-inflammatoire, anti-plaquettaire et vasodilatatrice, ce qui suggère que le vin rouge pourrait entrainer des effets positifs plus grands que ceux associés simplement à la présence d’alcool.

Un des premiers exemples de ces bénéfices est le fameux « paradoxe français », où la consommation régulière de vin rouge serait responsable de la faible incidence de maladies coronariennes observées en France comparativement à d’autres pays occidentaux, en dépit d’un apport alimentaire élevé en gras saturés. Cet effet bénéfique est supporté par une étude danoise qui montrait que les consommateurs modérés de vin rouge avaient un risque de mort prématurée trois fois plus faible que les buveurs de bière ou de spiritueux, ainsi que par les résultats d’autres études réalisées dans le nord de la Californie et dans l’est de la France.

Un autre aspect qui milite en faveur de la consommation préférentielle de vin rouge est son impact plus faible sur le risque de cancer, possiblement en raison de son contenu en resvératrol. En laboratoire, cette molécule possède une des actions anticancéreuses les plus puissantes du monde végétal et pourrait donc contrecarrer l’effet cancérigène de l’alcool. Par exemple, une étude a montré que si la consommation modérée de boissons alcoolisées autres que le vin augmente le risque de cancer de la bouche de 38 %, cette hausse du risque diminue à seulement 7 % chez les buveurs de vin rouge.  Un phénomène similaire est observé pour le cancer du poumon où la consommation modérée de vin est associée à une réduction du risque de ce cancer, tandis que celle de bière et de spiritueux augmente le risque. Il semble donc que la plus grande réduction de mortalité associée à la consommation de vin rouge observée dans plusieurs études soit non seulement liée à un effet protecteur plus prononcé sur le risque de maladies du cœur, mais également à un effet moins néfaste sur le risque de cancer que d’autres types d’alcool. Ce phénomène a également été observé dans l’étude du Lancet mentionnée précédemment: lorsque les auteurs ont examiné la mortalité selon le type d’alcool consommé, ils ont observé une énorme différence de risque entre le vin et les autres types d’alcool, la consommation de vin (jusqu’à 300 g par semaine) étant associé à une légère hausse de 10 % de la mortalité, soit beaucoup moins que celle observée chez les buveurs de bière et de spiritueux (Figure 3).

Figure 3. Relation entre le type d’alcool consommé  (en g par semaine) et le risque de mortalité prématurée. Adapté de Wood et coll (2018).

La supériorité du vin rouge sur les autres types d’alcool est également suggéré par une étude récente portant sur l’association entre la consommation d’alcool et le risque de fibrillation auriculaire (FA), une arythmie qui hausse considérablement le risque d’AVC.  Dans cette étude, les chercheurs ont observé que la consommation modérée d’alcool en général (7 verres par semaine ou moins) était associée à une légère diminution du risque de FA, mais que ce risque  augmentait considérablement à des quantités plus élevées (14 verres et plus par semaine).  Par contre, lorsque la même analyse a été réalisée en tenant compte du type d’alcool consommé, on observe que le risque de FA n’augmente pas chez les personnes qui boivent jusqu’à 14 verres de vin rouge par semaine (Figure 4).  Le vin blanc semble lui aussi minimiser les risques de FA, mais à un degré moindre (hausse du risque qui débute à 10 verres par semaine), tandis que la bière et les spiritueux augmentent ce risque très rapidement, à partir d’environ 3 verres par semaine.

Figure 4. Relation entre le type d’alcool consommé  (en verres par semaine) et le risque de fibrillation auriculaire. Notez qu’un verre correspond à l’unité standard britannique, soit 8 g (10 mL) d’alcool. Les zones grises représentent les intervalles de confiance à 95 %. Adapté de Tu et Coll (2021).

Dans l’ensemble, ces observations confirment les résultats de l’étude INTERHEART et celle du groupe de Akesson montrant que la consommation modérée d’alcool représente un des facteurs du mode de vie qui peut contribuer à diminuer le risque de maladie coronarienne et de mort prématurée. Une étude récente illustre à quel point l’impact de ces habitudes de vie peut être extraordinaire: les personnes de 50 ans qui ne fument pas, mangent sainement, font 30 minutes et plus d’activité physique quotidienne, maintiennent un poids santé (IMC entre 19 et 25) et consomment modérément de l’alcool (5-15 g/jour pour les femmes, 5-30 g/jour pour les hommes) ont 82 % moins de risque de décéder de maladies cardiovasculaires et 65 % moins de risque de mourir d’un cancer.  En pratique, cela se traduit par une augmentation de la longévité de 14 ans pour les femmes et de 12 ans pour les hommes !  Pour être réellement bénéfique, la consommation d’alcool doit donc faire partie d’un mode de vie globalement sain, incluant une alimentation riche en végétaux, une activité physique régulière, le maintien d’un poids corporel normal et, évidemment, l’absence de tabagisme.

 

Des microorganismes intestinaux stimulent la motivation à faire de l’exercice

Des microorganismes intestinaux stimulent la motivation à faire de l’exercice

EN BREF

  • La composition du microbiote intestinal a un effet important sur la motivation de souris de laboratoire à faire de l’exercice selon une étude publiée récemment.
  • Deux bactéries intestinales sont particulièrement associées à une meilleure performance durant l’exercice : Eubacterium rectale et Coprococcus eutactus.
  • Ces bactéries produisent des métabolites, les amides d’acides gras (AAG), qui se lient au récepteur des endocannabinoïdes de type 1 (CB1), situés dans les nerfs sensitifs au niveau de l’intestin et qui sont connectés au cerveau via la moelle épinière.
  • La stimulation du récepteur CB1 cause une augmentation des niveaux de dopamine durant l’exercice, dans une région particulière du cerveau nommée striatum ventral où se trouvent les circuits de récompense.

Il est bien établi que l’exercice physique, pratiqué sur une base régulière, diminue le risque de développer des maladies chroniques, améliore la fonction cognitive et diminue le risque de mourir prématurément. Pour pouvoir profiter pleinement de ces nombreux bienfaits, il faut s’entraîner régulièrement et préférablement sur de longues périodes. Pourtant, nombreux sont ceux qui adoptent un style de vie sédentaire, et pour qui la motivation à faire de l’exercice est basse, voire inexistante. La motivation à faire de l’exercice est régie dans le système nerveux central et nécessite des signaux initiés par la dopamine, un neurotransmetteur impliqué dans une foule de fonctions, dont le contrôle moteur, l’attention, la mémoire, la cognition, le sommeil, le plaisir et la motivation. Les neurones qui produisent la dopamine sont retrouvés dans des régions du cerveau nommées aire tegmentale ventrale (ATV) et la substancia nigra. Les neurones dopaminergiques se prolongent dans d’autres parties du cerveau afin de réguler les aspects cognitif, émotionnel et motivationnel liés aux comportements associés à une récompense.

La motivation à faire de l’exercice dépend-elle uniquement de notre cerveau et de notre état d’esprit vis-à-vis cette activité ? Il semble que non selon une étude récente réalisée sur des souris qui montre que la motivation est en partie attribuable à des bactéries présentes dans l’intestin. Une découverte surprenante qui est le résultat des efforts combinés de plusieurs équipes de chercheurs.

Afin d’identifier de nouveaux régulateurs de la performance à l’exercice, les chercheurs ont utilisé une cohorte de 199 souris ayant une grande diversité génétique. La cohorte de souris a été soumise à des analyses poussées du génome, de métabolome, du microbiome et leur performance à l’exercice à été évaluée (tapis roulant, roue d’exercice). Les analyses génomiques suggèrent que les gènes contribuent très peu aux différences observées entre la performance à l’exercice des différentes souris.

Puisque des travaux antérieurs (voir ici, ici, ici, et ici) suggéraient que le microbiome aurait un rôle potentiel sur la performance durant l’exercice, les chercheurs ont voulu vérifier si la variabilité de la performance des différentes souris pouvait être attribuée au microbiome, en faisant des expériences dites de « perte de fonction » (déplétion du microbiome) et de « gain de fonction » (transplantation du microbiome). La déplétion complète du microbiome des souris avec des antibiotiques à large spectre a causé une diminution de la performance à l’exercice des souris d’environ 50 %. Au contraire, la transplantation du microbiome de souris performantes à l’exercice à des souris exemptes de germes (souris « germ-free », élevées dans des conditions stériles et ne contenant aucun microorganisme) a augmenté la performance à l’exercice des souris receveuses. De plus, la performance relative à l’exercice des souris receveuses était en corrélation avec celle des souris donneuses. Lorsque les traitements aux antibiotiques à large spectre ont cessé, la performance à l’exercice des souris est revenue à la normale, ainsi que celle des souris exemptes de germes lorsqu’on a cessé de les maintenir dans des conditions stériles. Dans l’ensemble, les résultats de ces expériences suggèrent que le microbiome contribue fortement à la capacité à faire de l’exercice chez la souris.

Afin d’identifier la classe de microorganismes et plus précisément quelles bactéries contribuent à la stimulation de la performance à l’exercice des souris, les souris ont été traitées par des antibiotiques à spectre plus étroit, et les intestins de souris exemptes de germes ont été colonisés avec un seul microorganisme. Parmi les bactéries testées, celles des genres Eubacterium et Coprococcus ont amélioré la performance à l’exercice des souris, à des niveaux comparables à ceux observés pour les souris ayant reçu une transplantation du microbiome complet.

Au niveau mécanistique, les chercheurs ont d’abord vérifié si l’amélioration de la performance à l’exercice par le microbiome n’était pas causée par un effet favorable sur la fonction musculaire. Or les résultats de plusieurs tests indiquent que le microbiome n’a pas d’effet significatif sur la physiologie des muscles. L’attention des chercheurs s’est ensuite portée sur la motivation, un des facteurs importants contribuant à la performance à l’exercice, avec la fonction musculo-squelettique.

Une région du cerveau qui est particulièrement impliquée dans le contrôle de la motivation est le striatum. Comme attendu, les niveaux du principal neurotransmetteur impliqué dans les signaux neuronaux de motivation/récompense dans le striatum, la dopamine, ont augmenté après que les souris ont fait de l’exercice. Or cette augmentation était beaucoup moins importante dans les souris dont le microbiome a été déplété, indiquant un rôle du microbiome dans le relargage de dopamine après l’exercice. Les niveaux de deux autres neurotransmetteurs importants dans le striatum, tels que le glutamate et l’acétylcholine, n’ont pas changé suite à l’exercice ou à la déplétion du microbiome.

De quelle façon des bactéries qui colonisent l’intestin peuvent-elles stimuler les niveaux de dopamine dans le cerveau ? Il y a deux voies possibles : 1) par des facteurs circulant, soit des métabolites produits par les bactéries ou 2) à travers des circuits neuronaux afférents. Des analyses protéomiques sur des échantillons de sang n’ont pas permis d’identifier de métabolite associé significativement à la performance à l’exercice qui est lié au microbiome. Les chercheurs se sont donc concentrés sur les neurones sensitifs qui innervent l’intestin.

Les chercheurs ont utilisé une lignée de souris (Trpv1DTA) dans laquelle une grande partie des nerfs vague et spinaux afférents qui expriment le récepteur vanilloïde sont absents. La performance à l’exercice des souris Trpv1DTA est peu élevée, comparable à celle des souris normales dont le microbiome a été déplété par des antibiotiques. La déplétion du microbiome dans les souris Trpv1DTA n’a pas modifié la performance à l’exercice.

Comment les bactéries intestinales peuvent-elles activer les nerfs sensitifs de l’intestin ? Les chercheurs ont montré que, in vitro, des neurones du nerf spinal isolés sont activés par des extraits fécaux de souris normales, mais beaucoup moins par des extraits provenant de souris sans microbiome. Ce résultat suggère qu’un métabolite provenant du microbiome est impliqué dans l’activation des nerfs sensitifs. Des analyses métabolomiques ont permis d’identifier des candidats, dont plusieurs parmi les plus puissants étaient des amides d’acides gras (AAG), tel le N-oléoyléthanolamide (OEA). Afin de prouver que ces composés peuvent à eux seuls stimuler la performance à l’exercice, les chercheurs ont introduit des suppléments de cinq AAG au régime alimentaire des souris dont le microbiome a été déplété par des antibiotiques. Cette supplémentation a rétabli les signaux générés par les nerfs sensitifs, la hausse des niveaux de dopamine dans le cerveau et la performance à l’exercice. Puis, les astucieux chercheurs ont transformé des bactéries E. coli que ne produisent normalement pas d’AAG en introduisant les gènes responsables de la production de ces métabolites. Les intestins de souris germ-free ont été colonisés avec cette bactérie modifiée pour produire des AAG ou avec la lignée parentale qui ne produit pas d’AAG. La performance à l’exercice a été améliorée par la colonisation avec les bactéries produisant des AAG, mais pas par celle avec les bactéries parentales. Finalement, les chercheurs ont montré que l’effet des AAG est médié par les récepteurs des endocannabinoïdes de type 1 (CB1), situés dans les nerfs sensitifs au niveau de l’intestin et qui sont connectés au cerveau via la moelle épinière.

Les études réalisées sur des souris ne se traduisent pas toujours chez l’humain, mais l’un comme l’autre possède un système endocannabinoïde similaire connecté au striatum ventral. Les résultats de cette étude laissent entrevoir de possibles interventions basées sur l’alimentation pour augmenter la motivation des personnes à faire de l’exercice et d’optimiser la performance des athlètes d’élite.

 

Faire de l’exercice en fin de matinée est-il associé à un risque réduit de maladie cardiovasculaire ?

Faire de l’exercice en fin de matinée est-il associé à un risque réduit de maladie cardiovasculaire ?

EN BREF

  • Les participants à une étude qui faisaient leur séance d’exercice en fin de matinée avaient un risque 16 % moins élevé de subir un événement coronarien et 17 % moins élevé de subir un accident vasculaire cérébral (AVC), en comparaison avec ceux qui faisaient leur exercice à un autre moment de la journée.
  • Ces effets étaient particulièrement prononcés chez les femmes, mais ils sont non-significatifs lorsqu’on considère les données pour les hommes uniquement.
  • Ces résultats illustrent l’importance potentielle de la chronoactivité dans la prévention des maladies cardiovasculaires.

Est-il préférable de faire de l’exercice le matin ou plus tard dans la journée pour réduire le risque de maladie cardiovasculaire ? C’est une question à laquelle des chercheurs néerlandais ont tenté de répondre dans une étude auprès de 86 657 participants de la cohorte UK-Biobank, âgés de 62 ans en moyenne. Les données d’activité physique des participants ont été recueillies au début de l’étude à l’aide d’un accéléromètre triaxial porté au poignet sur une période de 7 jours. Six années après le début de l’étude, 3707 événements cardiovasculaires avaient été rapportés. Les participants qui faisaient leur séance d’exercice en fin de matinée avaient un risque 16 % moins élevé de subir un événement coronarien et 17 % moins élevé de subir un accident vasculaire cérébral (AVC), en comparaison avec ceux qui faisaient de l’exercice à un autre moment de la journée.

Ces effets étaient particulièrement prononcés chez les femmes. Au contraire, la plupart des associations favorables de l’activité physique matinale disparaissent lorsque les chercheurs ont analysé les données des hommes seulement. Cette différence demeure inexpliquée et soulève la possibilité qu’un facteur de confusion puisse en être la cause. Les femmes qui font de l’exercice le matin ont-elles de meilleures habitudes de vie, non reliées à l’exercice physique, telle une meilleure alimentation ?

Des études antérieures avaient montré une association favorable entre l’activité physique matinale et une meilleure santé cardiométabolique, tant pour l’obésité (voir ici, ici et ici), le diabète de type 2 que pour l’hypertension. Cependant, un certain nombre d’études ont montré des résultats complètement opposés. Par exemple, une étude réalisée récemment au Brésil indique que pour des hommes hypertendus, l’exercice pratiqué en soirée était plus efficace que l’exercice matinal pour la récupération du rythme cardiaque et la diminution de la pression artérielle. De plus, une étude suédoise auprès d’hommes atteints de diabète de type 2 indique que l’exercice par intervalle à haute intensité (acronyme anglais : HIIT) pratiqué l’après-midi était plus efficace que l’exercice matinal pour améliorer la glycémie. Il est à noter que ces deux dernières études d’intervention sont de type « randomisées et contrôlées », un design d’étude qui permet d’obtenir un niveau de preuve scientifique relativement élevé, même si ces études ont été réalisées avec un nombre peu important de participants.

D’autres études seront nécessaires pour mieux comprendre les phénomènes de chronoactivité, mais, peu importe qu’il soit fait le matin, l’après-midi ou en soirée, il est bien établi que l’exercice physique est bénéfique pour la santé cardiovasculaire, la santé mentale et la santé en général.