Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.23 juillet 2018
Un article qui propose des mesures concrètes pour la prévention des maladies liées à l’alimentation, « Potential Policy Approaches to Address Diet-related Diseases » paru en juin 2018 dans le Journal of the American Medical Association a retenu notre attention. Nous souhaitons présenter ici un résumé en français de cet article signé par trois experts américains, qui propose sept mesures pour promouvoir une alimentation plus saine et améliorer la qualité du régime alimentaire pour prévenir les maladies chroniques.
Traduit de : Potential Policy Approaches to Address Diet-Related Diseases. JAMA. Publié le 28 juin, 2018.
doi:10,100 1/jama.2018.7434
Michael F. Jacobson, PhD1, James Krieger, MD, MPH2et Kelly D. Brownell, PhD3
1Center for Science in the Public Interest, Washington, DC. 2Healthy Food America, Seattle, Washington. 3Sanford School of Public Policy at Duke University, Durham, North Carolina.
Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention, CDC) ont récemment publié deux rapports qui devraient inspirer des mesures vigoureuses pour améliorer le régime alimentaire des individus aux États-Unis. Selon un des rapports, en 2015-2016 la prévalence de l’obésité (IMC ≥ 30) chez les adultes a augmenté à de nouveaux sommets (39,6 %), et le taux d’obésité est excessivement élevé chez les jeunes (18,5 %). Par comparaison, en 1976-1980, seulement 15,0 % des adultes et 5,5 % des jeunes étaient obèses. Cette hausse de la prévalence de l’obésité augmente les risques d’hypertension, d’AVC, d’infarctus du myocarde, de certains cancers et, surtout, de diabète de type 2. L’indice de masse corporelle élevé est responsable d’environ 386 000 décès excédentaires par an aux États-Unis.
Un deuxième rapport, basé sur l’analyse d’échantillons d’urine provenant de 827 individus, a révélé que la consommation moyenne de sodium était d’environ 4000 mg/j, soit plus de 1,5 fois la limite journalière recommandée de 2300 mg. Un apport élevé en sodium augmente le risque d’hypertension et donc d’infarctus du myocarde et d’AVC. L’excès de consommation de sodium causerait jusqu’à 92 000 décès par an aux États-Unis.
Selon un rapport du US Burden of Disease Collaborators, les facteurs alimentaires étaient associés à 529 299 décès en 2016 aux États-Unis, ce qui en fait le principal facteur de risque de mortalité. Les inégalités sociales dans les habitudes alimentaires augmentent. On pourrait s’attendre à ce que ces constats suscitent des inquiétudes parmi les responsables politiques, mais ni le Congrès ni le pouvoir exécutif n’ont proposé un plan global pour améliorer le régime alimentaire américain.
Il est temps de relancer la discussion sur la prévention des maladies liées à l’alimentation. Bien qu’il soit nécessaire de faire davantage de recherches sur des interventions efficaces, nous présentons une proposition en 7 volets, axée sur des politiques visant à promouvoir une alimentation plus saine et à améliorer la qualité du régime alimentaire pour prévenir les maladies.
1— Taxer les boissons sucrées
Parce que les boissons sucrées favorisent le gain de poids et sont associées au diabète de type 2, aux maladies cardiovasculaires et à la mauvaise santé bucco-dentaire, certains porte-paroles en matière de santé préconisent la taxation de ces produits afin d’abaisser leur consommation, augmenter les fonds disponibles pour appliquer des mesures de prévention, réduire la teneur en sucre du régime alimentaire et diminuer les inégalités sociales en matière de santé. De telles taxes ont été adoptées dans plus de 25 pays, dont le Royaume-Uni, le Chili, l’Inde et l’Afrique du Sud, et dans 7 villes américaines, dont Philadelphie, Seattle et San Francisco. La taxe mexicaine sur les boissons sucrées, instaurée en 2014, a été associée à une réduction de 9,7 % de la consommation de ces produits en 2015, avec des baisses plus marquées pour les ménages à faible revenu. La taxe de Berkeley (Californie) a été associée à une diminution des ventes de boissons sucrées et à l’augmentation des ventes d’eau. La taxe britannique, échelonnée selon la teneur en sucre des boissons, a incité certaines entreprises à réduire de façon préventive les niveaux de sucre dans les boissons, avant même la date de mise en œuvre de la taxe en avril 2018.
Les autorités locales et étatiques devraient continuer à taxer les distributeurs de boissons sucrées. Les efforts déployés par l’industrie pour éviter d’être assujettis aux taxes locales devraient être contrecarrés. Le Congrès américain devrait envisager de percevoir une taxe auprès des manufacturiers, basée sur la teneur en sucre des boissons. Une taxe nationale sur le sucre pourrait empêcher les consommateurs de se soustraire aux taxes locales en faisant leurs emplettes dans les villes ou états voisins.
Une autre option serait que la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis reconnaisse que la consommation actuelle de sucres ajoutés dans les boissons sucrées « n’est pas généralement reconnue comme sécuritaire » (une catégorie légale) et qu’elle limite les quantités de sucre dans les boissons les plus sucrées à un quart des niveaux actuels.
2— Réduire les quantités de sodium dans les aliments transformés
Les régimes alimentaires riches en sodium sont un problème mondial. L’Afrique du Sud, l’Argentine et plusieurs autres pays ont limité le contenu en sodium de plusieurs aliments de base.Le Royaume-Uni et le Canada ont adopté des cibles volontaires de réduction de la teneur en sodium d’une douzaine de catégories d’aliments. Le commissaire de la FDA, Scott Gottlieb, a déclaré qu’« il n’y a pas d’action de santé publique plus efficace que la réduction du sodium dans le régime alimentaire ». En 2016, la FDA a proposé des cibles volontaires pour la teneur en sodium dans plus de 150 catégories d’aliments, dont la liste devrait être finalisée en 2019. Toutefois, à en juger par les expériences au Royaume-Uni et au Canada, pour que les cibles de sodium soient efficaces, elles doivent être accompagnées par des efforts soutenus des autorités gouvernementales (comme la FDA) pour contraindre les fabricants à atteindre les cibles. Si les niveaux de sodium demeuraient excessifs, les cibles volontaires pourraient être remplacées par des limites obligatoires. En outre, le département de l’agriculture des États-Unis ne devrait plus tarder à mettre en application des réductions de la quantité de sodium dans les repas scolaires, qui sont à la fois réalisables et essentielles à la santé de millions d’écoliers.
3— Exiger des étiquettes nutritionnelles optimales sur le devant des emballages
Les étiquettes de données nutritionnelles présentent des informations précieuses, mais elles n’ont pas contribué adéquatement à améliorer la qualité nutritionnelle des aliments ou des régimes alimentaires (sauf pour accélérer la réduction de l’utilisation des huiles partiellement hydrogénées et des gras trans). Une étiquette supplémentaire plus simple pourrait fournir des informations plus faciles à comprendre. Le Chili a adopté des étiquettes sur le devant des emballages qui affichent des symboles en forme de panneau d’arrêt noir (voir ci-dessous) pour mettre en évidence des niveaux excessifs de calories, de graisses saturées, de sodium et de sucre. Ces étiquettes ont conduit les fabricants à reformuler 25 % des aliments pour éviter les étiquettes noires avec un avertissement de teneur excessive. Israël, le Canada et d’autres pays planifient des étiquetages similaires. Les États-Unis pourraient exiger de telles étiquettes, ce qui pourrait être particulièrement utile pour les consommateurs qui ont de la difficulté à interpréter les étiquettes nutritionnelles bourrées de chiffres.

4— Éliminer la commercialisation d’aliments malsains pour les enfants
La quasi-totalité de la publicité alimentaire destinée aux enfants concerne les aliments transformés et de la restauration, des aliments dont les teneurs en calories, en sodium, en sucres ajoutés ou en graisses saturées sont plus élevées que recommandé. Les fruits, les légumes et autres aliments sains font rarement l’objet de publicités. La publicité alimentaire destinée aux enfants est la plupart du temps diffusée à la télévision, mais de plus en plus l’industrie utilise les médias numériques pour atteindre les enfants.
Plusieurs pays ont agi pour protéger les enfants contre les publicités alimentaires (qui peuvent être intrinsèquement trompeuses, parce que les enfants ne comprennent pas l’intention de la publicité et les conséquences de manger des aliments malsains). Le Chili, par exemple, ne permet pas que les aliments qui ont une ou plusieurs étiquettes avec un panneau d’arrêt noir (voir plus haut) fassent l’objet de publicité destinée aux enfants. La Suède et le Québec interdisent depuis longtemps toute publicité destinée aux enfants. Le Congrès américain devrait envisager de restreindre la commercialisation des aliments malsains aux enfants. Dans l’intervalle, les entreprises pourraient améliorer leurs normes nutritives pour les aliments destinés aux enfants de 14 ans et moins.
5— Augmenter les subventions aux personnes à faible revenu pour l’achat d’aliments sains
En partie à cause du coût la consommation de fruits et de légumes est bien inférieure aux niveaux recommandés, en particulier chez les personnes à faible revenu. Une étude du département américain de l’agriculture a révélé qu’une subvention de 30 % pour les bénéficiaires du programme d’aide alimentaire supplémentaire a stimulé les achats de 26 %. Une revue systématique de 30 études d’intervention sur les prix des aliments a conclu que ces subventions augmentent les ventes et la consommation d’aliments sains.Les fonds pour subventionner l’achat d’aliments sains pourraient provenir des taxes sur les boissons sucrées.
6— Améliorer la qualité des repas au restaurant
Un tiers des calories consommées par les Américains provient de la nourriture consommée à l’extérieur de la maison. De nombreux repas au restaurant contiennent plus de calories, de sodium, de sucres ajoutés ou de graisses saturées qu’il n’en faut pour une journée entière. Les villes de New York et Philadelphie exigent que les chaînes de restaurants ajoutent des avertissements sous la forme d’une icône de salière sur les menus pour les articles qui contiennent 2300 mg ou plus de sodium (la limite quotidienne recommandée), en plus d’une exigence d’information sur les calories (une exigence nationale a pris effet en mai 2018). Cette mesure, éventuellement élargie pour inclure des icônes pour les calories, le sucre ou les graisses saturées, pourrait être reproduite ailleurs et ensuite à l’échelle nationale. Par contre, les gouvernements locaux devraient envisager d’établir des normes nutritionnelles pour les repas de restaurant qui sont fortement commercialisés auprès des enfants. Ces normes pourraient inclure le bannissement des boissons sucrées comme boissons par défaut — comme plusieurs grandes chaînes et une douzaine de villes américaines l’ont fait — et offrir davantage de fruits, de légumes et de produits de grains entiers.
7— Mener des campagnes pour promouvoir une alimentation plus saine
De solides campagnes de promotion utilisant les médias de masse, l’internet, l’engagement des jeunes et d’autres approches pour aider à contrecarrer le marché agressif des aliments malsains pourraient être un complément efficace. La contre-publicité a réduit l’usage du tabac et la consommation de boissons sucrées et pourrait aussi motiver les gens à consommer davantage d’aliments sains, à lire les étiquettes attentivement et à cuisiner plus de repas à la maison. Les campagnes pourraient être financées par la taxe proposée sur les boissons sucrées.
Conclusions
L’industrie alimentaire et les législateurs qui préfèrent qu’il y ait moins de réglementation s’opposeront vraisemblablement à ces propositions, de sorte que les défenseurs de la santé et les législateurs devront plaider vigoureusement pour des mesures robustes qui soutiennent les régimes alimentaires plus sains. Bien que les effets de ces approches sur les résultats en matière de santé publique ne soient pas encore prouvés, des données émergentes montrent que certaines de ces stratégies apportent des améliorations de la qualité de l’alimentation. Étant donné les effets substantiels que le régime alimentaire a sur les maladies chroniques, un effort ambitieux et à volets multiples pour remodeler l’environnement alimentaire afin que les aliments sains soient facilement accessibles et que l’accessibilité à la nourriture malsaine soit limitée mérite un investissement public beaucoup plus important.
Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.21 novembre 2017
Mis à jour le 9 juillet 2018
L’hypertension représente le principal facteur de risque de maladies cardiovasculaires. Plusieurs études montrent en effet que toute augmentation des pressions systolique et diastolique au-delà de leurs seuils normaux est étroitement associée avec une hausse du risque de maladies cardiovasculaires, avec un risque de mortalité qui double pour chaque augmentation de la pression systolique/diastolique de 20 mm/10 mm Hg au delà de 115/75 mm Hg (Figure 1).

Figure 1. Une pression artérielle élevée augmente le risque de mortalité liée aux maladies cardiovasculaires. Adapté de Lewington (2002).
On estime que l’hypertension est responsable à elle seule de 54 % des cas d’AVC et de 47 % des maladies coronariennes, ce qui se traduit chaque année par environ 10 millions de décès prématurés à l’échelle mondiale. Il s’agit d’un grave problème, car la proportion de personnes hypertendues a fortement augmenté au cours de 25 dernières années, avec environ 3,5 milliards d’adultes qui ont une pression systolique ≥115 mm Hg, dont 874 millions qui présentent une pression systolique ≥140 mm Hg. Une réduction de la pression artérielle à l’échelle de la population revêt donc une grande importance pour diminuer l’incidence des maladies cardiovasculaires et la mortalité associée à ces maladies.
Bien que le développement de l’hypertension dépend de certains facteurs incontrôlables comme certaines prédispositions génétiques ou encore le vieillissement (environ 65 % des personnes de 50 ans et plus présentent une pression systolique ≥130 mm Hg), il est néanmoins clairement établi que l’augmentation de la pression artérielle est également fortement influencée par une foule de facteurs associés au mode de vie. Un des facteurs qui a reçu le plus d’attention au cours des dernières années est la consommation excessive de sel : plusieurs études épidémiologiques, d’intervention ou encore des expériences réalisées sur des modèles animaux ont en effet clairement montré une association étroite entre l’apport alimentaire en sodium et la pression artérielle (pour la distinction entre sel et sodium, voir l’encadré).
Sel ou sodium ?
La grande majorité du sodium de notre alimentation provient du sel (NaCl) et les termes « sodium » et « sel » sont souvent considérés comme des synonymes. Cependant, c’est seulement la quantité de sodium ingérée qui importe du point de vue de la santé, et c’est donc le contenu en sodium, et non en sel, qui est indiqué sur les étiquettes nutritionnelles. Le sel étant formé de 40 % de sodium et de 60 % de chlore, il est cependant facile de faire la conversion :
• Pour convertir le sel en sodium, il faut multiplier par 0,4
• Pour convertir le sodium en sel, il faut multiplier par 2,5
Par exemple, les comparaisons réalisées à l’échelle internationale (études INTERSALT et PURE) montrent que les populations qui consomment peu de sel ont une pression artérielle beaucoup plus faible que celles qui en consomment beaucoup. Chez les Indiens Yanomanos du Brésil, par exemple, la quantité de sodium dans l’urine (un marqueur de la consommation de sel) est extrêmement faible et ces personnes ont une pression artérielle très basse (95/61 mm Hg) qui n’augmente pas avec l’âge. À l’opposé, les Hongrois sécrètent environ 1000 fois plus de sel et présentent une pression artérielle moyenne plus élevée, avec une forte proportion de la population (30 %) qui est hypertendue. Ces variations ne semblent pas d’origine génétique, car d’autres études ont montré que les personnes qui mangent peu de sel et présentent une pression artérielle normale voient leur pression significativement augmenter suite à une migration dans une région où l’alimentation est plus riche en sodium. Ce lien entre le sodium et la pression artérielle a également été bien documenté par plusieurs études cliniques randomisées, notamment les études DASH (Dietary Approaches to Stop Hypertension) et TOHP (Trial Of Hypertension Prevention), montrant qu’une réduction de l’apport en sel est associée à une diminution significative de la pression artérielle, en particulier chez les personnes hypertendues. Ceci est confirmé par une méta-analyse de l’organisation Cochrane qui montre qu’une réduction du sodium (2300 mg) excrété dans l’urine pendant une période de 24 h mène à une diminution des pressions artérielles systolique et diastoliques de 5,4/2,8 mm Hg chez les personnes hypertendues et de 2,4/1,0 mm Hg chez les normotendues.
L’ensemble de ces observations suggère donc qu’une réduction de la consommation de sel représente une stratégie valable pour la prévention et le contrôle de l’hypertension. C’est pour cette raison que l’ensemble des associations médicales de cardiologie (européennes ou nord-américaines) tout comme l’OMS, l’USDA et l’Institute of Medicine préconisent toutes une baisse importante de l’apport en sel, aux environ de 5 à 6 grammes par jour (2000-2400 mg de sodium) comparativement aux 9 à 12 grammes (3600-4800 mg de sodium) qui sont actuellement consommés quotidiennement dans la plupart des pays (8.5 g de sel ou 3400 mg de sodium au Canada).
Effet d’une réduction du sodium sur les maladies cardiovasculaires
Ces recommandations s’appuient sur l’impact bien documenté d’une réduction de la pression artérielle sur le risque de maladies cardiovasculaires. Par exemple, une revue systématique de 123 essais randomisés, impliquant 613,815 participants, a montré qu’une réduction de la pression artérielle de 10 mm Hg à l’aide de médicaments antihypertenseurs (diurétiques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, etc.) diminue de 17 % le risque de maladies coronariennes, de 27 % le risque d’AVC et de 13 % le risque de mort prématurée. Il est donc probable qu’une diminution de la pression artérielle provoquée par une réduction de l’apport en sodium puisse exercer des effets positifs similaires. Les répercussions d’une telle réduction pourraient être majeures en terme de prévention des cardiovasculaires et de la mortalité prématurée, car certains modèles statistiques estiment qu’une consommation quotidienne de sodium supérieure à 2000 mg est directement responsable de 1,65 million de morts chaque année.
Les résultats de certaines campagnes nationales destinées à promouvoir une réduction de l’apport alimentaire en sel vont en ce sens. Au Royaume-Uni, par exemple, la consommation de sodium a diminué de 15 % entre 2003 et 2011 et on a pu observer une baisse parallèle de la pression artérielle moyenne et une diminution d’environ 40 % de la mortalité liée aux AVC et aux maladies coronariennes. Des résultats positifs similaires ont été obtenus en Finlande, où les efforts conjoints du gouvernement et de l’industrie ont fait passé la consommation de sel de 14 à 8 g par jour entre 1972 et 2002, ce qui s’est traduit par une baisse marquée de la pression artérielle (de plus de 10 mm Hg pour la pression diastolique) et une diminution de 80 % de la mortalité liée aux AVC et aux maladies coronariennes, et ce, en dépit d’un taux de tabagisme stable, d’une augmentation du poids corporel de la population et d’une consommation accrue d’alcool.
Combien de sodium ?
Même s’il n’y a pas de doute que de grandes quantités de sodium augmentent le risque d’événements cardiovasculaires, la quantité minimale de sodium à atteindre pour obtenir ces bénéfices demeure néanmoins incertaine.
D’un côté, plusieurs spécialistes soulignent qu’un apport élevé en sel est un phénomène relativement récent à l’échelle de l’évolution de notre espèce (5000 à 10000 ans, suite à l’apparition de l’agriculture). En conditions normales, l’organisme ne requiert qu’environ 500 mg de sel (200 mg de sodium) pour assurer les besoins physiologiques de base, de sorte que notre métabolisme est parfaitement adapté à une alimentation très faible en sodium. Les études réalisées auprès de populations dont le mode de vie est semblable à celui de la période paléolithique (homme des cavernes) indiquent que c’est effectivement le cas, avec une consommation quotidienne de seulement 800 mg de sodium. Un apport en sodium entre 1500 et 2400 mg par jour, tel que recommandé actuellement, serait donc amplement suffisant pour subvenir aux besoins de l’organisme, tout en évitant la hausse de pression artérielle provoquée par des quantités plus élevées.
D’un autre côté, certains chercheurs soulignent que ces recommandations sont des projections qui n’ont jamais été véritablement testées à l’aide d’essais cliniques randomisés et qu’un apport réduit en sodium pourrait avoir des répercussions négatives sur la santé. Cette hypothèse est basée en majeure partie sur les résultats de l’étude PURE (Prospective Urban Rural Epidemiology): cette grande étude, réalisée auprès de 101,945 personnes vivant dans 17 pays différents, a en effet observé une hausse du risque d’événements cardiovasculaires et de mortalité prématurée autant pour des apports en sodium faibles (inférieurs à 3000 mg par jour) qu’élevés (plus de 7000 mg par jour) comparativement à une consommation « normale » de 4000 à 6000 mg par jour (10-15 g de sel). Des hausses similaires du risque de mortalité provoquées par un apport en sodium inférieur à 3000 mg par jour ont également été rapportées par d’autres études, ce qui pourrait suggérer que les apports en sodium actuellement recommandés (1500-2400 mg) sont trop faibles et que c’est plutôt une consommation modérée de sel (3000-5000 mg de sodium) qui serait optimale pour la santé. L’étude PURE rapporte également que la consommation élevée de sel (plus de 7000 mg de sodium) n’a pas d’effets négatifs chez les personnes dont la pression artérielle est normale et n’augmenterait le risque de mortalité que chez les personnes hypertendues. Autrement dit, les quantités de sodium actuellement consommées par la plupart des gens seraient adéquates et il n’y aurait donc pas d’avantages à promouvoir une réduction de l’apport en sel à l’échelle de la population, à l’exception des personnes hypertendues qui consomment beaucoup de sel.
Ces résultats sont cependant très loin de faire l’unaminité : la plupart des experts considèrent que la méthodologie utilisée par l’étude PURE est inadéquate, notamment en ce qui concerne la mesure du sodium. Sans trop entrer dans les détails, mentionnons que les investigateurs de PURE n’ont utilisé qu’un seul échantillon d’urine du matin pour estimer l’apport en sodium, une technique peu fiable en raison de son énorme marge d’erreur (± 3000 mg). Il est probable que cette lacune pourrait affecter les résultats rapportés par PURE, car les études qui ont mesuré le sodium à l’aide de techniques plus précises, par exemple en utilisant plusieurs échantillons d’urine récoltés pendant 24 heures, n’observent aucun effet négatif d’un apport réduit en sodium. Au contraire, l’étude TOHP a montré que le risque d’événements cardiovasculaires est le plus faible à des quantités de sodium de 1500 mg de sodium et augmente graduellement à un rythme de 17 % pour chaque 1000 mg de sodium par jour (voir Figure 2). L’analyse des résultats obtenus lors de cette étude après un suivi de 20 ans indique que le risque de mortalité est le plus faible chez les personnes qui consomment moins de 2300 mg de sodium par jour et le plus élevé chez celles dont l’apport en sodium est supérieur à 6000 mg.

Figure 2. Relation entre la consommation quotidienne de sodium et le risque de mortalité. Adapté de Cook (2016).
Tous ces facteurs font en sorte que plusieurs experts considèrent que les résultats de l’étude PURE devraient être pris « avec un grain de sel » et qu’une diminution de l’apport en sodium de façon à atteindre un maximum de 2300 mg est tout à fait sécuritaire et peut au contraire exercer des effets bénéfiques sur la pression artérielle et le risque de maladies cardiovasculaires.
Comment réduire le sodium ?
Une étude utilisant des échantillons d’urine récoltés sur une période de 24 h suggère un apport quotidien moyen en sodium de 3608 mg (4205 mg chez les hommes, 3039 chez les femmes), ce qui est bien au-delà des limites suggérées. Plus de 80 % de ce sel provient des produits alimentaires fabriqués industriellement et est donc consommé de façon tout à fait involontaire. Une analyse de l’INSPQ montre que le trois quarts du sodium retrouvé dans les aliments achetés par les québécois provient de 10 principaux contributeurs, soit les 1) pains, 2) charcuteries, 3) fromages, 4) produits de fromage en tranches, 5) saucisses, 6) repas réfrigérés et congelés, 7) pizzas petits formats et sandwichs congelés, 8) croustilles, 9) céréales prêtes-à-manger et 10) desserts du commerce et pâtisseries à déjeuner. À eux seuls, les pains représentent 24 % de tout le sodium présent dans les aliments consommés ! La seule façon vraiment réaliste de réduire l’apport en sel est donc de diminuer autant que possible la consommation de ces produits préparés et de cuisiner soi-même. Plusieurs produits industriels contiennent également des quantités importantes de sucres simples et de gras saturés, deux autres facteurs de risque de maladies cardiovasculaires, et il est donc possible de faire d’une pierre plusieurs coups en réduisant leur consommation.
On peut en ce sens s’inspirer du régime DASH mentionné plus tôt qui met une emphase particulière sur la consommation abondante de végétaux (fruits, légumes, grains entiers, noix) et qui privilégie les volailles et le poisson au lieu des viandes rouges. Lorsque combinée avec un apport réduit en sel, ce régime diminue grandement la pression artérielle, avec des baisses moyennes de 8.9/4.5 mm Hg chez les normotendus et de 11.5/5.7 mm Hg pour ceux qui sont hypertendus. Il faut souligner que ce régime est très semblable à l’alimentation méditerranéenne, reconnu pour diminuer signativement le risque de maladies cardiovasculaires autant chez les personnes à haut risque que dans la population en général.
Il faut aussi se rappeler que le sel n’est vraiment pas la seule façon d’assaisonner un plat. Nous avons la chance de pouvoir profiter de centaines d’épices et d’aromates provenant des quatre coins du monde et l’utilisation de ces ingrédients au goût unique représente une excellente façon de diminuer notre consommation de sel et d’explorer de nouveaux horizons culinaires. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’une étude a récemment montré que les personnes qui aiment manger épicé consomment moins de sel et présentent une pression artérielle plus basse.