Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.12 décembre 2017
L’American Heart Association (AHA) a publié en 2017 un énoncé scientifique dans lequel les données des études sur les bienfaits potentiels de la méditation sur le risque cardiovasculaire ont été systématiquement examinées.
Malgré les avancées dans la prévention et le traitement de l’athérosclérose, la maladie cardiovasculaire demeure la principale cause de morbidité et de mortalité dans les pays développés (voir ici et ici). Et bien que l’éducation, la modification du mode de vie et les interventions pharmacologiques aient diminué la prévalence des facteurs de risque cardiovasculaire, la plupart des Nord-Américains ont toujours au moins un facteur de risque important. Le traitement des maladies cardiovasculaires entraîne des coûts élevés pour la société et il est estimé qu’ils doubleront ou tripleront dans les quelques décennies à venir. Par conséquent, il est d’intérêt d’introduire de nouvelles interventions thérapeutiques peu coûteuses, comme la méditation, qui pourraient contribuer à la prévention primaire et secondaire des maladies cardiovasculaires.
La pratique de la méditation remonte à plus de 5 000 ans. Elle est associée aux philosophies et religions orientales, incluant le bouddhisme et l’hindouisme, mais l’on peut trouver des références à cette activité dans la chrétienté, le judaïsme et l’islam. Depuis quelques décennies, la méditation est pratiquée en occident de plus en plus en tant qu’activité thérapeutique et profane, c.-à-d. sans aucun rapport à une croyance religieuse. Le tableau 1 présente un résumé des types de méditation les plus connus.
Tableau 1. Principaux types de méditation. (selon Levine et coll., J. Am. Heart Assoc., 2017)
Méditation | Description | Origines et professeurs connus en Occident |
Samatha | Samatha signifie « quiétude » et la méditation Samatha est souvent décrite comme une méditation calme et durable. Ce type de méditation consiste à calmer l’esprit en se concentrant sur un seul point comme la respiration, une image ou un objet. | Pratique bouddhiste, datant de l’époque du Bouddha ou même avant. |
Vipassana
(méditation intérieure)
| Vipassana est traduit par « voir les choses telles qu’elles sont réellement ». La méditation Vipassana insiste sur la conscience de la respiration, en ajustant la quantité d’air entrant et sortant par le nez. Vipassana apprend à classer les pensées et les expériences au fur et à mesure qu’elles se présentent, en prenant des notes mentales lorsque l’on identifie des sujets qui attirent notre attention. La méditation Vipassana est souvent enseignée lors de retraites d’une durée de 10 jours. | Méditation traditionnelle bouddhiste et indienne. Les professeurs occidentaux les plus connus sont Mahasi Sayadaw, S.N. Goenka, Sharon Salzberg, Joseph Goldestein, Jack Kornfield et Michael Stone. |
Pleine conscience | Un terme générique désignant la catégorie des techniques utilisées pour créer la prise de conscience et la perspicacité en pratiquant une attention concentrée, en observant et en acceptant tout ce qui survient sans jugement. Ce type de méditation est également appelé « surveillance ouverte », dans laquelle on permet à son attention de circuler librement sans jugements ni attachements. | Les origines viennent de l’enseignement bouddhiste. Les professeurs occidentaux les plus connus sont Jon-Kabat Zinn, Tara Brach, Sharon Salzberg, Joseph Goldestein, Jack Kornfield et Pema Chodron. |
Zen (zazen) | Un type de méditation où l’on concentre sa conscience sur sa respiration et observe les pensées et les expériences qui traversent l’esprit et l’environnement. Dans un certain sens semblable à la méditation Vipassana, mais avec un accent sur un foyer de la respiration au niveau du ventre et sur la posture en position assise. | Méditation bouddhiste du Japon. Les enseignants bien connus comprennent Thich Nhat Hanh et Joan Halifax Roshi. |
Raja yoga | Connu aussi sous les appellations de « yoga mental », « yoga de l’esprit », ou Kriya yoga. Une pratique de concentration pour calmer l’esprit et l’amener à un point de concentration. Comprend une combinaison de mantra, de techniques de respiration et de méditation sur les points focaux des chakras et de la moelle épinière. | Pratique hindoue datant de milliers d’années. Introduit en Occident en 1893 par Swami Vivekananda. Enseigné par Paramhansa Yogananda pour l’auditoire occidental. |
Méditation
de la
bienveillance
(metta) | La méditation de la bienveillance implique d’envoyer une bonté aimante à soi-même, puis de continuer à l’envoyer à un ami ou à un être cher, à quelqu’un qui est neutre dans sa vie, à une personne difficile, puis à l’univers. Par cette pratique, le méditant cultive un sentiment de bienveillance envers soi-même et envers les autres. | Provient des enseignements bouddhistes, principalement du bouddhisme tibétain. Les instructeurs bien connus incluent Sharon Saltzberg et Pema Chodron. |
La méditation transcendantale | Technique de méditation basée sur le mantra dans laquelle chaque pratiquant reçoit un mantra personnel qui est utilisé pour aider à installer l’esprit intérieurement. La méditation transcendantale est enseignée par des enseignants certifiés dans le cadre d’un cours standard de quatre jours. La méditation transcendantale est pratiquée pendant 20 minutes deux fois par jour. | Origines dans les anciennes traditions védiques de l’Inde. Popularisé en Occident par le Maharishi Mahesh Yogi et maintenant enseigné aux États-Unis par la Fondation Maharishi. |
Réponse de relaxation | Une pratique à multiples facettes qui peut impliquer la prise de conscience et le suivi de la respiration ou la répétition d’un mot, d’une courte phase, ou d’une prière. | Un terme et une pratique mis au point par le Dr Herbert Benson dans les années 1970, basé dans une partie de la pratique de la méditation transcendantale. |
Des études neurophysiologiques et neuroanatomiques ont démontré que la méditation peut avoir un effet durable sur le cerveau, ce qui rend plausibles des bienfaits pour l’état physiologique basal et le risque cardiovasculaire. Les études sur la méditation et le risque cardiovasculaire se sont penchées sur la réponse physiologique au stress, la désaccoutumance au tabac, la réduction de la pression artérielle, la résistance à l’insuline et le syndrome métabolique, la fonction endothéliale, l’ischémie myocardique et la prévention primaire et secondaire de la maladie cardiovasculaire (voir le résumé des observations du comité de l’AHA sur ces études dans le tableau 2). Dans l’ensemble, les études sur la méditation suggèrent un bienfait potentiel pour le risque cardiovasculaire, bien que la qualité et, dans certains cas, la quantité des données soient modestes. Étant donné les faibles coûts et les faibles risques de cette intervention, la méditation peut être considérée comme un complément aux directives existantes par ceux qui souhaitent modifier leur mode de vie, tout en sachant que les bienfaits d’une telle intervention demeurent à être mieux établis. Selon l’AHA, les études à venir sur la méditation et le risque cardiovasculaire sont justifiées et devraient, autant que possible, utiliser des essais randomisés contrôlés, être suffisamment puissantes pour satisfaire aux critères principaux de l’étude, s’efforcer d’obtenir de faibles taux d’abandon, inclure un suivi à long terme, et être menées par des personnes qui n’ont pas de préjugés inhérents quant aux résultats de l’étude. Les observations et suggestions du comité de l’AHA sont résumées dans le tableau 3.
Tableau 2. Résumé des observations sur les études sur la méditation et la réduction des risques cardiovasculaires. (selon Levine et coll., J. Am. Heart Assoc., 2017)
Sujet | Observations |
Neurophysiologie et neuroanatomie | • Des études neurophysiologiques et neuroanatomiques suggèrent que la méditation peut avoir des effets durables sur la physiologie et l’anatomie du cerveau.
• Les études sont généralement non randomisées et impliquent un nombre modeste de participants, parfois sous la direction de méditants extrêmement expérimentés (> 10 000 heures).
• Les différentes formes de méditation ont des effets psychologiques et neurologiques différents, et donc les résultats neurophysiologiques et neuroanatomiques d’un type de méditation ne peuvent pas être extrapolés à d’autres formes de méditation. |
Réponse psychologique, psychosociale et physiologique au stress | • De nombreuses études, mais pas toutes, rapportent que la méditation est associée à de meilleurs indices psychologiques et psychosociaux.
• Les différences dans les populations, le contrôle des facteurs de confusion potentiels et le type et la durée de la méditation évalués peuvent expliquer les résultats discordants. La petite taille des échantillons et le manque de randomisation sont des limites d’étude courantes.
• Une étude plus approfondie est nécessaire sur la façon dont la méditation influence les processus physiologiques associés à la réponse au stress. |
Pression artérielle | • L’ampleur des réductions de la pression systolique observées varie considérablement.
• Les limites de l’étude incluent les méthodes de mesure de la pression artérielle et les biais dans la confirmation des données, les taux élevés d’abandon et les différentes populations étudiées. |
Tabagisme et
usage du tabac | • Certaines données randomisées montrent que les instructions de méditation pleine conscience améliorent les taux de sevrage tabagique. |
Résistance à l’insuline et syndrome métabolique | • Données limitées sur les effets de la méditation sur la résistance à l’insuline et le syndrome métabolique. |
Athérosclérose subclinique | • Quelques études sous-optimales de la méditation et de l’intervention sur le mode de vie suggèrent un bienfait potentiel sur la régression de l’athérosclérose.
• Études limitées par l’approche multimodale, l’attrition et le suivi incomplet.
• Aucune conclusion ferme ne peut être tirée sur les effets de la méditation sur l’athérosclérose. |
Fonction endothéliale | • Trois études n’ont montré aucun bienfait de la méditation sur la réactivité brachiale dans l’ensemble des cohortes, bien qu’une étude ait suggéré un bienfait dans un sous-groupe de patients atteints de coronaropathie.
• Aucune conclusion ne peut être tirée sur les effets de la méditation sur la fonction endothéliale. |
Ischémie myocardique inductible | • Des études plus anciennes suggèrent que la méditation peut entraîner une amélioration de la durée de l’exercice et une diminution de l’ischémie myocardique.
• Aucune étude contemporaine n’a évalué les effets de la méditation sur le débit sanguin myocardique ou l’ischémie avec des techniques d’imagerie avancées. |
Prévention primaire des maladies cardiovasculaires | • Deux études d’intervention à court terme rapportent des réductions de mortalité surprenantes, et donc ces résultats doivent être reproduits dans des études multicentriques plus importantes.
• En général, en raison des données limitées à ce jour, aucune conclusion ne peut être tirée quant à l’efficacité de la méditation pour la prévention primaire des MCV. |
Prévention secondaire des maladies cardiovasculaires | • Les données sur les bienfaits potentiels de la méditation chez les patients atteints d’une maladie coronarienne établie peuvent être caractérisées comme étant généralement de qualité modeste et ils suggèrent, mais n’établissant pas un bienfait.
• En raison du temps de suivi généralement limité, il existe plus de données sur la réduction des facteurs de risque cardiaques et des indices psychologiques que sur les critères définitifs (p. ex. décès, infarctus du myocarde). |
Tableau 3. Résumé des conclusions et suggestions sur la méditation et la réduction du risque cardiovasculaire par un comité scientifique de l’AHA. (selon Levine et coll., J. Am. Heart Assoc., 2017)
• Les études sur la méditation suggèrent un bienfait potentiel sur le risque cardiovasculaire, bien que la qualité globale et, dans certains cas, la quantité des données soient modestes. |
• Le pilier de la prévention primaire et secondaire des maladies cardiovasculaires est l’ensemble des interventions guidées par les lignes directrices de l’American College of Cardiology et l’American Heart Association. |
• La méditation peut être considérée comme un complément aux directives existantes pour la réduction des risques cardiovasculaires, par ceux qui souhaitent modifier leur mode de vie, tout en sachant que les bienfaits d’une telle intervention demeurent à être mieux établis. |
• D’autres recherches sur la méditation et le risque cardiovasculaire sont justifiées. Ces études, dans la mesure du possible, devraient répondre aux critères suivants :
– Utiliser des essais randomisés contrôlés.
– Décision en aveugle lors de l’évaluation.
– Puissance suffisante pour satisfaire aux critères principaux de l’étude.
– Inclure un suivi à long terme.
– Avoir <20 % de taux d’abandon.
– Avoir >85 % de données de suivi.
– Être effectuée par des chercheurs sans biais financier ou intellectuel inhérent quant aux résultats.
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Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.2 août 2017
On pourrait être porté à penser qu’un cœur en santé bat très régulièrement comme un métronome, mais il n’en est rien. Même au repos de petites variations dans le rythme cardiaque d’une personne en santé sont observées sur l’électrocardiogramme, un phénomène nommé variabilité de fréquence cardiaque (VFC) qui est le degré de fluctuation de l’intervalle entre deux contractions du cœur. Ces variations augmentent dans des situations anxiogènes et au contraire diminuent lorsque nous sommes apaisés. Le concept de cohérence cardiaque fait référence à l’état d’harmonie ou de stabilité de ces variations. Une méthode basée sur le contrôle de la respiration aussi nommée « cohérence cardiaque » a été développée à partir de ce concept et permet de diminuer le rythme cardiaque et de calmer l’anxiété et le stress (voir plus bas).
Le cœur est sous l’influence du système nerveux sympathique (SNS) et du système nerveux parasympathique (SNP) qui agissent de façon opposée. L’accélération du rythme cardiaque provoqué par la colère, la peur ou l’anxiété est causée par des stimuli du cerveau qui sont transmis au cœur via le SNS, alors que la diminution du rythme cardiaque contrôlée par le cerveau au repos est relayée par le SNP. Le cœur contient des cellules spécialisées dites « autorythmiques » qui génèrent des potentiels d’action de manière cyclique et spontanée, ce qui amorce les contractions cardiaques. Ces cellules sont organisées en deux structures : le nœud sinusal situé au sommet de l’oreillette droite et le nœud atrio-ventriculaire situé dans le septum atrio-ventriculaire. Les nerfs sympathiques efférents et les nerfs vagues (parasympathique) agissent sur le nœud sinusal et le nœud atrio-ventriculaire via le système nerveux cardiaque intrinsèque qui fait l’intégration des signaux avant d’être transmis au muscle cardiaque. Au repos c’est l’activité du système nerveux parasympathique qui prédomine et le rythme cardiaque moyen est de 75 battements par minutes (bpm). C’est beaucoup moins que le rythme intrinsèque du nœud sinusal qui décroît avec l’âge : de 107 bpm à 20 ans en moyenne il est de 90 bpm en moyenne à 50 ans. Cela signifie que le système parasympathique peut abaisser le rythme cardiaque de 20 à 30 bpm. Le cerveau influence donc directement le rythme cardiaque, mais cette connexion n’est pas à sens unique : le cœur peut lui aussi influencer le cerveau, via des nerfs afférents qui jouent un rôle très important dans la régulation physiologique et qui influencent le rythme cardiaque.
Méthode d’entraînement de cohérence cardiaque
C’est une méthode basée sur le contrôle de la respiration avec ou sans une rétroaction biologique donné par un petit appareil ou capteur qui enregistre le rythme cardiaque et permet aux participants de visualiser et comprendre les profils des battements de leur cœur. En combinant la relaxation induite par la respiration contrôlée et la rétroaction, le participant peut ramener les paramètres du battement de son cœur à des valeurs normales. Avec cette méthode, il ne s’agit pas de provoquer des changements physiologiques en utilisant l’autosuggestion, mais plutôt en se concentrant directement sur l’apaisement du rythme cardiaque et les effets que cela procure.
La méthode de base consiste à faire 6 respirations par minute (inspiration durant 5 secondes puis expiration durant 5 secondes), pendant 5 minutes en tout. On demande parfois aux participants de décontracter certaines zones du corps telles que les mains, les pieds ou le visage. Une autre variante de cette méthode utilise un capteur (pour le doigt ou l’oreille) et une application pour ordinateur ou téléphone intelligent qui mesure la variabilité de fréquence cardiaque et permet à l’utilisateur de voir en direct l’effet de l’exercice de respiration sur les profils du rythme cardiaque. Parmi plusieurs applications disponibles sur le marché, voir par exemple HeartMath, HeartRate+ Coherence, Stress Resilience Training System ou Relaxing Rhythmes. Des profils peu ordonnés ou chaotiques indiquent une très faible cohérence cardiaque alors qu’à l’inverse des motifs réguliers sont le reflet d’une bonne cohérence cardiaque. Cette rétroaction permet à l’utilisateur d’améliorer son aptitude à prendre en charge ses émotions et de réduire l’anxiété et le stress.
Plusieurs études indiquent que la méthode de respiration mentionnée ci-haut avec une rétroaction biologique de la variabilité de fréquence cardiaque induit la cohérence cardiaque et apporte plusieurs bienfaits, incluant la diminution de la pression artérielle chez des adultes préhypertendus et hypertendus, l’atténuation des symptômes associés au stress et de l’anxiété chez des étudiantes, à la dépression chez des adultes, à la dépression périnatale et aux douleurs chroniques cervicales liées au stress. Quelques études indiquent que la cohérence cardiaque pourrait améliorer la fonction cognitive et le contrôle de soi. Par exemple, une étude portant sur 41 pilotes d’avions de chasse qui s’entraînent sur des simulateurs de vol a montré que les participants qui ont eu de meilleures performances ont expérimenté moins de frustration et avaient un niveau de cohérence cardiaque significativement plus élevé que les pilotes moins expérimentés et moins performants. Il y a d’autres approches pour améliorer la cohérence cardiaque. Par exemple, une étude a montré que parmi des moines bouddhistes zen, un maître expérimenté avait un niveau de cohérence cardiaque plus élevé qu’une moniale novice lorsqu’ils font zazen, une forme de méditation qui consiste à adopter une posture assise et à respirer lentement en utilisant les muscles du bas de l’abdomen.
En résumé, la pratique d’un exercice de contrôle de la respiration apaise les battements du cœur, augmente la cohérence cardiaque, ce qui a pour conséquence de modifier l’équilibre mental, de diminuer le stress et l’anxiété et d’être plus serein.
Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.16 mai 2017
Les bienfaits de l’exercice sur la santé en général et sur la santé cardiovasculaire en particulier sont bien établis mais nous n’avons pas tous la capacité physique, ou l’affinité, pour la pratique d’exercices aérobiques soutenus comme le jogging, les sports de balle et ballon, les arts martiaux, la bicyclette, voire même la marche. D’autres choix s’offrent à nous avec des activités à basse intensité telle que le yoga, tai-chi et qi gong, qui sont axées sur la respiration, la concentration et la flexibilité du corps. Si les bienfaits que procurent ces disciplines holistiques comme la détente, la gestion du stress, la souplesse et le tonus musculaire sont connus depuis longtemps, il y a de plus en plus de données dans la littérature scientifique récente qui démontrent des bienfaits au niveau de la santé cardiovasculaire.
Le yoga est un exercice pour le corps et l’esprit qui est apparu en Inde il y a plus de 4000 ans et qui est pratiqué par un nombre croissant de personnes en occident. Le yoga, dont il existe une multitude de styles, consiste en des exercices de méditation et de respiration, en combinaison avec des exercices physiques variés. Le but de la pratique du yoga est d’augmenter le bien-être physique, mental, émotionnel et spirituel. Plusieurs études ont montré que le yoga et la méditation peuvent diminuer les facteurs de risques associés aux maladies cardiovasculaires tels que l’hypertension, le diabète de type II, l’obésité, le profil lipidique et le stress. Dans une étude, par exemple, il a été observé que la pratique du yoga diminue, autant que n’importe quel autre exercice aérobique, certains facteurs de risques associés aux maladies cardiovasculaires et au syndrome métabolique tels que l’indice de masse corporel, le poids, le rythme cardiaque, la pression artérielle et le profil lipidique.
La pression artérielle est sous le contrôle du système nerveux autonome et un excès d’activité du système nerveux sympathique peut contribuer au développement de l’hypertension. Le principal mécanisme d’action du yoga proposé serait l’augmentation de l’activité parasympathique et la diminution de l’activation du système nerveux sympathique. L’augmentation de l’activité parasympathique est plus spécifiquement causée par les exercices de respiration lente, de relaxation et de méditation du yoga et non pas par les exercices de posture.
L’effet du yoga sur des patients atteints de fibrillation auriculaire paroxystique a été évalué récemment par une équipe suédoise. Dans cette étude, le groupe contrôle a reçu le traitement standard alors que le deuxième groupe a suivi un programme de yoga spécialement conçu pour des gens atteints de maladies cardiaques, en plus du traitement standard. Les participants au programme de yoga ont eu des séances d’une heure, une fois par semaine pendant 12 semaines, et étaient encouragés à pratiquer le yoga à la maison. À la fin de l’étude, le groupe « yoga » avait un rythme cardiaque moins élevé et une pression artérielle plus basse que le groupe contrôle. Bien qu’il n’ait pas diminué ni le nombre ni la durée des épisodes de fibrillation, le yoga a réduit l’anxiété et le score de dépression et a donc contribué à améliorer la qualité de vie des patients atteints de fibrillation auriculaire. Les auteurs suggèrent que le yoga pourrait être utilisé avantageusement en complément au traitement standard.
Tableau 1. Bienfaits de la pratique du yoga et du tai-chi sur la réduction de facteurs de risque de maladie cardiovasculaire et sur la santé en général.
| Yoga | Tai-chi |
Diminution du rythme cardiaque | Chu et al., 2014 | Zheng et al., 2015 |
Réduction de la pression artérielle | Chu et al., 2014
Posadzki et al., 2014 | Yeh et al., 2008
Sun et al., 2015 |
Amélioration du profil lipidique | Chu et al., 2014 | |
Diminution de l’indice de masse corporel | Chu et al., 2014 | Sun et al., 2015 |
Réadaptation après un AVC | | Taylor-Piliae et al., 2014 |
Prévention de l’AVC | | Zheng et al., 2015 |
Réduction de l’anxiété et de la dépression | Lakkireddy et al., 2013
Wahlstrom et al., 2017 | Wang et al., 2014 |
Amélioration de la mobilité et de l’équilibre | | Li et al., 2012
Huang et al., 2017 |
Tai-chi
Le tai-chi est un art martial chinois qui est souvent pratiqué de nos jours comme gymnastique de santé, un exercice pour le corps et l’esprit. L’objet principal de cette discipline est le travail de l’énergie ou « chi » et implique le contrôle des mouvements du corps, de la concentration mentale et de la respiration. Puisque le tai-chi est un exercice peu vigoureux et lent, il peut être pratiqué par des femmes et des hommes de tout âge, sans requérir un état de santé idéal. Parmi les bienfaits du tai-chi sur la santé, on recense l’amélioration de l’équilibre (prévention des chutes chez les personnes âgées), l’atténuation des symptômes associés à des maladies chroniques telles que la fibromyalgie, l’ostéoporose et la maladie de Parkinson.
Une étude récente a conclu que le tai-chi était presque aussi efficace que la marche et le jogging pour réduire le risque de mortalité chez les hommes. Cela est plutôt surprenant étant donné que le tai-chi est une activité si peu intense. Pourtant une revue systématique a révélé que la pratique du tai-chi a un effet bénéfique sur plusieurs aspects de la fonction cardiaque tels que la pression artérielle, le rythme cardiaque, le débit cardiaque, la capacité pulmonaire et l’endurance cardiorespiratoire. D’autres études ont montré que la pratique du tai-chi réduit la pression artérielle et améliore la qualité de vie de personnes souffrant d’insuffisance cardiaque chronique.
Dans l’ensemble, les données de la littérature suggèrent que la pratique d’exercices à faible intensité et avec une composante méditative et spirituelle, comme le yoga et le tai-chi, est bénéfique pour le cœur, le corps et l’esprit.
Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.24 janvier 2017
On me demande souvent s’il faut absolument adopter une alimentation strictement végétarienne pour diminuer significativement le risque d’être touché par une maladie cardiovasculaire. Pour la majorité des gens, la réponse est non : le régime méditerranéen, par exemple, inclut un certain nombre d’aliments de source animale (produits laitiers, œufs, poissons et même des viandes rouges à l’occasion) et plusieurs études ont clairement montré qu’il pouvait réduire significativement le risque d’événements cardiovasculaires, autant en prévention primaire (étude PREDIMED) que secondaire (étude de Lyon). Il est aussi intéressant de noter que le végétarisme strict est très rare au Japon, mais que les Japonais, grands consommateurs de poissons, présentent encore aujourd’hui la plus faible incidence de maladies du cœur au monde.
La situation est cependant différente pour les personnes qui souffrent d’une maladie coronarienne grave et qui sont par conséquent à très haut risque de mourir prématurément. Chez ces patients, les études indiquent plutôt que l’adoption d’une alimentation végétarienne stricte permet d’enrayer la progression de l’athérosclérose et peut même, dans plusieurs cas, faire régresser une maladie coronarienne existante.
Le programme de réadaptation cardiaque élaboré par le médecin californien Dean Ornish est possiblement le meilleur exemple de l’impact positif de cette approche. Ce programme est basé sur une alimentation végétarienne stricte, riche en glucides complexes et pauvre en gras, jumelée à un programme d’exercice modéré régulier et à l’application de techniques de gestion du stress (la méditation, par exemple). L’équipe du Dr Ornish a étudié l’impact de ce programme chez des patients porteurs d’une maladie coronarienne bien documentée, c’est-à-dire qui avaient des obstructions importantes des artères coronaires et qui présentaient de l’angine, des résultats anormaux aux épreuves d’effort sur tapis roulant ainsi que des images de scintigraphie myocardiques (PET-scan) montrant un manque de sang au myocarde (ischémie).
Ils ont séparé ces patients de façon aléatoire en deux groupes distincts, un groupe étant soumis à son programme intensif tandis que l’autre était soumis aux traitements appliqués de façon standard en cardiologie. Les résultats obtenus après un an et 5 ans de traitement sont tout à fait spectaculaires: les patients soumis au programme Ornish ont vu leurs symptômes s’améliorer très rapidement (2 à 3 semaines) et, après quelques années, une diminution significative des lésions a pu être notée. À l’inverse, les patients du groupe témoin, qui suivaient les traitements habituels, sans modifications majeures à leur mode de vie, ont vu leurs lésions coronariennes progresser. Par exemple, la sévérité des blocages des vaisseaux des patients du groupe témoin a augmenté de 11 % dans les cinq années qui suivaient le début de l’étude, tandis que chez ceux qui avaient adhéré au programme Ornish, la sévérité de ces sténoses avait à l’inverse diminué de 3 % en moyenne, une baisse qui pouvait même atteindre 7 % chez les personnes qui adhéraient le plus fortement aux directives du programme. Ces réductions des blocages se sont traduites par une amélioration marquée de la perfusion du myocarde et à la quasi-disparition des symptômes d’angine chez ces patients. En d’autres mots, la progression de la maladie coronarienne a été non seulement stoppée par la mise en application du programme, mais a même été renversée dans plusieurs cas.
Il ne s’agit pas de cas isolés, car j’ai moi-même suivi plusieurs patients avec une maladie coronarienne documentée qui étaient motivés à suivre ce type de programme assez strict et j’ai pu constater que ces patients évoluent de façon remarquable. Leurs symptômes s’atténuent rapidement en quelques semaines, à tel point qu’on peut réduire la médication de façon graduelle. Dans la grande majorité des cas, je n’ai jamais eu à faire opérer ou dilater les coronaires des patients qui suivent le programme Ornish, même ceux chez qui les lésions étaient multiples et sévères.
La plupart de mes collègues hésitent pourtant à recommander ce type de programme intensif à leurs patients, puisqu’il est très exigeant et qu’il n’est pas, selon eux, réaliste de leur demander de devenir des végétariens stricts, de faire de l’exercice sans faute de trois à quatre fois par semaine et de suivre un programme de gestion du stress. Pour ma part, je crois qu’il faut informer le patient de l’efficacité de ces programme et lui laisser le choix. Plus les patients seront bien informés de toutes les possibilités de traitement, mieux ils seront armés pour discuter de façon précise avec leur médecin des options qui se présentent à eux pour leur traitement et mieux ils seront disposés à suivre le plan de traitement.
Si vous souffrez déjà d’une maladie coronarienne documentée, par exemple si vous avez déjà subi des pontages aorto-coronariens, une angioplastie coronarienne, un infarctus du myocarde ou encore que vous souffrez d’angine chronique et que vous êtes intéressés par cette approche du Dr Ornish, vous pouvez en discuter avec votre médecin. Au préalable, je vous conseille de consulter le site web du Dr Ornish ou de visionner ses conférences sur YouTube.
Si vous n’avez jamais eu de problèmes coronariens, je crois que l’alimentation méditerranéenne demeure un choix logique pour la plupart des gens. Par contre, si vous cumulez plusieurs facteurs de risque de maladie coronarienne ou si plusieurs de vos parents proches ont été touchés par un accident coronarien à un âge relativement jeune (moins de 65 ans), je crois que vous devriez sérieusement considérer l’alimentation végétarienne. Je la conseille d’ailleurs souvent à des personnes dans la trentaine et la quarantaine qui me consultent pour une évaluation préventive et qui ont de très lourds antécédents cardiovasculaires dans leur famille.