Dr Louis Bherer, Ph. D., Neuropsychologue

Professeur titulaire, Département de Médecine, Université de Montréal, Directeur adjoint scientifique à la direction de la prévention, chercheur et Directeur du Centre ÉPIC, Institut de cardiologie de Montréal.

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31 août 2023
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Les bienfaits du « bain de forêt » sur le bien-être psychologique

En 2021, à la demande de la Société des établissements de plein air du Québec (Sépaq), l’Observatoire de la prévention a produit un rapport sur les bienfaits de la nature sur la santé globale. Dans ce rapport, nous avions fait une revue de la littérature scientifique et apprécié le niveau de preuve obtenu par l’ensemble des études et méta-analyses publiées sur l’effet de l’exposition en forêt, le plus souvent par un « bain de forêt » (shinrin-yoku), une activité guidée de détente en nature.  Le terme Shinrin-yoku (森林浴), inventé par le ministère japonais de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche en 1982, décrit une pratique thérapeutique non conventionnelle basée sur l’idée que se promener ou séjourner dans la forêt ou à proximité d’arbres aurait des effets bénéfiques sur la santé physique et mentale.  C’est une pratique méditative qui consiste à se promener (généralement de 2 à 4 h, parfois moins) en forêt à un pas régulier et en prenant des pauses pour se reposer, faire des exercices de respirations et contempler l’environnement naturel.

De nouveaux travaux sur les bienfaits de la nature sur la santé ont été publiés depuis et une revue parapluie (examen d’ensemble des revues systématiques existant sur un sujet) a été réalisée par un groupe de chercheurs italiens en 2022. Nous nous proposons de résumer ici les principales conclusions de cette étude.  

Les auteurs de l’étude ont sélectionné 16 revues systématiques qui satisfaisaient les critères d’inclusion. Dans l’ensemble, les meilleures données probantes indiquent que le bain de forêt (du japonais : shinrin-yoku) a des effets avérés sur le bien-être psychologique, mais qu’il n’est pas clair que cette pratique a des effets thérapeutiques sur des maladies ou désordres physiologiques. Selon le niveau de preuve scientifique, les chercheurs ont utilisé une grille d’évaluation contenant 5 grades de recommandations : forte recommandation (grade 1), présomption scientifique (2A), possible (2B), limitée (2C) et preuve insuffisante (2C). Ces grades ont été regroupés en deux catégories principales : recommandations majeures (grade 1 à 2A) et recommandation mineures (grades 2B à 2C).  

Les recommandations majeures (grade 1 et 2A) pour la pratique du bain de forêt afin de promouvoir le bien-être sont : 

  • Relaxation psychologique et le soulagement du stress (grade 1) ;
  • Réduction de l’anxiété (grade 2A) et l’amélioration de l’humeur (grade 2A).  

Les recommandations mineures pour la pratique du bain de forêt afin de promouvoir le bien-être sont : 

  • Amélioration de la qualité du sommeil (grade 2C) ;
  • Amélioration de l’humeur chez des personnes souffrant d’alcoolisme (grade 2B) ;
  • Diminution du stress et l’augmentation du sentiment de bien-être chez des personnes atteintes du syndrome de stress post-traumatique relié à la guerre (grade 2C) ;
  • Atténuation des symptômes chez des personnes atteintes du trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH, grade 2C) ;
  • Amélioration de la fonction cognitive de personnes en bonne santé (grade 2B) ;
  • Diminution à court terme du rythme cardiaque et de la pression artérielle, diminution de l’inflammation et amélioration de l’humeur chez des personnes atteintes d’insuffisance cardiaque, d’hypertension ou de maladie coronarienne chronique (grade 2B) ;
  • Diminution de l’inflammation et amélioration de l’humeur chez des personnes atteintes de maladie pulmonaire obstructive chronique (grade 2C) ;
  • Amélioration du contrôle de la glycémie, diminution des hormones de stress, augmentation des niveaux d’adiponectines chez des diabétiques (grade 2C) ;
  • Atténuation des symptômes chez des personnes atteintes de dermatites atypiques (grade 2C) ;
  • Augmentation du nombre de lymphocytes natural killer (NK), diminution des biomarqueurs de l’inflammation et des hormones du stress chez des personnes en bonne santé (grade 2B).

Temps d’exposition optimal dans la forêt

En se basant sur les données probantes et les revues critiques, les auteurs de la revue parapluie concluent que se promener en forêt au moins 2 heures/semaine est une activité qui promeut une bonne santé. S’il n’est pas possible d’atteindre ce temps d’exposition dans la nature, même une seule séance mensuelle peut être utile, en combinaison avec d’autres saines habitudes de vie, pour améliorer le bien-être.  

Les composantes du bain de forêt (traduit librement de Antonelli et coll., 2022, p.1855-1857).

La stimulation des cinq sens par une interaction physique avec le milieu naturel est un élément fondamental des bains de forêt. Même si la composante visuelle semble être très pertinente, notamment en ce qui concerne les effets relaxants à court terme (voir ici et ici), tous les éléments sensoriels semblent jouer un rôle intégré dans le résultat global de cette pratique sur le bien-être individuel (Figure 1). 

Figure 1. Composantes sensorielles des bains de forêt et leurs effets sur le bien-être individuel. Adapté de Antonelli et coll., 2022.

Lors de toute séance de bain de forêt, chacun des cinq sens est généralement stimulé comme suit :

  1. La vue : il est bien documenté que la vue d’une forêt, même virtuelle, peut exercer des effets anti-stress bénéfiques, favorisant ainsi la relaxation psychophysique et améliorant la résilience individuelle au stress (voir iciiciici et ici). La prédominance de couleurs comme le vert, le marron et le bleu dans n’importe quel environnement forestier, ainsi que la contemplation de motifs et de formes fractales (par exemple, des arbres ramifiés, des buissons, des rivières…) peuvent transmettre des stimulations visuelles spécifiques au système nerveux central que les humains ont l’habitude de percevoir comme « familières » depuis les temps anciens.
  • Les odeurs : les arbres forestiers ont tendance à libérer des composés organiques volatils (COV) spécifiques tels que le limonène, l’a-pinène et le b-pinène, mais aussi le b-myrcène et le camphène, qui sont responsables d’effets antiphlogistiques et antioxydants sur les voies respiratoires ainsi que d’une action générale relaxante, calmante et anxiolytique sur le système nerveux central après leur inhalation et leur absorption systémique (voir iciici et ici). La concentration de ces composés dans l’air de la forêt a tendance à suivre les modifications diurnes cycliques et dépend de nombreux facteurs, notamment les espèces d’arbres, les saisons, les températures et les conditions météorologiques (voir iciici et ici).
  • Les sons : la stimulation auditive provenant de la forêt, comme celle produite par le vent soufflant sur les feuilles, le chant des oiseaux ou l’eau qui coule dans l’environnement naturel, peut contribuer à la relaxation et aider à la récupération du stress, car il est plausible que, d’un point de vue évolutif, nous soyons naturellement plus « à l’écoute » de ces signaux plutôt que des bruits urbains (voir iciiciici et ici).
  • Le toucher : il a été démontré que toucher du bois avec les mains peut être relaxant et peut stimuler l’activité nerveuse parasympathique plus que toucher d’autres matériaux. Le toucher du feuillage des plantes est également associé à une réaction apaisante inconsciente chez les adultes en bonne santé. Globalement, la stimulation tactile résultant du toucher des plantes forestières vivantes et de leurs différentes parties (racines, écorce, feuilles, fruits) peut jouer son rôle dans l’effet anti-stress des bains de forêt.
  • Le goût : même si elle ne fait pas nécessairement partie du shinrin-yoku, la visite d’une forêt comprend parfois la dégustation de baies comestibles, de racines, d’herbes, de champignons et d’autres produits naturels récoltés pendant le séjour. Il a été démontré par certaines études que les aliments naturels biologiques peuvent être instinctivement perçus comme plus sains par les consommateurs et qu’au contraire, une forte consommation d’aliments transformés peut être associée à une prévalence plus élevée de maladies physiques et mentales (voir ici,ici et ici). En plus des aspects nutritionnels, la dégustation de produits naturels trouvés dans la forêt peut aider à créer un lien plus profond avec l’environnement naturel (à cet égard, il est important de pouvoir bien distinguer les aliments naturels comestibles des plantes vénéneuses et des champignons).

Le bain de forêt et l’esprit

D’un point de vue psychologique, les thérapies basées sur la nature et, plus généralement, toute interaction thérapeutique avec les environnements naturels sont considérées comme ayant trois composantes majeures (émotionnelle, cognitive et comportementale), qui, prises ensemble, peuvent former un modèle théorique composé de six éléments :

  • Stimulation des cinq sens par la forêt.
  • Acceptation, c’est-à-dire se sentir « accueilli » dans le milieu naturel.
  • Purification, qui se produit lorsque les pensées négatives et les mauvaises sensations se dissolvent.
  • Réflexion, ou un moment d’introspection et de méditation.
  • Se recharger en énergie positive (espoir, courage et confiance).
  • « Changement » final : les participants ont le sentiment d’avoir vécu un changement dans leur corps et leur esprit.

Conclusions et limites 

Dans l’ensemble, les données probantes disponibles les plus solides appuient l’utilisation des bains de forêt comme pratique complémentaire pour l’amélioration du bien-être mental (stress, anxiété, déséquilibre émotionnel, troubles légers de l’humeur), alors que les preuves à l’appui de sa prescription pour des maladies spécifiques demeurent à être établies. L’impact positif des bains de forêt sur la qualité de vie individuelle, ainsi que son profil coût-efficacité favorable, justifient son éventuelle adoption pour la promotion du bien-être en médecine préventive. Toutefois, malgré les améliorations notées à court terme sur plusieurs biomarqueurs de santé, sur l’état psychologique et le bien-être, il n’y a pas d’évidences fortes pour les effets à long terme sur la santé cardiovasculaire et certaines études montrent des résultats moins concluants, même à court terme. Il est possible que des effets plus importants à long terme nécessitent un niveau d’activité physique plus important que celui habituellement atteint dans les sessions de bain de forêt.  Des études futures sont nécessaires pour mieux comprendre les liens causaux et les mécanismes physiologiques impliqués.  Ces connaissances permettraient de mieux prescrire les sessions d’exposition en nature de manière efficace et en respectant les différences et les besoins de chaque personne.

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