Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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27 septembre 2021
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Bannir les saveurs des liquides de vapotage ? Une bien mauvaise idée.

En bref

  • En réaction à l’augmentation du nombre de jeunes vapoteurs, Santé Canada a récemment proposé d’interdire la plupart des ingrédients aromatisants des liquides de vapotage.

  • Les données récoltées à San Francisco, où une interdiction de vente de liquides de vapotage aromatisés est en vigueur depuis 2018, montrent pourtant une recrudescence significative du nombre de jeunes ayant fumé la cigarette après l’instauration de cette mesure, ce qui soulève de sérieux doutes sur l’efficacité de cette approche.

  • De plus, l’interdiction des saveurs de vapotage va priver plusieurs milliers de fumeurs adultes du meilleur outil disponible pour cesser de fumer, tel que documenté par plusieurs études cliniques récentes.
  • Le projet d’éliminer du marché les saveurs de vapotage semble donc mal avisé et nous croyons que son application devrait être à tout le moins retardée en attendant de mieux déterminer ses impacts sur les taux de tabagisme, autant chez les jeunes que chez les adultes.

Santé Canada a récemment sollicité des commentaires sur les projets de règlement visant à interdire la plupart des ingrédients aromatisants des liquides de vapotage, à l’exception d’un nombre limité d’ingrédients pour conférer un arôme de tabac ou de menthe/menthol.

Cette proposition s’appuie sur quatre hypothèses :

  • Il y aurait apparemment une « épidémie de vapotage » chez les jeunes Canadiens.
  • Les saveurs des liquides seraient l’un des principaux facteurs ayant contribué à l’augmentation rapide du vapotage chez les jeunes.
  • Les vapoteurs vont développer une dépendance à la nicotine et commencer à fumer la cigarette. Autrement dit, le vapotage serait un tremplin vers le tabac, ce qu’on appelle familièrement « l’effet passerelle ».
  • En conséquence, éliminer les saveurs des liquides de vapotage va décourager l’utilisation de la cigarette électronique et donc aider à prévenir le tabagisme juvénile.

L’objectif de protéger les jeunes du tabac est évidemment louable, mais un examen attentif des données accumulées au cours des dernières années soulève plusieurs doutes sur l’efficacité d’une interdiction des saveurs des liquides de vapotage pour y parvenir.  De plus,  ce projet passe complètement sous silence l’effet potentiellement dévastateur de cette interdiction sur les adultes qui utilisent les cigarettes électroniques aromatisées pour cesser de fumer.  Avant d’éliminer les saveurs de vapotage du marché actuel, il nous semble important de prendre un peu de recul et d’examiner les impacts négatifs potentiels de cette interdiction, autant chez les jeunes que chez les fumeurs adultes.

Le tabagisme juvénile est à un creux historique.  Tout d’abord, il est important de mentionner que nous avons fait des progrès spectaculaires dans la lutte au tabagisme juvénile. On en parle étonnamment très peu, mais le nombre de jeunes du secondaire qui fument régulièrement la cigarette est présentement à un creux historique, avec seulement 3  % de jeunes fumeurs de 15-19 ans en 2020 au Canada , comparativement à plus de 30 % à la fin des années 1990.  Un phénomène similaire est observé dans la plupart des pays industrialisés : à New York, par exemple, il y a présentement seulement 2,4 % de fumeurs  à l’école secondaire (high school) comparativement à 27 % en 2000. Concrètement, cela signifie qu’au cours des 20 dernières années, nous avons réduit de 90 % la proportion de jeunes fumeurs, ce qui est phénoménal.

On peut évidemment souhaiter diminuer encore plus ce nombre, mais il faut tout de même admettre que les efforts des dernières années dans la lutte au tabac ont porté fruit et que nous avons collectivement réussi à faire du tabagisme un comportement marginal, démodé et rejeté par la très grande majorité des jeunes.  Étant donné que plus de 90 % des fumeurs adultes ont commencé à fumer à l’adolescence, cela signifie que la prochaine génération d’adultes sera en très grande partie constituée de non-fumeurs et donc beaucoup moins touchée par les problèmes de santé causés par le tabagisme (le cancer du poumon notamment) que les générations précédentes. Le statu quo actuel représente donc une victoire sans précédent de la lutte au tabagisme.

Peu de jeunes vapotent régulièrement et ceux qui le font sont des fumeurs ou ex-fumeurs.  Le nombre de jeunes qui vapotent a effectivement augmenté au cours des dernières années : les dernières statistiques montrent qu’en 2019, environ 41 % des 16-19 ans avaient essayé au moins une fois ces produits, comparativement à 29 % en 2017. Par contre, il faut absolument mentionner que ce nombre de vapoteurs est gonflé artificiellement par l’inclusion des jeunes qui ont seulement expérimenté la cigarette électronique à quelques occasions. Lorsqu’on restreint l’analyse à ceux qui utilisent la cigarette électronique au moins 20 fois par mois, les données sont beaucoup moins spectaculaires, avec 5,7 % de vapoteurs réguliers (voir notre article à ce sujet).  De plus, la très grande majorité de ces vapoteurs réguliers sont des fumeurs ou des ex-fumeurs, avec à peine 1 % qui n’ont jamais fumé la cigarette.  Au sens strict du terme, il n’y a donc pas d’épidémie de vapotage, d’autant plus que les dernières données américaines indiquent que la proportion de jeunes vapoteurs a diminué de 50 % au cours des deux dernières années, ce qui pourrait indiquer que le vapotage est beaucoup plus une mode passagère qu’une transformation durable des habitudes des jeunes.

Est-ce que ce vapotage chez les jeunes, même s’il n’atteint pas des proportions réellement épidémiques, pourrait tout de même effacer ces progrès et entrainer une recrudescence du tabagisme juvénile?  Les organismes de lutte au tabac semblent penser que oui et c’est pour cette raison qu’ils veulent éliminer les saveurs des liquides de vapotage pour rendre la cigarette électronique moins attrayante pour les jeunes.  Autrement dit, il s’agit ici « d’enlaidir » la cigarette électronique pour diminuer son attrait et son acceptabilité sociale et ainsi éviter que l’exposition à un produit à base de nicotine puisse amener les jeunes à se tourner vers le tabac (effet passerelle).

Cette crainte d’un tremplin vers le tabac est d’une certaine façon similaire à l’ancienne mentalité de la guerre contre la drogue : à l’époque (vers la fin des années 1960), on était convaincu que les consommateurs de drogue étaient irrémédiablement attirés par des produits de plus en plus dangereux. Selon cette croyance, un fumeur de cannabis était à très haut risque de devenir un héroïnomane, un peu comme si une personne attirée par une drogue était incapable de se contrôler et était condamnée à vouloir aller toujours plus loin, quitte à s’autodétruire. On sait maintenant que ces craintes étaient totalement injustifiées et que ce n’est pas parce qu’une personne aime les effets d’une drogue récréative qu’elle devient pour autant irrationnelle.  La légalisation du cannabis est le reflet de ce changement de perception face aux drogues douces.

On peut appliquer le même raisonnement au vapotage : pour quelles raisons un jeune qui aime vapoter déciderait-il « d’aller plus loin » et de se tourner vers une source de nicotine connue pour être nocive, moins savoureuse, plus chère et complètement rejetée par la société comme la cigarette ?  Les données accumulées au cours des dernières années indiquent que c’est effectivement peu probable et que loin d’être un tremplin vers le tabac, la cigarette électronique pourrait au contraire représenter un substitut à la cigarette traditionnelle.

Le vapotage ne mène pas au tabagisme.  Il faut tout d’abord souligner que l’hypothèse de l’effet passerelle est tout à fait incompatible avec la situation actuelle du tabagisme juvénile.  Même si la cigarette électronique est disponible depuis plusieurs années, la réalité est que la proportion de jeunes qui fument la cigarette de tabac ne cesse de diminuer année après année.  L’arrivée de cigarettes électroniques de type « pod mod » (la Juul, par exemple), encore plus performantes en termes d’absorption de la nicotine, n’a pas affecté cette tendance à la baisse du tabagisme chez les jeunes et, au contraire, l’a même accélérée.  Autrement dit, l’« épidémie de vapotage » chez les jeunes, tant décriée par les organismes antitabac, n’a pas entrainé une hausse, mais plutôt une diminution marquée du tabagisme juvénile, chose qui serait évidemment impossible si le vapotage amenait les jeunes à fumer la cigarette.

L’affirmation que le vapotage est un tremplin vers le tabac est basée sur une interprétation erronée des études qui se sont penchées sur cette question.  Ces études montrent que l’utilisation de cigarette électronique est effectivement associée à un risque accru de fumer la cigarette, ce qui peut en apparence sembler valider l’existence d’un effet passerelle.  En réalité, pourtant, il est impossible d’établir un lien direct de cause à effet entre les deux comportements en raison de ce qu’on appelle les « causes communes » (common liabilities):  un jeune attiré par la nicotine va expérimenter plusieurs formes disponibles, sans que cela signifie que l’essai de l’une le pousse vers une autre.

En pratique, les études montrent sans équivoque que la très grande majorité des vapoteurs sont des fumeurs ou ex-fumeurs, avec moins de 1 % de vapoteurs réguliers qui n’ont jamais fumé.  Ceci suggère que s’il y a un effet passerelle, il est plutôt dans la direction inverse (et positive en termes de réduction des dommages causés par le tabac), c’est-dire de la cigarette vers le vapotage.

Le vapotage est un substitut au tabagisme. Qu’on le veuille ou non, la nicotine est depuis longtemps une drogue récréative qui attire un nombre important de jeunes.   Pendant longtemps, le tabac a été la seule source disponible de cette drogue et c’est pour cette raison que les taux de tabagisme juvénile ont atteint des sommets inquiétants jusqu’au début des années 2000.  Ce n’est cependant plus le cas aujourd’hui, du moins dans les pays industrialisés : la cigarette électronique compétitionne maintenant directement avec le tabac et représente en pratique une alternative beaucoup plus attrayante pour les consommateurs de nicotine.

En plus d’avoir meilleur goût (à cause des saveurs ajoutées aux liquides de vapotage) et d’être dépourvues des défauts du tabac fumé (l’odeur, en particulier), un avantage marqué de la cigarette électronique est qu’elle est beaucoup moins nocive pour la santé que la cigarette traditionnelle.  Alors que la combustion du tabac génère plusieurs milliers de composés très toxiques et cancérigènes qui augmentent dramatiquement le risque de développer une foule de pathologies, en particulier les maladies cardiovasculaires et le cancer du poumon, la quantité de la plupart de ces composés est réduite de 99 % dans la vapeur émanant des dispositifs de cigarettes électroniques (voir notre article à ce sujet). Selon plusieurs grandes associations savantes (Public Health England, Académie française de médecine, Académies nationales des sciences, de l’ingénierie et de la médecine des États-Unis), la cigarette électronique est au moins 20 fois moins nocive que le tabac fumé.

Le vapotage possède donc plusieurs avantages concurrentiels face au tabac fumé et c’est pour cette raison que cette nouvelle technologie est en train de s’imposer comme un substitut à la cigarette de tabac chez les consommateurs de nicotine.  Les analyses économiques confirment d’ailleurs ce rôle de substitution, puisqu’une hausse de taxe d’un des produits (tabac ou cigarette électronique) entraine une diminution de la consommation du produit taxé au profit de l’autre. Par exemple, une étude a montré qu’une hausse de la taxe imposée sur la cigarette électronique était associée à une réduction du vapotage et à une hausse parallèle de la vente de cigarettes de tabac. À l’inverse, une hausse équivalente de la taxe sur le tabac entraine une augmentation du nombre de vapoteurs. Les deux produits sont donc des substituts du point de vue économique et c’est pour cette raison qu’une diminution de la compétitivité de la cigarette électronique en raison d’un prix plus élevé se traduit par une augmentation du tabagisme.  Il a été estimé que pour chaque cartouche (pod) de liquide de vapotage qui n’est pas acheté en raison d’une hausse de taxe, 6 paquets supplémentaires de cigarettes de tabac seront vendus. Puisqu’une interdiction des saveurs dans les liquides de vapotage va elle aussi diminuer la compétitivité de la cigarette électronique, on peut craindre qu’un phénomène similaire puisse se produire (voir sections suivantes).

Globalement, ces observations suggèrent que la cigarette électronique peut d’une certaine façon être considérée comme une technologie de rupture, c’est-à-dire une innovation qui a le potentiel de compétitionner avec le tabac et même éventuellement de le remplacer comme principale source de nicotine consommée par la population (ex : les caméras numériques qui ont éliminé les pellicules à développer).

Ceci est très intéressant, dans la mesure où il n’y a généralement jamais de retour en arrière lorsqu’une technologie en supplante une autre.  Pour prendre un exemple simple, le « streaming » a relégué aux oubliettes les clubs de location de films DVD, tout comme le DVD avait auparavant chassé les cassettes VHS du marché.  Il est impensable que l’on retourne un jour vers ces technologies anciennes, tout comme on peut être sûr et certain que le téléphone à cadran ne reprendra jamais la place de nos cellulaires actuels. La cigarette électronique possède donc le potentiel d’éliminer à moyen et long terme la cigarette de tabac, un produit qui, rappelons-le, est responsable chaque année de près de 8 millions de morts prématurées.  Les multinationales du tabac sont parfaitement conscientes de cette évolution du marché et c’est pour cette raison qu’elles se détournent graduellement des cigarettes traditionnelles pour développer des versions électroniques, moins nocives, et  anticipent même une disparition pure et simple de la cigarette traditionnelle dans les 10 à 15 années qui viennent.

L’interdiction des saveurs pourrait causer une hausse du tabagisme juvénile. La principale crainte invoquée pour justifier l’interdiction des saveurs des liquides de vapotage, soit une migration massive des jeunes vapoteurs vers la cigarette traditionnelle, semble donc injustifiée et on peut se questionner sur la pertinence de modifier le statu quo actuel.  D’autant plus qu’il faut envisager que le bannissement des saveurs puisse avoir des effets contraires à ceux recherchés : puisqu’il semble de plus en plus évident que la cigarette électronique est un substitut à la cigarette de tabac, n’y a-t-il donc pas un risque qu’en décourageant le vapotage on pousse les jeunes vapoteurs qui sont plus dépendants à la nicotine vers le tabac ?   Comme le mentionnait récemment Public Health England,  « si une approche rend les cigarettes électroniques moins accessibles, moins agréables au goût ou acceptables, plus chères, moins conviviales pour le consommateur ou moins efficaces sur le plan pharmacologique, alors elle cause des dommages en perpétuant le tabagisme ».

Étant donné que la stratégie de bannir les saveurs de vapotage est assez récente, on ne sait pas encore exactement comment les jeunes réagissent à la disparition de ces saveurs.  Par contre, les données préliminaires sont fort inquiétantes : une étude réalisée dans la région de San Francisco, où une interdiction de vente de liquides de vapotage aromatisés est en vigueur depuis 2018, a récemment montré une recrudescence significative du nombre de jeunes ayant fumé la cigarette après l’instauration de cette mesure, alors que la tendance du tabagisme demeure à la baisse dans d’autres régions des États-Unis où ces saveurs n’ont pas été prohibées (Figure 1).

Figure 1. Impact d’une loi interdisant les saveurs de vapotage sur le tabagisme juvénile.  Tiré de Friedman (2021).  Notez la hausse du nombre d’adolescents ayant fumé la cigarette suite à l’implantation de la loi interdisant les saveurs en 2018 (flèche).

Un sondage réalisé auprès de jeunes adultes de 18-34 dresse un portrait similaire: lorsqu’on demande ce qu’ils feraient si les saveurs de vapotage étaient bannies, 33,2 % ont répondu qu’ils utiliseraient probablement les cigarettes de tabac  comme source de nicotine. Il semble donc exister une proportion significative de jeunes vapoteurs qui pourraient faire vers le saut vers la cigarette de tabac en réponse à la disparition des saveurs de vapotage, ce qui est évidemment l’inverse de l’effet recherché.  À notre avis, si l’objectif du projet de bannir complètement les liquides de vapotage aromatisés est d’empêcher une recrudescence du tabagisme juvénile, ces observations devraient au minimum entrainer un délai dans l’application de cette mesure en attendant de pouvoir confirmer ou non cette tendance à la hausse. Dans un secteur où deux produits sont en compétition directe l’un avec l’autre, toute tentative de rendre l’un des deux produits moins attrayants (en le taxant ou en bannissant les saveurs, par exemple) risque fortement de favoriser l’autre.  Étant donné les effets catastrophiques du tabac sur la santé, il s’agit d’un risque énorme qui mérite d’être soigneusement soupesé.

Les saveurs de vapotage jouent un rôle important pour le sevrage tabagique. Les fumeurs adultes sont les grands oubliés du débat actuel sur la cigarette électronique même s’ils représentent, et de loin, les principaux utilisateurs de ces produits. On parle beaucoup des dangers (très hypothétiques) d’une recrudescence du tabagisme juvénile causée par le vapotage, mais on passe complètement sous silence l’énorme contribution, prouvée cliniquement, de la cigarette électronique comme aide au sevrage tabagique. Dans les essais cliniques randomisés (le standard d’excellence de la recherche clinique), on observe que la cigarette électronique est environ 2 fois plus efficace pour mener au sevrage du tabac que les approches traditionnelles (timbres, gomme). Ceci est particulièrement vrai pour les gros fumeurs, très dépendants, où on observe un taux de succès encore plus impressionnant pour la cigarette électronique, 6 fois plus élevé qu’avec les substituts nicotiniques standards.

Cette efficacité de la cigarette électronique à favoriser le sevrage du tabac n’a rien d’abstrait ou de théorique : les enquêtes révèlent qu’au moins 4,3 millions d’Américains, 2,4 millions de Britanniques et 7,5 millions d’Européens ont cessé de fumer grâce à ces dispositifs, réduisant du même coup drastiquement leur risque de mourir prématurément. Il n’y a donc aucun doute que la cigarette électronique a fortement contribué à la baisse importante du tabagisme adulte à l’échelle mondiale, qui est passé de 23,5 % en 2007 à 19 % aujourd’hui.

L’argument souvent invoqué par les opposants au vapotage, selon lequel il n’est pas prouvé que la cigarette électronique peut aider au sevrage tabagique, ne correspond donc aucunement à la réalité scientifique et à celle vécue par de nombreux ex-fumeurs pour qui cette nouvelle technologie a permis de littéralement sauver leur vie.

Les saveurs des liquides de vapotage sont extrêmement importantes pour permettre aux fumeurs d’adopter la cigarette électronique.  Les enquêtes réalisées à ce sujet montrent que les adultes préfèrent, et de loin, les saveurs de fruits, de desserts et de bonbons à celle du tabac. Les saveurs n’attirent donc pas seulement les jeunes, car pour un fumeur qui cherche à rompre sa dépendance à la cigarette, les liquides de vapotage aromatisés à la saveur de tabac sont bien souvent la dernière chose recherchée. Bannir les saveurs des liquides de vapotage aurait donc comme conséquence directe d’éliminer le principal attrait qu’offrent les cigarettes électroniques, et donc de diminuer le nombre de fumeurs qui pourraient adopter cette méthode pour rompre leur dépendance à la cigarette. Il s’agit selon nous d’un énorme dommage collatéral du projet de prohibition des saveurs, puisque l’acceptabilité d’un produit de substitution à la cigarette est essentielle pour le sevrage. D’ailleurs, une étude a récemment montré que les fumeurs adultes qui commençaient à vapoter des liquides aromatisés (fruit, sucreries, chocolat., etc.) avaient plus de chance de réussir à cesser de fumer que ceux qui utilisaient les saveurs de tabac.

Pour l’ensemble de ces raisons, il nous semble que bannir les saveurs de vapotage est une bien mauvaise idée. L’efficacité de cette mesure pour enrayer le vapotage chez les jeunes est questionnable (les saveurs ne sont qu’un des facteurs qui incitent au vapotage) et il est certain qu’elle aura des impacts négatifs chez les fumeurs adultes en éliminant une alternative au tabac. Il faut mentionner aussi qu’une diminution du nombre d’adultes qui cessent de fumer a un impact négatif sur les jeunes, non seulement parce que le tabagisme des parents est le principal facteur de risque lié à l’initiation du tabagisme chez les enfants et les adolescents, mais aussi en raison des traumatismes psychologiques causés par les maladies et/ou les décès attribuables au tabac des adultes de leur entourage.

Les désaccords sur la question du vapotage reflètent l’évolution de deux grands courants de pensée dans la lutte au tabac. D’un côté, il y a ce qu’on pourrait appeler les « abstentionnistes » ou prohibitionnistes, pour qui la seule façon de diminuer le tabagisme est l’abstinence complète de n’importe quel produit qui contient de la nicotine, même lorsqu’il est bien documenté que ces produits sont beaucoup moins dommageables que le tabac fumé. Chercher à réduire le nombre de vapoteurs en prohibant les saveurs, en dépit du fait que ces produits sont beaucoup moins dangereux que le tabac, est un bon exemple de cette approche du « tout ou rien ». En pratique, on ne parle plus ici seulement de lutte au tabac, mais plutôt d’un combat plus général contre la nicotine en tant que drogue récréative, même si cette drogue n’a pas d’effets majeurs sur la santé en tant que telle.

De l’autre côté, on retrouve les « pragmatiques » qui s’intéressent beaucoup plus aux résultats concrets (baisse des maladies et de la mortalité liées au tabac) qu’aux moyens d’y arriver.  Dans cette approche, la cigarette demeure l’ennemi à vaincre et tout ce qui peut réduire les dommages causés par la combustion du tabac est valorisé, surtout lorsque les données expérimentales montrent clairement une baisse de la toxicité, comme c’est le cas pour la cigarette électronique.  Les Britanniques sont les chefs de file de cette approche de réduction des dommages (harm reduction) et la santé publique de ce pays (Public Health England) encourage fortement tous les fumeurs à migrer vers la cigarette électronique.

Je crois fermement que cette approche pragmatique de réduction des dommages causés par le tabac est la meilleure. L’abstinence est une belle vertu en théorie, mais la réalité est que plusieurs fumeurs sont extrêmement dépendants de la cigarette et sont absolument incapables de cesser de fumer sans un substitut leur permettant d’absorber une quantité de nicotine équivalente à celle retrouvée dans le tabac.  Je ne compte plus le nombre de mes patients qui avaient tout tenté, sans succès, pour vaincre leur dépendance au tabac, jusqu’au jour où ils ont essayé la cigarette électronique et y sont finalement parvenus.  Un succès qui a été dans plusieurs cas une véritable question de vie ou de mort, car il n’y a pas de doute que plusieurs d’entre eux seraient aujourd’hui décédés s’ils n’étaient pas parvenus à cesser de fumer.  Il serait extrêmement dommage que la panique morale soulevée par la hausse du nombre de jeunes vapoteurs fasse en sorte que les fumeurs adultes qui doivent composer avec une très forte dépendance au tabac soient privés du meilleur outil identifié jusqu’à présent pour cesser de fumer, soit le vapotage de saveurs autre que le tabac.

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