Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Le cannabis et la santé cardiovasculaire

MIs à jour le 11 septembre 2018

Le cannabis a été utilisé comme substance euphorisante depuis au moins 4000 ans et demeure aujourd’hui la drogue illicite la plus populaire au monde. Selon le World Drug Report de 2016, près de 185 millions de personnes consomment régulièrement du cannabis, soit environ 4 % de la population mondiale, cette proportion étant encore plus élevée en Amérique du Nord, avec environ 10 % de la population canadienne âgée de 15 et plus qui est un utilisateur régulier de cette drogue.

Les effets psychoactifs du cannabis sont en majeure partie dus au Δ9 – tétrahydrocannabinol (THC), le principal cannabinoïde produit par la plante.  En interagissant avec certains récepteurs présents au niveau du cerveau, le THC modifie la relâche de neurotransmetteurs et altère du même coup plusieurs processus mentaux (émotions, perception sensorielle, mémoire, appétit, etc.). Certains de ces effets sont considérés comme étant positifs (amélioration de l’humeur, légère euphorie, relaxation, amplification des sensations), tandis que d’autres le sont moins (difficultés de concentration, mauvaise coordination et perte de motivation, entre autres).

L’effet du THC ne se limite cependant pas au cerveau, car les récepteurs aux cannabinoïdes sont présents dans plusieurs organes du corps et le cannabis peut donc grandement influencer leur fonctionnement. Au niveau cardiovasculaire, un des effets les mieux documentés de la consommation de cannabis est une augmentation de la charge de travail cardiaque : par exemple, une étude a montré que le rythme cardiaque moyen augmente de 66 à 89 battements par minute quelques minutes après l’inhalation et s’accompagne d’une légère hausse de la pression systolique (de 5 à 10 mm Hg). Ces effets sont cependant moins prononcés chez les utilisateurs réguliers en raison d’un phénomène de tolérance.

Ces effets cardiovasculaires peuvent se traduire par une légère hausse du risque d’événements cardiovasculaires: une étude du groupe de Mittleman a montré que la consommation de cannabis était associée à une augmentation significative (près de 5 fois) du risque d’infarctus dans l’heure qui suit l’inhalation de la drogue, mais cette hausse est transitoire et disparait rapidement dans les heures qui suivent. À titre de comparaison, cette hausse du risque est similaire à celle provoquée par une forte colère (3 fois), mais beaucoup plus faible que celle associée à la consommation d’une drogue dure comme la cocaïne (24 fois). Les auteurs ont calculé que cet effet du cannabis fait en sorte que pour un fumeur quotidien de la drogue, le risque annuel d’être touché par un événement cardiovasculaire passe de 1,5 % à 3 %, ce qui est relativement faible. Il faut cependant noter que certaines personnes semblent nettement plus sensibles aux effets de la drogue, car plusieurs cas isolés d’événements cardiovasculaires néfastes suite à la consommation de cannabis, de cannabis de synthèse (K2 ou « Spice ») ou encore de formes concentrées de THC (dabs) ont été rapportés dans la littérature médicale au fil des années (AVC, arythmies,  mort cardiaque subite).

La situation semble également plus problématique pour les personnes qui ont déjà subi un infarctus du myocarde. Chez ces personnes, une étude a montré que la consommation de cannabis diminue l’apport en oxygène au muscle cardiaque et accélère l’apparition de symptômes d’angine, ce qui suggère que les effets stimulants du cannabis sur la charge de travail du muscle cardiaque pourraient favoriser la survenue d’un infarctus. Une étude subséquente réalisée sur un sous-groupe de 1913 personnes de l’étude du groupe de Mittleman qui avait subi un infarctus  a révélé que la consommation occasionnelle de cannabis (moins d’une fois par semaine) était associée à un risque 2,5 fois plus élevé de mortalité au cours des 4 années suivant le début de l’étude, une hausse du risque qui atteint même 4 fois chez ceux qui en consommaient plus fréquemment (plus d’une fois par semaine).  Après un suivi de 18 ans, les chercheurs ont observé que les utilisateurs de cannabis avaient un risque de mortalité prématurée environ 30 % plus élevé que ceux qui n’en consommaient jamais.

Dans l’ensemble, ces observations suggèrent que la consommation de cannabis représente un facteur de risque peu important d’événements cardiovasculaires chez les personnes  en bonne santé. Par contre, les personnes à haut risque (porteurs de nombreux facteurs de risque ou déjà atteints de maladie coronarienne), les survivants d’un infarctus par exemple, semblent plus sensibles aux effets cardiovasculaires du cannabis et devraient limiter sa  consommation.

L’absence d’effets cardiovasculaires majeurs du cannabis à court terme ne signifie pas que la drogue est absolument sans danger à long terme, surtout lorsqu’elle est consommée en excès.  Par exemple, une étude récente suggère que l’usage du cannabis est associé à une accélération du vieillissement du système cardiovasculaire, un marqueur du vieillissement prématuré, et il semble exister une association entre l’usage intensif de cannabis et une hausse du risque de mort prématurée.  La prudence semble donc de mise, d’autant plus que le contenu du cannabis en THC a quadruplé au cours des dernières années, passant d’environ 3 % en 1980 à 12 % en 2012 (voir Figure) et il existe même des variétés de la plante qui peuvent contenir jusqu’à 30 % de THC. Il faut donc ajuster la consommation en conséquence, car les résultats sur les effets cardiovasculaires du cannabis proviennent d’études sur des consommateurs de cannabis à faible contenu en THC et on ne sait pas encore quels sont les effets du « pot » moderne.

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