Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.27 juin 2017
Mis à jour le 22 janvier 2019
La quantité et la qualité du sommeil sont affectées par une multitude de facteurs culturels, sociaux, psychologiques, pathophysiologiques et environnementaux. Les développements technologiques et la mondialisation de l’économie ont engendré depuis quelques décennies des changements dans l’organisation du travail (longues heures de travail, horaires flexibles, etc.) qui ont mené une partie de la population à dormir moins longtemps et à se plaindre davantage de fatigue, de lassitude et de somnolence diurne excessive. Le manque de sommeil, et dans certains cas l’excès de sommeil, est associé à plusieurs problèmes de santé, incluant les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, l’hypertension, l’obésité et la mortalité en général.

Tableau 1. Durée du sommeil des Canadiens âgés de 15 ou plus en 2002 selon la présence d’insomnie. Tiré de Rapports sur la santé, Vol 17, no 1, novembre 2005.
Les Canadiens âgés de 15 ans ou plus dorment 8 heures et 12 minutes par nuit en moyenne, les hommes dormant 11 minutes de moins en moyenne que les femmes. Selon Statistique Canada, 13,4 % des Canadiens âgés de 15 ans ou plus ont déclaré souffrir d’insomnie en 2002, ce qui a des conséquences sur la quantité (tableau 1) et la qualité du sommeil. Obésité L’obésité est un facteur de risque important pour les maladies cardiovasculaires et un sommeil de courte durée a été associé à un risque plus élevé d’obésité tant chez les adultes que chez les enfants. Parmi les adultes qui dormaient peu, chaque heure de sommeil de plus était associée à une diminution de l’indice de masse corporelle (IMC) de 0,35 unité. Une autre étude a examiné la durée du sommeil et le gain de poids de 68 183 femmes pendant 16 ans (Nurses’ Health Study). Les femmes qui ont dormi habituellement 5 h ou moins avaient pris en moyenne 1,14 kg de plus que celles qui avaient dormi 7 h par nuit, alors que celles qui avaient dormi 6 h avaient gagné 0,71 kg de plus après 16 ans. Le risque de gagner 15 kg était de 32 % et 12 % pour les femmes qui ont dormi 5 et 6 heures respectivement.
Hypertension
Une revue systématique et méta-analyse de plusieurs études indique qu’un sommeil de courte durée est associé à un risque accru d’hypertension dans la population en général. Dormir 5 heures ou moins par nuit augmente de 60 % le risque d’hypertension chez des adultes d’âge moyen selon une analyse prospective américaine. L’effet du sommeil de courte durée (<6 h) sur l’hypertension semble toucher davantage les femmes, particulièrement les femmes ménopausées indique une étude populationnelle. Selon une étude récente réalisée auprès de 1904 participantes, le trouble du sommeil chez les femmes ménopausées est associé à un plus grand risque d’avoir une rigidité artérielle élevée, ce qui n’était pas le cas des femmes préménopausées.
Maladies cardiovasculaires
Selon une méta-analyse de 15 études prospectives auprès de 474 684 participants, les personnes qui ont un sommeil de courte durée avaient un risque plus élevé de maladie coronarienne et de subir un AVC que ceux qui dorment de 7 à 8 heures par nuit. De plus, une longue nuit de sommeil (>8 h) était aussi associée à un risque plus élevé des mêmes événements par rapport au groupe de référence. Parmi les 5101 participants d’une étude réalisée au Nevada, ceux qui dormaient très peu, soit de 1 à 4 heures par nuit, étaient 2,4 fois plus à risque de MCV (infarctus, maladie coronarienne, AVC) en comparaison avec ceux qui dormaient de 7 à 9 heures par nuit. Les personnes qui dormaient plus que la moyenne (10 à 18 h par nuit) étaient près de 7,2 fois plus à risque de maladie cardiovasculaire que celles qui avaient eu un sommeil d’une durée normale. Il faut noter que ceux qui ont dormi peu longtemps (1 à 4 h) ou excessivement (10 à 18 h) ne représentaient que 3,8 % et 2,8 % des participants, respectivement. Les participants qui ont dormi 5 à 6 heures par nuit en moyenne n’étaient pas statistiquement à risque de MCV par rapport au groupe de référence (7 à 9 h de sommeil par nuit). Une étude prospective réalisée au Royaume-Uni auprès de 9692 participants âgés de 42 à 81 ans a montré qu’une modeste augmentation de 18 % (non statistiquement significative) du risque d’AVC était associée à une nuit de sommeil de courte durée (8 h) était associée à un risque 46 % plus élevé et significatif d’AVC par comparaison à un sommeil d’une durée normale (6 à 8 h).
Une étude publiée en 2019 dans le Journal of the American College of Cardiology confirme qu’un sommeil insuffisant est nuisible à la santé cardiovasculaire. Dans cette étude, la quantité de sommeil des 3974 participants a été évaluée par actigraphie à l’aide d’un accéléromètre triaxial porté à la taille pendant 7 jours consécutifs. La qualité du sommeil a aussi été évaluée, en mesurant le nombre d’interruptions du sommeil. Les participants ont ensuite été soumis à des tests pour quantifier l’athérosclérose des artères fémorales et carotides par échographie 3D vasculaire et la calcification des artères coronaires par tomodensitométrie cardiaque. Les personnes qui dormaient très peu, soit moins de 6 heures par nuit, étaient 27 % plus susceptibles de souffrir d’athérosclérose que celles qui dormaient 7 à 8 heures par nuit. Les participants dont le sommeil était de mauvaise qualité (c.-à-d. plus fragmenté) étaient 34 % plus susceptibles de souffrir d’athérosclérose que ceux qui dormaient normalement. Aucune différence significative n’a été observée ce qui concerne la calcification des artères coronaires en fonction de la quantité de sommeil. La force de cette étude est que le sommeil a été mesuré objectivement, à l’aide d’un appareil qui est beaucoup plus fiable pour estimer la durée du sommeil que les questionnaires utilisés dans plusieurs études antérieures.
Dans l’ensemble, ce sont la carence et l’excès de sommeil (moins de 5 h ou plus de 9 h) qui sont à éviter, mais un sommeil de qualité d’une durée de 7 à 9 heures est un des facteurs (avec une bonne alimentation, l’exercice et autres saines habitudes de vie) qui pourrait augmenter les chances de vivre plus longtemps et en bonne santé.
Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.19 juin 2017
Mis à jour le 3 mai 2018
Au cours des dernières années, le régime cétogène a acquis une certaine popularité auprès de nombreux sportifs comme un moyen d’améliorer l’endurance à l’exercice intense et prolongé. Coup d’œil sur les bases scientifiques de ce régime et sur les derniers résultats de la recherche sur son impact sur la performance sportive.
Énergie musculaire
Les glucides (glycogène et glucose) et les lipides (triglycérides) sont les deux principales sources d’énergie pouvant être utilisées par les muscles au cours d’un exercice soutenu. En conditions normales, c’est toutefois le glucose qui représente le principal « carburant » nécessaire au maintien d’un effort intense. Emmagasiné sous forme de glycogène (polymère de glucose) au niveau des muscles et du foie, le glucose est progressivement libéré au cours de l’exercice et oxydé par les muscles pour produire l’ATP indispensable à la contraction des fibres musculaires. Selon la durée et l’intensité de l’exercice, ces réserves de glycogène (et donc de glucose) s’épuisent plus ou moins rapidement, menant à l’apparition de la fatigue et à une diminution de la performance lorsqu’elles atteignent un seuil insuffisant pour soutenir le travail des muscles. Le corps se tourne alors vers les réserves de gras comme source d’énergie, mais l’efficacité de ce système est plus limitée, car les gras sont mobilisés et oxydés à des vitesses relativement lentes par rapport aux glucides. En conséquence, on recommande généralement aux sportifs qui veulent améliorer leur endurance de maximiser leurs réserves de glycogène en augmentant l’apport énergétique en glucides pendant les quelques jours qui précèdent un exercice intense.
Au cours des dernières années, une approche complètement différente a été proposée pour contourner les limitations imposées par cette disparition des réserves de glucides et ainsi améliorer l’endurance. L’argument clé à la base de cette nouvelle stratégie est que le corps humain possède beaucoup plus de réserves d’énergie sous forme de graisse que de sucre : un individu moyen, même mince, stocke l’équivalent d’environ 40,000 calories sous forme de gras comparativement à seulement 2000 calories sous forme de glycogène. En conséquence, si on parvenait à entrainer les muscles à utiliser efficacement ce gras au lieu du sucre, on aurait une réserve quasi illimitée d’énergie disponible, amplement suffisante pour soutenir un effort de longue durée et éviter « le mur » qui guette les sportifs lorsque les réserves de glycogène sont épuisées.
Adaptation métabolique
Il est effectivement possible de forcer les muscles à préférer le gras au sucre en tirant profit de la très grande flexibilité de notre métabolisme. Au cours de l’évolution, la nourriture était souvent très rare et le corps humain s’est adapté à utiliser l’une ou l’autre de ces sources d’énergie selon leur disponibilité. Lors d’un manque de sucre, par exemple après quelques jours de jeûne ou d’une alimentation fortement carencée en glucides (< 20-50 g par jour), les réserves de glycogène diminuent drastiquement et les muscles se tournent alors vers les graisses pour produire l’ATP nécessaire à la contraction musculaire. L’adaptation à la carence en glucides est particulièrement intéressante dans le cas du cerveau, car le glucose est normalement le seul carburant utilisé par les neurones (les gras ne sont pas une option « de secours » car les triglycérides ne franchissent pas la barrière sang-cerveau). Lors d’une carence en glucose, le cerveau doit donc se tourner vers une source d’énergie alternative, les corps cétoniques, une classe de molécules formées au niveau du foie par le processus de cétogenèse (voir l’encadré). En somme, la rareté en glucides entraine deux principales adaptations métaboliques : 1) l’utilisation des gras comme principale source d’énergie pour la contraction musculaire; et 2) la production de corps cétoniques pour soutenir les besoins énergétiques du cerveau.
Les corps cétoniques
Même si le cerveau humain ne représente que 2 % du poids corporel, il consomme à lui seul environ 120 g par jour de glucose par jour, soit près de trente cuillères à thé ! Lorsque ce glucose devient insuffisant, comme c’est le cas lors d’un jeûne prolongé ou d’une alimentation carencée en glucides, l’évolution nous a dotés d’un mécanisme de secours d’une très grande efficacité pour maintenir un cerveau alerte : les corps cétoniques (voir figure ci-contre).
Au niveau du foie, les réserves de graisse sont tout d’abord converties en acétoacétate et en bêta-hydroxybutyrate (BHB) et ces corps cétoniques sont par la suite transportés par la circulation sanguine et captés par le cerveau où ils sont oxydés pour former de l’ATP. L’acétone, formée spontanément par la décarboxylation de l’acétoacétate, n’a pas de rôle métabolique, mais l’élimination de ce composé volatil par les poumons est responsable de l’haleine « fruitée » associée à des périodes de jeûne prolongé. En plus de servir de source d’énergie pour le cerveau, les corps cétoniques peuvent également être utilisés par d’autres organes, notamment le cœur et les muscles. Le cœur est particulièrement « friand » de ces corps cétoniques et les préfère même aux graisses lorsqu’ils sont présents en quantités suffisantes dans le sang. Cette préférence est particulièrement prononcée en cas d’insuffisance cardiaque où l’utilisation des corps cétoniques permet de compenser en partie la diminution du métabolisme des graisses qui survient au niveau du myocarde.
Du point de vue des performances sportives, l’intérêt des régimes cétogènes provient d’observations rapportant une endurance hors du commun chez des explorateurs qui s’alimentaient selon le régime tradionnel inuit, essentiellement dépourvu de toutes sources de glucides (85 % gras, 15 % protéines). Les études montrent que le métabolisme peut s’adapter à ces régimes très riches en gras et pauvres en glucides, mais cette adaptation est difficile et requiert plusieurs semaines pour dissiper la fatigue et la diminution du bien-être provoquées par un changement aussi drastique dans les habitudes alimentaires. Ces régimes cétogènes sont effectivement capables d’induire une plus grande utilisation de gras par les muscles, mais leur impact sur la performance demeure controversé. Entre 1985 et 2006, la majorité des études réalisées sur l’adaptation à ces régimes ne rapportent pas d’effets majeurs (positifs ou négatifs) sur l’amélioration de l’endurance et montrent au contraire que ce mode d’alimentation diminue la performance lors d’exercices à haute intensité ou encore en conditions anaérobiques (en raison d’un apport insuffisant de glucose aux muscles pour soutenir le travail en absence d’oxygène).
Ces résultats viennent d’être confirmés par une importante étude réalisée auprès de 21 marcheurs de calibre olympique. Au cours de leur entrainement intensif, les participants ont été séparés en 3 groupes, chacun suivant de façon rigoureuse un régime alimentaire différent :
- Un régime à haute teneur en glucides (« high-carb »), c’est-à-dire 60-65% glucides, 15-20% protéines et 20% gras.
- Un régime à haute teneur en glucides identique au premier groupe, mais qui varie d’un jour à l’autre selon les besoins de l’entrainement.
- Un régime cétogène (« low-carb, high fat »), contenant 75-80% de gras, 15-20% de protéines, et moins de 50 grammes de glucides par jour pour provoquer une cétose nutritionnelle.
Les résultats obtenus montrent que les athlètes soumis au régime cétogène « brûlent » beaucoup plus de gras que ceux nourris avec un régime riche en glucides, ce qui confirme que leur métabolisme s’est adapté à la carence en sucre et utilise principalement les graisses comme source d’énergie. Cette adaptation a toutefois un prix : l’oxydation des glucides génère environ 8 % plus d’ATP par unité d’oxygène consommé, ce qui signifie que les marcheurs du groupe cétogène devaient augmenter leur consommation d’oxygène pour soutenir le rythme d’une épreuve. L’utilisation préférentielle des graisses entraine donc une dépense énergétique supplémentaire qui a des répercussions directes sur la performance : alors les marcheurs des groupes riches en glucides ont vu leurs chronos s’améliorer d’environ 6 % après la période d’entrainement, ceux du groupe cétogène ne montraient aucune amélioration, les bénéfices de l’entrainement sur la forme physique étant d’une certaine façon annulés par le plus fort coût énergétique associé à l’oxydation des graisses.
Dans l’ensemble, les observations réalisées au cours des dernières années ne permettent donc pas d’affirmer que le régime cétogène est supérieur à une alimentation riche en glucides pour améliorer l’endurance et la performance de la plupart des sportifs. Il s’agit également d’un régime extrême, très difficile à soutenir sur de longues périodes en raison de l’élimination d’un très grand nombre d’aliments couramment consommés (produits céréaliers, fruits et légumineuses, entre autres). Sans compter que plusieurs de ces aliments sont des sources majeures de fibres alimentaires et leur exclusion peut entrainer de la constipation. Une hausse du risque de lithiases néphrétiques (calculs rénaux) a également été rapportée. Du point de vue cardiovasculaire, certaines études réalisées auprès d’enfants épileptiques traités quelques années avec des régimes cétogènes montrent une augmentation des lipoprotéines-apoB athérogéniques et une diminution du cholestérol-HDL, ce qui suggère que ce type de régime pourrait favoriser formation de plaques d’athérosclérose et augmenter le risque d’événements cardiovasculaires. D’autres études n’ont cependant pas observé ces modifications au profil lipidique et l’impact du régime cétogène sur la santé cardiovasculaire demeure donc incertain. Quoi qu’il en soit, compte tenu des nombreux inconvénients qui sont associés à ce type d’alimentation et de l’absence de bénéfices mesurables sur la performance sportive, le régime cétogène ne semble pas représenter une option réellement intéressante pour les athlètes.
Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.17 juin 2017
Les salicylates ont été utilisés depuis l’antiquité pour soulager la douleur, la fièvre et l’inflammation. Ce n’est cependant qu’au milieu du siècle dernier que des médecins ont reconnu les propriétés antithrombotiques de l’aspirine (acide acétylsalicylique ou AAS) et ont commencé à l’utiliser pour prévenir l’infarctus du myocarde. On sait aujourd’hui que l’aspirine empêche l’agrégation des plaquettes sanguines et par conséquent la formation des caillots, en inhibant de façon irréversible la cyclo-oxygénase-1 (COX-1), une enzyme qui est impliquée dans la biosynthèse des prostaglandines et thromboxanes (voir notre article sur les anti-inflammatoires non stéroïdiens). Il est bien établi que l’aspirine est bénéfique en prévention secondaire, c’est-à-dire pour les patients qui souffrent de maladie tels l’angine, le syndrome coronarien aigu, l’ischémie myocardique et pour ceux qui ont subi un pontage aorto-coronarien ou une angioplastie coronaire. L’aspirine pourrait aussi être bénéfique en prévention primaire, c’est-à-dire pour prévenir les accidents cardiovasculaires chez les personnes qui n’en ont jamais eu, mais qui sont néanmoins à risque. Depuis quelques dizaines d’années, l’aspirine est utilisée à faible dose pour prévenir l’infarctus du myocarde (IM) et les accidents vasculaires cérébraux (AVC). Selon une récente méta-analyse de 10 études, en prévention primaire l’aspirine réduit d’environ 22 % le risque d’IM, mais ne réduit pas le risque d’AVC. Cependant, en ne tenant compte que des 7 études où uniquement de faibles doses (<100 mg/jour) d’aspirine étaient utilisées, la méta-analyse montre une réduction de 14 % du risque d’AVC. La réduction des risques absolus d’IM et d’AVC par l’aspirine à faible dose en prévention primaire est modeste : 4 à 5 infarctus et 4 AVC pour 1000 personnes traitées en 10 ans. Par contre, l’aspirine augmente le risque de saignements, principalement des saignements gastro-intestinaux (3 cas sur 10 000 dans la population globale) et des hémorragies intracrâniennes (1 cas sur 10 000). L’aspirine est donc généralement offerte en prévention primaire lorsque les avantages surpassent les risques, c’est-à-dire lorsque les patients présentent un risque élevé de maladies cardiovasculaires et un faible risque de saignements. Le risque cardiovasculaire est estimé à l’aide d’une échelle d’évaluation dont la plus connue est celle inspirée des résultats de l’étude de Framingham, en fonction d’une série de facteurs de risques : âge, sexe, tabagisme, taux de cholestérol, tension artérielle, diabète, antécédents familiaux. Il n’existe pas d’échelle validée pour estimer le risque de saignement associé à l’aspirine mais les principaux facteurs de risques dont on doit tenir compte sont l’âge avancé (>70 ans), ulcère gastroduodénal, antécédent de saignements, insuffisance rénale, insuffisance hépatique, problèmes de coagulation, cancer, usage d’anti-inflammatoires non stéroïdiens ou de corticostéroïdes.
52 % des Américains âgés de 45 à 75 ans ont déclaré prendre de l’aspirine chaque jour, mais malgré sa popularité l’utilisation de l’aspirine pour la prévention primaire des maladies cardiovasculaires est toujours matière à débats. En 2014, la Food and Drug Administration (FDA) a émis un avis indiquant que les données probantes n’appuient pas l’utilisation généralisée de l’aspirine pour la prévention primaire des infarctus du myocarde et des AVC. Par contre, un comité indépendant composé d’experts, le US Preventive Services Task Force (USPSTF), a recommandé en 2016 l’aspirine à faible dose pour prévenir le cancer colorectal et les maladies cardiovasculaires pour les adultes âgés de 50 à 59 ans et qui ont un risque d’au moins 10 % d’avoir une maladie cardiovasculaire dans les 10 prochaines années. Les adultes de 60 à 69 ans qui ont un risque d’au moins 10 % d’avoir une maladie cardiovasculaire dans les 10 prochaines années pourraient aussi bénéficier de la prise d’aspirine selon l’USPSTF, mais la décision doit être prise au cas par cas. La Société canadienne de cardiologie ainsi que l’American Heart Association ne recommandent pas la prise quotidienne d’aspirine à faible dose en prévention primaire d’événements cardiovasculaires sauf s’il y a risque de MCV élevé et un faible risque de saignements. Selon les lignes directrices de l’Association canadienne du diabète, il faut éviter d’utiliser l’aspirine pour la prévention primaire des maladies cardiovasculaires chez les personnes atteintes de diabète puisque les études chez les patients diabétiques ne montrent aucune efficacité et un risque accru de saignements. On peut toutefois l’utiliser pour la prévention secondaire.
Il y a un risque d’hypercoagulabilité et donc d’accidents thrombotiques lorsqu’on cesse de prendre quotidiennement de l’aspirine. Selon une étude cas-témoin réalisée au Royaume-Uni, les personnes qui avaient récemment cessé de prendre de l’aspirine avaient augmenté significativement leur risque d’infarctus du myocarde non mortels. Le risque de décès causé par la maladie coronarienne n’a pas augmenté significativement chez les personnes qui avaient cessé de prendre de l’aspirine. Parmi 1000 patients, il s’était produit 4 cas d’infarctus du myocarde non mortels de plus chez les patients qui avaient cessé de prendre de l’aspirine à faible dose comparativement à ceux qui avaient continué à suivre le traitement. Une étude suédoise auprès de 601 527 utilisateurs d’aspirine à faible dose a montré qu’après 3 ans, ceux qui avaient cessé de prendre l’aspirine avaient un risque 37 % plus élevé d’accident cardiovasculaire. Les auteurs de cette étude suggèrent qu’en l’absence d’opérations lourdes ou de saignements, l’adhésion au traitement à l’aspirine à faible dose pourrait être importante en prévention primaire et secondaire. Cesser de prendre de l’aspirine ne doit pas être fait sans consulter son médecin-cardiologue qui fera une évaluation des risques par rapport aux bienfaits.
Une étude populationnelle indique que les patients âgés qui prennent de l’aspirine en prévention secondaire, mais sans utiliser en routine un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) sont plus à risque que les patients plus jeunes d’avoir des saignements majeurs. À l’âge de 75 ans ou plus, les saignements sévères de l’appareil gastro-intestinal supérieur sont pour la plupart invalidants ou fatals. Par conséquent, il est conseillé aux patients âgés de 75 ans ou plus d’utiliser un co-traitement avec un IPP (Pantoloc®, Pariet®, Prevacid®, Tecta®, Losec®, Nexium® ou Dexilant®) s’il est absolument nécessaire de prendre de l’aspirine.
Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.7 juin 2017
Mis à jour le 22 mars 2019
Alors qu’il y un siècle à peine chaque aspect du quotidien faisait intervenir un effort physique, autant au travail qu’à la maison, la mécanisation et les technologies modernes ont permis de remplacer ces travaux par des activités beaucoup moins exigeantes physiquement. Une étude a estimé que le niveau d’activité associé au style de vie des colons australiens au début du 19e siècle était de 1,6 à 2,3 fois plus élevé que celui du style de vie moderne, une différence énorme, équivalente à 8-16 km de marche par jour. De nos jours, une personne qui va travailler en voiture, prend l’ascenseur pour se rendre à son bureau et passe l’essentiel de sa journée devant un ordinateur n’utilise pratiquement pas ses muscles au cours de la journée, une situation qui peut même empirer si elle consacre le reste de sa journée à des loisirs passifs devant un écran (télévision, téléphone, tablette, ordinateur). Selon Statistique Canada, un adulte consacre en moyenne chaque jour 9 heures et 48 minutes de sa période d’éveil à des activités sédentaires, dépourvues de toute dépense physique. En 2012 et 2013, à peine 22 % de la population canadienne a fait le minimum recommandé de 150 minutes d’activité physique d’intensité modérée par semaine, une proportion qui devient encore plus faible (12 %) chez les personnes âgées de 60 ans et plus. Cette sédentarité moderne a de graves conséquences sur la santé de la population : par exemple, une étude réalisée en Australie auprès de plus de 8800 personnes a montré que les personnes qui regardent la télévision plus de 4 heures par jour ont 80 % plus de risque de mourir des suites d’une maladie cardiovasculaire que celles qui en regardent moins de 2 heures par jour. Les chercheurs australiens estiment que chacune des heures passées devant le téléviseur augmente de 18 % le risque de mourir d’une maladie du cœur. Malheureusement, selon le Conseil de la Radio-télédiffusion du Canada (CRTC), les Canadiens passent en moyenne 27,2 heures par semaine devant la télévision (42 heures pour le groupe d’âge 65 ans et plus). Une augmentation du risque de diabète de type 2 et de certains cancers a aussi été observée chez les téléphages, illustrant à quel point être inactif pendant des périodes prolongées peut avoir des répercussions néfastes sur la santé.
Il est maintenant bien établi que l’activité physique régulière joue un rôle très important dans la prévention de plusieurs maladies chroniques, dont les maladies cardiovasculaires, certains types de cancer, l’ostéoporose, le diabète, l’obésité, l’hypertension, la dyslipidémie, la dépression, le stress et l’anxiété. Non seulement les bienfaits de l’activité physique sont nombreux, mais la quantité d’exercice requise pour profiter de ces bienfaits est beaucoup moins élevée qu’on peut le penser. Ceci est particulièrement bien illustré par les résultats d’une très grande étude réalisée à Taiwan. En examinant les niveaux d’activité physique de presque un demi-million d’hommes et de femmes pendant 8 ans, les chercheurs ont en effet démontré qu’aussi peu que 15 minutes d’activité physique modérée par jour (la marche par exemple) suffisent pour diminuer de façon marquée le nombre de décès total, de même que le taux de mortalité associée aux maladies cardiovasculaires, au diabète et à certains cancers. Évidemment, l’ampleur de ces bienfaits sera encore plus grande si on augmente la durée et l’intensité de l’activité physique effectuée (figure 1).

Figure 1. Comparaison des bienfaits de la marche et de la course. Tirée de Wen et al., 2014.
Par exemple, si 15 minutes d’une activité modérée telle que la marche réduisent de 14 % le risque de mort prématurée, ce risque sera diminué de près de 20 % si on marche 30 minutes, pour atteindre un maximum d’environ 35 % pour 90 minutes de marche par jour. Le point à retenir, par contre, est que le simple fait de cesser d’être sédentaire et de bouger, même très légèrement, procure des bénéfices mesurables sur la santé.
Une étude auprès de 88 140 Américains âgés de 40 à 85 ans, qui ont été suivis sur une période de 9 ans, montre qu’il y a une association entre le fait de faire un peu d’activité physique durant les loisirs et une réduction du risque de mortalité de toute cause. En effet, comparées aux personnes inactives, les personnes qui faisaient 10 à 59 minutes d’activité physique d’intensité modérée par semaine durant les loisirs (marche rapide par exemple) avaient un risque 18 % moins élevé de mortalité de toute cause et un risque 12 % moins élevé de mortalité d’origine cardiovasculaire. Pour les personnes qui faisaient de l’exercice physique d’intensité modérée plus longtemps, soit de 150 à 299 minutes/semaine, le risque de mortalité de toute cause diminuait encore davantage, c.-à-d. de 31 % (37 % pour la mortalité d’origine cardiovasculaire). Dans cette étude, les personnes qui ont pratiqué une activité d’intensité vigoureuse ont réduit davantage le risque de mortalité que celles qui ont fait de l’exercice d’intensité modérée.
Ces bienfaits ne se limitent cependant pas à l’activité physique réalisée pendant les loisirs. Par exemple, dans une étude réalisée au Japon, les niveaux d’activité physique totale (incluant les tâches ménagères, déplacements pour se rendre au travail, loisirs, etc.) ont été examinés chez 74 913 participants âgés de 50 à 79 ans. Les chercheurs ont observé qu’un niveau d’activité physique modéré (5-10 MET–h/jour diminue d’environ 30 % le risque de maladie cardiovasculaire comparativement à ceux qui avaient rapporté un niveau d’activité physique très faible. Un niveau d’activité de 5 MET-h/jour correspond à environ 90 minutes de marche à une vitesse modérée par jour. Ce niveau d’activité physique semble même être suffisant pour atteindre un effet maximal puisque des niveaux d’activité physique plus élevés n’ont pas réduit davantage le risque de MCV. Profiter des bienfaits de l’activité physique est donc à la portée de tous et le simple fait de pratiquer des activités modérées dans notre routine quotidienne, la marche, le jardinage et les tâches ménagères, par exemple, est suffisant pour diminuer significativement le risque maladie cardiovasculaire, procurer une foule de bienfaits pour la santé et améliorer de façon marquée la qualité de vie.
Pollution, activité physique et risque d’infarctus du myocarde
L’activité physique augmente l’absorption des polluants atmosphériques, ce qui pourrait potentiellement réduire ses effets bénéfiques. Une étude populationnelle danoise a examiné si les bienfaits de l’exercice physique sur le risque d’infarctus du myocarde étaient réduits par la pollution atmosphérique. Les personnes vivant dans les endroits les plus pollués du pays, où le niveau d’exposition au dioxyde d’azote (NO2) était le plus élevé, avaient un risque accru de 17 % d’avoir un infarctus du myocarde et un risque accru de 39 % de récurrence, comparé aux personnes vivant dans les régions les moins polluées. L’activité physique était associée à une réduction significative du risque d’infarctus chez l’ensemble des participants : –15 % pour les sports, –9 % pour le cyclisme, –13 % pour le jardinage. Les résultats ne sont pas significativement différents lorsque les participants vivants dans des endroits pollués (NO2 ≥ 21 µg/m3) sont comparés à ceux vivant dans des endroits moins pollués (NO2< 14,3 µg/m3). Autrement dit, l’activité physique diminue le risque d’infarctus autant dans un milieu pollué que dans un milieu moins pollué. Les auteurs de l’étude suggèrent tout de même d’éviter autant que possible de faire de l’exercice en milieu pollué, par exemple en évitant les voies urbaines achalandées et en choisissant plutôt des rues secondaires moins polluées.