Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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27 mai 2020
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La Covid-19 est une maladie qui touche aussi les vaisseaux sanguins

En bref

  • Une forte proportion de patients atteints de la Covid-19 présentent des désordres de la coagulation qui se manifestent cliniquement par des thromboses veineuses et des embolies pulmonaires.
  • Ces désordres seraient causés, au moins en partie, par une attaque directe du coronavirus sur les cellules endothéliales qui tapissent l’intérieur des vaisseaux sanguins, provoquant une formation anormale de caillots sanguins.
  • La présence de ces caillots est particulièrement importante chez les patients qui développent des complications sévères de la Covid-19 et contribuent à la hausse du risque de mortalité observé chez cette population.

Au fur et à mesure que la pandémie de Covid-19 progresse, il devient de plus en plus évident que le coronavirus responsable de cette maladie n’est pas un virus respiratoire comme les autres. Les poumons sont bien entendu les principaux organes touchés par ce virus et la plupart des patients qui développent des complications sévères ou décèdent de la Covid-19 présentent des atteintes pulmonaires graves.  Cependant, un grand nombre d’études ont rapporté plusieurs cas cliniques très particuliers qui n’avaient jusqu’à présent jamais (ou très rarement) été décrits pour ce type d’infection virale, notamment des atteintes sévères au niveau du cœur, du système digestif, des reins, et du cerveau.

Désordres de la coagulation

Les données recueillies jusqu’à présent indiquent que la formation anormale de caillots sanguins (thromboses) représente une autre manifestation inhabituelle de la Covid-19 qui pourrait jouer un rôle très important dans la sévérité de la maladie. Plusieurs médecins ont rapporté dès le début de la pandémie une incidence anormalement élevée de phénomènes liés à une diminution de la circulation sanguine, comme un bleuissement au niveau des membres inférieurs (les orteils, par exemple), ainsi que de thromboses veineuses profondes (phlébites). La présence de ces caillots sanguins dans les veines est extrêmement dangereuse, car ils peuvent migrer dans la circulation sanguine, atteindre le ventricule droit du cœur et bloquer par la suite les artères pulmonaires pour causer des embolies.  En ce sens, il faut noter que des études réalisées en Hollande et en France indiquent qu’environ 20-30 % des patients atteints des formes sévères de Covid-19 sont touchés par ces thromboses veineuses et que les embolies pulmonaires représentent la complication la plus fréquente de ces désordres de coagulation. Ceci a été confirmé par une étude d’autopsie réalisée auprès de 12 patients décédés de la Covid-19 : 7 de ces patients présentaient des thromboses profondes, avec 4 d’entre eux qui étaient décédés des suites d’embolies pulmonaires.

Ces embolies pulmonaires semblent véritablement représenter une « signature » du coronavirus responsable de la Covid-19 : par exemple, une étude a rapporté la présence d’embolies pulmonaires chez 17 % des patients atteints d’un syndrome respiratoire sévère causé par la Covid-19, alors que ces embolies sont présentes chez seulement 2 % des patients atteints également d’un syndrome respiratoire sévère, mais non relié à la Covid-19. La contribution de ces caillots à la sévérité de la Covid-19 est bien illustrée par des études montrant que des taux sanguins élevés de d-dimères, un marqueur de thrombose, étaient associés à une hausse très importante (18 fois) du risque de mortalité de la COVID-19.  De plus, il a été rapporté que 71 % des patients décédés de cette maladie présentaient de multiples caillots sanguins disséminés tout le long de leur réseau de vaisseaux sanguins (coagulation intravasculaire disséminée), un phénomène observé chez seulement 0.6 % des patients ayant survécu à la maladie.

Les désordres de coagulation engendrés par le coronavirus ne se limitent pas aux veines, mais semblent toucher aussi les artères. Par exemple, une des complications les plus étonnantes de la Covid-19 est l’observation d’AVC causés par une obstruction des principales artères alimentant le cerveau (large-vessel strokes) chez de jeunes adultes (moins de 50 ans) vivant à New York.  Les études réalisées en Chine ont également documenté la présence de ces AVC chez environ 5 % des patients, ceux-ci étant cependant plus âgés que ceux touchant les jeunes New-Yorkais. Dans l’ensemble, ces observations montrent clairement que les désordres de coagulation sont une conséquence fréquente de l’infection par le coronavirus SARS-CoV-2 et contribuent grandement au développement de complications graves de la maladie.

Cellules endothéliales ciblées

Un des facteurs impliqués dans cette perturbation du processus normal de coagulation semble être l’action directe du virus sur les cellules qui tapissent les vaisseaux sanguins, ce qu’on appelle l’endothélium. En conditions normales, une des principales fonctions de cet endothélium est d’assurer une bonne circulation sanguine, notamment en empêchant la formation de caillots sanguins.  Par contre, lorsque ces cellules endothéliales sont endommagées par des agresseurs physiques (coupure, blessure) ou biochimiques (inflammation, agents pathogènes), la rupture de la barrière endothéliale permet aux facteurs impliqués dans la coagulation d’entrer en contact avec le sang et de former des caillots de fibrine pour restaurer l’intégrité de l’endothélium.

Chez les patients qui développent des formes sévères de Covid-19, on observe fréquemment une réponse inflammatoire exagérée, souvent appelée « tempête » ou « orage » de cytokines. Cette inflammation de forte intensité rend les vaisseaux sanguins très perméables et est donc perçue par le corps comme une blessure, ce qui entraine une activation de la coagulation et la formation de caillots. Ce processus peut être amplifié par la présence d’anticorps antiphospholipides, un désordre autoimmun lui aussi associé à un risque accru de thromboses. On sait aussi maintenant que le récepteur qui permet l’entrée du coronavirus SARS-CoV-2 dans les cellules est présent en quantités importantes à la surface des cellules endothéliales, de sorte que le virus peut attaquer directement l’endothélium et provoquer des dommages qui vont entrainer l’activation de la coagulation.  Ce phénomène a été visualisé au cours d’une étude d’autopsie récemment publiée dans le New England Journal of Medicine : en examinant des échantillons de poumons provenant de patients décédés de la Covid-19, les chercheurs ont noté la présence de multiples particules virales dans les vaisseaux sanguins, ainsi que de nombreux dommages affectant la structure des cellules endothéliales.  Cette atteinte endothéliale était accompagnée par la présence d’un grand nombre de petits caillots obstruant la circulation sanguine dans les microvaisseaux sanguins pulmonaires.  Ces phénomènes semblent propres à la Covid-19, car l’examen en parallèle de poumons de patients décédés de l’influenza (H1N1) n’a pas révélé d’infection des cellules endothéliales par le virus et une incidence beaucoup plus faible (9 fois) de caillots sanguins dans les vaisseaux pulmonaires.  Ceci pourrait expliquer pourquoi la ventilation mécanique des patients atteints des formes sévères de Covid-19 est souvent impuissante à augmenter les taux d’oxygène sanguins : non seulement la respiration est compromise par la présence de liquide ou de pus au niveau des alvéoles pulmonaires, mais en plus les dommages infligés aux cellules endothéliales et la présence de multiples caillots qui obstruent les vaisseaux empêchent le sang de circuler et d’être oxygéné.

Les impacts de ces phénomènes ne sont évidemment pas exclusifs aux poumons : chaque organe de l’organisme est irrigué par les vaisseaux sanguins, de sorte que l’infection de l’endothélium par le virus, combinée à une formation accrue de caillots sanguins, peut grandement contribuer aux effets dévastateurs du virus sur le fonctionnement de plusieurs organes.

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