Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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15 juin 2020
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L’environnement social, essentiel à la santé mentale et physique

En bref

  • Un très grand nombre d’études ont établi une association étroite entre un réseau social inadéquat et un risque accru de développer une panoplie de maladies et de mourir prématurément.
  • Un des grands défis de la lutte aux maladies infectieuses comme la Covid-19 est donc de trouver un équilibre entre les mesures nécessaires pour prévenir la transmission virale, tout en maintenant un niveau d’interactions sociales suffisantes pour le bien-être mental et physique de la population.

Le confinement de la population en réponse à la pandémie de Covid-19 a permis de réduire substantiellement le nombre de personnes infectées par le coronavirus SARS-CoV-2 : selon les estimations récentes, les mesures implantées pour contenir l’épidémie ont permis de prévenir environ 530 millions d’infections au niveau mondial, incluant 285 millions en Chine et 60 millions aux États-Unis.  Ces mesures font cependant en sorte que moins de 4 % de la population semble avoir été infectée par le virus, ce qui signifie que le combat est loin d’être gagné et qu’il faut demeurer vigilant si on veut éviter d’autres vagues d’infection.

Un des principaux défis de la lutte à la Covid-19 est de trouver un équilibre entre les mesures nécessaires pour prévenir la transmission virale tout en maintenant un niveau d’interactions sociales suffisantes pour le bien-être de la population.  Les humains sont des animaux sociaux et on a beaucoup parlé, à juste titre, des effets délétères du confinement sur la santé mentale.  Ceci est confirmé par les résultats d’un sondage récemment publié dans le journal de l’association médicale américaine (JAMA) : à l’aide d’un questionnaire développé pour évaluer la présence de troubles mentaux (Kessler 6 Psychological Distress Scale),  les chercheurs ont noté qu’en avril 2020, soit pendant l’épidémie de Covid-19, 14 % des adultes américains présentaient des symptômes sérieux de détresse psychologique comparativement à 4 % en 2018. Ces symptômes étaient particulièrement fréquents chez les jeunes adultes âgés de 18 à 29 ans (24 %), ainsi que chez les ménages à faible revenu (moins de 35,000$ par année).

Atteintes physiques

Il ne faudrait pas non plus oublier que l’environnement social exerce une énorme influence sur la santé physique en général.  On sait depuis longtemps que certains paramètres de notre vie en société, en particulier le niveau d’intégration sociale, le statut socioéconomique et les expériences négatives en bas âge, sont parmi les principaux facteurs prédicteurs de l’état de santé des individus et de leur espérance de vie. Des perturbations de la vie en société, comme celles engendrées par une épidémie à grande échelle, peuvent donc à moyen et long terme avoir des conséquences négatives sur la santé de la population.

Un très grand nombre d’études ont d’ailleurs établi une association très nette entre l’adversité sociale (expériences négatives de la vie en société) et un risque accru de développer une panoplie de maladies et de mourir prématurément (Figure 1).  Trois principaux aspects ont été étudiés : Intégration sociale. Les études montrent que le niveau d’intégration sociale (interactions positives avec famille, amis et/ou collègues, support émotionnel et physique de l’entourage) augmente de 30 à 80 % l’espérance de vie des personnes (Fig. 1B).  À l’inverse, une faible intégration sociale (ce qu’on appelle aussi l’isolement social) est associée à une hausse du risque de plusieurs maladies, en particulier les maladies cardiovasculaires (Fig. 1E), et à une hausse d’environ 50 % de la mortalité globale, soit un risque similaire à celui associé à des facteurs de risque bien connus comme l’obésité, l’hypertension ou la sédentarité (voir aussi notre article à ce sujet).  Cet impact du niveau d’intégration sociale sur la santé semble être biologiquement « programmé », car des effets similaires ont été observés chez un grand nombre d’animaux sociaux, incluant les primates, les rongeurs, les baleines et les chevaux. À l’échelle de l’évolution de la vie sur Terre, le lien entre le degré d’intégration sociale et l’espérance de vie existe donc depuis plusieurs millions d’années et peut donc être considéré comme une caractéristique fondamentale de la vie de plusieurs espèces, incluant la nôtre.

Statut socioéconomique.  Une autre conséquence des mesures de distanciation sociale est de perturber l’activité économique et, du même coup, de causer une baisse ou même une perte de revenus chez plusieurs personnes.  On sait depuis longtemps qu’il existe une corrélation étroite entre les inégalités socioéconomiques (généralement mesurées par le revenu des ménages) et la santé de la population : dès les années 1930, par exemple,  on a observé au Royaume-Uni que le risque de décéder d’une maladie cardiovasculaire était deux fois plus élevé chez les hommes de classe sociale inférieure comparativement à ceux des classes supérieures.  Les études réalisées depuis ce temps ont montré que ces différences de revenus sont associées à une hausse de la prévalence d’un grand nombre de maladies (Fig. 1D) et à une diminution importante de l’espérance de vie (Figure 1A). Aux États-Unis, la comparaison du 1 % de la population la moins riche au 1 % de la population la plus riche indique que cette différence de longévité est de l’ordre de 15 ans chez les hommes et de 10 ans chez les femmes. Cette différence peut être moins prononcée dans les pays ayant un meilleur filet social que les Américains (comme le Canada), mais demeure néanmoins importante : à Montréal, par exemple, l’espérance de vie de résidants de Hochelaga-Maisonneuve était de 74,2 ans en 2006-2008, comparativement à 85,0 ans pour les résidents de Saint-Laurent, un écart de près de 11 ans. (voir notre article sur le sujet).

Expériences négatives de l’enfance.  Les premières années de vie représentent une période d’extrême vulnérabilité à l’environnement extérieur, autant physique que social. Un des dangers associés aux périodes de confinement prolongé est d’exposer certains enfants vivant dans des conditions précaires à un risque accru de traumatismes. Il semble que ce soit malheureusement le cas pour l’épidémie de Covi-19, car des pédiatres américains ont récemment rapporté une hausse anormale d’enfants admis à l’hôpital pour des traumatismes physiques sévères.

Il s’agit d’une situation extrêmement inquiétante, car il a été clairement démontré que l’adversité sociale en bas âge est associée à une hausse du risque de plusieurs maladies, incluant les maladies cardiovasculaires, les AVC, les maladies respiratoires et le cancer (Fig. 1 F), de même qu’à une plus grande susceptibilité aux infections virales et à une mortalité prématurée (Fig. 1C). Ces impacts négatifs qui se produisent durant l’enfance semblent former une empreinte durable qui persiste tout au long de la vie, même lorsqu’il y a une amélioration des conditions de vie: par exemple, une étude réalisée auprès de médecins américains a rapporté que les sujets qui avaient vécu en bas âge dans une famille à statut socioéconomique faible avaient un risque deux fois plus élevé de maladies cardiovasculaires prématurées (avant 50 ans), et ce même s’ils étaient parvenus à atteindre un statut socioéconomique élevé à l’âge adulte.

Figure 1. Association entre l’adversité sociale et le risque de maladies et de mortalité prématurée.  (A) Espérance de vie à 40 ans pour les hommes et femmes américaines selon le revenu annuel. (B) Proportion des sujets en vie après un suivi de 9 ans en fonction de l’indice du réseau social (quantité et qualité des relations sociales) (n = 6298 personnes). (C) Age moyen au décès en fonction de nombre d’expériences négatives qui se sont produites durant l’enfance (n = 17,337 personnes). (D) Prévalence de diverse maladies chez les adultes Américains en fonction de leur revenu annuel (n = 242,501 personnes). (E) Risque de maladie selon le niveau d’intégration sociale chez les adultes Américains (n = 18,716 personnes) (F) Risque de maladie selon le nombre d’expériences négatives de l’enfance (n = 9508 personnes). Tiré de Snyder-Mackler et Coll. (2020).

Rôle du stress chronique

Plusieurs études indiquent que le stress joue un rôle important dans l’association entre l’adversité sociale et la hausse du risque de maladies et de mortalité prématurée.  Toutes les formes d’adversité sociale, qu’il s’agisse d’isolement social, d’une insuffisance de revenus pour combler les besoins ou les traumatismes infantiles sont perçus par le corps comme une forme d’agression et provoque de ce fait l’activation des mécanismes physiologiques impliqués dans la réponse au stress, comme la sécrétion de cortisol et d’adrénaline.  Par exemple, il a été montré que l’exposition à une forme d’adversité sociale était associée à des modifications épigénétiques (méthylation de l’ADN) qui modifient l’expression de certains gènes inflammatoires et impliqués dans la réponse au stress. Les études montrent également que les individus qui sont isolés socialement  tendent à adopter des comportements plus néfastes pour la santé (tabagisme, sédentarité, excès d’alcool, etc.), ce qui contribue évidemment à diminuer l’espérance de vie.

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