Dr Louis Bherer, Ph. D., Neuropsychologue

Professeur titulaire, Département de Médecine, Université de Montréal, Directeur adjoint scientifique à la direction de la prévention, chercheur et Directeur du Centre ÉPIC, Institut de cardiologie de Montréal.

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13 novembre 2023
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Activité physique, exercice et santé du cerveau !

En bref

  • L’exercice physique est un des principaux facteurs modifiables du mode de vie qui peuvent améliorer la santé du cerveau et réduire le risque de déclin cognitif.
  • Les personnes âgées qui pratiquent régulièrement de l’activité physique ont un déclin cognitif moins prononcé et sont moins à risque de développer une démence que les personnes âgées sédentaires et peu actives.  
  • L’exercice physique améliore la connectivité entre les neurones et augmente les taux sanguins de certains facteurs de croissance qui favorisent la plasticité cérébrale, en particulier au niveau de l’hippocampe et du cortex frontal.
  • Chez les personnes âgées, l’augmentation de la forme cardiovasculaire qui découle de l’exercice régulier a de nombreux bienfaits sur le cerveau et l’hippocampe.

Comme pour l’ensemble des organes du corps humain, les capacités fonctionnelles du cerveau déclinent progressivement au cours du vieillissement. Ce déclin se manifeste par une diminution des capacités d’apprentissage et de mémoire, de la vitesse de prise de décision, des perceptions sensorielles (audition, vision, odorat, goût), de la coordination motrice ainsi que des processus cognitifs supérieurs comme l’abstraction, le jugement ou la résolution de problèmes.

La diminution de la performance cérébrale au cours du vieillissement est corrélée avec des changements au niveau de la structure du cerveau, avec notamment une réduction du volume cérébral et de l’hippocampe (le siège de la mémoire), ainsi que de l’intégrité des matières blanches et grises des régions frontales impliquées dans les processus cognitifs supérieurs. Ces phénomènes semblent s’accélérer après 50 ans et en conséquence augmentent considérablement le risque de maladies neurodégénératives chez les personnes qui atteignent un âge avancé : à partir de 65 ans, par exemple, le risque de développer la maladie d’Alzheimer double à chaque 5 ans, pour atteindre près de 50 % après 85 ans. Il s’agit d’une situation préoccupante, car avec le vieillissement de la population mondiale on estime que le nombre de patients touchés par la maladie d’Alzheimer va tripler au cours des prochaines années, passant de 50 millions à environ 130 millions de personnes en 2050.

Cette situation n’est cependant pas irréversible. Plusieurs études réalisées au cours des dernières années suggèrent que certaines habitudes de vie pourraient contribuer à ralentir les changements structuraux fonctionnels du cerveau qui se produisent en vieillissant. Les données actuellement disponibles suggèrent que plusieurs facteurs modifiables pourraient contribuer à ralentir ce déclin des fonctions cognitives associé à l’âge et ainsi à prévenir l’apparition de démences, comme le contrôle des maladies chroniques, la qualité du sommeil, les interactions sociales, le dépistage des troubles auditifs, la stimulation cognitive et faire régulièrement de l’activité physique. 

De tous ces facteurs, c’est sans doute l’effet protecteur de l’activité physique qui a été le plus étudié et qui est le mieux documenté. Plusieurs études réalisées au cours des 15 dernières années ont en effet observé que les personnes qui sont physiquement actives sont moins affectées par une détérioration de leurs fonctions cognitives en vieillissant et sont moins à risque d’être touchées par différents types de démences. Par exemple, dans les études qui comparent les performances cognitives de personnes âgées à celles de personnes plus jeunes, on observe généralement que la perte de performance associée au vieillissement est moins prononcée chez les personnes âgées qui sont en bonne forme physique que chez celles qui sont sédentaires. Par exemple, une revue de 16 études prospectives (163,797 participants au total) sur ce sujet a montré que des niveaux d’activité physique élevés étaient associés à une diminution de 28 % des démences en général, une protection qui atteignait même 45 % pour la maladie d’Alzheimer. Des résultats similaires ont été obtenus dans une méta-analyse de 26 études sur le sujet, les personnes les plus actives montrant une réduction de 35 % du risque de déclin cognitif et de 14 % du risque de démence comparativement à celles qui étaient sédentaires. 

La quantité d’exercice requise pour procurer le maximum de bénéfices cognitifs demeure incertaine, mais l’analyse rigoureuse d’une centaine d’études réalisées auprès de 11,061 participants (âge moyen de 73 ans) suggère qu’une heure d’activité physique modérée (marche, vélo, danse, etc.) trois fois par semaine est associée à une amélioration significative de la vitesse de traitement de l’information et des fonctions exécutives (planification, résistance aux distractions, jugement). Bien que les effets positifs s’observent rapidement, après 10-12 semaines d’activité physique, les effets les plus prononcés et robustes sur les performances cognitives s’observent après 6 mois d’exercice à raison de trois par semaines et après une année sur les marqueurs de volume cérébral.

Quant au type d’exercice à préconiser, les études suggèrent que les activités physiques cardiorespiratoires, comme la marche rapide ou la course sont essentielles. En effet, un lien entre la cognition et la forme cardiovasculaire (aussi appelée « aptitude aérobie maximale » ou cardiovascular fitness en anglais) a également été observé dans un grand nombre d’études.

 Plus récemment, une étude qui a suivi pendant 44 ans (à partir de 1968) un groupe de 1462 femmes suédoises âgées de 38 à 60 ans a rapporté que celles qui présentaient la meilleure forme cardiovasculaire avaient un risque d’être atteintes de démences diminué de 90 % comparativement à celles qui étaient sédentaires. D’autres études démontrent aussi que les entraînements physiques en résistance, visant à augmenter la force musculaire, et les exercices de type corps-esprits, comme le yoga et le tai-chi, peuvent aussi à réduire les risques de déclins cognitifs et améliorer les performances cognitives chez les personnes âgées. 

Au niveau moléculaire, les nombreux bienfaits de l’activité physique sont de plus en plus attribués aux « exerkines », ces molécules signalisatrices qui sont libérées en réponse à l’exercice et qui ont le potentiel d’améliorer la santé cardiovasculaire, métabolique, immunologique et neurologique (voir notre article sur le sujet).  

Effets sur les neurones
L’effet protecteur de l’exercice contre le déclin cognitif associé au vieillissement est la conséquence des multiples impacts positifs de l’activité physique sur l’organisme. Tout d’abord, l’activité physique régulière a un effet direct sur la structure du cerveau : par exemple, une étude clinique randomisée a montré que les personnes qui avaient été soumises pendant un an à un programme d’exercice aérobique présentaient une augmentation d’environ 2 % du volume de l’hippocampe, tandis que ce volume avait au contraire diminué d’environ 1,4 % chez le groupe contrôle, dans lequel les participants avaient été assignés à faire seulement de simples étirements au lieu d’être physiquement actifs (Figure 1). Autrement dit, non seulement l’activité physique est parvenue à contrer la diminution normale du volume de l’hippocampe qui survient lors du vieillissement (1-2 % par année), mais elle parvient même à augmenter le volume de cette région du cerveau.  

Figure 1. Variation du volume de l’hippocampe gauche chez les personnes qui avaient été soumises ou non à un programme d’un an d’activité physique aérobique. Adapté de Erickson et coll. (2011). 

Les études montrent également que chez les personnes âgées, l’augmentation de la forme cardiovasculaire (aptitude aérobie maximale) qui découle de l’exercice régulier est associée à une augmentation du volume du cerveau et de l’hippocampe, de même qu’à une perte moins importante des matières blanches et grises dans les régions frontales et préfrontales. L’exercice améliore également la connectivité des neurones et augmente les taux de certains facteurs de croissance comme le BDNF (brain-derived neurotrophic factor) qui favorisent la plasticité cérébrale (capacité du cerveau de créer ou de réorganiser les réseaux de neurones), en particulier au niveau de l’hippocampe et du cortex frontal (pour plus de détails, voir cet article de synthèse). L’exercice modéré est aussi associé à une amélioration de la fonction et du nombre des mitochondries, non seulement dans les cellules musculaires, mais aussi dans le cerveau. Les mitochondries sont des composantes essentielles de la cellule dont la fonction principale est de fournir aux cellules l’énergie nécessaire pour assurer leur survie et leur bon fonctionnement. L’exercice pourrait par conséquent prévenir le déclin naturel de la fonction mitochondriale lors du vieillissement et protéger le cerveau contre la fatigue et certaines dysfonctions associées à ce déclin. Globalement, ces observations suggèrent que l’exercice régulier est associé à des changements dans la structure même du cerveau et que ces modifications se traduisent par une meilleure fonction cognitive, notamment une amélioration de la mémoire.  

L’activité physique peut aussi améliorer les fonctions cognitives de façon indirecte en favorisant une meilleure santé en général, par exemple en améliorant la gestion du stress, la qualité du sommeil ou encore la santé cardiovasculaire. Ce lien entre le cœur et le cerveau est particulièrement important, car de nombreuses études (voir ici et ici, par exemple) ont montré que les facteurs de risque traditionnels de maladies cardiovasculaires (tabagisme, cholestérol élevé, hypertension, hyperglycémie, obésité, etc.) sont également associés à une augmentation du risque de déclin cognitif et de démences, incluant la maladie d’Alzheimer.  

Un cœur sain pour un esprit sain 
Cette relation étroite entre le cœur et le cerveau n’est pas étonnante, car le cerveau est un organe extrêmement énergivore dont la fonction dépend fortement d’un apport adéquat en oxygène et nutriments acheminés par la circulation sanguine : même s’il ne représente que 3 % du poids total de l’organisme, le cerveau reçoit à lui seul 15 % du débit cardiaque et utilise environ 20 % de tout l’oxygène consommé. Les activités cérébrales comme la pensée, la mémoire ou le raisonnement sont donc très dépendantes de l’état de santé du cœur et des vaisseaux.  

Plusieurs études ont d’ailleurs montré que le développement des maladies cardiovasculaires et l’apparition de troubles cognitifs peuvent être dans les deux cas liés à la présence de différents facteurs de risque cardiovasculaires (tabagisme, obésité, hypertension, sédentarité, etc.) en bas âge ou à l’âge mûr (Figure 2 ci-dessous, provenant de cet article de synthèse). L’athérosclérose qui résulte de l’exposition chronique à ces facteurs affecte la fonction de l’ensemble des vaisseaux, la première manifestation clinique de ces dommages étant la plupart du temps l’apparition de maladies coronariennes comme l’angine et l’infarctus du myocarde. Les vaisseaux du cerveau ne sont cependant pas épargnés pour autant, et des lésions cérébrales peuvent apparaître dès l’âge mûr et s’accumuler progressivement pour générer des dommages plus importants à des âges plus avancés, ce qui provoque l’apparition de troubles cognitifs et de démences. Plus l’exposition aux facteurs de risque cardiovasculaires commence tôt, plus les atteintes cérébrales apparaissent rapidement : par exemple, une étude a montré que la présence de nombreux facteurs de risque cardiovasculaires chez des individus jeunes (18-30 ans) est déjà associée à un déclin de plusieurs fonctions cognitives à l’âge mûr (réduction de la mémoire et des fonctions exécutives). À l’inverse, l’adoption de saines habitudes de vie connues pour améliorer la santé cardiovasculaire, en particulier l’absence de tabagisme, une saine alimentation et une activité physique régulière, est associée à une amélioration de la performance cognitive

Figure 2. Évolution parallèle des risques de maladies cardiovasculaires et de démences suite à l’exposition aux facteurs de risque cardiovasculaires au cours du cycle de vie. Adapté de Qiu et Fratiglioni (2015).

Un lien entre les lésions vasculaires et la santé du cerveau est également illustré par la hausse de problèmes cognitifs et du risque de démence observée chez les personnes qui ont été touchées par un infarctus du myocarde, particulièrement ceux qui subissent un AVC ou qui requièrent un pontage coronarien après l’infarctus. Il est possible que cette hausse du risque reflète une diminution de l’irrigation sanguine du cerveau (hypoperfusion) causée par une détérioration de la fonction cardiaque chez ces patients.  

En somme, que ce soit en raison de ses effets directs sur le cerveau ou encore de ses bénéfices sur la santé cardiovasculaire, le potentiel de prévention du déclin cognitif et de l’apparition de démences par l’activité physique est tout à fait phénoménal. Il n’y a aucun doute qu’il s’agit d’une des meilleures armes mises à notre disposition pour diminuer l’incidence de ces maladies et le lourd fardeau qu’elles imposent aux personnes touchées et à leur entourage.

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