Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Pourquoi les Japonais ont-ils l’espérance de vie la plus élevée au monde ?

En bref

  • Les Japonais ont l’espérance de vie à la naissance la plus élevée parmi les pays du G7.
  • L’espérance de vie plus élevée des Japonais est due principalement à moins de décès causés par des cardiopathies ischémiques, incluant l’infarctus du myocarde, et par des cancers (du sein et de la prostate en particulier).
  • Cette longévité exceptionnelle s’explique par un faible taux d’obésité et un régime alimentaire unique, caractérisé par une faible consommation de viande rouge, et une consommation élevée de poissons et d’aliments provenant de plantes tels le soja et le thé.

Plusieurs régimes alimentaires sont favorables au maintien d’une bonne santé et pour la prévention des maladies cardiovasculaires : le régime méditerranéen, le régime DASH (Dietary Approaches to Stop Hypertension), le régime végétarien et le régime alimentaire japonais. Nous faisons souvent référence à l’Observatoire de la prévention au régime méditerranéen, car il est bien établi scientifiquement que ce régime alimentaire est particulièrement favorable pour la santé cardiovasculaire (voir nos articles sur le sujet ici, ici, et ici). Sachant que les Japonais ont l’espérance de vie la plus élevée parmi les pays du G7, le régime alimentaire particulier au Japon a aussi retenu l’attention des experts et d’un public averti durant les dernières années.

Espérance de vie des Japonais
Parmi les pays du G7, c’est au Japon que l’espérance de vie à la naissance est la plus élevée selon les données de l’OCDE de 2016, particulièrement pour les femmes. Les hommes japonais ont une espérance de vie un peu plus élevée (81,1 années) que celle des hommes canadiens (80,9 années), alors que l’espérance de vie des Japonaises (87,1 années) est significativement plus élevée (de 2,4 années) que celle des Canadiennes (84,7 années). L’espérance de vie en santé des Japonais, 74,8 années, est aussi plus élevée qu’au Canada (73,2 années).

L’espérance de vie plus élevée des Japonais est due principalement à moins de décès causés par des cardiopathies ischémiques et par des cancers, particulièrement les cancers du sein et de la prostate. Cette faible mortalité est principalement attribuable à un faible taux d’obésité, à une faible consommation de viande rouge, et une consommation élevée de poissons et d’aliments provenant de plantes tels le soja et le thé. Au Japon le taux d’obésité est peu élevé (4,8 % pour les hommes et 3,7 % pour les femmes). Par comparaison, au Canada 24,6 % des hommes adultes et 26,2 % des femmes adultes étaient obèses (IMC≥ 30) en 2016. L’obésité est un facteur de risque important aussi bien pour les cardiopathies ischémiques que pour plusieurs types de cancers.

Pourtant, au début des années 1960 l’espérance de vie des Japonais était la moins élevée des pays du G7, principalement à cause de la mortalité élevée due aux maladies vasculaires cérébrales et au cancer de l’estomac. La baisse de consommation de sel et d’aliments salés est en partie responsable de la baisse de la mortalité causée par les maladies vasculaires cérébrales et par le cancer de l’estomac. Les Japonais consommaient en moyenne 14,5 g de sel/jour en 1973 et probablement davantage avant cela. Ils mangent de nos jours moins de sel (9,5 g/jour en 2017), mais c’est tout de même trop. Les Canadiens consomment aujourd’hui en moyenne environ 7 g de sel/jour (2,76 g de sodium/jour), soit presque le double de l’apport recommandé par Santé Canada.

Le régime alimentaire japonais
Comparativement aux Canadiens, Français, Italiens et Américains, les Japonais consomment beaucoup moins de viande (particulièrement la viande de bœuf), de produits laitiers, de sucres et d’édulcorants, de fruits et de pommes de terre, mais beaucoup plus de poissons et de fruits de mer, de riz, de soja et de thé (Tableau 1). En 2017, les Japonais consommaient en moyenne 2697 kilocalories par jour selon la FAO, significativement moins qu’au Canada (3492 kcal par jour), en France (3558 kcal par jour), en Italie (3522 kcal par jour) ou aux États-Unis (3766 kcal par jour).

Tableau 1. Approvisionnement alimentaire (kg/habitant/an) dans certains pays industrialisés en 2013a.

a Tableau adapté de Tsugane, 2020. Données de la FAO : FAOSTAT (Food balance data) (http://www.fao.org/).

Moins de viande rouge, plus de poissons et de fruits de mer
Les Japonais mangent en moyenne presque deux fois moins de viande qu’un Canadien (46 % moins), mais deux fois plus de poissons et fruits de mer. Cette différence considérable se traduit par un apport alimentaire réduit en acides gras saturés, qui est associé à un risque moindre de cardiopathies ischémiques, mais à un risque accru d’AVC. Au contraire, l’apport alimentaire en acides gras oméga-3 contenu dans les poissons et fruits de mer est associé à une diminution du risque de cardiopathies ischémiques. La consommation moindre de viande rouge et celle plus élevée de poissons et fruits de mer par les Japonais pourraient donc expliquer la plus faible mortalité causée par des cardiopathies ischémiques et la mortalité plus élevée causée par les maladies cérébrovasculaires au Japon. Les experts pensent que la baisse de la mortalité due aux maladies vasculaires cérébrales est associée à des changements dans le régime alimentaire japonais : augmentation de la consommation de produits à base d’animaux, produits laitiers et par conséquent de gras saturés et de calcium (une consommation qui demeure modérée), combinée avec une baisse de la consommation de sel. En effet, contrairement à ce qui est observé en Occident, la consommation de gras saturés au Japon est associée à une réduction du risque d’AVC hémorragique et dans une moindre mesure d’AVC ischémique, selon une méta-analyse d’études prospectives. On ne connaît pas la cause de cette différence, mais elle pourrait être attribuable à une susceptibilité génétique ou à des facteurs confondants selon les auteurs de la méta-analyse.

Soja
Le soja est un aliment surtout consommé en Asie, incluant le Japon où il est consommé tel quel après cuisson (edamame) et surtout sous forme transformée, par fermentation (sauce de soja, pâte de miso, nattō) ou par coagulation du lait de soja (tōfu). C’est une source importante d’isoflavones, des molécules qui ont des propriétés anticancer et qui sont favorables à une bonne santé cardiovasculaire. La consommation d’isoflavones par les Asiatiques a été associée à un risque moindre de cancer du sein et de la prostate. (voir notre article sur le sujet)

Sucre
Les Japonais consomment relativement peu de sucres et de féculents, ce qui explique en partie la faible prévalence de l’obésité et des maladies associées à l’obésité tels les cardiopathies ischémiques et le cancer du sein.

Thé vert
Les Japonais consomment généralement le thé vert sans sucre ajouté. Des études prospectives réalisées au Japon montrent que la consommation de thé vert est associée à un risque moindre de mortalité de toute cause et de mortalité d’origine cardiaque (voir notre article sur le sujet).

Occidentalisation des habitudes alimentaires des Japonais
L’occidentalisation du régime japonais survenue après la Deuxième Guerre mondiale a permis aux habitants de ce pays d’être en meilleure santé et de diminuer la mortalité causée par les maladies infectieuses, la pneumonie et les maladies cérébrovasculaires, et ainsi augmenter considérablement leur espérance de vie. Une enquête sur les habitudes alimentaires de 88 527 Japonais de 2003 à 2015 indique que cette occidentalisation se poursuit. En se basant sur la consommation quotidienne de 31 groupes d’aliments, les chercheurs ont identifié trois grands types d’habitudes alimentaires :

1- Aliments à base de plantes et poisson
Consommation élevée de légumes, fruits, légumineuses, pommes de terre, champignons, algues, légumes marinés, riz, poisson, sucre, assaisonnements à base de sel et thé.

2- Pain et produits laitiers
Consommation élevée de pain, produits laitiers, fruits et sucre. Faible consommation de riz.

3- Aliments d’origine animale et huiles
Consommation élevée de viande rouge et transformée, œufs, huiles végétales.

Une tendance à la baisse du groupe « aliments à base de plantes et poisson » (la base du régime alimentaire traditionnel japonais ou washoku) a été observée chez tous les groupes d’âge. Une hausse du groupe « pain et produits laitiers » a été observée chez les groupes d’âge de 50-64 et ≥65 ans, mais pas chez les plus jeunes. Pour le groupe « aliments d’origine animale et huiles », une tendance à la hausse a été observée durant les treize années de l’étude chez tous les groupes d’âge sauf celui des plus jeune (20-34 ans). Les Japonais mangent de plus en plus comme des Occidentaux, cela aura-t-il un effet défavorable sur leur santé et leur espérance de vie ? Il est trop tôt pour qu’on puisse le savoir, les prochaines décennies nous le diront.

Contribution de gènes et du mode vie à la santé des Japonais
Certains facteurs de risque de maladie cardiovasculaire et du cancer sont héréditaires, alors que d’autres sont associés au mode de vie (alimentation, tabagisme, exercice, etc.). Il y a eu une immigration importante des Japonais aux États-Unis (surtout en Californie et Hawaï) et en Amérique du Sud (Brésil, Pérou) au tournant du 20e siècle. Après quelques générations, les descendants des migrants japonais ont adopté le mode de vie des pays d’accueil. Alors que le Japon présente l’une des plus faibles incidences de maladies cardiovasculaires au monde, cette incidence a doublé chez les Japonais qui ont migré à Hawaï et quadruplé chez ceux qui ont choisi de vivre en Californie selon une étude réalisée en 1975. Ce qui est surprenant c’est que cette hausse a été observée indépendamment de la tension artérielle ou du taux de cholestérol, et semble plutôt directement liée à l’abandon du mode de vie traditionnel japonais par les migrants.

Depuis les années 1970, le taux de cholestérol moyen des Japonais a néanmoins augmenté, mais malgré cela et le taux élevé de tabagisme dans ce pays, l’incidence de maladie coronarienne demeure substantiellement moins élevée au Japon qu’en Occident. Pour mieux comprendre ces différences, une étude réalisée en 2003 a comparé les facteurs de risques et l’alimentation de Japonais vivant au Japon et des migrants japonais de la 3e et 4e génération vivant à Hawaï aux États-Unis. La pression artérielle des hommes était significativement plus élevée chez les Japonais que chez les Nippo-Américains, alors qu’il n’y avait pas de différence significative pour les femmes. Les Japonais étaient beaucoup moins nombreux à être traités pour l’hypertension qu’à Hawaï. Les Japonais étaient plus nombreux à fumer (surtout les hommes) que les Nippo-Américains. L’indice de masse corporelle, les taux sanguins de cholestérol-LDL, de cholestérol total, d’hémoglobine glyquée (indicateur pour le diabète) et de fibrinogène (marqueur de l’inflammation) étaient significativement moins élevés au Japon qu’à Hawaï. Le cholestérol-HDL (le « bon » cholestérol) était plus élevé chez les Japonais que chez les Nippo-Américains. L’apport alimentaire en gras totaux, acides gras saturés (nuisibles à la santé cardiovasculaire) était moins élevé au Japon qu’à Hawaï. Au contraire, l’apport en acides gras polyinsaturés et en acides gras oméga-3 (favorables à une bonne santé cardiovasculaire) était plus élevé au Japon qu’à Hawaï. Ces différences pourraient expliquer en partie l’incidence moins élevée de maladie coronarienne au Japon que dans les pays industrialisés occidentaux.

En d’autres mots, même si ces migrants ont le même risque de base que leurs compatriotes demeurés dans le pays d’origine (âge, sexe et hérédité), le simple fait d’adopter les habitudes de vie de leur pays d’accueil est suffisant pour augmenter considérablement leur risque de maladies cardiovasculaires.

Même si le régime alimentaire japonais est différent de ceux des pays occidentaux, il a des caractéristiques similaires au régime méditerranéen. Pourquoi ne pas préparer de temps à autre de délicieux plats japonais à base de soja (tōfu, edamame, soupe au miso par exemple), boire du thé vert, manger moins de viande, sucre et féculents et davantage de poisson ? Non seulement vos repas seront plus variés, mais vous pourriez profiter des bienfaits pour la santé que procure le régime alimentaire japonais.

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