Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

Voir tous les articles
Hausse de la mortalité cardiovasculaire durant la période des fêtes

La variation saisonnière du taux de mortalité est un phénomène connu depuis très longtemps (Hippocrate l’a décrit il y a environ 400 ans av. J.-C. !) et se caractérise généralement par un plus grand nombre de décès qui surviennent durant les saisons froides que lors des saisons chaudes. Au Québec, par exemple, les statistiques des décès hebdomadaires recueillies lors des années sans épidémie majeure (comme celle de Covid-19 en 2020) montrent que la mortalité est la plus élevée lors des premières et dernières semaines de l’année (environ 1500 décès chacune) et la moins élevée pour la période estivale, de juillet à septembre (environ 1100 décès par semaine). 

Mortalité cardiovasculaire

Les maladies cardiovasculaires représentent une cause majeure de mortalité et plusieurs études réalisées en Europe, en Asie, en Océanie (AustralieNouvelle-Zélande) et en Amérique du Nord (États-Unis et Canada) ont sans surprise observé une incidence plus importante de mortalité liée à ces maladies pendant la saison froide.  Le temps plus froid active une réponse sympathique de vasoconstriction périphérique, ainsi qu’une hausse de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque, augmentant ainsi le risque d’accidents cardiovasculaires, en particulier chez ceux qui présentent au départ un risque plus élevé en raison de l’âge, d’un historique de maladies cardiovasculaires ou de la présence d’anomalies cardiométaboliques (surpoids, hypertension, hypercholestérolémie) (voir notre article à ce sujet).  Il a été également suggéré que certains stress physiologiques  (pelleter de la neige, par exemple) ainsi que la plus forte incidence d’infections respiratoires typiques de la saison hivernale pouvaient augmenter l’incidence et/ou la sévérité de l’infarctus du myocarde et de l’AVC, en particulier chez les personnes plus âgées.  

Par contre, on a aussi observé une plus forte incidence de mortalité cardiovasculaire dans des régions où les températures hivernales sont beaucoup plus clémentes (10oC et plus) comme à Los Angeles (voir Figure 1) et Taiwan, ce qui suggère que des facteurs autres que le froid contribuent à ce phénomène.

Figure 1. Variation mensuelle de la mortalité coronarienne à Los Angeles (USA).  Tiré de Kloner et coll. (1999).

Le temps des fêtes….et des infarctus

Une analyse plus détaillée de ces variations saisonnières des décès liés aux maladies cardiovasculaires a permis d’identifier deux principaux événements pouvant contribuer à la surmortalité observée durant la saison hivernale. Dans cette étude,  qui est devenue un classique, l’examen de la distribution de 53 millions de décès survenus quotidiennement durant la période comprise entre 1973 et 2001 a montré que le pic de mortalité hivernal est particulièrement prononcé pour deux périodes bien précises, soit la fête de Noël (25 et 26  décembre) et celle du Nouvel An (Figure 2). 

Figure 2. Surmortalité cardiovasculaire au cours de la période des fêtes.  La ligne rouge indique la somme du nombre de décès causés par les maladies cardiovasculaires aux États-Unis pour chaque jour de l’année durant la période étudiée (1973-2001). La ligne de régression en pointillés indique le nombre moyen de décès quotidiens attendus si la mortalité varie en fonction des saisons, mais n’est pas affectée par les jours de fête. Notez le nombre de décès supérieurs aux prévisions durant la période de Noël et du Nouvel An. Tiré de Phillips et coll. (2004).

Cette influence du temps des fêtes sur la hausse de mortalité cardiovasculaire a également été observée dans d’autres pays de l’hémisphère Nord comme la Norvège et la Suède, mais non en Australie (où Noël survient durant l’été), ce qui pourrait suggérer une influence des températures froides sur la hausse du risque de décès. Par contre, une étude a rapporté une hausse de mortalité cardiovasculaire au cours de temps des fêtes en Nouvelle-Zélande, un pays de l’hémisphère Sud où Noël est là aussi fêté en été, et il est donc peu probable que le froid soit le principal responsable de la hausse du nombre de décès à Noël et au Nouvel An. D’ailleurs, les données recueillies aux États-Unis indiquent que la hausse de la mortalité cardiovasculaire durant la période des fêtes est observée autant pour les régions froides du nord du pays que pour les régions plus au sud (et est même légèrement plus élevée dans les états du sud).

La surmortalité associée à Noël et au Nouvel An est particulièrement frappante lorsqu’on examine plus spécifiquement les morts qui surviennent à l’urgence ou qui sont constatées à l’arrivée à l’hôpital (Figure 3). Il est aussi intéressant de noter que même si la mortalité cardiovasculaire représente la majorité de ces décès qui surviennent à Noël et au Nouvel An (Figure 3A), l’influence du temps des fêtes ne semble pas se limiter aux accidents cardiaques, car on note un profil en tout point similaire pour les morts naturelles d’origine non cardiovasculaires (Figure 3B).  Globalement, on estime que ces journées de fêtes sont caractérisées par une incidence de mortalité de causes naturelles d’origine cardiovasculaire et non cardiovasculaire d’environ 4 % plus élevée que la normale et auraient été responsables à elles seules de 42,325 décès supplémentaires aux États-Unis de 1973 à 2001.

Figure 3.   Variation quotidienne de la mortalité subite d’origine cardiovasculaire (A) et non cardiovasculaire (B) pendant les mois de décembre et janvier aux États-Unis. Les valeurs représentent les morts qui surviennent à l’urgence ou sont constatées dès l’arrivée à l’hôpital.  La ligne de régression en pointillés indique le nombre moyen de décès quotidiens attendus si la mortalité n’était pas affectée par les jours de fête.  Tiré de Phillips et coll. (2004).

La mortalité due à des causes naturelles dans les services d’urgence ou avant l’arrivée à l’hôpital affiche donc des pics distincts autour de Noël et du Nouvel An (Fig. 4A et 4B), de sorte qu’il y a plus de ces décès subits à Noël, le lendemain de Noël et au Nouvel An que n’importe quel autre jour de l’année. En revanche, les décès qui surviennent dans d’autres circonstances (patients hospitalisés, maisons de retraite ou autres endroits) n’affichent pas deux pics distincts pendant les vacances, mais plutôt un petit pic plus diffus qui débute à Noël et s’étend sur environ deux semaines après le Nouvel An (Figure 4C). 

Figure 4. Variation quotidienne de la mortalité totale d’origine naturelle pendant les mois de décembre et janvier aux États-Unis selon le lieu du décès. Les valeurs représentent le nombre de décès totaux d’origine naturelle (excluant les accidents et les suicides) qui sont survenus à l’urgence, qui ont été constatés à l’arrivée à l’hôpital ou qui se sont produits à d’autres endroits. Notez les pics bien définis à Noël et au Nouvel An des décès à l’urgence et à l’arrivée à l’hôpital, tandis que les décès survenus hors de ces contextes présentent une distribution diffuse, qui débute à Noël et se termine à la mi-janvier. Pour faciliter la comparaison, les différentes figures possèdent la même échelle de rapport, c’est-à-dire que la valeur la plus élevée sur l’axe des y est 1,4 fois le niveau de mortalité moyen de chaque figure. Tiré de Phillips et coll. (2010).

Mécanismes possibles

Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer les raisons sous-jacentes au pic de décès (cardiovasculaires ou autres) qui surviennent lors des festivités de fin d’année.  Jusqu’à présent, aucune de ces possibilités n’a pu être clairement démontrée, mais certaines d’entre elles sont plus plausibles et méritent d’être sérieusement considérées si on veut prévenir, ou à tout le moins réduire, l’impact négatif des jours de fête sur la surmortalité hivernale :

1. Remise à plus tard des consultations pour problémes de santé.  Étant donné l’importance sociale des fêtes de Noël et du Nouvel An, certaines personnes peuvent négliger les symptômes de maladies (ou encore, les attribuer au stress ou aux abus de nourriture ou d’alcool) pour éviter de perturber les festivités. De tels retards pour consulter les professionnels médicaux sont susceptibles d’aggraver la condition des patients et de faire en sorte d’augmenter les risques de décès soudains (d’origine cardiaque ou autre) lors de l’arrivée à l’hôpital, tel qu’observé dans l’étude (Fig. 3).   La détérioration de l’état de santé des patients admis à l’hôpital en raison de ces délais de consultation pourrait également expliquer la surmortalité observée dans les semaines qui suivent les festivités de fin d’année (Fig. 4C). 

2. Engorgement des urgences pendant les vacances et/ou réduction du personnel soignant.  La période des fêtes est particulièrement propice à l’engorgement des urgences (infections respiratoires et gastroentérites, entre autres) et cette surpopulation des services d’urgence n’épargne pas les hôpitaux américains.  Les chercheurs ont noté que cette tendance à la hausse de l’engorgement des urgences coïncide avec une augmentation de l’ampleur des effets de Noël et du Nouvel An sur la surmortalité et pourrait donc contribuer à ce phénomène.  Il est également possible que la réduction des effectifs médicaux typique des festivités de fin d’année puisse jouer un rôle.  

3. Stress émotionnel.  Les patients peuvent être plus stressés qu’à l’habitude en raison des nombreuses obligations associées au temps des fêtes, qu’elles soient d’ordre financier (achat de cadeaux, nourriture, frais de déplacement, divertissements, décoration) ou personnel (réception d’invités, préparation de repas pour plusieurs convives, interactions non voulues avec certaines personnes, etc.).   Puisque de nombreuses études ont établi un lien étroit entre certains événements stressants et la mortalité cardiovasculaire, il est vraisemblable que le stress du temps des fêtes puisse participer à la surmortalité observée durant cette période.  En ce sens, on a observé que lors des célébrations de l’an 2000, où l’arrivée du nouveau millénaire était plus stressante qu’habituellement en raison de diverses croyances (attaques terroristes, fin du monde ou encore le fameux « bogue de l’an 2000 »), les décès par infarctus ont significativement augmenté comparativement aux célébrations « normales » du Nouvel An dans les années avant et après 2000.

Par contre, le stress émotionnel n’est pas considéré comme un facteur de risque de la plupart des maladies autres que cardiovasculaires et ne peut donc expliquer les pics de mortalité à Noël et au Nouvel An associés à ces  maladies (Fig. 3B).

4. Abus de nourriture et d’alccol.  Bien qu’un grand nombre de personnes se permettent des excès à l’occasion des fêtes, il demeure peu probable qu’ils puissent être à eux seuls responsables de la hausse de mortalité à Noël et au Nouvel An. D’une part, la fête du Thanksgiving, où les Américains mangent et boivent autant sinon plus qu’à Noël ou au Nouvel An, n’est pas associée à une hausse de mortalité. D’autre part, et d’une façon analogue au rôle du stress mentionné plus tôt, même si on a suggéré qu’une surconsommation de nourriture pouvait déclencher un infarctus chez certaines personnes à risque, il n’y a pas d’explications plausibles pour associer cet excès de nourriture à la mortalité causées par d’autres maladies. 

En somme, la surmortalité associée au temps des fêtes demeure un phénomène mal compris. Dans l’état actuel des connaissances, l’hypothèse la plus vraisemblable demeure celle du délai de consultation médicale, où certains patients minimisent la gravité de leurs malaises pour ne pas perturber le déroulement des festivités. En attendant à la dernière minute pour se rendre à l’hôpital, il est souvent trop tard et le risque de décéder subitement devient plus élevé qu’en temps normal.  À court terme, se rendre le plus rapidement possible à l’urgence en cas de malaise, qu’il soit de nature cardiaque ou autre, peut sans doute gâcher une fête de Noël ou du Nouvel An; à plus long terme, par contre, cette décision peut vous sauver la vie et vous permettre de profiter pendant plusieurs années de ces moments de réjouissances.

Partagez cet article :