Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Effets du froid sur la santé cardiovasculaire

En bref

  • L’exposition au froid provoque une contraction des vaisseaux sanguins, une augmentation de la pression artérielle, du rythme cardiaque et du travail du muscle cardiaque.
  • La combinaison du froid et de l’exercice augmente davantage le stress sur le système cardiovasculaire.
  • Les températures froides sont associées à une augmentation des symptômes cardiaques (angine, arythmies) et à une incidence accrue d’infarctus du myocarde et de mort subite d’origine cardiaque.
  • Les patients atteints d’une maladie coronarienne devraient limiter leur exposition au froid et s’habiller chaudement et se couvrir le visage lorsqu’ils font de l’exercice.

Le froid parfois mordant de nos hivers peut-il nuire à notre santé globale et à notre santé cardiovasculaire en particulier ? Nous avions déjà abordé un aspect de cette question concernant le risque d’infarctus causé par l’effort considérable qui est nécessaire pour pelleter la neige en hiver (voir : Tempêtes de neige et le risque d’infarctus du myocarde), et dans un résumé des résultats d’une étude suédoise sur l’association entre le froid et l’incidence de crise cardiaque. Pour une revue exhaustive de la littérature sur les effets du froid sur la santé en général, voir le rapport de synthèse récemment publié par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Dans le présent article, nous porterons notre attention sur les principaux effets du froid sur le système cardiovasculaire et plus particulièrement sur la santé des personnes atteintes d’une maladie cardiovasculaire.

L’exposition brève et prolongée au froid affectent toutes deux le système cardiovasculaire, et l’exercice par temps froid augmente encore davantage le stress sur le cœur et les artères. De nombreuses études épidémiologiques ont montré que les maladies et la mortalité cardiovasculaires augmentent lorsque la température ambiante est froide et durant les vagues de froid. La saison hivernale est associée à un plus grand nombre de symptômes cardiaques (angine, arythmies) et d’évènements cardiovasculaires tels la crise hypertensive, la thrombose veineuse profonde, l’embolie pulmonaire, des ruptures et dissections aortiques, l’accident vasculaire cérébral, l’hémorragie intracérébrale, l’insuffisance cardiaque, la fibrillation auriculaire, les arythmies ventriculaires, l’angine de poitrine, l’infarctus aigu du myocarde et la mort subite d’origine cardiaque.

Mortalité attribuable au froid
À l’échelle mondiale, davantage de décès attribuables à la température ont été causés par le froid (7,29 %) que par la chaleur (0,42 %). Pour le Canada, c’est 4,46 % des décès qui étaient attribuables au froid (2,54 % pour Montréal), et 0,54 % à la chaleur (0,68 % pour Montréal).

L’intuition pourrait nous porter à croire que c’est durant les épisodes de froid extrême que surviennent un plus grand nombre d’effets indésirables sur la santé, mais la réalité est toute autre. Selon une étude qui a analysé 74 225 200 décès survenus entre 1985 et 2012 dans 13 grands pays situés sur 5 continents, les températures extrêmes (froides ou chaudes) étaient responsables de seulement 0,86 % de tous les décès, alors que la majorité des décès reliés au froid sont survenus à des températures modérément froides (6,66 %).

Effets aigus du froid sur le système cardiovasculaire des personnes en santé
Pression artérielle – La baisse de la température de la peau lors de l’exposition au froid est détectée par les thermorécepteurs cutanés qui stimulent le système nerveux sympathique et provoque un réflexe de vasoconstriction (diminution du diamètre des vaisseaux sanguins). Cette vasoconstriction périphérique prévient la perte de chaleur à la surface du corps et a pour effet d’augmenter la pression artérielle systolique (5-30 mmHg) et diastolique (5-15 mmHg).

Rythme cardiaque – Il n’est pas très affecté par l’exposition du corps à l’air froid, mais il augmente rapidement lorsque par exemple on plonge la main dans de l’eau glacée (« test au froid » utilisé pour faire certains diagnostics, tel celui de la maladie de Raynaud) ou qu’on inhale de l’air très froid. L’air froid provoque généralement une légère augmentation du rythme cardiaque de l’ordre de 5 à 10 battements par minute.

Risque de rupture de plaque d’athérome ?
Des études post-mortem ont montré que la rupture des plaques d’athéromes (dépôts de lipides sur la paroi des artères) est la cause immédiate de plus de 75 % des infarctus du myocarde aigus. Le stress causé par le froid pourrait-il favoriser la rupture des plaques d’athéromes ? Dans une étude en laboratoire, des souris exposées au froid dans une chambre froide (4°C) durant 8 semaines ont vu leur taux de cholestérol-LDL sanguin et le nombre de plaques augmenter par comparaison aux souris du groupe témoin (chambre à 30°C). D’autre part, on sait que l’exposition au froid induit l’agrégation des plaquettes in vitro et qu’elle fait augmenter les facteurs de coagulation in vivo chez des patients durant les jours plus froids (<20°C) par comparaison aux jours plus chauds (>20°C). Combinés, ces effets du froid pourraient contribuer à favoriser la rupture de plaque, mais aucune étude n’a pu démontrer cela jusqu’à présent.

Risque d’arythmies cardiaques
Les arythmies sont une cause fréquente de mort subite cardiaque. Même chez des volontaires en bonne santé, le simple fait de plonger la main dans de l’eau froide en retenant la respiration peut provoquer des arythmies cardiaques (tachycardies nodales et supraventriculaires). Le froid pourrait-il favoriser la mort subite chez des personnes à risque ou atteintes d’une maladie cardiaque ? Les arythmies ne pouvant être détectées post-mortem, il est très difficile de prouver une telle hypothèse. S’il s’avérait que l’exposition à l’air froid peut favoriser les arythmies, les personnes atteintes de maladie coronarienne pourraient être vulnérables au froid puisque l’arythmie viendrait amplifier le déficit en sang oxygéné qui parvient au muscle cardiaque.

Effets du froid combiné à l’exercice
Le froid et l’exercice augmentent tous deux individuellement la demande en oxygène par le cœur, et la combinaison des deux stress a un effet additif sur cette demande (voir ces deux articles de synthèse en anglais, ici et ici). L’exercice dans le froid résulte donc en une augmentation de la pression artérielle systolique et diastolique ainsi que du « double produit » (fréquence cardiaque x pression artérielle), un marqueur du travail cardiaque.

La demande accrue en oxygène par le muscle cardiaque provoquée par le froid et l’exercice fait augmenter le débit sanguin dans les artères coronaires qui irriguent le cœur. La vitesse du flux sanguin coronarien augmente en réponse au froid et à l’exercice combinés en comparaison avec l’exercice seulement, mais cette hausse est atténuée, particulièrement chez les personnes plus âgées. Il semble donc que le froid cause un décalage relatif entre la demande en oxygène provenant du myocarde et l’alimentation en sang oxygéné durant l’exercice.

Lors d’une étude effectuée par notre équipe de recherche, nous avons exposé 24 patients coronariens souffrant d’angine stable à 6 conditions expérimentales en chambre froide à -8°C : une épreuve d’effort avec électrocardiogramme (EE) au froid sans médicament anti-angineux et une EE à +20°C. Nous avons par la suite répété ces deux EE après la prise d’un médicament (propranolol) qui ralentit la fréquence cardiaque, puis avec un autre médicament (diltiazem) qui cause une dilatation des artères coronaires. Les résultats ont démontré que chez seulement 1/3 des patients, le froid causait une ischémie légère à modérée (manque d’apport sanguin) au myocarde. Lorsque l’EE était effectuée avec la prise d’un médicament, cet effet était complètement renversé. Les deux médicaments se sont montrés également efficaces pour renverser cette ischémie. La conclusion : le froid n’a eu qu’un effet modeste chez 1/3 des patients et les médicaments anti-angineux sont aussi efficaces au froid (-8°C) qu’à +20°C.

Dans une autre étude chez le même type de patients, nous avons comparé les effets d’une EE à -20°C avec une EE à +20°C. Les résultats ont montré qu’à cette température très froide, tous les patients présentaient une angine et une ischémie plus précoce.

Hypertension
La prévalence de l’hypertension est plus élevée dans les régions froides ou durant l’hiver. Les hivers froids font augmenter la gravité de l’hypertension et font accroître le risque d’évènements cardiovasculaires tels l’infarctus du myocarde et l’AVC chez les hypertendus.

Insuffisance cardiaque
Le cœur des patients atteints d’insuffisance cardiaque n’est pas capable de pomper suffisamment de sang pour maintenir le débit sanguin nécessaire pour satisfaire les besoins du corps. Quelques études seulement ont examiné les effets du froid sur l’insuffisance cardiaque. Les patients atteints d’insuffisance cardiaque n’ont pas beaucoup de marge de manœuvre lorsque la charge de travail du cœur augmente lorsqu’il fait froid ou lorsqu’ils doivent faire un effort physique soutenu. Le froid combiné à l’exercice diminue davantage les performances des insuffisants cardiaques. Par exemple, dans une étude que nous avons réalisée à l’Institut de cardiologie de Montréal, le froid a réduit de 21 % le temps d’exercice chez des personnes atteintes d’insuffisance cardiaque. Dans la même étude, l’utilisation de médicaments antihypertenseurs de la classe des bêtabloquants (métoprolol ou carvedilol) a permis d’augmenter significativement le temps d’exercice et d’atténuer l’impact de l’exposition au froid sur la capacité fonctionnelle des patients. Une autre de nos études indique qu’un traitement avec un médicament antihypertenseur de la classe des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, le lisinopril, atténue aussi l’impact du froid sur la capacité à faire de l’exercice chez des personnes atteintes d’insuffisance cardiaque.

Froid, exercice et maladie coronarienne
Il est plutôt improbable que le froid seul puisse causer une augmentation du travail du muscle cardiaque suffisamment importante pour provoquer un infarctus du myocarde. Le stress causé par le froid fait augmenter le travail du muscle cardiaque et par conséquent l’apport de sang au cœur chez les personnes en santé, mais chez les coronariens on observe généralement une réduction du débit sanguin dans les artères coronaires. La combinaison du froid et de l’exercice met les coronariens à risque d’ischémie cardiaque (manque d’oxygène au cœur) beaucoup plus tôt dans leur séance d’entraînement que par temps chaud ou tempéré. Pour cette raison, les personnes atteintes d’une maladie coronarienne doivent limiter l’exposition au froid et porter des vêtements qui les gardent au chaud et se couvrir le visage (perte de chaleur importante dans cette partie du corps) lorsqu’ils font de l’exercice à l’extérieur par temps froid. Par ailleurs, la tolérance à l’exercice des coronariens sera réduite par temps froid. Il est fortement recommandé aux patients coronariens de faire des exercices d’échauffement à l’intérieur avant de sortir faire de l’exercice à l’extérieur par temps froid.

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