Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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L’effet anxiolytique de l’exercice : un nouveau rôle pour le lactate

En bref

  • Le stress chronique nuit à la lactylation des protéines du cortex cérébral.
  • Chez la souris, l’exercice restaure la lactylation des protéines du cortex cérébral.
  • L’exercice modifie particulièrement la lactylation de la protéine synaptique SNAP91 qui est requise pour l’effet anxiolytique de l’exercice.

L’exercice physique est une approche non pharmacologique largement reconnue pour atténuer l’anxiété. Des études indiquent que l’exercice restaure les circuits neuronaux impliqués dans l’atténuation de l’anxiété, chez l’humain (voir ici et ici) et dans des modèles animaux (voir ici et ici). Plusieurs mécanismes impliquant diverses molécules ont été proposés dans le passé, incluant les facteurs neurotrophiques, les neurotransmetteurs de type monoamines, les cytokines neuro-inflammatoires. L’exercice provoque des changements importants de plusieurs métabolites ; or le rôle potentiel de ces métabolites dans la réduction de l’anxiété a longtemps été sous-estimé. Des études récentes ont suggéré que certains de ces métabolites peuvent atteindre le cerveau où ils auraient des effets sur la fonction mentale. Parmi ces métabolites, il y a la kyurénine, la N-lactoyl-phénylalanine (voir notre article sur le sujet) et le corps cétonique bêta-hydroxybutyrate. 

Le lactate a longtemps été considéré comme un déchet métabolique puisqu’il est le produit final de la glycolyse dans des conditions hypoxiques et que sa production acidifie l’environnement immédiat. Cependant, des études récentes ont montré que le lactate peut non seulement être utilisé comme source d’énergie, mais aussi qu’il participe à de nombreuses voies de signalisation et processus physiologiques. En effet, le lactate peut être utilisé directement pour modifier certains acides aminés de plusieurs protéines. Cette modification appelée « lactylation » des protéines a tout d’abord été identifiée dans les histones (protéines qui sont des constituants des chromosomes) et résulte en des changements au niveau de l’expression de gènes.     

Le lactate a un effet antidépresseur selon une étude publiée en 2019, mais le mécanisme précis demeure largement inconnu. Récemment, un groupe de chercheurs chinois s’est demandé si la lactylation des protéines du cortex cérébral pourrait être impliquée dans l’effet anxiolytique de l’exercice. Ils ont utilisé un modèle animal et une analyse protéomique pour identifier les changements dans la lactylation des protéines du cortex cérébral. Les chercheurs ont fait courir des souris sur un tapis roulant 1 heure par jour durant 14 jours et vérifié par des tests que cet exercice a prévenu des comportements anxieux. Après ce régime d’exercice, le lactate était élevé dans la circulation sanguine, mais aussi dans le foie, dans les tissus musculaires et dans le cortex préfrontal du cerveau. 

Les chercheurs ont par la suite injecté des souris quotidiennement avec du lactate plutôt que de leur faire faire de l’exercice. Les tests de comportement ont indiqué que, bien que l’activité locomotrice n’ait pas été affectée, les comportements anxieux étaient nettement atténués. D’autre part, l’injection de dichloroacétate, un composé qui fait diminuer la production de lactate chez les souris, a contrecarré l’effet anxiolytique de l’exercice. Considérés dans leur ensemble, ces résultats suggèrent un rôle essentiel du lactate dans la résilience au stress conféré par l’exercice.

Les chercheurs ont utilisé une approche protéomique spécifique pour les protéines lactylées afin d’identifier quelles sont les protéines dont la lactylation est induite par l’exercice. Les résultats indiquent que ce sont des protéines synaptiques dont la lactylation est significativement augmentée par l’exercice (ou par l’injection de lactate), et tout particulièrement la protéine synaptique SNAP91 (aussi connue sous le nom de AP180). Cette protéine est impliquée dans l’assemblage de vésicules recouvertes de clathrine, maintenant l’homéostase de la libération des neurotransmetteurs par les synapses. 

Les chercheurs ont ensuite fait une série d’expériences pour établir un lien de causalité entre la lactylation des protéines synaptiques et l’amélioration de la fonction neuronale. Lorsque la lactylation de SNAP91 a été diminuée par l’expression d’une version de SNAP91 comportant une mutation au site de lactylation, la structure des synapses et la fonction de transmission synaptique ont été altérées. Surtout, la diminution de la lactylation de SNAP91 a considérablement réduit l’effet anxiolytique de l’exercice dans le modèle chez la souris. Ces résultats suggèrent fortement que la lactylation de la protéine synaptique SNAP91 est nécessaire pour la réduction de l’anxiété par l’exercice. Le mécanisme moléculaire précis par le lequel la lactylation de SNAP91 affecte la fonction des synapses demeure inconnu et requière d’autres études mécanistiques et structurales. 

Le lactate, l’un des premiers métabolites produits lors de l’exercice à avoir été identifié, a donc non seulement un rôle métabolique, mais aussi un rôle dans la transmission de signaux des muscles vers le cerveau où il apaise l’anxiété via la lactylation de protéines synaptiques. Les bienfaits de l’exercice sur la santé physique et mentale, via la production du lactate et de nombreux autres métabolites actifs, font présentement l’objet d’études bien menées et innovantes, qui ne cessent de mettre en lumière de nouveaux mécanismes. 

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