Dr Éric Thorin, Ph. D.

Professeur titulaire, Département de Chirurgie, Université de Montréal. Chercheur au centre de recherche de l'Institut de cardiologie de Montréal.

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Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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1 Décembre 2025
À quand un Nutri-Score canadien ?

En bref

  • Le logo Nutri-Score est un système d’étiquetage nutritionnel  implanté dans 7 pays européens qui fournit aux consommateurs une information simple sur la qualité nutritionnelle des aliments qu’ils achètent afin de favoriser le choix de produits plus favorables à la santé.
  • Les études scientifiques réalisées au cours des dix dernières années démontrent l’efficacité du Nutri-Score à réduire l’incidence des maladies cardiovasculaires, des cancers et de la mortalité prématurée.
  • Il est urgent d’avoir un Nutri-Score canadien. La prévention est la pierre angulaire de la santé des populations, et une prise de position politique allant dans ce sens donnerait de la cohérence aux discours de santé publique de nos dirigeants.

Les maladies cardiovasculaires sont la principale cause de mortalité en Europe occidentale et Amérique du Nord, représentant 1/3 des décès. Une alimentation déséquilibrée serait responsable d’environ 30% de ces décès directement liés aux maladies cardiovasculaires. Dans une étude publiée cette année, il est rapporté qu’une mauvaise nutrition est responsable de près de 1,6 million de décès prématurés liés à une maladie cardiovasculaire dans la zone Europe (Figure 1).

Figure 1. Nombre de décès cardiovasculaires prématurés en 2019 attribués (A) à des habitudes nutritionnelles inappropriée et (B) par groupe de nourriture spécifiques dans les 54 pays de la zone Europe de l’Organisation mondiale de la Santé. AVC : accident vasculaire cérébral. Adapté de  Pörschmann et coll. (2025)

Au Canada, un récent rapport de Statistique Canada (2023) sur l’état de santé des Canadiens fait, notamment, la constatation que:

« De 2015 à 2021, la prévalence de l’hypertension artérielle, des maladies cardiaques et de l’obésité a augmenté, alors que le nombre de personnes respectant les lignes directrices en matière d’activité physique et consommant suffisamment de fruits et de légumes a diminué ». Il mentionne aussi que pour une troisième année consécutive, l’espérance de vie à la naissance des Canadiens a diminué.

Les politiques nutritionnelles de prévention constituent donc un enjeu de santé publique majeur pour ces pathologies, dont la prévalence demeure élevée, et qui va s’aggraver en raison du vieillissement de la population. Dans ce but, la France a adopté en 2017 le Nutri-Score, suivie dans les années suivantes par 6 autres pays européens. Le Nutri-Score est un logo qui fournit une information rapide sur la qualité nutritionnelle des aliments et boissons pour aider les consommateurs à les comparer entre eux et les inciter à faire des choix nutritionnels de meilleure qualité. En parallèle, il encourage les industriels à améliorer la qualité de leurs produits. En 2022, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a estimé que la mise en place du Nutri-Score dans l’ensemble des pays de l’OCDE permettrait d’éviter environ 1,6 million de décès dus aux maladies cardiovasculaires d’ici à 2050, ce qui n’inclut donc pas les bénéfices attendus sur les cancers, par exemple. En Amérique, seul le Chili a mis en place en 2016 un système d’étiquetage nutritionnel obligatoire basé sur des octogones noirs et blancs (voir notre article à ce sujet).

En France, le Nutri-Score fait maintenant partie de l’environnement familier des consommateurs et il est largement approuvé par les Français puisqu’en 2020, 94% étaient favorables à sa présence sur les emballages, et un Français sur deux déclarait avoir changé au moins une habitude d’achat grâce au Nutri-Score. L’obligation d’étiquetage est actuellement empêchée par le droit européen et le lobbying des industriels. Mais les évidences scientifiques renforcent sa pertinence et démontrent clairement l’impact bénéfique du Nutri-Score sur la santé des habitants des pays européens l’ayant adopté, comme cela a été bien rapporté dans un article récent en français. Le changement de la loi est prévu dans le cadre de la stratégie Farm to Fork de la Commission européenne.

Le Nutri-Score comporte 5 catégories : de A-vert foncé (qualité nutritionnelle plus élevée) à E-rouge (qualité nutritionnelle moindre). Une catégorie est attribuée à un aliment ou une boisson en fonction d’un algorithme calculé à partir de sa composition pour 100 g en énergie, sucres, acides gras saturés et sel (à limiter) et en protéines, fruits, légumes et légumineuses (à favoriser). La nouvelle version de l’algorithme qui génère le Nutri-Score est en vigueur en France. Les modifications conduisent à un classement plus strict des produits, sauf pour quelques groupes ciblés. Les produits sucrés et salés sont moins bien classés, car ils reçoivent plus de points pénalisants. Par exemple, cela impacte les céréales sucrées du déjeuner. Ces dernières années, sous l’influence du Nutri-Score, ces produits ont été reformulés par les industriels, réduisant ainsi de moitié leur teneur en sucre. En réduisant parallèlement leur teneur en sel et en y ajoutant du blé complet, source de fibres, ces produits ont progressivement progressé de la classe C à B, puis juste en dessous du seuil permettant d’être classées en A. Également, dans le nouveau classement, la viande rouge (dont la consommation excessive est considérée comme à risque élevé de certains cancers) devient moins bien classée que la volaille ou le poisson. Pour les boissons, seule l’eau reste classée A. Les boissons sucrées avec des teneurs en sucre très limitées (environ <2 g/100mL) passent en B, alors que celles avec des quantités élevées de sucre sont maintenues en D ou E. Les boissons contenant des édulcorants type aspartame ne sont plus classées en B mais en C, et même D ou E si elles contiennent en plus du sucre. Les laits écrémés et demi-écrémés sont classés B, la classe la plus favorable pour les boissons, l’eau étant la seule classée A. Ils sont maintenant différenciés du lait entier qui est classé C. Les boissons lactées sucrées (laits aromatisés), de même que les yaourts à boire aromatisés sont principalement classés D et E. Les boissons à base de plantes (soja, avoine, riz, amandes, etc) sont classées de B à E selon leur caractéristique nutritionnelle.


Tous ces changements s’appuient sur les avancées de la recherche scientifique. Dans un article paru en novembre 2024 dans le Lancet Regional Health-Europe, une équipe d’experts internationaux rapportent un risque accru de maladies cardiovasculaires (infarctus et accidents vasculaires cérébraux) associé à la consommation d’aliments moins bien classés sur l’échelle de la nouvelle version 2024 du Nutri-Score au sein de la cohorte européenne EPIC (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition). Cette étude pivot a inclus dans l’analyse 345 533 participants de la cohorte, répartis dans 7 pays d’Europe et suivis pendant 12 ans. Cette étude, confirmant la validité du Nutri-Score, fait suite à deux études publiées en 2018 et en 2020 dans la même population et portant sur le risque de cancer et sur la mortalité. Un bref résumé en français de cette étude vient de paraître. De multiples autres études (plus de 150) publiées dans des journaux scientifiques internationaux ont démontré la validité du Nutri-Score tant pour caractériser la qualité nutritionnelle des aliments, que pour son efficacité à aider les consommateurs à choisir des produits de meilleure qualité nutritionnelle. Les liens entre la consommation d’aliments moins bien classés sur l’échelle du Nutri-Score et un risque accru de maladies cardiovasculaires n’avaient jusqu’ici été observés que dans des études françaises (cohortes SU.VI.MAX et NutriNet-Santé). Depuis, des études indépendantes conduites en France, au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie ont observé des associations similaires avec un risque accru pour diverses pathologies chroniques ainsi que de mortalité prématurée. 


Le Nutri-Score devra continuer d’évoluer en fonction de l’avancée des recherches. L’information des consommateurs sur la composition nutritionnelle devra s’accompagner de l’information sur le fait que l’aliment est ultra-transformé ou non (Classe NOVA-4), dont on sait maintenant au-delà de tout doute l’effet néfaste sur la santé même dans le cadre du suivi des recommandations nutritionnelles, comme nous l’avons récemment rapporté. Il y a la possibilité de combiner graphiquement le Nutri-Score à un logo de classement parallèle ou par un encadrement en noir du logo actuel si l’aliment est ultra-transformé. Ce dernier type de représentation a d’ores et déjà mis en évidence qu’il permet aux consommateurs d’intégrer ces deux dimensions complémentaires des aliments, et d’orienter leurs choix vers des aliments plus favorables à leur santé.


La mise à jour du Nutri-Score permet une meilleure cohérence et un meilleur alignement avec les recommandations nutritionnelles récentes en vigueur en Europe, au bénéfice des consommateurs et de la santé publique. Ces recommandations nutritionnelles sont très similaires à celles du Canada. L’évolution ces dernières années de la santé globale des Européens est meilleure que celle rapportée par Statistique Canada pour les Canadiens, avec une espérance de vie qui continue de croitre en Europe, notamment dans les pays ayant adopté le Nutri-Score. La question est donc, pourquoi n’avons-nous pas de Nutri-Score sur nos aliments? La prévention est la pierre angulaire de la santé des populations, et une prise de position politique allant dans ce sens donnerait de la cohérence aux discours en santé publique de nos dirigeants. Notre système de santé, d’une part, et l’obligation de nos gouvernements à protéger la santé des Canadiens, d’autre part, ne peuvent plus se permettre de faire l’impasse sur des actions concrètes en santé publique comme celle aussi simple et efficace que l’imposition du Nutri-Score à l’industrie alimentaire.

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