Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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21 août 2017
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Le stress et ses effets sur le cœur

Mis à jour le 22 mai 2018

Chez les animaux, la détection d’un danger (odeur de fumée, vue d’un prédateur, bruit de coup de feu) par les organes sensoriels (nez, œil, oreille) déclenche une alerte maximale du cerveau qui va amorcer une série de processus extrêmement complexes appelés « réaction de combat-fuite ». En activant les glandes surrénales, le cerveau commande la libération dans le sang d’hormones d’action comme l’adrénaline de façon à augmenter le rythme respiratoire, les pulsations cardiaques, l’apport d’oxygène aux tissus, ainsi que le niveau d’éveil et d’attention cérébrale, tous ces changements permettant de combattre ou de fuir rapidement le danger. C’est le stress biologique, essentiel à la survie de l’individu et, à travers lui, à celle de son espèce. Selon la durée des réactions métaboliques on distingue trois catégories d’effets : 1) les effets immédiats provoqués par la génération d’adrénaline et de noradrénaline par le système nerveux sympathique (durée de quelques secondes) ; 2) les effets intermédiaires provenant de la sécrétion d’adrénaline et de noradrénaline par la médulla des glandes surrénales (durée : quelques minutes) ; 3) les effets prolongés provoqués par l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (ou axe corticotrope), la vasopressine et la thyroxine (durée : quelques heures, jusqu’à des semaines).

Axe corticotrope
Lorsqu’une situation génératrice de stress survient, des signaux neuronaux sont produits dans le cerveau par le système limbique (amygdale, hippocampe) et transmis à l’hypothalamus (voir figure 1).

Figure 1. Axe corticotrope. Adapté de Managing Stress, 2015.

En réponse à ce signal, l’hypothalamus sécrète l’hormone corticolibérine (CRH) qui active l’hypophyse, une glande endocrine qui sécrète plusieurs hormones dont l’adrénocorticotropine (ACTH). Cette hormone est rapidement reconnue par des récepteurs spécifiques présents dans les glandes surrénales, ce qui déclenche la sécrétion de corticostéroïdes (cortisol, aldostérone) et de l’adrénaline. La réponse au stress est relayée par ces messagers qui ont pour effets d’augmenter le métabolisme (plus de sources d’énergie) et la pression artérielle. Le cortisol augmente la pression artérielle, le taux de sucre sanguin et inhibe le système immunitaire. Les catécholamines (adrénaline et noradrénaline) facilitent une utilisation rapide et en puissance des muscles. L’adrénaline se lie aux récepteurs des cellules du foie et stimule la production de glucose. Le cortisol induit aussi la transformation des acides gras en sucres et la gluconéogenèse (production de glucose à partir de glycogène), ce qui permet un apport d’énergie important aux muscles afin de fuir ou combattre la situation génératrice du stress.

Le stress intense et ses effets sur le cœur
Le stress intense a un effet très important sur le système nerveux autonome sympathique qui provoque une grande stimulation du cœur directement, de même que par l’intermédiaire d’hormones comme l’adrénaline. Ces changements accélèrent le rythme cardiaque, provoquent des arythmies cardiaques sévères ou encore peuvent provoquer une contraction des artères coronaires. Un bon exemple de l’impact négatif du stress est la hausse considérable de mortalité subite qui survient à la suite d’un événement tragique : dans les semaines qui ont suivi le tremblement de terre survenu au large de Sendai et le puissant tsunami qui a dévasté cette région du nord-est du Japon en 2011, le nombre de personnes décédées subitement a doublé comparativement aux années précédentes, une tendance qui s’est maintenue dans les trois semaines suivant le choc initial (figure 2). Une hausse de mortalité subite a aussi été observée à la suite d’autres tremblements de terre majeurs (voir ici et ici), ce qui illustre à quel point la réponse physiologique à un stress aigu peut entraîner des répercussions négatives sur le cœur.

Figure 2. Augmentation du nombre d’arrêts cardiaques durant le grand tremblement de terre du Japon oriental en 2011, dans les trois préfectures les plus touchées (Iwate, Miyagi, Fukushima). Source : Kitamura et coll. (2013).

Syndrome des cœurs brisés ou syndrome du tako-tsubo
Des personnes qui n’ont pas de maladie coronarienne, mais qui sont soumis à un stress émotionnel intense peuvent souffrir de syndromes connus sous différentes appellations : « syndrome du cœur brisé », syndrome de tako-tsubo, syndrome de ballonisation apicale transitoire du ventricule gauche, sidération myocardique et « neurogenic stress cardiomyopathy ». Ces syndromes, qui ont des caractéristiques pathophysiologiques communes sont regroupés sous le terme de « cardiomyopathies induites par le stress ». Les cardiomyopathies induites par le stress sans atteinte neurologique touchent majoritairement les femmes (80-90 % des patients), tout particulièrement les femmes ménopausées. Dans la majorité des cas, un stress émotionnel ou physique est survenu avant l’apparition des symptômes. Initialement décrit en 1990 par des cardiologues japonais, le syndrome de tako-tsubo survient lorsqu’une personne est exposée à un stress important ou encore à une très mauvaise nouvelle et développe subitement une douleur thoracique de grande intensité, secondaire à un infarctus du myocarde. Si la personne survit (ce qui est généralement le cas), on note à son arrivée à l’hôpital un infarctus aigu du myocarde, mais sans aucune lésion artérielle, c’est-à-dire sans aucun blocage des coronaires. Le nom « tako-tsubo » vient de la forme du ventricule gauche lors de l’examen par angiographie (figure 3) qui a la forme d’un vase (壺, tsubo) qui ressemble à un piège que les pécheurs japonais utilisent pour attraper les pieuvres (蛸, tako). Ce phénomène est causé par une atteinte sévère du ventricule gauche qui est la région du muscle cardiaque qui pompe le sang artériel vers le corps. Plusieurs facteurs déclencheurs ont été identifiés au fil des années, la plupart d’entre eux étant associés à des émotions fortes négatives comme le deuil, la colère ou la peur. Des résultats récents indiquent toutefois que des émotions positives fortes (mariage, victoire d’une équipe sportive) peuvent également provoquer l’apparition de ce syndrome.

Figure 3. Illustration à gauche : Imagerie par angiographie d’un cœur d’une personne souffrant d’un tako-tsubo. Photo à droite : Le piège à pieuvres (tako-tsubo) utilisé par des pécheurs au Japon.

Stress chronique
Mis à part ces exemples assez extraordinaires qui démontrent les effets dramatiques que peuvent avoir le cerveau et nos émotions sur le cœur, des milliers d’études ont été publiées sur l’effet du stress chronique, des émotions négatives, de l’anxiété, de la dépression, de la colère et de l’hostilité, sur l’incidence de maladies coronariennes à long terme. Dans les années 1940 et 1950, les premiers psychosomaticiens, c’est-à-dire des psychiatres (en général, des psychanalystes), se sont intéressés aux caractéristiques psychologiques qui semblaient associées aux patients qui souffrent d’une maladie coronarienne. Par la suite, dans les années 1960, deux cardiologues, R. H. Rosenman et Meyer Friedman, ont décrit la personnalité de type A, c’est-à-dire des personnes pressées, impatientes et ayant de la difficulté à gérer leur agressivité. Posséder ce type de personnalité semblait lié à l’apparition d’une maladie coronarienne, mais ce lien est encore assez controversé de nos jours. La recherche sur le sujet suggère que ce sont plutôt deux composantes présentes chez les personnalités de type A, soit la colère et l’hostilité, qui constituent des facteurs de risque importants. En effet, une méta-analyse de 25 études a démontré que ces deux émotions sont associées à un risque plus élevé de subir un infarctus du myocarde. Elles sont aussi liées à un plus grand risque de récidives selon 19 études auprès de patients ayant déjà subi un accident cardiaque.

Malgré les nombreuses observations prouvant l’existence d’un lien étroit entre le cerveau et les maladies cardiovasculaires, cette question est passée relativement sous le radar des cardiologues jusqu’à la publication de l’étude INTERHEART du cardiologue canadien Salim Yusuf. Réalisée auprès de plus de 24 000 personnes vivant dans 52 pays différents, cette grande étude visait à déterminer les principaux facteurs de risque d’infarctus du myocarde. À l’origine, le Dr Yusuf voulait surtout étudier les principaux facteurs de risque classiques, soit le cholestérol, l’hypertension, l’obésité abdominale et le tabac, mais il avait décidé, même s’il y croyait peu, d’observer également les mesures de stress perçu ou objectivé des patients. Un ajout pertinent, car l’étude a permis de démontrer que les stress « psychosociaux » sont effectivement associés à un risque accru d’infarctus du myocarde et que cet effet, bien que moins important que le tabagisme, est comparable à l’effet de l’hypertension et de l’obésité abdominale. Le Dr Yusuf a conclu son article en soulignant que les facteurs psychosociaux sont beaucoup plus importants qu’on l’avait reconnu jusqu’alors et qu’ils peuvent contribuer à une proportion « substantielle » des infarctus du myocarde dans toutes les sociétés. Plusieurs mécanismes peuvent expliquer l’effet du stress sur le système cardiovasculaire et, notamment, les artères coronaires : une inflammation, une augmentation de la coagulabilité du sang, une diminution de la fibrinolyse (capacité du sang à dissoudre les caillots) ainsi qu’une augmentation des catécholamines circulantes (hormones adrénaline et noradrénaline) qui, entre autres, accélèrent le cœur et augmentent sa force de contraction.

Figure 4. Les effets pathophysiologiques du stress psychosocial aigu. D’après Piña et coll., J. Am. Coll. Cardiol. 2018.

Dépression et maladies cardiovasculaires
Pour ce qui est de la dépression, plusieurs études affirment qu’un état dépressif après un infarctus du myocarde augmente le risque de mortalité au cours des mois suivant le congé de l’hôpital. Une étude effectuée à l’Institut de Cardiologie de Montréal par le Dr François Lespérance et ses collaborateurs a démontré que la présence de dépression chez des patients hospitalisés après un épisode d’angine instable multiplie par 6 les risques de récidive fatale ou d’infarctus dans l’année qui suit le congé de l’hôpital.

Bien que le stress et de la dépression soient maintenant reconnus comme des facteurs de risque importants de maladies cardiovasculaires, les études portant sur les traitements de ces conditions à l’aide de médicaments antidépresseurs ou anxiolytiques n’ont pas donné de résultats probants. Il s’agit d’un problème considérable puisque jusqu’à 30 à 40 % des patients présentent des symptômes dépressifs après un infarctus du myocarde, qui peuvent grandement augmenter le risque de récidive et de mort prématurée, s’ils ne sont pas traités adéquatement. On constate également un taux élevé de dépression après une chirurgie cardiaque. Au Centre ÉPIC de l’ICM, nous observons depuis une trentaine d’années qu’un programme de réadaptation cardiaque comprenant un entraînement à l’effort pratiqué deux à trois fois par semaine sur place, au Centre, en compagnie d’un groupe de patients présentant des conditions semblables, favorise considérablement l’amélioration des sentiments dépressifs et la diminution du stress après un accident cardiaque ou une intervention chirurgicale. Lorsqu’on demande aux patients ce qui est le plus important pour eux après un infarctus du myocarde, plusieurs d’entre eux répondent qu’ils voudraient avant tout « diminuer leur stress ». Les patients ont également souvent la conviction que le stress qu’ils vivent est la première cause de leur condition cardiaque.

Pour arriver à prévenir efficacement les récidives, tout doit donc commencer par le cerveau, parce qu’une fois que le stress et les états dépressifs sont bien « gérés » et que les priorités sont redéfinies, les patients sont prêts à modifier leurs habitudes de vie de façon importante. Malheureusement, les patients qui proviennent de milieux socio-économiques défavorisés ont des difficultés sur lesquelles la médecine seule a peu d’emprise ; ce sont ces patients-là qui profitent le moins des programmes de prévention pour de multiples raisons économiques et sociales. Ce phénomène est bien documenté dans tous les pays occidentaux. La pauvreté reste le plus grand facteur de risque de mortalité prématurée.

Gestion de stress
Comment peut-on modifier nos habitudes de vie lorsque notre condition psychologique est instable ? Selon mon expérience, les patients qui évoluent le mieux sont ceux qui ont réussi à faire ces changements de façon assez radicale, soit par eux-mêmes, parce qu’un infarctus du myocarde ou une chirurgie cardiaque a été le déclencheur d’une remise en question, soit grâce à l’aide d’une équipe multidisciplinaire et d’un programme de gestion du stress. Depuis une dizaine d’années, nous utilisons l’approche mise au point par Jon Kabat-Zinn, du Center for Mindfulness de l’École de médecine de l’Université du Massachusetts, à Boston, qui utilise ce qu’on appelle le « mindfulness-based stress reduction » ou « gestion du stress par la pleine conscience ». Il s’agit d’une approche assez intensive qui se présente sous forme d’ateliers hebdomadaires de deux heures et demie pendant 8 semaines. Au centre ÉPIC de l’ICM, ces ateliers sont animés par le Dr Robert Béliveau et d’autres professionnels expérimentés dans cette approche. Cette méthode a fait ses preuves depuis plus de 25 ans et de nombreux articles scientifiques ont démontré son efficacité, non seulement pour réduire le stress et améliorer la qualité de vie en général, mais aussi pour prévenir les récidives après un accident cardiaque. Par exemple, une étude affirme que la pratique de la méditation pendant 20 minutes, deux fois par jour, diminue de moitié les rechutes après un accident cardiaque au cours des cinq années suivantes. En gérant beaucoup mieux leur stress, les patients adoptent plus facilement tous les changements nécessaires pour éviter les récidives.

Est-ce qu’on devrait aussi utiliser cette approche en prévention primaire, c’est-à-dire avant de tomber malade ? La réponse est oui, absolument. Les personnes qui présentent de nombreux facteurs de risque ou qui ont une qualité de vie médiocre à cause d’un stress chronique peuvent bénéficier grandement de cette approche basée sur la pleine conscience. J’encourage le lecteur à se documenter sur ce sujet : il existe de nombreux ouvrages très accessibles (Christophe André : Méditer jour après jour, Matthieu Ricard : L’art de la méditation, Jon Kabat-Zinn : Au cœur de la tourmente, la pleine conscience) et Rick Hanson : Hardwiring Happiness).

Ce que les neurosciences nous ont appris, et que Rick Hanson décrit très bien dans son livre Hardwiring Happiness (2013), c’est que le cerveau humain est d’abord passé par un stade « reptilien » au cours de l’évolution, c’est-à-dire qu’il a à la base renforcé nos réactions face au danger pour favoriser notre survie. Évidemment, le cerveau a évolué et est devenu beaucoup plus complexe à la suite du développement du cortex cérébral, mais les vestiges de notre cerveau reptilien demeurent présents. Nous avons donc une propension à donner de 3 à 5 fois plus d’importance aux événements négatifs qu’aux événements positifs (voir ici et ici). Par exemple, Daniel Kahneman, qui a reçu le prix Nobel d’économie en 2002 pour ses études à ce sujet, a observé que, pour un montant d’argent égal, une perte financière est perçue beaucoup plus fortement qu’un gain. Autrement dit, si vous perdez 1000 $ à la Bourse, l’impact psychologique sera aussi fort que si vous gagnez 5000 $. Il en est de même dans nos relations interpersonnelles : une remarque ou un comportement négatif à notre endroit a de 3 à 5 fois plus d’impact que son équivalent positif. Cette tendance à survaloriser le côté négatif a permis à l’humain de survivre et d’évoluer. Par exemple, s’inquiéter puis s’assurer qu’il n’y a pas de serpent caché dans un buisson est une situation où la vigilance permet d’éviter une morsure, tandis que l’insouciance face au danger peut causer la mort. Ainsi, notre cerveau est programmé pour s’inquiéter. Pour bien gérer notre stress et améliorer notre qualité de vie, il faut donc travailler activement à le « reprogrammer » pour qu’il accorde plus d’importance aux effets des expériences positives qu’à ceux des expériences négatives.

L’approche suggérée par Jon Kabat-Zinn, Christophe André ou Matthieu Ricard permet de prendre un temps d’arrêt, de bien observer nos réactions physiques et psychologiques, et de modifier nos perceptions et nos comportements. Contrairement à ce que plusieurs personnes pensent, la méditation n’est pas une technique de relaxation ni une façon de masquer nos problèmes. C’est tout le contraire ; le but est de s’arrêter un instant, de se concentrer sur le moment présent et d’observer ses pensées pour arriver à transformer sa façon de réfléchir. Plutôt qu’un moyen de relaxation, il s’agit en fait d’un moyen de transformation.

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