Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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16 juillet 2019
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Baisse marquée du taux de tabagisme chez les jeunes (contrairement à ce que disent les manchettes)

Au cours des dernières années, on a beaucoup fait état de la hausse marquée de l’utilisation des cigarettes électroniques par les jeunes, une tendance qui s’est récemment accentuée avec l’arrivée sur le marché de la Juul (voir notre article à ce sujet).  Le ton souvent alarmiste qui accompagne les comptes-rendus de ces études laisse entendre que le vapotage atteint actuellement des proportions « épidémiques » et pose une grave menace pour la santé des jeunes en risquant de les entrainer vers la cigarette traditionnelle.

Ces craintes sont sans doute de bonne foi, mais elles ne correspondent pas du tout aux résultats des enquêtes sérieuses qui ont été réalisées au cours des dernières années, notamment en ce qui concerne les taux de tabagisme chez les jeunes.

Le tabagisme est en chute libre chez les jeunes.  On en parle très peu, mais une des tendances les plus encourageantes dans la lutte au tabac est la baisse marquée du tabagisme chez les jeunes observée au cours des dernières années. Un des meilleurs exemples de cette réduction est fournie par l’enquête « Monitoring the future », une grande étude épidémiologique menée depuis 1975 par des chercheurs de l’université du Michigan, qui mesure annuellement la prévalence des utilisateurs de différentes drogues par les étudiants américains de niveau secondaire.  Comme l’illustre la Figure 1, alors que le tabagisme juvénile a atteint un pic en 1997 avec 37 % des jeunes du 12th grade (l’équivalent de notre secondaire 5) qui fumaient occasionnellement et 25 % qui fumaient quotidiennement, ces proportions ont considérablement chuté depuis pour atteindre 7,6 et 2 %, respectivement, en 2018.  Une tendance similaire est observée au Canada, avec environ 3,5 % des jeunes de 12-17 ans qui étaient fumeurs (occasionnels ou réguliers) en 2017, une baisse de 25 % comparativement à 2013 (4,6 %). Il faut aussi noter que selon les dernières données de Statistique Canada, la proportion des Canadiens âgés de 12-17 ans qui fumaient quotidiennement la cigarette n’était plus que de 0,9 % en 2018.

Figure 1.  Évolution de la proportion de fumeurs chez les étudiants américains de secondaire 5 de 1975 à nos jours.  Adapté de Bates (2019).

L’arrivée sur le marché des cigarettes électroniques peut-elle renverser ces tendances, comme plusieurs le craignent ?  On a fait beaucoup état de certaines études (ici,ici et ici, par exemple) qui rapportaient que les adolescents qui ont essayé la cigarette électronique sont plus susceptibles de fumer une cigarette de tabac que ceux qui n’ont jamais été en contact avec la cigarette électronique.  Mais comme l’ont fait remarquer plusieurs experts, cette interprétation n’est pas valable scientifiquement, car il est impossible d’établir un lien de cause à effet entre les deux phénomènes : un jeune attiré par le tabac va expérimenter plusieurs formes disponibles, sans que cela signifie que l’essai de l’une le pousse vers une autre.

Pour déterminer l’impact de la cigarette électronique, la meilleure mesure demeure d’examiner l’évolution du tabagisme juvénile.  Et de ce côté, les résultats sont rassurants :  même si ces produits sont apparus relativement récemment (vers 2010), les données disponibles suggèrent qu’ils n’ont pas eu d’impacts négatifs sur l’adoption de la cigarette par les jeunes : aux États-Unis, par exemple, le taux d’abandon du tabac est 3 à 4 fois plus élevé entre 2010 et maintenant qu’entre la période de 1975 à 2010, ce qui suggère que la cigarette électronique aurait au contraire accéléré la diminution du tabagisme chez les jeunes (Figure 1).  Il faut aussi noter que la Juul est disponible depuis 2015 aux États-Unis et a depuis conquis la majeure partie du marché de la cigarette électronique, sans que cela se traduise pour autant par une recrudescence du tabagisme juvénile.  Les données sont également rassurantes du côté de l’Angleterre, où la cigarette électronique est disponible depuis plusieurs années : le taux de tabagisme est en baisse constante depuis 2011 et la plus forte diminution est justement observée chez les 18-24 ans.

Selon les données actuellement disponibles, la crainte que le vapotage mène au tabagisme semble donc totalement non fondée.  Au contraire, il semble plutôt que le vapotage représente une alternative de plus en plus populaire à la cigarette traditionnelle et pourrait même à court et moyen terme remplacer les produits de tabac conventionnels. Ceci est très encourageant, car il est clairement établi que la vapeur de cigarette électronique est beaucoup moins nocive que la fumée de cigarette, notamment en raison d’une diminution très importante de la présence de composés cancérigènes.

Les vapoteurs réguliers sont généralement des fumeurs.  Une étude révélait récemment que la proportion de jeunes utilisateurs de cigarette électronique avait considérablement augmentée au Canada, passant de 29 à 37 %. À première vue, cela peut sembler effectivement énorme, et c’est d’ailleurs ce type de statistiques qui est à l’origine des inquiétudes formulées par les critiques du vapotage.

Il est toutefois important de savoir que dans ce type d’études, un individu est considéré comme étant fumeur ou vapoteur s’il a utilisé ces produits au moins une fois (ever user en anglais) au cours d’une période donnée (le dernier mois, par exemple) ou encore au cours de sa vie.  Cette approche ne parvient donc pas à distinguer les utilisateurs occasionnels de ceux qui fument ou vapotent régulièrement.  Pour faire une analogie simple, c’est un peu comme si une étude portant sur le jeu pathologique considérait que les personnes qui achètent un billet de loterie de temps à autre appartiennent à la même catégorie que celles qui vont au casino chaque jour. Ce n’est évidemment pas le cas : c’est le développement d’une dépendance envers une substance (tabac, alcool, drogues, opiacés) ou une activité (le jeu excessif, par exemple) qui pose des risques, alors qu’une utilisation occasionnelle s’apparente beaucoup plus une expérimentation, un phénomène qui est particulièrement fréquent chez les jeunes.

D’ailleurs, lorsque l’on tient compte de la fréquence de vapotage et des habitudes de consommation de tabac, la situation est beaucoup moins préoccupante. Comme le montre la Figure 2,  la grande majorité des jeunes ne vapotent qu’occasionnellement (seulement 3,6 % des jeunes de 16-19 ans vapotaient plus de 15 jours par mois selon les dernières estimations); 2) ce sont majoritairement des jeunes qui fument la cigarette (régulièrement ou occasionnellement) qui sont attirés par ces produits et 3)  seule une infime proportion des non-fumeurs (moins de 1 %) vapotent régulièrement.

Figure 2. Distribution des vapoteurs selon la fréquence et les habitudes de consommation de tabac. Notez le très faible pourcentage de jeunes non-fumeurs qui vapotent régulièrement (flèche). Tiré de Hammond et coll. (2019).

La situation n’est donc pas « hors de contrôle », comme on l’entend régulièrement, mais reflète plutôt une nouvelle réalité :  la cigarette traditionnelle n’a plus tellement la cote auprès des jeunes, possiblement en raison des prix exorbitants et de l’interdiction de fumer dans la quasi-totalité des lieux publics.  La grande majorité de ceux qui veulent expérimenter l’effet du tabac se tourne désormais vers de nouvelles formes de nicotine comme les cigarettes électroniques, mais même dans ce cas, les utilisateurs réguliers de ces produits demeurent assez peu nombreux, et sont pour la plupart des jeunes qui sont à la base attirés par le tabac ou enclins à adopter des comportements plus à risque en général.  Ce dernier point est bien illustré par une étude réalisée au Colorado, où les chercheurs ont observé que les vapoteurs sont de 5 à 10 fois plus susceptibles d’avoir déjà utilisé dans leur vie des drogues dures comme la cocaine ou de boire régulièrement des quantités excessives d’alcool que les non-vapoteurs (Tableau 1).

Tableau 1.  Comparaison de la prévalence de comportements à risque entre les vapoteurs et non-vapoteurs. Tiré de Ghosh et coll. (2019)

Dans l’ensemble, et quoiqu’en disent les manchettes sensationnalistes des dernières années, on doit donc considérer que la cigarette électronique ne représente pas une menace aux énormes progrès que nous avons faits dans la lutte au tabac. Au contraire, les vapoteurs réguliers sont très majoritairement des fumeurs et l’adoption de ces produits permet donc de réduire substantiellement les risques associés à la fumée de cigarette. Si l’on se fie aux très faibles pourcentages de non-fumeurs qui vapotent régulièrement, il semble également que la vapeur de nicotine entraine une dépendance moindre que la cigarette traditionnelle et il est très peu probable qu’elle puisse servir de porte d’entrée vers le tabac.

Il ne faudrait pas non plus oublier que la principale utilité de la cigarette électronique demeure de représenter un des meilleurs moyens pour cesser de fumer, avec une efficacité deux fois plus élevée que celle obtenue avec les substituts nicotiniques. Les britanniques ont depuis longtemps reconnu l’utilité de la cigarette électronique dans la lutte au tabac et, chose difficile à imaginer ici, ont même fait de ces produits l’emblème des campagnes antitabac (voir la photo).

(Publicité de la Public Health England faisant la promotion de la cigarette électronique pour cesser de fumer)

Un effet collatéral extrêmement dommageable de « l’hystérie » actuelle envers la cigarette électronique est de rendre les fumeurs méfiants à l’égard de ces produits et de se priver du même coup d’une aide précieuse au sevrage tabagique.  Les derniers sondages montrent d’ailleurs une forte augmentation du nombre de fumeurs qui pensent que la cigarette électronique est aussi, sinon plus dommageable que la cigarette traditionnelle.  Il s’agit d’une situation très regrettable, qui montre à quel point le mieux est parfois l’ennemi du bien : en voulant à tout prix empêcher le vapotage chez les jeunes, on est en train de créer un climat qui décourage l’utilisation d’alternatives au tabac infiniment moins dangereuses et qui auraient des répercussions très positives sur la santé des fumeurs.

Évidemment, il faut demeurer vigilant quant à l’utilisation de ces produits par les jeunes et je serai le premier à remettre en question le cadre réglementaire entourant leur mise en marché s’il s’avérait que les cigarettes électroniques modernes (la Juul, par exemple) entrainent une recrudescence du tabagisme chez cette population.  Dans l’état actuel des connaissances, par contre, il y a plusieurs raisons d’être optimiste et de considérer la cigarette électronique comme un outil très prometteur pour diminuer le tabagisme et même, espérons-le, à ultimement provoquer la disparition complète de la cigarette traditionnelle.

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