Les aliments ultra-transformés associés à une augmentation du risque de démence

Les aliments ultra-transformés associés à une augmentation du risque de démence

EN BREF

  • Parmi les participants à une étude d’observation au Royaume-Uni, ceux qui ont consommé le plus d’aliments ultra-transformés avaient un risque significativement plus élevé de développer une démence.
  • Selon une estimation, substituer aussi peu que 10 % d’aliments ultra-transformés par des aliments peu ou pas transformés dans le régime alimentaire quotidien est associé à une diminution du risque de démence de 19 %.

Qu’est-ce qu’un aliment ultra-transformé ?
Les aliments ultra-transformés sont généralement préparés à partir de 5 ingrédients ou plus, en utilisant souvent des procédés industriels complexes. Ces aliments sont peu coûteux à fabriquer, appétissants, riches en sucres, sel et gras ajoutés, mais pauvres en protéines, gras polyinsaturés et en fibres. Voici quelques exemples d’aliments ultra-transformés : plats préparés, croquettes de poulet ou de poisson, saucisses, biscuits, yogourts aux fruits sucrés, céréales pour le petit-déjeuner, barres énergétiques, boissons gazeuses, bonbons. La consommation de ces aliments denses en énergie, mais de pauvre qualité au point de vue nutritionnel a augmenté considérablement durant les dernières décades, au point qu’ils constituent aujourd’hui plus de 50 % de l’apport alimentaire total dans certains pays, tels les États-Unis par exemple (58 %).

Les aliments ultra-transformés ont été associés à des effets nocifs sur la santé tels que les maladies cardiovasculaires, le diabète, le cancer, la dépression et la mortalité de toutes causes. Des chercheurs de la Chine et de la Suède se sont demandé s’il y avait aussi un lien défavorable entre la consommation d’aliments ultra-transformés et les risques de démence.

Les chercheurs ont utilisé les données de la Biobank du Royaume-Uni, une étude prospective auprès de 72 083 participants âgés de 55 ans ou plus qui ont été suivis durant 10 ans en moyenne. Tous les participants ne montraient aucun signe de démence au début de l’étude. Après 10 ans, on a diagnostiqué une démence chez 518 participants (0,72 %), dont 287 participants (0,4 %) qui ont développé la maladie d’Alzheimer et 119 participants (0,17 %) qui ont développé une démence vasculaire. Durant l’étude, les participants ont rempli au moins deux questionnaires détaillés sur leur alimentation, ce qui a permis aux chercheurs d’estimer quel pourcentage des aliments consommés étaient ultra-transformés. Les chercheurs ont ensuite divisé les participants en quatre groupes (quartiles) selon leur niveau de consommation d’aliments ultra-transformés.

Les participants du premier quartile ont en moyenne consommé 225 g d’aliments ultra-transformés (9 % de l’apport alimentaire quotidien), alors que ceux du quartile supérieur en ont consommé 814 g (28 % de l’apport quotidien). Ce sont, dans l’ordre, les boissons gazeuses, les sucreries et les produits laitiers ultra-transformés qui étaient les aliments ultra-transformés les plus consommés. Cent-cinq participants sur les 18 021 faisant partie du premier groupe qui consommaient le moins d’aliments ultra-transformés ont développé une démence, comparé à 150 sur les 18 021 participants du groupe (quartile) qui consommaient le plus d’aliments ultra-transformés. Après ajustements des données pour tenir compte de l’âge, du sexe, de l’historique familial de démence et maladie cardiaque et d’autres facteurs, il a été estimé que pour chaque augmentation de 10 % de l’apport quotidien d’aliments ultra-transformés, les participants avaient un risque 25 % plus élevé de démence. Le lien était encore plus fort pour les démences vasculaires (28%) comparativement à la démence de type Alzheimer (14%).

Toujours selon la même étude, il a été estimé que substituer 10 % d’aliments ultra-transformés par des aliments peu ou pas du tout transformés (fruits, légumes, légumineuses, lait et viande) est associé à une diminution du risque de démence de 19 %.  Plus concrètement, une augmentation de 50g/jour d’aliment non-transformés, équivalent à une demi-pomme par exemple, en remplacement de 50g/jour d’aliments ultra-transformés (équivalent à une barre de chocolat ou une tranche de bacon) pourrait diminuer de 3% le risque de démence. Ainsi, de petits changements dans le régime alimentaire, demandant peu d’efforts, pourrait faire une différence importante dans le risque de démence d’une personne.

L’alimentation restreinte dans le temps, une approche prometteuse pour la prévention des maladies chroniques

L’alimentation restreinte dans le temps, une approche prometteuse pour la prévention des maladies chroniques

Au cours des dernières années, nous avons commenté à plusieurs reprises (ici, ici, ici et ici) les travaux de recherche qui se sont penchés sur les bénéfices associés au jeûne intermittent et à la restriction calorique en général.  Dans cet article, nous abordons ce sujet sous un angle plus général : comment expliquer que le simple fait de restreindre l’apport calorique à une fenêtre de temps plus courte puisse entrainer de tels bénéfices ?

Il est maintenant clairement établi que ce que nous mangeons quotidiennement exerce une énorme influence sur le développement de l’ensemble des maladies chroniques. Comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, de nombreuses études ont en effet montré qu’un apport élevé en végétaux (fruits, légumes, grains entiers, légumineuses, noix et graines) est associé à une baisse importante du risque de ces maladies, tandis qu’à l’inverse, le risque de surpoids, de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2, de plusieurs types de cancers et de mortalité prématurée est augmenté par la consommation excessive de produits d’origine animale (viandes et charcuteries en particulier) ainsi qu’en aliments industriels ultratransformés.

La qualité de l’alimentation ne semble cependant pas le seul paramètre qui peut moduler le risque de ces maladies chroniques : de nombreuses études réalisées au cours des dernières années suggèrent que la période de temps pendant laquelle les aliments sont consommés joue elle aussi un rôle très important dans ce risque.  Par exemple, des études précliniques ont révélé que des rongeurs qui ont un accès continuel à une nourriture riche en sucre et en gras développent un excès de poids et plusieurs perturbations métaboliques impliquées dans la genèse des maladies chroniques (la résistance à l’insuline, notamment), tandis que ceux qui mangent la même quantité de nourriture, mais dans un laps de temps plus court, ne présentent pas ces anomalies métaboliques et n’accumulent pas de poids excédentaire.

Autrement dit,  ce ne serait pas seulement la quantité de calories qui importe, mais aussi la fenêtre de temps pendant laquelle ces calories sont consommées. Ce nouveau concept d’alimentation restreinte dans le temps (ART) est vraiment révolutionnaire et suscite actuellement énormément d’intérêt de la part des communautés scientifique et médicale.

Jeûne intermittent

Au sens strict du terme, l’alimentation restreinte dans le temps est une forme de jeûne intermittent puisque l’apport calorique est limité à des périodes relativement courtes de la journée (6-8 h par exemple), en alternance avec des périodes de jeûne allant de 16 à 18 h (une formule populaire est l’alimentation 16 : 8, c’est-à-dire un jeûne de 16 h suivi d’une fenêtre d’alimentation de 8 h). Ce type de jeûne intermittent est généralement plus facile à adopter que d’autres types de jeûnes plus restrictifs comme l’alimentation  5 : 2, dans laquelle 5 jours d’alimentation normale sont entrecoupés de 2 jours (consécutifs ou non) où l’apport calorique est nul ou très faible, ou encore le alternate day fasting (1 jour sur deux de jeûne, en alternance). Étant donné que l’ART consiste simplement à souper tôt ou à déjeuner tard pour parvenir à ne pas manger pendant une période de 16 à 18 h, ce type de jeûne intermittent ne provoque généralement pas de bouleversements majeurs dans les habitudes de vie et est en conséquence à la portée de la plupart des gens.

Manger trop et trop souvent

L’intérêt suscité par l’ART et les autres formes de jeûnes intermittents peut être considéré,  dans une certaine mesure, comme une réaction à la forte augmentation du nombre de personnes en surpoids observée au cours des dernières décennies.  Les statistiques montrent en effet que 2/3 des Canadiens sont actuellement en surpoids (IMC>25), incluant un tiers qui sont obèses (IMC>30), et ce surpoids est devenu tellement la norme qu’on oublie à quel point notre tour de taille collectif a grimpé en flèche depuis 50 ans.

Par exemple, les statistiques publiées par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains indiquent qu’entre 1960 et 2010, le poids moyen d’un américain est passé de 166 livres à 196 livres (75 à 89 kg), tandis que celui des femmes passait de 140 livres à 166 livres (63 à 75 kg) (Figure 1).  Autrement dit, en moyenne, une femme pèse actuellement le même poids qu’un homme qui vivait durant les années 60 !   Pas étonnant que les gens soient beaucoup plus minces qu’aujourd’hui dans les photos de famille ou les films datant de cette époque….

Figure 1. Augmentation du poids corporel moyen de la population américaine au cours des dernières décennies.  Adapté à partir des données provenant des CDC. Notez que le poids moyen des femmes en 2010 était identique à celui des hommes en 1960 (cercles rouges).  Une tendance similaire, mesurée par la hausse de l’indice de masse corporellle, a été observée dans plusieurs régions du monde, incluant le Québec.

La surconsommation de calories, en particulier celles provenant d’aliments industriels ultratransformés, est certainement l’un des principaux facteurs qui ont contribué à cette augmentation rapide du poids corporel de la population.  L’environnement dans lequel nous vivons encourage fortement cet apport excessif en énergie (publicité agressive, aliments préparés surchargés de sucre et de gras, disponibilité quasi illimitée des produits alimentaires), si bien que, collectivement, nous mangeons non seulement trop, mais aussi trop souvent.  Par exemple, une étude réalisée aux États-Unis a montré que ce que l’on considère généralement comme l’alimentation standard, c’est-à-dire la consommation de trois repas par jour répartis sur une période de 12 h, est au contraire un phénomène assez marginal (moins de 10% de la population). En réalité, l’étude a montré que la plupart des gens mangent à plusieurs reprises au cours de la journée (et de la soirée), avec un intervalle moyen de seulement 3 h entre les périodes de consommation de calories. Selon cette étude,  plus de la moitié de la population consomme sa nourriture sur une période de 15 h et plus par jour, ce qui augmente évidemment les risques d’un apport excessif en énergie. Il faut d’ailleurs noter que ces chercheurs ont observé que pour la très grande majorité des participants, toute la nourriture consommée après 18h30 excédait leurs besoins énergétiques.

Contrôle du poids (et du métabolisme)

Plusieurs études suggèrent que le jeûne intermittent, incluant l’ART, représente une approche valable pour corriger ces excès et rétablir l’équilibre calorique indispensable au maintien d’un poids corporel normal.  Évidemment, ceci est particulièrement vrai pour les personnes obèses qui mangent plus de 15 h par jour : pour ces personnes, le simple fait de réduire leur fenêtre d’alimentation à 10-12 h, sans nécessairement faire d’efforts particuliers pour restreindre leur apport calorique, est associé à une réduction du poids corporel.

La plupart des études qui se sont penchées sur l’effet de l’ART sur le poids corporel arrivent à des résultats semblables, c’est-à-dire que chez les personnes en surpoids, simplement restreindre la période d’alimentation à une fenêtre de 8-10 h mène généralement à une perte de poids dans les semaines qui suivent (Tableau 1). Cette perte est dans l’ensemble assez modeste (2-4 % du poids corporel), mais peut cependant devenir plus importante lorsque l’ART est combinée à un régime hypocalorique.

Il serait cependant réductionniste de voir l’ART simplement comme une approche destinée au contrôle du poids corporel. En pratique, les études indiquent que même en absence d’une perte du poids (ou lorsque la perte est très modeste), l’ART améliore certains aspects clés du métabolisme.  Par exemple, chez des hommes en surpoids et prédiabétiques, réduire la fenêtre d’alimentation de 12 à 6 h pendant 5 semaines n’a pas permis d’obtenir une perte de poids significative, mais est néanmoins associée à une baisse de la résistance à l’insuline et de la glycémie à jeun.  Ces résultats ont été confirmés par une étude subséquente; dans ce dernier cas, par contre, la diminution de la glycémie induite par l’ART semble seulement survenir lorsque la fenêtre d’alimentation est dans la première portion de la journée (8h-17h) et n’est pas observée pour des fenêtres plus tardives (12h-21h).  Cette supériorité de l’ART réalisée en début de journée pour la réduction de la glycémie à jeun a été observée dans d’autres études, mais demeure inexpliquée à ce jour.

Il faut aussi noter que ces impacts positifs de l’ART sur le métabolisme du glucose sont également observés chez des personnes de poids normal (IMC=22), ce qui souligne à quel point les bénéfices de l’ART dépassent largement la simple perte de poids.

Fenêtre d’alimentationDurée
de l’étude
ParticipantsPrincipaux résultatsSource
13 h (6h-19h)2 sem29 H (moy. 21 ans)
IMC=25
↓ poids (-0,4 kg)
↓ apport calorique
LeCheminant et coll. (2013)
10-12h (moment au choix du participant)16 sem5H, 8F (24-30 ans)
IMC>30
↓ poids (-3,3 kg)
↑ qualité du sommeil
Gill et Panda (2015)
ART : 8h (13h-21h)
Ctl: 13h (8h-21h)
8 sem34H
IMC=30
←→ poids
↓IGF-1
↓gras corporel
Moro et coll. (2016)
ART : 6h (8h-14h)
Ctl: 12h (8h-20h)
5 sem8H (moy 56 ans)
IMC>25 et prédiabète
←→ poids
↓résistance insuline
↓insuline postprandiale
↓pression artérielle
↓appétit en soirée
Sutton et coll. (2018)
8 h (10h-18h)12 sem41F, 5H (moy 50 ans)
IMC=35
↓ poids (-2,6%)
↓ apport calorique
↓pression artérielle
Gabel et coll. (2018)
3h de moins qu'à l’habitude
(déjeuner 1,5h plus tard; souper 1,5h plus tôt)
10 sem12F, 1H (29-57 ans)
IMC=20-39
←→ poids
↓apport calorique
↓gras corporel
Antoni et coll. (2018)
9 h
Tôt : 8h-17h
Tard : 12h-21h
1 sem15H (moy 55 ans)
IMC>25
↓ poids (-0,8 kg)
↓ glycémie postprandiale
↓ TG
↓ glycémie à jeun (seulement pour ART tôt)
Hutchison et coll. (2019)
ART: 8h (12h-20h)
Ctl: 3 repas à heures fixes
12 sem
70H, 46F (moy 47 ans)
IMC>25
↓ poids (1,2%) pour ART (non significative)Lowe et coll. (2020)
10h (moment au choix du participant)12 sem13H, 6F (moy 59 ans)
(atteints du syndrome métabolique)
↓poids
↓tour de taille
↓pression artérielle
↓LDL-cholestérol
↓HbA1C
Wilkinson et coll. (2020)
4h 15h-19h)
6h (13h-19h)
8 sem53F, 5H
IMC>30
↓poids (3 %)
↓résistance insuline
↓stress oxydatif
↓apport calorique (-500kCal/jr en moy)
(pas de diff. entre 4h et 6h)

Cienfuegos et coll. (2020)
ART : 10h
Ctl : 12h
(déficit calorique de 1000 kCal/jr dans les 2 cas)
8 sem53F, 7H
IMC> 35
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-8,5% vs -7,1%)
↓ glycémie à jeun (seulement pour ART)
Peeke et coll. (2021)
8 h (12h-20h)12 sem32F
IMC>32
↓poids (-4 kg)
↓risque CV (score de Framingham)
Schroder et coll. (2021)
8h (moment au choix du participant)12 sem37F, 13H
IMC=35
↓poids (-5 %)Przulj et coll. (2021)
ART : 8h (8h-16h)
Ctl : 10h
(Dans les 2 cas, réduction des calories à 1800 kCal/jr pour les hommes et 1500 kCal/jr pour les femmes)
52 sem71H, 68F (moy 30 ans)
IMC>30
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-8 kg vs -6,3 kg)
Liu et coll. (2022)
ART: 8h
Tôt : 6h-14h
Tard : 11h-19h
5 sem64F, 18H
IMC=22
↓apport calorique
↓résistance à l’insuline (ART tôt)
↓glycémie à jeun (ART tôt)
Xie et coll. (2022)
ART : 10h (à partir de l’heure du déjeuner)
Ctl : pas de limite de temps
(Réduction calorique de 35% dans les deux cas)
12 sem69F, 12H (moy 38 ans)
IMC=34
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-6,2 kg vs -5,1 kg)
Thomas et coll. (2022)
ART: 8h (7h-15h)
Ctl : ≥12h
(Réduction calorique de 500kCal/j dans les deux cas)
14 sem72F, 18H (moy 43 ans)
IMC>30
↓poids supérieure pour ART vs Ctl
(-6,3 kg vs -4,0 kg)
Jamshed et coll. (2022)

Tableau 1. Exemples d’études portant sur les effets de l’ART sur le poids corporel et le métabolisme.

Rythmes métaboliques

Les raisons de l’impact positif d’une alimentation restreinte dans le temps sont à la fois très simples et éminemment complexes.  Simple, tout d’abord, dans la mesure où on peut intuitivement comprendre que le métabolisme, comme n’importe quel travail, requiert des périodes de pause pour optimiser le rendement et éviter la surchauffe et l’épuisement.

Au cours de l’évolution, ces cycles de travail-repos métaboliques se sont développés en réponse au cycle jour-nuit de la Terre, qui correspond en gros à notre cycle éveil-sommeil (Figure 2) : durant le jour, nous sommes en mode actif et la principale fonction du métabolisme est d’extraire l’énergie contenue dans les aliments (glucose, acides gras, protéines) pour subvenir aux besoins de la journée. Par contre, le métabolisme est également prévoyant et économe, et une portion de cette énergie n’est pas utilisée immédiatement, mais est plutôt entreposée sous forme de polymères de glucose (glycogène) ou transformée en gras et stockée au niveau du tissu adipeux pour être utilisée lors de périodes plus ou moins prolongées de jeûne.

Figure 2. Rythmicité des processus métaboliques selon le moment de la journée. La plupart des organismes, y compris les humains, ont évolué pour avoir des rythmes circadiens (près de 24 heures) qui créent des fenêtres de temps optimales pour le repos, l’activité et l’apport en nutriments. Cette horloge moléculaire coordonne les réponses métaboliques appropriées avec le cycle lumière/obscurité et améliore l’efficacité énergétique grâce à la séparation temporelle des réactions anaboliques (sécrétion d’insuline, synthèse de glycogène, lipogenèse) et cataboliques (lipolyse, dégradation du glycogène) dans les tissus périphériques. Les perturbations de ce cycle, par exemple suite à un apport nutritionnel en dehors de la fenêtre de temps privilégiée, compromettent les fonctions des organes et augmentent les risques de maladies chroniques. Adapté de Sassi et Sassone-Corsi (2018).

Dans ce mode maintenance, qui correspond généralement à la période de repos (le soir, la nuit et le début du jour), la fonction du métabolisme est d’assurer que l’apport énergétique à nos cellules demeure adéquat, même en absence d’aliments :  le glucose stocké sous forme de glycogène est tout d’abord utilisé pour maintenir la glycémie à un taux constant, suivi d’une transition graduelle du métabolisme vers l’utilisation des graisses comme principale source d’énergie. Lorsque la période de jeûne se prolonge, les niveaux de glucose sanguins deviennent insuffisants pour assurer le fonctionnement du cerveau (les neurones ne sont pas capables d’utiliser les acides gras comme source d’énergie) et une partie des graisses est alors utilisée pour produire des corps cétoniques. Ces corps cétoniques peuvent être métabolisés par les cellules nerveuses (ainsi que par les cellules d’autres organes, notamment les muscles et le cœur), ce qui permet au corps de non seulement survivre à une carence en aliments, mais aussi de conserver les capacités physiques et mentales nécessaires pour obtenir cette nourriture (les personnes qui jeûnent pendant des périodes assez longues (≥ 24 h) rapportent fréquemment une amélioration notable de leur acuité mentale). D’un point de vue évolutif, cette segmentation du métabolisme en deux phases distinctes s’est donc développée pour maximiser l’extraction de l’énergie lorsque la nourriture est disponible, tout en assurant la survie lorsqu’elle ne l’est pas, pendant les fréquentes périodes de disettes.

Au niveau moléculaire, cette transition métabolique (metabolic shift) du glucose vers les graisses crée donc l’équivalent de « quarts de travail » où les différentes enzymes et hormones métaboliques actives durant le jour sont au repos durant la nuit, alors qu’à l’inverse, celles qui entrent en action durant la nuit deviennent inactives pendant le jour.

Un des meilleurs exemples de cette chorégraphie moléculaire  finement orchestrée est le cycle gouvernant la production de l’insuline : durant le jour, l’arrêt de la sécrétion de mélatonine après l’éveil permet au pancréas de produire de l’insuline en réponse à l’ingestion de glucides, et la capture du glucose présent dans la circulation sanguine qui s’ensuit est utilisée par les cellules pour assurer leur fonctionnement. En parallèle, l’insuline favorise aussi la transformation du glucose en acides gras au niveau du tissu adipeux et la création d’une réserve d’énergie pour usage futur.  En soirée, donc au début de la période de maintenance du métabolisme, la sécrétion de mélatonine (pour favoriser le sommeil) interfère avec celle d’insuline et la diminution de l’entrée de sucre dans les cellules qui s’ensuit facilite la transition vers l’utilisation des graisses comme principale source d’énergie pendant la période de repos.

Une des conséquences immédiates de manger à répétition pendant une longue période de temps de la journée, par exemple 15 h et plus comme dans l’étude mentionnée plus tôt, est donc de complètement perturber ce cycle de l’insuline. Ceci est particulièrement vrai pour des apports caloriques tard en soirée, au moment où la sécrétion de mélatonine signale normalement au métabolisme que l’extraction d’énergie est terminée pour la journée (inhibition de l’insuline) et qu’il est temps de se placer en période de maintenance. L’ingestion de calories à ce moment tombe alors à un bien mauvais moment, car les deux volets du métabolisme sont sollicités en même temps et la cacophonie qui s’ensuit perturbe simultanément le fonctionnement normal de chacun d’entre eux. Par exemple, on sait depuis longtemps qu’un apport calorique tardif est associé à une hausse plus élevée du glucose sanguin postprandial (après le repas).

Période de repos prolongée

Limiter l’apport calorique à seulement 6-8 h de la période d’éveil a évidemment comme conséquence immédiate d’augmenter la durée de la période de repos et de maintenance du métabolisme.  Cela peut sembler peu, mais ces quelques heures supplémentaires sans apport calorique vont forcer la mise en branle d’une série d’adaptations métaboliques extrêmement importantes pour les effets bénéfiques de l’ART. C’est là que ça se complique, mais on peut tout de même tenter de simplifier le tout en séparant ces adaptations en deux grandes catégories :

1) Optimiser la transition métabolique.  Comme mentionné plus tôt, la période de jeûne est associée au passage d’un métabolisme axé sur le glucose comme principale source d’énergie vers les acides gras.  Par contre, lorsque la période de jeûne est relativement courte, d’environ 12 h (par exemple, fin de souper vers 18 h suivi d’un petit déjeuner à 6 h  le lendemain), cette transition métabolique vers les graisses demeure incomplète : la diminution des taux de glucose postprandial est corrélée avec une légère hausse des acides gras libres en circulation, mais cette hausse est transitoire et annulée dès l’ingestion du premier repas de la journée (Figure 3, graphique de gauche).  De plus, ce laps de temps n’est pas suffisant pour générer des taux significatifs de corps cétoniques.

Figure 3. L’impact de l’ART sur la transition métabolique vers l’utilisation des graisses comme principale source d’énergie. Après chaque repas, la concentration de glucose dans le sang augmente rapidement dans les 15 minutes qui suivent, avec un pic de 30 à 60 minutes après le début du repas, tandis que l’absorption des triglycérides alimentaires est beaucoup plus lente avec un pic qui survient 3 à 5 h plus tard. Cette hausse rapide du glucose entraîne une augmentation drastique de l’insuline systémique (~ 400–500 pmol/L) pour permettre l’absorption de glucose et, en parallèle, agit sur le tissu adipeux pour inhiber la libération d’acides gras libres et bloquer la production de corps cétoniques. Par conséquent, l’utilisation des glucides représente 70 à 75 % des dépenses énergétiques après la consommation d’un repas. Le métabolisme hépatique du glycogène passe alors de la dégradation (glycogénolyse) à la synthèse (glycogenèse) et le métabolisme musculaire passe de l’oxydation des acides gras et des acides aminés à l’oxydation du glucose et au stockage du glycogène. Cette réponse finement réglée se traduit par une diminution de la glycémie à < 7,8 mmol/L deux heures après un repas. Lors d’une période de jeûne standard (12 h) (figure de gauche), la glycémie est maintenue à un niveau constant (environ 4,0-5,5 mmol/L) et c’est l’oxydation des acides gras qui devient la principale source d’énergie (environ 45 %, contre 35 % pour le glucose et 20% pour les protéines). Lorsque la période de jeûne dépasse 12 h (figure de droite), la concentration de glucose et d’insuline continuent à diminuer lentement, tandis que celle des acides gras libres augmente pour assurer la transition métabolique vers l’oxydation des graisses.  Cette transition est également associée à la production de corps cétoniques en réponse à l’influx d’acides gras libres au niveau du foie.  Adapté de Dote-Monterro et coll. (2022).

En repoussant de quelques heures ce premier repas (ou en consommant plus tôt le dernier repas du jour précédent) de façon à jeûner un peu plus longtemps (16 h, par exemple), l’absence de nouvelles sources alimentaires de sucre et de triglycérides force le métabolisme à se tourner vers les réserves d’acides gras comme source d’énergie ainsi qu’à débuter la transformation d’une partie de ces gras en corps cétoniques pour compenser la rareté de glucose (Figure 3, graphique de droite).

Autrement dit, en répartissant l’apport calorique sur une période de temps prolongée (12 h et plus), l’excédent d’énergie stockée sous forme de graisses n’est à peu près jamais utilisé.  Pour les personnes qui consomment régulièrement plus de calories que leurs besoins, il peut donc y avoir au fil du temps une accumulation progressive de graisse. Par contre, en restreignant cet apport calorique sur une période de temps plus courte (moins de 12 h), la plus grande transition métabolique vers les graisses permet d’utiliser ces réserves et ainsi d’éviter l’accumulation d’un surplus d’énergie pouvant mener au surpoids.

2) Sauvegarder les acquis.  Une autre conséquence d’une période de jeûne prolongée est de créer un « climat d’incertitude » pour les cellules quant à leur apport futur en énergie.  Au cas où cette disette se prolonge, elles n’ont alors d’autre choix que d’adopter une approche prudente et de privilégier le maintien des acquis plutôt que d’envisager de poursuivre leur expansion.  Pour faire une analogie simple, lorsque les temps sont durs, on consacre nos énergies à entretenir la maison et non à entreprendre des travaux d’agrandissement. C’est exactement l’approche que privilégie la cellule lors d’un jeûne : en absence de nouvelles sources d’énergie, les mécanismes impliqués dans la croissance sont mis en veilleuse et l’énergie résiduelle est plutôt consacrée au maintien et à la réparation des constituants essentiels à l’intégrité cellulaire (ADN, mitochondries, protéines, etc.). Cette « cure de rajeunissement » fait en sorte que l’état de santé général des cellules est amélioré lors d’un jeûne, ce qui permet un fonctionnement optimal lorsque l’apport énergétique est rétabli.

Surchauffe métabolique

Pour mieux comprendre l’impact de cette adaptation au jeûne sur le métabolisme, il peut être utile de tout d’abord visualiser à quel point l’alimentation standard actuelle, riche en aliments d’origine animale et en aliments ultratransformés (qui représentent actuellement à eux seuls près de la moitié des calories quotidiennes consommées au Canada), est un « cocktail » de croissance parfait pour créer une surchauffe métabolique et encourager le développement de diverses pathologies.

  Cette surchauffe est principalement causée par la présence simultanée de deux puissants activateurs des voies de signalisation impliquées dans la croissance des cellules, soit les sucres libres et les protéines animales (Figure 4).  En particulier, les régimes riches en protéines et en certains acides aminés (méthionine et à acides aminés à chaines latérales (BCAA), principalement retrouvés dans les produits animaux) sont les plus efficaces pour activer la voie GH/IGF-1 impliquée dans la croissance et le vieillissement prématuré de la cellule. En conditions normales, l’activation de ces voies de croissance est évidemment essentielle à la survie, mais lorsqu’elle devient excessive, par exemple suite à une surconsommation de calories et/ou un apport alimentaire trop fréquent (par exemple sur une période de 15 h, comme observé dans l’étude mentionnée plus tôt), l’excès d’énergie qui est emmagasiné sous forme de graisse peut favoriser le développement d’une résistance à l’action de l’insuline (voir notre article à ce sujet).  Ce désordre du signal de l’insuline est réellement problématique, car il catalyse l’apparition d’une série de bouleversements métaboliques qui vont créer une inflammation chronique et un stress oxydatif dommageables pour l’ensemble du corps.  Ces conditions peuvent favoriser directement le développement des principales maladies chroniques (cardiovasculaires, diabète de type 2, cancer, neurodégénérescences) ou encore indirectement, en accélérant le processus de vieillissement, un des principaux facteurs de risque de ces maladies.

Figure 4. Effets de l’alimentation occidentale standard sur le métabolisme et le risque de maladies chroniques.Un apport calorique quotidien prolongé (≥12h), combiné à la présence de sucres simples et de protéines animales, active fortement les voies impliquées dans la croissance cellulaire (GH/IGF-1, insuline) et favorise le développement d’anomalies métaboliques comme le surpoids et la résistance à l’insuline. Les perturbations métaboliques qui s’ensuivent créent un climat propice au développement de conditions de stress oxydatif et d’inflammation chroniques qui endommagent la cellule (glucotoxicité, lipotoxicité, dommages à l’ADN, lipides et protéines), accélèrent le vieillissement biologique et augmentent le risque de plusieurs maladies.

Éviter la surchauffe

Pour simplifier, on peut voir le jeûne intermittent, incluant l’ART, comme une façon de minimiser ces risques de surchauffe métabolique et de plutôt stimuler les mécanismes de conservation cellulaire (Figure 5). En limitant l’apport calorique à une fenêtre de temps plus courte, les hormones de croissance comme l’insuline et le IGF-1 sont activées, mais dans une moindre mesure, ce qui réduit les risques de surpoids, de résistance à l’insuline et, par conséquent, d’altérations métaboliques favorisant le vieillissement et le développement de maladies chroniques.  De plus, comme mentionné auparavant, la période plus longue de jeûne force la cellule à entrer en mode maintenance et de mettre en priorité la réparation et le maintien de ses structures plutôt que la croissance à tout prix. Au niveau moléculaire, cela se traduit par l’activation des senseurs de la baisse d’énergie disponible (l’AMPK et les sirtuines, en particulier) et l’entrée en scène des processus de conservation comme la réparation des protéines et de l’ADN, la synthèse de nouvelles mitochondries (mitogenèse), le recyclage des composantes endommagées (ce qu’on appelle le processus d’autophagie) et le renouvellement des cellules souches.

Il faut absolument mentionner que les bénéfices associés au jeûne intermittent seront d’autant plus manifestes si l’énergie consommée durant la période d’apport calorique provient principalement des végétaux. On sait depuis longtemps qu’une alimentation à base de plantes (fruits, légumes, légumineuses, noix, graines, etc.) permet un apport élevé en vitamines, minéraux et certains composés bioactifs (les polyphénols, par exemple) qui possèdent des propriétés antiinflammatoires, tout en étant d’excellentes sources de glucides complexes et de gras insaturés, des nutriments essentiels à la réduction importante du risque de maladies chroniques, en particulier les maladies cardiovasculaires.  Il faut aussi mentionner que les protéines d’origine végétale, étant moins riches en méthionine et en acides aminés à chaine latérale (BCAA), activent moins fortement le GH/IGF-1 et la production d’insuline que les protéines animales et réduisent ainsi le risque de résistance à l’insuline et de diabète de type 2.  Puisque la voie GH/IGF-1 représente également un puissant activateur de mTOR (impliqué dans la synthèse de protéines et la croissance cellulaire), la réduction de GH/IGF-1 par les protéines végétales contribue à diminuer l’activité de ce mTOR et ainsi à stimuler l’autophagie, le recyclage des composantes cellulaires essentiel au maintien de la santé de la cellule.

Figure 5. Impacts métaboliques et physiologiques d’une alimentation restreinte dans le temps et d’un régime principalement à base de plantes.   Un apport calorique restreint à une fenêtre de temps inférieure à 8 h et composé de nutriments d’origine végétale (glucides complexes, gras insaturés, protéines pauvres en méthionine et en acides aminés à chaine latérale (BCAA)) favorise une faible résistance à l’insuline, une faible adiposité, des niveaux d’activités modérés de GH/IGF-1, une signalisation mTOR réduite et une hausse de l’autophagie. La combinaison de ces effets améliore le fonctionnement du métabolisme, réduit l’inflammation et le stress oxydatif et favorise la maintenance et la réparation des fonctions cellulaires, ce qui peut mener à un ralentissement du processus de vieillissement et une diminution de l’incidence de plusieurs maladies chroniques, incluant le diabète, certains cancers, les maladies cardiovasculaires et les neurodégénérescences.  Adapté de Longo et Anderson (2022).

En somme, on peut voir l’ART (et les jeûnes intermittents dans l’ensemble) comme un moyen simple d’utiliser à notre avantage les mécanismes sélectionnés par l’évolution pour optimiser le fonctionnement de notre métabolisme et ainsi créer des conditions incompatibles avec le développement des maladies chroniques.   Il faut réaliser que nous vivons actuellement à une époque d’abondance alimentaire sans précédent, pour laquelle notre physiologie, qui a évolué pour faire face à la rareté de nourriture, est complètement inadaptée.  Contrôler son apport calorique dans un tel environnement n’est pas chose facile, en particulier pour les personnes qui sont en surpoids et qui cherchent à perdre du poids en mangeant moins : ces régimes hypocaloriques sont la plupart du temps inefficaces à long terme, car la restriction calorique est extrêmement difficile à soutenir sur de longues périodes.

Restreindre l’apport calorique de la journée à des fenêtres de temps inférieures à 12 h, comme dans l’ART, représente une alternative intéressante à la restriction calorique.  D’une part, il n’est pas nécessaire de diminuer la quantité totale de calories consommées pour contrôler son poids, ce qui rend cette approche beaucoup plus accessible pour la plupart des gens (en pratique, les études indiquent que les personnes qui adhèrent à l’ART diminuent tout de même leur apport calorique, mais de façon involontaire). De plus, le jeûne intermittent n’augmente pas les hormones de l’appétit comme la ghréline (contrairement à la restriction calorique), ce qui rend les gens moins affamés et donc moins susceptibles de « tricher » et d’abandonner cette approche.

En somme, l’ART peut être considérée comme une forme « d’autodéfense alimentaire » face à la surabondance de calories présentes dans notre environnement.  En minimisant les excès caloriques, cette approche modérée et prudente permet de mieux contrôler le poids corporel et ainsi de réduire les risques de l’ensemble des maladies chroniques qui découlent du surpoids.

L’exercice vigoureux diminue l’appétit et favorise la perte de poids via la production du métabolite Lac-Phe

L’exercice vigoureux diminue l’appétit et favorise la perte de poids via la production du métabolite Lac-Phe

EN BREF

  • L’exercice vigoureux (la course, par exemple) fait augmenter considérablement la concentration du métabolite N-lactoyl-phénylalanine (Lac-Phe) dans le sang d’animaux (souris, chevaux de course) et chez l’humain.
  • L’administration chronique de Lac-Phe à des souris obèses a eu pour effet de diminuer leur appétit, leur poids et l’adiposité, en plus d’améliorer le contrôle de la glycémie.
  • Chez l’humain, le Lac-Phe est produit en grande quantité après un exercice très intense (sprint), davantage qu’après des exercices de résistance (musculation) ou d’endurance (p. ex. : course, marche, vélo, nage).

L’exercice est très efficace pour protéger contre l’obésité et les maladies cardiométaboliques qui y sont associées, dont le diabète de type 2.   Cependant, on ne connaît pas encore très bien les mécanismes cellulaires et moléculaires par lesquels l’exercice exerce des effets bénéfiques sur le métabolisme. Une équipe de chercheurs s’est récemment penchée sur la question en utilisant une approche métabolomique, c.-à-d. en étudiant l’expression de l’ensemble des métabolites suite à des séances d’exercice vigoureux (course). Le métabolite qui a augmenté le plus en réponse à l’exercice chez la souris était le N-lactoyl-phénylalanine (Lac-Phe), un résultat qui a été par la suite confirmé chez des chevaux de course Pur-sang.

Lac-Phe : un métabolite déjà connu
Le métabolite N-lactoyl-phénylalanine a été identifié pour la première fois il y a une dizaine d’années, mais jusqu’à tout récemment on ne connaissait pas sa fonction. Le Lac-Phe est produit à partir du lactate qui est généré dans les cellules musculaires lors de l’exercice vigoureux puis relargué dans la circulation sanguine, et de l’acide aminé phénylalanine (voir la figure ci-dessous). La formation de ce métabolite est catalysée (c.-à-d. grandement accélérée) par l’enzyme CNDP2 qui est exprimée dans plusieurs types de cellules (cellules du système immunitaire, cellules épithéliales, par exemple). Sans connaître sa fonction exacte, on savait déjà que ce métabolite augmente dans le sang des personnes qui ont fait de l’exercice.

Figure 1. Formation de Lac-Phe catalysée par l’enzyme CNDP2.

Le Lac-Phe diminue l’appétit et le poids corporel
L’activité du Lac-Phe a été testée sur des souris obèses (soumises à une diète à haute teneur en gras). L’administration quotidienne de Lac-Phe a fait perdre aux souris obèses 7 % de leur masse corporelle après 10 jours, réduit l’adiposité et amélioré le contrôle de la glycémie. Le niveau d’activité des souris est demeuré normal, mais ces dernières ont tout simplement mangé moins de nourriture (–50 % sur une période de 12 h). Curieusement, l’administration de Lac-Phe à des souris minces (non-obèses) n’a pas eu d’effet sur leur appétit. Les chercheurs ont émis l’hypothèse (non confirmée) que cette différence pourrait être due à une plus grande perméabilité de la barrière sang-cerveau chez les souris obèses, ce qui résulterait en des concentrations plus élevées de Lac-Phe dans le cerveau de ces dernières par comparaison aux souris minces.

Afin de démontrer la contribution du métabolite Lac-Phe à l’effet anti-obésité de l’exercice, les chercheurs ont utilisé des souris CNDP2-KO qui sont génétiquement modifiées pour produire moins de Lac-Phe (par le retrait du gène Cndp2). Les souris CNDP2-KO et des souris normales ont été soumises à une diète à haute teneur en gras et à un protocole d’exercice régulier durant 40 jours.   Les souris CNDP2-KO ont mangé plus de nourriture et pris 13 % plus du poids (après 40 jours) que des souris normales. Ces résultats montrent clairement que le Lac-Phe est impliqué dans le contrôle de l’appétit chez la souris.

Et chez l’humain ?
Les chercheurs ont examiné les niveaux de Lac-Phe chez des personnes en bonne santé avant et après avoir fait de l’exercice chez deux cohortes indépendantes. Dans une première cohorte de 36 personnes, le Lac-Phe était le troisième métabolite qui a le plus augmenté après avoir fait de l’exercice. Cette augmentation de Lac-Phe persistait jusqu’à au moins 60 minutes après avoir cessé de faire de l’exercice, alors que celle du lactate revenait à près de zéro après 60 minutes.

Les participants de la seconde cohorte ont participé à trois types distincts d’exercice : sprint (vélo à intensité maximale), endurance (vélo à vitesse modérée), et résistance (musculation). Les niveaux de Lac-Phe ont augmenté après les trois types d’exercices (figure 2), mais beaucoup plus après un sprint à vélo (approx. 8 fois) qu’après un exercice de résistance (approx. 2,6 fois) ou d’endurance (approx. 1,6 fois).

Figure 2. Niveaux de Lac-Phe avant et après l’exercice dans une cohorte de huit personnes. Tous les participants ont fait trois types d’exercices différents : un exercice intense (sprints au vélo), un exercice d’endurance (90 minutes de vélo à vitesse modérée) et un exercice de résistance (exercice bilatéral d’extension du genou). La concentration de Lac-Phe a été mesurée dans des échantillons de sang prélevés avant et après chaque exercice à t= 0, 60, 120 et 180 minutes. Adapté de Li et coll., 2022.

On ne sait pas encore si le Lac-Phe diminue l’appétit des humains comme il le fait chez la souris, cela reste à être démontré. De plus, le Lac-Phe agit-il sur le contrôle de l’appétit dans le cerveau comme cela a été démontré pour la ghréline et la leptine, les hormones de l’appétit et la satiété ? Nul doute que la recherche à venir sur ce sujet nous réserve des découvertes intéressantes qui pourraient avoir un impact important sur la santé humaine.

Les chercheurs espèrent pouvoir un jour produire un médicament basé sur le Lac-Phe qui pourrait diminuer l’appétit de personnes obèses qui ne peuvent faire de l’exercice à cause d’autres problèmes de santé. Cependant, les adeptes des suppléments alimentaires doivent savoir que le Lac-Phe est complètement inactif lorsqu’il est pris oralement. Pour les personnes qui désirent perdre du poids en faisant de l’exercice, il semble donc qu’il soit bénéfique d’augmenter autant que possible l’intensité afin de diminuer davantage l’appétit et par conséquent l’apport calorique post-entraînement.