Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Après une crise cardiaque, l’alimentation méditerranéenne permet de réduire significativement le risque de récidives

Les médicaments et les mesures invasives comme la revascularisation (pose d’endoprothèses vasculaires ou stents) permettent de sauver un grand nombre de patients coronariens, c’est-à-dire qui ont subi un infarctus du myocarde ou un autre syndrome coronarien aigu.  Par contre, ces patients demeurent généralement à haut risque de récidive s’ils ne s’attaquent pas aux causes responsables de leur maladie coronarienne, qui sont dans la majorité des cas liés à certains aspects de leur mode de vie (tabagisme, sédentarité, stress chronique, mauvaise alimentation).

Un des facteurs qui a reçu le plus d’attention au cours des dernières décennies est la nature de l’alimentation. Étant donné le rôle des gras saturés dans le développement des plaques responsables de l’athérosclérose (le blocage des artères coronaires qui mène à l’infarctus), la réduction des graisses alimentaires s’est imposée dès le départ comme l’approche standard pour réduire le risque de récidives chez les patients coronariens. Ces régimes « low-fat » ont évolué avec le temps, notamment pour y inclure des glucides complexes (grains entiers, légumineuses) afin d’obtenir un apport adéquat en fibres, mais visent d’abord et avant tout à réduire l’apport total en gras à 25-30 % des calories quotidiennes et celui en gras saturés à moins de 10 % .

Régime méditerranéen

Nous avons discuté à maintes reprises des nombreuses études qui ont clairement montré que l’alimentation de type méditerranéenne était associée à une réduction du risque de maladies cardiovasculaires (voir ici et ici, par exemple).  Ce mode d’alimentation se caractérise par son contenu élevé en aliments végétaux non transformés (céréales complètes, légumes, fruits, légumineuses, noix et huile d’olive extravierge), un apport modéré en poisson/crustacés et un apport faible en viandes rouges et charcuteries et en graisses d’origine animale.

La principale caractéristique du régime méditerranéen demeure cependant  l’utilisation abondante d’huile d’olive extravierge comme source principale de graisses alimentaires, ce qui peut mener à un apport total en gras aux environs de 40 % des calories totales, donc bien au-delà de celui des régimes faibles en gras utilisé pour réduire le risque d’accidents cardiovasculaires chez les patients coronariens.  Cependant, loin d’être problématique, cet apport élevé en gras insaturés semble au contraire être bénéfique pour la prévention des maladies cardiovasculaires, autant en prévention primaire, chez les personnes qui n’ont pas d’antécédents d’accidents cardiovasculaires, qu’en prévention secondaire,  chez les patients coronariens qui ont déjà subi un infarctus ou qui sont à très haut risque de subir ces accidents. Par exemple,  les résultats de l’étude PREDIMED montrent qu’un apport élevé en gras insaturés, provenant des noix ou de l’huile d’olive, était associé à une diminution significative du risque de maladie cardiovasculaire.  Cet effet protecteur des gras insaturés a également été observé dans l’étude de Lyon, réalisée auprès de 605 survivants d’un infarctus du myocarde : l’addition d’acide linolénique (un oméga-3 à courte chaine présent dans les végétaux) à l’alimentation des patients a provoqué une diminution très importante (73%) de récidives d’évènements CV après un infarctus du myocarde, incluant la mortalité cardiaque.

Autrement dit, il semble que c’est beaucoup plus la nature que la quantité de gras de l’alimentation qui importe et qu’un apport élevé en gras insaturés pourrait s’avérer supérieur à une alimentation faible en gras pour réduire significativement le risque de maladies cardiovasculaires, incluant chez les personnes à haut risque en raison d’antécédents d’infarctus du myocarde.   Dans ce dernier cas, par contre, les bénéfices concrets de l’alimentation méditerranéenne sur le risque de récidives demeurent mal compris puisqu’aucune étude d’envergure portant spécifiquement sur les patients coronariens n’a été réalisée depuis près de 25 ans, soit depuis l’étude de Lyon.

Étude CORDIOPREV

C’est dans ce contexte que les résultats de l’étude CORDIOPREV, récemment publiés dans le prestigieux Lancet, arrivent à point nommé et pourrait permettre de diminuer les risques élevés de récidives qui affectent les patients coronariens. Cette étude, réalisée en Espagne auprès de 1002 patients atteints d’une maladie coronarienne et qui ont été suivis pendant une période de 7 ans,  a comparé les impacts d’une alimentation « standard » faible en gras ou de type méditerranéen sur le risque des patients de subir un accident cardiovasculaire (infarctus du myocarde, AVC, revascularisation, maladie artérielle périphérique ou mortalité d’origine cardiovasculaire).

Les participants ont été répartis aléatoirement entre les 2 groupes et encadrés par une équipe de nutritionnistes pour qu’ils adhèrent autant que possible au régime alimentaire qui leur avait été assigné (Tableau 1).  Pour le groupe « low-fat », les principales consignes étaient évidemment de limiter l’apport en matières grasses (huile végétale, noix, poissons gras, œufs) et de hausser celui d’aliments riches en glucides (céréales, légumineuses), tandis que les participants du groupe méditerranéen étaient au contraire encouragés à hausser leur apport en gras insaturés, principalement sous forme d’huile d’olive extra-vierge, de noix et de poissons gras (saumon et sardines, par exemple). Dans les deux cas, on encourageait les participants à consommer 5 portions et plus de fruits et de légumes et de limiter l’apport en viandes rouges et charcuteries (en privilégiant les volailles maigres comme source de viande), en pâtisseries et desserts et en boissons sucrées.

Dans l’ensemble, il s’agissait donc de deux régimes alimentaires d’excellente qualité, riches en végétaux et faibles en gras saturés (< 10%) et en sucres simples. La principale différence entre les deux régimes est la consommation plus élevée de matières grasses insaturées dans le régime méditerranéen, qui atteint 40 % des calories totales (incluant 22 % sous forme de monoinsaturés), tandis que le régime « low-fat »  est principalement composé de glucides (46 % des calories totales) et relativement faible en gras (32 % des calories totales, incluant 12% de monoinsaturés).

AlimentsRégime méditerranéenRégime faible en gras
Huiles≥ 4 c. à s. par jour d’huile d’olive extra-vierge (40-60 g/j)≤ 2 c. à s. par jour d’huile végétale (20-30 g/j)
Céréales,pommes de terre et légumineuses6 portions de céréales (grains entiers) par jour
≥ 3 portions légumineuses par jour
6 à 11 portions de céréales (préférablement grains entiers), pommes de terre et légumineuses par jour
Fruits≥ 3 portions de fruits frais par jour≥ 3 portions de fruits frais, congelés ou en conserve par jour
Légumes≥ 2 portions de légumes frais par jour (au moins 1 portion crue ou sous forme de salade)≥ 2 portions de légumes frais, congelés ou en conserve par jour
Produits laitiers2 portions par jour2-3 portions de produits faibles en gras ou dépourvus de gras par jour
Noix≥ 3 portions par semaine≤ 1 portion par semaine
Poissons et fruits de mer≥ 3 portions par semaine (poissons gras de préférence)Choisir des poissons maigres; ≤ 1 portion de poisson gras par semaine
Viandes rouges et charcuteries≤ 1 portion par semaine (privilégier les volailles maigres)1 portion max. par semaine (privilégier les volailles maigres)
Œufs2-4 œufs par semaine≤ 2 œufs par semaine
Beurre et margarineÀ éviter≤ 1 portion par semaine
Vin1 verre par jour pour les femmes, 2 verres par jour pour les hommes (si consommation habituelle d’alcool)À éviter
Pâtisseries et desserts≤ 1 portion par semaine≤ 1 portion par semaine
Boissons sucrées≤ 1 portion par jour≤ 1 portion par jour
Techniques culinairesUtiliser l’huile d’olive extra-vierge comme corps gras principal, par exemple pour la confection de sofrito*.Cuire les aliments dans un minimum de gras (microonde, étuve, bouilli).

Tableau 1. Principales recommandations alimentaires pour les deux groupes de l’étude. Notez que la principale différence entre les deux régimes est la quantité plus élevée de gras insaturés (huile d’olive, noix) consommée dans le cadre de l’alimentation méditerranéenne. * Le sofrito est une préparation de légumes et d’aromates (fines herbes, ail) cuite dans l’huile d’olive à feu très doux.

Protection cardiovasculaire

Les résultats obtenus montrent que cette différence dans l’apport en gras insaturés a des répercussions importantes sur le risque des patients coronariens de subir un accident cardiovasculaire.  Les chercheurs ont en effet observé que le groupe « méditerranéen » avait, globalement, un risque d’accidents réduit de 27 % comparativement au groupe « low-fat », une diminution qui atteint 33 % chez les hommes (Figure 1).  Chez les personnes qui adhéraient le plus fortement au régime méditerranéen, cette protection est même de 40%, ce qui est considérable si l’on considère que ces personnes sont considérées comme étant à très haut risque de maladies cardiovasculaires. Ces résultats confirment donc la supériorité du régime méditerranéen sur les régimes faibles en gras pour réduire les risques de récidives d’accidents cardiovasculaires chez les patients coronariens.

Figure 1. Comparaison de l’incidence d’accidents cardiovasculaires chez les hommes coronariens soumis à un régime faible en gras (bleu) ou un régime méditerranéen (rouge).  Notez la réduction significative (33%) du risque d’accidents associée à l’adhérence au régime méditerranéen. Tiré de Delgado-Vista et coll. (2022).

La protection offerte par le régime méditerranéen observée dans l’étude est particulièrement impressionnante pour deux raisons :

  • La comparaison avec un régime « low-fat » de grande qualité. L’alimentation faible en gras prescrite au groupe contrôle peut être considérée comme un régime d’excellente qualité en raison de sa richesse en végétaux (fruits, légumes, légumineuses) et de son apport réduit en gras saturés et en sucres simples.  D’ailleurs, comme l’ont noté les auteurs, la mortalité de ce groupe contrôle est réduite de moitié comparativement à ce que l’on observe habituellement dans les essais cliniques auprès de populations de patients coronariens à haut risque de récidives. La capacité du régime méditerranéen à réduire encore davantage le risque d’accidents cardiovasculaires comparativement à cette alimentation contrôle de grande qualité représente donc un exemple éclatant des bénéfices cardiovasculaires associés à l’alimentation méditerranéenne.
  • L’état de santé des patients recrutés dans l’étude. Ces bénéfices sont d’autant plus marquants qu’ils touchent des patients coronariens à très haut risque de récidive en raison de la présence d’un grand nombre de facteurs de risques affectant cette population (Tableau 2).

Caractéristiques% des participants
Antécédent d’infarctus du myocarde62 %
Antécédent de revascularisation (angioplastie coronarienne )91 %
Antécédent de pontage coronarien3 %
Diabète54 %
Hypertension68 %
Syndrome métabolique58 %
Obésité (IMC>30)100 %

Tableau 2. Principales caractéristiques de la population à l’étude.

Ces patients étaient aussi fortement médicamentés, la totalité d’entre eux étant traités avec des statines ou autres agents hypocholestérolémiants, 98 % avec des anticoagulants, 83 % avec des antihypertenseurs  et 80 % avec des bêta-bloquants.  En d’autres mots, en dépit d’un état de santé assez précaire et d’une médication agressive, l’adhérence de ces patients coronariens au régime méditerranéen est tout de même parvenue à diminuer significativement le risque d’accidents cardiovasculaires.

Ces observations illustrent à quel point l’adoption d’un mode de vie sain, particulièrement au point de vue alimentaire, peut avoir des répercussions positives sur la santé cardiovasculaire, et ce même chez les personnes à très haut risque.

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