Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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2 mars 2023
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Ozempic® (semaglutide) et Mounjaro™ (tirzepatide), une grande avancée pour le traitement de l’obésité

En bref

  • Le semaglutide et le tirzepatide sont des peptides analogues à deux hormones produites par le système digestif, soit le glucagon-like peptide-1 (GLP-1) et le glucose‐dependent insulinotropic polypeptide (GIP).
  • En plus d’améliorer le contrôle de la glycémie, l’administration de ces médicaments cause une baisse drastique de l’appétit et de l’apport calorique.
  • Ces effets  se traduisent par des pertes de poids très importantes (15- 20 % du poids corporel initial), soit du même ordre de grandeur que celles obtenues par la chirurgie bariatrique.

La prévalence du surpoids a augmenté de façon phénoménale au cours des dernières décennies, avec près de 2 milliards de personnes souffrant d’embonpoint, incluant 650 millions d’obèses. Il s’agit d’une crise sanitaire mondiale sans précédent, qui impose un fardeau considérable sur les systèmes de santé : l’excès de poids favorise en effet le développement d’une vaste gamme de pathologies (résistance à l’insuline, hypertension, inflammation chronique, dyslipidémies) qui haussent le risque de complications comme le diabète de type 2les maladies cardiovasculaires, les stéatoses hépatiquesplusieurs types de cancers et diminuent l’espérance de vie.

L’embonpoint et l’obésité sont fondamentalement des conséquences d’un apport calorique excessif, mais le nombre toujours croissant de personnes en surpoids, en dépit de ses effets négatifs bien documentés sur la santé, montre que rétablir ce déséquilibre n’est pas chose facile, surtout à notre époque d’abondance alimentaire. Bien que les interventions misant sur une amélioration du mode de vie (régimes hypocaloriques et exercice) représentent toujours la pierre angulaire de la gestion du poids, les pertes de poids obtenues par cette approche sont extrêmement difficiles à maintenir à long terme, notamment en raison d’adaptations physiologiques qui diminuent l’énergie dépensée ou encore augmentent l’appétit pour compenser les calories manquantes.  Autrement dit, une fois que l’obésité s’est installée de façon durable, ces mécanismes rendent le retour à un poids plus faible très difficile.

Pour pallier à ces limitations, un certain nombre d’approches pharmacologiques ont été développées au cours des dernières décennies, mais ces médicaments sont généralement d’une efficacité assez limitée, coûteux et peuvent causer dans certains cas des effets secondaires importants.   Des approches beaucoup plus drastiques, la chirurgie bariatrique notamment, parviennent quant à elles à générer des pertes de poids importantes et durables, mais ces procédures invasives sont intrinsèquement plus risquées et sont généralement restreintes aux personnes souffrant d’obésité morbide  (IMC>40).

C’est donc dans ce contexte, où les options de traitement de l’obésité demeurent très limitées, que l’apparition de Ozempic® et Mounjaro™ sur le marché suscite actuellement énormément d’intérêt, autant dans les communautés médicale et scientifique que dans la population en général.  Car bien que ces deux médicaments aient été à la base développés pour améliorer le contrôle de la glycémie chez les personnes atteintes de diabète de type 2,  ils provoquent en parallèle chez ces patients des pertes de poids importantes, sans trop d’effets secondaires majeurs, et pourraient donc représenter une nouvelle stratégie thérapeutique pour la normalisation du poids corporel.

Une nouvelle approche pharmacologique : l’effet incrétine

Mentionnons tout d’abord que même s’ils sont surtout connus du public sous leurs noms commerciaux (Ozempic®, Mounjaro™), ce sont les noms génériques de ces médicaments (semaglutide et tirzepatide, respectivement) qui sont utilisés dans la littérature scientifique et nous emploierons donc cette nomenclature tout au long de cet article. L’utilisation des noms génériques a aussi l’avantage d’éviter la confusion qui peut être générée par les différents noms commerciaux donnés aux médicaments selon leur mode d’administration et/ou indication thérapeutique (Tableau 1).

Tableau 1.  Les nouveaux médicaments antidiabétiques et anti-obésité.  Notez que l’indication thérapeutique de l’ensemble de ces médicaments est pour le diabète de type 2, à l’exception du Wegovy® (2,4 mg/semaine de semaglutide en injection sous-cutanée) qui a récemment été approuvé pour la perte de poids.

Le semaglutide et le tirzepatide sont des peptides (d’où leurs noms se terminant en «- ide ») analogues à deux hormones produites par le système digestif, soit le glucagon-like peptide-1 (GLP-1) et le glucose‐dependent insulinotropic polypeptide (GIP). Ces peptides ont été conçus pour mimer l’action de ces hormones (ce qu’on appelle en pharmacologie un effet agoniste) sur le contrôle de la glycémie : suite à l’absorption de sucre, le GLP-1 et le GIP sécrétés par les cellules de l’intestin permettent en effet d’augmenter de façon très importante la production d’insuline par le pancréas, à des taux très supérieurs à ceux qui sont produits simplement en réponse à la présence de sucre dans le sang (Figure 1).

Figure 1.  Variation de la réponse insulinique suite à l’administration d’un bolus de glucose à des personnes en bonne santé métabolique ou à des patients atteints d’un diabète de type 2.  Les valeurs représentent les taux d’insuline plasmatique induits par le glucose administré par voie orale (50 g/400 mL) (cercles rouges) ou une quantité équivalente (isoglycémique) administrée par voie intraveineuse (IV) (cercles noirs).  Notez la forte augmentation de la réponse insulinique provoquée par le glucose oral comparativement au glucose par intraveineuse chez les personnes en bonne santé (zone rouge clair). Ce phénomène, connu sous le nom « d’effet incrétine », est considérablement réduit chez les diabétiques, une différence qui a mené au développement des analogues des incrétines GLP-1 et GIP. Adapté de Nauck et coll. (1986).

Historiquement, cette augmentation de la réponse insulinique médiée par le GLP-1 et le GIP avait été attribuée à des facteurs nommés « incrétines » (dérivé « d’incrétion », un terme utilisé à cette époque pour désigner une sécrétion qui reste à l’intérieur de l’organisme), d’où le nom « d’effet incrétine » utilisé encore aujourd’hui pour décrire la hausse d’insuline médiée par l’action ces hormones. Il s’agit d’un élément essentiel de la réponse insulinique à ce que nous mangeons : chez des personnes en bonne santé, on estime qu’environ 70 % de l’insuline produite par le pancréas est une conséquence de l’effet incrétine.

C’est dans ce contexte qu’ont été développés le semaglutide et le tirzepatide : cet effet incrétine est considérablement atténué chez les personnes atteintes d’un diabète de type 2 (voir Figure 1), une perte qui est même considérée comme un indicateur précoce de la maladie, mais il a été observé que ce déficit pouvait être entièrement corrigé par l’infusion en continu de GLP-1 aux patients diabétiques. On a donc postulé que l’administration de molécules capables de mimer l’action du GLP-1 et/ou du GIP pourrait reproduire cet effet incrétine et ainsi stimuler la production d’insuline et améliorer le contrôle de la glycémie chez les diabétiques de type 2. Ces efforts ont mené au développement de différents agonistes du récepteur au GLP-1, les plus récents étant le semaglutide et le tirzepatide, approuvés pour le traitement du diabète de type 2 en 2018 et 2022, respectivement.

Agonistes simple et double

La différence fondamentale entre ces deux molécules est que le semaglutide est un agoniste du GLP-1, c’est-à-dire qu’il présente une forte similitude structurale (95%) avec cette hormone et active spécifiquement son récepteur, tandis que le tirpetazide est un agoniste double, c’est-à-dire qu’il présente une structure hybride qui lui permet d’activer à la fois les récepteurs du GLP-1 et du GIP (Figure 2). Dans les deux cas, des modifications apportées aux structures des peptides font en sorte que leur biodisponibilité est augmentée de façon spectaculaire par rapport aux hormones sécrétées naturellement par l’intestin, passant de quelques minutes à peine à plus d’une centaine d’heures, ce qui permet d’administrer ces médicaments par injection sous-cutanée une seule fois par semaine.  Notons aussi qu’une forme orale du semaglutide a été développée par l’ajout à la formulation du médicament d’un agent qui augmente la perméabilité intestinale, le N-(8-(2-hydroxybenzoyl) amino) caprylate (SNAC), mais la plus faible biodisponibilité de la molécule requiert une administration quotidienne pour parvenir à un contrôle de la glycémie équivalent à celui obtenu par la forme administrée sous-cutanée.

Figure 2. Structures du semaglutide et du tirzepatide et leur similitude au GLP-1 et GIP.  Le GLP-1 est une hormone de 31 acides aminés (cercles jaunes), certains d’entre eux étant conservés dans le GIP, une hormone de 42 acides aminés (cercles bleus). Les deux hormones possèdent une demi-vie très courte (le temps correspondant à une perte de la moitié de leur activité physiologique), de 1-2 minutes seulement, notamment en raison de leur dégradation par la dipeptidyl peptidase-4 (DPP-4).  Deux principales stratégies ont été utilisées pour modifier les séquences du semaglutide et du tirzepatide (cercles rouges) et augmenter leur biodisponibilité:  1) l’élimination du site de clivage de la DPP-4, en remplaçant l’alanine par une molécule analogue (acide α-aminoisobutyrique (Aib)), mais non reconnue par l’enzyme; 2) l’addition d’un acide gras à l’aide d’un « linker » pour favoriser la liaison des molécules à l’albumine sérique et ainsi réduire leur élimination au niveau rénal. Notez que le semaglutide est très similaire au GLP-1 et son mécanisme d’action est donc limité à l’activation du récepteur de cette hormone, tandis que le tirzepatide est formé d’un amalgame d’acides aminés retrouvés à la fois dans le GLP-1 (cercles jaunes), le GIP (cercles bleus) ainsi que dans les deux hormones (cercles verts), ce qui lui confère une activité de double agoniste, capable d’activer les deux récepteurs de ces hormones.  Les cercles bleus foncés de la portion terminale du tirzepatide sont des acides aminés provenant de l’exenatide, un peptide dérivé d’une protéine (exendine-4) présente dans le venin du monstre de Gila (Heloderma suspectum) et connu pour activer le récepteur GLP-1.

Ces différences structurales entre le semaglutide et le tirzepatide ont évidemment des conséquences sur leurs actions biologiques.  Puisque le semaglutide est un agoniste « pur » du récepteur au GLP-1, il stimule exclusivement les phénomènes contrôlés par ce récepteur, tandis que la capacité du tirzepatide à agir simultanément sur les récepteurs GLP-1 et GIP permet l’activation de l’ensemble des processus médiés par ces incrétines (Figure 3).

Figure 3. Mécanismes d’action du GIP, du GLP-1 et de leurs agonistes. Adapté de Bass et coll. (2023).

Comme mentionné plus tôt, l’effet le plus important des incrétines est de stimuler la production et la sécrétion d’insuline par le pancréas, et les études cliniques montrent que l’activation de ce processus, que ce soit par la seule stimulation du GLP-1 par le semaglutide ou la stimulation simultanée du GLP-1/GIP par le tirzepatide est associé à un meilleur contrôle de la glycémie chez les diabétiques de type 2. À cet égard, l’effet double agoniste du tirzepatide semble lui conférer une supériorité sur le semaglutide, avec une diminution plus importante (plus de 2%) des taux d’hémoglobine glyquée (A1c), un marqueur de l’hyperglycémie chronique (Figure 4).  À titre de comparaison, l’amélioration du contrôle de la glycémie suite à la chirurgie bariatrique est du même ordre, avec une diminution de A1c variant entre 1,8 et 3,5 %.

Figure 4.  Comparaison de la diminution des taux d’hémoglobine glyquée de patients diabétiques provoquée par un traitement de 40 semaines avec le tirzepatide (5, 10 ou 15 mg/sem) ou le semaglutide (1 mg/sem). Tiré de Frias et coll. (2021).

Effets sur le poids corporel

Un autre aspect extrêmement intéressant du mode d’action des mimétiques du GLP-1 et du GIP est leur effet sur certains processus impliqués dans le contrôle de l’appétit (Figure 3).  Dans les études d’infusion du GLP-1 mentionnées plus tôt, on a observé que la molécule activait la sensation de satiété, ce qui suggérait un effet thérapeutique possible sur la diminution de l’appétit et de l’apport calorique. Les études subséquentes ont montré que ce phénomène pouvait être lié à un ralentissement de la vidange gastrique par le GLP-1, ainsi que par l’action de cette hormone au niveau de certains circuits neuronaux du cerveau impliqués dans la suppression de l’appétit et le développement de nausées.  L’action du GIP au niveau du cerveau, quant à elle, fait également intervenir une diminution des circuits de l’appétit mais aurait paradoxalement un effet anti-nausée : ceci pourrait expliquer pourquoi le tirzepatide (qui stimule la voie GIP en plus de GLP-1) peut être administré à des doses plus élevées que le semaglutide (qui stimule seulement GLP-1), sans amplifier les effets secondaires typiques aux agonistes du GLP-1 (nausées, vomissements).

Les études qui se sont penchées sur les effets du semaglutide et du tirzepatide sur l’apport calorique confirment ces impacts des deux molécules sur l’appétit.  Par exemple, dans une étude où des volontaires obèses avaient un accès à volonté (ad libitum) à trois repas (diner, souper et collations), on a observé que le traitement au semaglutide (1 mg/sem) provoquait une diminution de 24 % de l’apport en énergie durant la journée, menant à une réduction du poids corporel d’environ 5 kg après 12 semaines de traitement.  Cette réduction de l’apport calorique, et la perte de poids qui s’ensuit, serait causée à une diminution de l’appétit et des fringales et à une réduction de l’attirance envers les aliments riches en gras.  Des résultats similaires ont été obtenus suite au traitement avec le tirzepatide et il semble de plus en plus certain que la diminution de l’appétit et le désintérêt envers les aliments hypercaloriques, en particulier ceux riches en gras, représente un mode d’action commun aux deux molécules.

Un grand nombre d’études cliniques ont montré que cette perte d’appétit provoquée par le traitement au semaglutide ou au tirzepatide est associée à une diminution importante du poids corporel chez les personnes qui souffrent d’obésité. Par exemple, une étude a montré que chez les personnes atteintes d’un diabète de type 2, le traitement avec le semaglutide (1 mg par semaine) provoque une perte moyenne d’environ 6 % du poids corporel en 40 semaines, tandis que le traitement avec le tirzepatide  (15 mg/semaine) mène à une perte de poids de 11% chez cette population.

Ces pertes de poids sont encore plus prononcées chez les personnes obèses, mais qui ne sont pas diabétiques (Figure 5). Par exemple, l’administration de 2,4 mg/semaine de semaglutide (au lieu du 1 mg utilisé chez les diabétiques) pendant 68 semaines mène à des pertes moyennes de 15 % du poids corporel initial, soit environ le double que chez les diabétiques de type 2 (Figure 5A).  Encore ici, le tirzepatide semble plus puissant, générant des pertes moyennes d’environ 20 % aux doses les plus élevées (10 et 15 mg/semaine) administrées pendant 72 semaines (Figure 5B).  Ces pertes de poids sont vraiment exceptionnelles, du même ordre de grandeur que celles qui sont typiquement obtenues suite à la chirurgie bariatrique.

Figure 5. Pertes de poids moyennes induites par le semaglutide et le tirzepatide chez les personnes obèses, mais non diabétiques. A.1961 adultes obèses (IMC>30) ont été traités pendant 68 semaines avec un placebo ou 2,4 mg/semaine de semaglutide, en combinaison avec un programme supervisé d’amélioration du mode de vie (régime hypocalorique et activité physique régulière). Adapté de Wilding et coll. (2021)B. 2539 adultes obèses (IMC>30) ont été traités pendant 72 semaines avec un placebo ou des doses de 5, 10 ou 15 mg/semaine de tirzepatide, en combinaison avec un programme supervisé d’amélioration du mode de vie (régime hypocalorique et activité physique régulière). Adapté de Jastreboff et coll. (2022).

Plusieurs études indiquent qu’une perte de poids durable d’au moins 10 % du poids corporel initial améliore plusieurs complications associées à l’obésité, incluant la prévention et le contrôle du diabète de type 2, l’hypertension, la stéatose hépatique et l’apnée du sommeil.  Par exemple, dans l’étude DIRECT réalisée auprès de personnes obèses et diabétiques, une restriction calorique très sévère menant à une perte de 15 % du poids corporel a entrainé une rémission complète du diabète de type 2 chez 85% des participants.

Les données actuelles indiquent que la grande majorité des personnes obèses traitées avec le semaglutide et le tirzepatide parviennent à atteindre des pertes de poids de cette ampleur (Figure 6). Par exemple, le semaglutide induit des pertes de poids supérieures à 15% chez 60 % des personnes traitées, et près de 40 % ont même perdu plus de 20 % de leur poids corporel initial (Figure 6A).  Ces succès sont encore plus prononcés chez les personnes traitées avec le tirzepatide, avec près de 60 % des patients qui ont perdu 20 % de leur poids et près de 40 % qui ont même perdu plus de 25 % de leur poids initial (Figure 6B). Il s’agit de perte de poids considérables : dans les 2 études, le poids moyen des participants était aux environs de 110 kg; une perte de 20 % signifie donc que ces personnes ont perdu presque 25 kg au cours du traitement et il est certain que des pertes de cette magnitude, si elles sont maintenues à long terme,  auront des effets positifs sur la santé.

Figure 6.  Répartition des pertes de poids selon le pourcentage du poids corporel initial perdu suite au traitement. Notez que chez la majorité des participants, la perte de poids obtenue est largement supérieure à 5 % du poids initial (le minimum associé à une amélioration de la santé) et excède même 20 % chez plusieurs d’entre eux, en particulier chez les participants qui ont reçu le tirzepatide. Pour plus de clarté, seules les pertes obtenues pour la dose la plus élevée de tirzepatide (15 mg) sont indiquées sur la figure.  Adapté de Wadden et coll. (2021) pour le semaglutide et de Jastreboff et coll. (2022) pour le tirzepatide.

Dans l’ensemble, ces résultats montrent de façon sans équivoque que la diminution de l’appétit provoquée par les mimétiques du GLP-1 et du GIP est associée à une réduction importante du poids corporel.  Cependant, les données actuellement disponibles suggèrent qu’un traitement continu avec ces médicaments est requis pour que ces pertes de poids deviennent durables. Par exemple, une étude a montré que même si les personnes traitées pendant 68 semaines avec le semaglutide (2,4 mg/semaine) avaient perdu en moyenne 18 % de leur poids corporel initial, la majorité de ce poids était regagné dans l’année suivant l’arrêt du traitement (Figure 7).

Figure 7. Réversibilité de la perte de poids associée au traitement avec le semaglutide.  Notez que les 2/3 du poids perdu par les participants ont été repris dans l’année suivant l’arrêt du traitement avec le semaglutide. Adapté de Wilding et coll. (2022).

Il n’y a donc pas de doute que le semaglutide et le tirzepatide représentent des ajouts extrêmement intéressants à l’approche pharmacologique de l’obésité, d’autant plus que ces médicaments sont en général relativement bien tolérés. Bien qu’une proportion assez importante des patients aient rapporté un certain nombre d’effets secondaires, en particulier au niveau gastro-intestinal (nausées, vomissement, diarrhées), ces effets indésirables ont cependant tendance à s’amenuiser avec le temps et l’adhérence au traitement demeure élevée, avec environ 5 % des patients qui cessent le traitement en raison des effets secondaires.

D’un point de vue plus général, il est particulièrement intéressant que ces médicaments exercent leur action thérapeutique en agissant sur le cerveau pour diminuer l’appétit et ainsi créer un important déficit calorique. Ce mode d’action confirme ce que les experts disent plusieurs années, c’est-à-dire que c’est une réduction de l’apport en calories qui demeure le principal moyen de perdre du poids (l’exercice physique a énormément de bienfaits de la santé, mais n’a pas d’effets majeurs sur la perte de poids). La hausse importante du nombre de personnes en surpoids observée au cours des dernières décennies reflète donc essentiellement une surconsommation de nourriture, possiblement due à l’omniprésence d’aliments industriels extrêmement attirants en raison de leurs propriétés organoleptiques (palatabilité) et qui entrainent un apport excessif en énergie. Les personnes traitées avec le semaglutide et le tirzepatide cessent d’être attirées vers ce type d’aliments hypercaloriques et il n’y a pas de doute que l’élimination de ces produits de l’alimentation quotidienne contribue aux pertes de poids observées dans les études cliniques.

Par contre, les données actuellement disponibles indiquent que ce sevrage vis-à-vis des produits riches en calories (et de la surconsommation de nourriture en général) est réversible et que l’arrêt du traitement mène rapidement à un regain de la majorité du poids initialement perdu. Il est donc probable que ces médicaments parviennent à contrecarrer les adaptations physiologiques normalement provoquées par la perte de poids (la hausse de l’appétit, en particulier), mais que ces adaptations reprennent rapidement le dessus après l’arrêt de la médication et favorisent le retour vers le surpoids initial, avant le traitement.

Est-ce à dire que l’on doit se résigner à traiter l’obésité « à vie », un peu comme on contrôle l’hypertension, l’excès de cholestérol sanguin ou encore la carence en insuline à l’aide de médicaments qui doivent être administrés en continu à partir de l’apparition des pathologies? Il est encore trop tôt pour le dire, mais, chose certaine, de tels traitements imposeraient un fardeau économique extraordinaire à notre système de santé: au Québec, où un adulte sur quatre est obèse, le coût actuel de ces nouveaux médicaments (environ 500$ par mois) impliquerait une dépense annuelle de plusieurs centaines de millions de dollars (aux États-Unis, la situation est encore pire:  le coût d’un traitement de 72 semaines au tirzepatide (15 mg/semaine) est d’environ 17,000 $US, tandis que le traitement de 68 semaines avec le semaglutide (2,4 mg/semaine) est près de 23,000 $US !). Comme pour toutes les maladies chroniques, il serait beaucoup plus rentable de prévenir que de guérir l’obésité en s’attaquant en priorité aux causes de ce surpoids, plutôt que consacrer tous nos efforts et nos moyens financiers à leur traitement.

On sait depuis plusieurs années qu’il est extrêmement difficile de maigrir une fois que l’obésité s’est installée, ce qui signifie qu’il faut agir en amont, chez les enfants et les adolescents, avant qu’ils n’accumulent un excès de poids qui les exposent à un risque très élevé d’obésité à l’âge adulte (plus de 80 % des adultes obèses étaient déjà obèses durant leur enfance).  Malheureusement, la tendance actuelle va complètement à l’inverse, avec une augmentation constante de l’embonpoint et de l’obésité touchant les plus jeunes, les mettant à très haut risque de développer une véritable épidémie de maladies cardiométaboliques dans quelques années (voir notre article à ce sujet). Il est illusoire de penser que l’arrivée de nouveaux médicaments pourra à elle seule endiguer ce problème.

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