Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Akkermansia muciniphila : une bactérie essentielle au maintien d’une bonne santé

En bref

  • La bactérie Akkermansia muciniphila colonise la couche de mucus de la paroi intestinale où elle contribue à son maintien et génère des métabolites qui ont plusieurs effets bénéfiques sur le métabolisme et l’immunité.
  • Akkermansia muciniphila est présente en quantité réduite chez les personnes souffrant de maladies tels le diabète de type 2, l’obésité, la maladie inflammatoire de l’intestin, le cancer colorectal et l’autisme.
  • Les résultats prometteurs de certaines études permettent d’envisager le traitement de maladies chroniques avec des prébiotiques ou par supplémentation avec Akkermansia muciniphila.

Le microbiote intestinal joue un rôle crucial dans le métabolisme, l’immunité et la régulation de l’axe intestin-cerveau chez les animaux, y compris chez l’humain. Le microbiote est impliqué dans la digestion de composants alimentaires non digestibles (cellulose, hémicellulose, amidon résistant, pectine, polysaccharides complexes, certains sucres et alcools) et génère, via son métabolisme, des composés qui ont de multiples effets bénéfiques sur la santé de l’hôte.

L’un des microorganismes intestinaux qui ont retenu l’attention des chercheurs depuis une vingtaine d’années est la bactérie Akkermansia muciniphila, un membre du phylum Verrucomicrobiota qui a été isolé pour la première fois dans des échantillons fécaux en 2004. Cette bactérie a été nommée ainsi en l’honneur du Dr Antoon Akkermans (1940–2006), un microbiologiste néerlandais reconnu pour ses contributions à l’écologie microbienne. Des analyses métagénomiques réalisées depuis suggèrent qu’il y aurait au moins huit espèces du genre Akkermansia qui coloniseraient l’intestin des humains, en plus d’Akkermansia muciniphila. Par ailleurs, des microorganismes apparentés à Akkermansia colonisent l’intestin de nombreux mammifères et non-mammifères.

Le mucus de la paroi intestinale
Il a été estimé qu’Akkermansia muciniphila représente 1-3% du microbiote entier, et jusqu’à 3 à 5% du microbiote intestinal chez des personnes en santé. Cette bactérie colonise la couche de mucus, une couche visqueuse qui recouvre et protège les cellules épithéliales qui tapissent la muqueuse intestinale. Le mucus est sécrété par des cellules épithéliales spécialisées, nommées cellules caliciformes ou cellules mucipares. Les constituants du mucus les plus abondants sont les mucines, des protéines fortement glycosylées qui ont comme principale caractéristique de pouvoir former un gel aux propriétés lubrifiantes. Akkermansia muciniphila est l’une des bactéries intestinales qui a la capacité de produire des enzymes (mucinases) qui dégradent les mucines, ce qui génère des produits contenant du carbone et de l’azote qui sont des sources d’énergie pour elle-même, ainsi que pour les autres microorganismes présents dans l’intestin. De plus, Akkermansia muciniphila  génère des métabolites, incluant des acides gras à courte chaînes tels l’acétate, le propionate, le butyrate et le 1,2-propanediol, qui ont plusieurs effets favorable sur le métabolisme et l’immunité (voir notre article sur le sujet).

Akkermansia muciniphila colonise la couche de mucus des enfants peu après leur naissance et atteint les niveaux observés chez l’adulte en à peine un an. La colonisation de l’intestin par Akkermansia muciniphila diminue cependant chez les personnes âgées (>80 ans).

Rôle dans le maintien de la muqueuse intestinale
La dégradation en continu de la mucine par les enzymes sécrétés par Akkermansia muciniphila participe au maintien de l’épaisseur optimale de la couche de mucus, et de l’intégrité de la barrière intestinale. En effet, la dégradation du mucus produit des nutriments pour les cellules caliciformes (productrices de mucus) et, par conséquent, stimule le renouvellement du mucus.

Akkermansia muciniphila et maladies chroniques
Plusieurs études ont montré qu’Akkermansia muciniphila est présente en moindre quantité chez les personnes souffrant de maladies tels le diabète de type 2, l’obésité, la maladie inflammatoire de l’intestin, le cancer colorectal et l’autisme.

Obésité
L’obésité est un facteur de risque majeur pour le diabète de type 2, la maladie coronarienne, la stéatose hépatique, certains cancers et la mortalité prématurée. Une étude réalisée chez la souris a montré qu’Akkermansia muciniphila est présente en quantité réduite (3 300 fois moins) dans l’intestin des souris obèses (génétiquement déficientes en leptine, une hormone de la satiété) que dans celui des souris minces. De plus, Akkermansia muciniphila était 100 fois moins abondante dans l’intestin de souris devenues obèses par un régime alimentaire très riche en gras que dans celui de souris minces, nourries normalement. L’ajout de prébiotiques (oligofructose) dans la nourriture des souris obèses a normalisé les niveaux d’Akkermansia muciniphila et amélioré leur profil métabolique. L’administration (par gavage) d’Akkermansia muciniphila aux souris obèses a aussi amélioré significativement les troubles métaboliques retrouvés chez ces souris : réduction de l’endotoxémie (présence d’endotoxines dans le sang), de l’adiposité, de l’inflammation du tissu adipeux, du poids corporel, du rapport masse adipeuse/masse maigre et la résistance à l’insuline. De plus, l’administration d’Akkermansia muciniphila a augmenté les niveaux intestinaux d’endocannabinoïdes (acylglycérols) qui contrôlent l’inflammation, l’intégrité de la barrière intestinale et la sécrétion de peptides dans l’intestin.

Une revue systématique publiée en 2021 a répertorié 10 études randomisées contrôlées de bonne qualité sur les effets de la supplémentation avec Akkermansia muciniphila sur l’obésité chez la souris. Dans l’ensemble, les études montrent que la supplémentation avec Akkermansia muciniphila améliore la sensibilité à l’insuline et le contrôle de la glycémie et réduit l’inflammation chez les souris obèses.

Des niveaux d’Akkermansia muciniphila significativement moins élevés ont été mesurés chez des enfants d’âge préscolaire en surpoids ou obèse et chez des femmes obèses adultes, par comparaison à des personnes du même groupe d’âge qui avaient un poids normal. Selon une étude française, il semble que les niveaux d’Akkermansia muciniphila sont encore plus bas chez les personnes atteintes d’obésité sévère (IMC : 35-39,9 kg/m2) ou morbide (IMC : ≥40 kg/m2) que chez celles qui sont atteintes d’obésité modérée (IMC : 30-34,9 kg/m2). Après une chirurgie bariatrique (dérivation gastrique Roux-en-Y), des personnes obèses ont vu leur niveau d’Akkermansia muciniphila augmenter significativement, mais sans que cela ne soit corrélé avec une amélioration métabolique.

La supplémentation avec Akkermansia muciniphila chez des humains a été testée en 2019 sur 32 volontaires en surpoids ou obèses. Le but principal de cette étude randomisée et contrôlée était d’établir l’innocuité, la tolérabilité de la supplémentation et de mesurer divers paramètres métaboliques liés à l’obésité. La supplémentation par voie orale durant trois mois avec 10 milliards de bactéries Akkermansia muciniphila (vivantes ou pasteurisées) par jour s’est avérée sécuritaire et a été bien tolérée. En comparaison avec le placebo, la supplémentation avec Akkermansia muciniphila a amélioré la sensibilité à l’insuline, et réduit l’insulinémie et le cholestérol sanguin total. Après les trois mois de supplémentation, Akkermansia muciniphila a réduit les niveaux sanguins de plusieurs marqueurs du dysfonctionnement du foie et de l’inflammation.

Une tendance dans l’utilisation des probiotiques est d’utiliser des micro-organismes non viables (pasteurisés, par exemple), afin de prévenir les risques potentiels liés à l’utilisation de micro-organismes vivants. Une étude a montré que chez des souris nourries avec une diète normale, Akkermansia muciniphila pasteurisée était plus efficace que la bactérie vivante (non pasteurisée) pour diminuer les marqueurs de l’inflammation et améliorer plusieurs paramètres biochimiques.

Diabète de type 2
Une étude clinique a montré que des patients prédiabétiques, intolérants au glucose, avaient moins d’Akkermansia muciniphila présentes dans leur intestin que des personnes dont la tolérance au glucose était normale. Dans une autre étude, l’administration d’Akkermansia muciniphila à des souris a renversé l’effet négatif de la cytokine IFN-γ sur la tolérance au glucose, ce qui suggère qu’une réduction d’Akkermansia muciniphila pourrait être responsable des mêmes effets de IFN-γ sur la tolérance au glucose chez l’humain. Il faut savoir que des niveaux élevés de IFN-γ sont associés avec une gravité accrue de la maladie coronarienne et du diabète de type 2, ainsi qu’avec une progression de la sclérose latérale amyotrophique et du lupus.

Maladies cardiovasculaires
L’athérosclérose est une maladie inflammatoire chronique qui est la principale cause de la mortalité cardiovasculaire. Les plaques d’athérome contiennent des bactéries qui résident normalement dans l’intestin et la bouche, ce qui suggère que le microbiote pourrait être impliqué dans le développement de cette maladie. On sait aussi que le risque cardiovasculaire est inversement associé au niveau d’Akkermansia muciniphila dans l’intestin. Dans un modèle animal d’athérosclérose (souris ApoE–/–, c.-à-d. déficiente en Apolipoprotéine E), il a été montré que l’administration d’Akkermansia muciniphila atténue les lésions athérosclérotiques en diminuant l’inflammation induite par l’endotoxémie. Une autre étude a montré que la supplémentation en berbérine (utilisée dans la médecine traditionnelle chinoise) chez des souris ApoE–/– nourries avec une diète riche en gras augmente les niveaux intestinaux d’Akkermansia muciniphila et diminue l’athérosclérose. La supplémentation en berbérine a aussi diminué l’endotoxémie et l’expression de cytochines et chimiokines proinflammatoires.

Longévité
Un groupe de recherche espagnol a examiné le rôle du microbiote intestinal dans le vieillissement et la progéria (syndrome de Hutchinson-Gilford), une maladie génétique très rare caractérisée par un vieillissement accéléré dès la première ou deuxième année de vie. Dans les deux modèles de la progéria chez la souris, il y avait moins de bactéries du phylum Verrucomicrobiota et plus de bactéries des phyla Proteobacteria et Cyanobacteria, que chez des souris saines. La transplantation du microbiote entier de souris saines à des souris modèles de la progéria a amélioré la durée de vie et atténué les manifestations du vieillissement accéléré. La transplantation du seul microorganisme Akkermansia muciniphila a aussi augmenté significativement la durée de vie des souris modèles de la progéria, quoique plus modestement. Chez l’humain, les analyses ont montré une diminution des bactéries du phylum Verrucomicrobiota (dont Akkermansia muciniphila fait partie) chez des enfants atteints de progéria par comparaison à des enfants en santé, et une augmentation chez des centenaires par comparaison à des adultes en santé. Cette étude permet d’envisager des traitements par supplémentation en Akkermansia muciniphila cultivée en laboratoire, pour traiter la progéria ainsi que pour vieillir en meilleure santé et vivre plus longtemps.

Prébiotiques
Les prébiotiques sont des substances qui favorisent la croissance des microorganismes dans l’intestin.  Quelques exemples de prébiotiques sont : les fructo-oligosaccharides, les galacto-oligosaccharides, l’arabinose, le galactose, l’inuline, le raffinose et le mannose. L’inuline, un polymère linéaire de D-fructose, est retrouvée dans plusieurs plantes où elle constitue une réserve de glucides. Plusieurs études réalisées chez la souris et quelques études chez l’humain ont montré que l’inuline augmente la quantité de plusieurs bactéries intestinales, incluant Akkermansia muciniphila. Pour maximiser la consommation d’inuline, il peut être utile de savoir que certains aliments en contiennent de bonnes quantités, tels le topinambour (16-20%), la chicorée (15-20%), les feuilles de pissenlit (12-15%), l’ail (9-16%), l’artichaut (3-10%), le poireau (3-10%) et l’oignon (2-6%).

Conclusion
La composition du microbiote intestinal a de très importants et nombreux effets sur la santé humaine. La bactérie Akkermansia muciniphila joue un rôle essentiel dans le maintien de la barrière intestinale et elle génère des métabolites qui ont plusieurs effets bénéfiques sur le métabolisme et l’immunité. Une faible quantité de cette bactérie dans l’intestin est un indicateur d’une mauvaise santé intestinale et est associée à plusieurs maladies chroniques, incluant l’obésité, le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires et la maladie inflammatoire de l’intestin. Des interventions qui ont pour but d’augmenter Akkermansia muciniphila (prébiotique ou supplémentation) dans l’intestin améliorent les troubles métaboliques tels que l’endotoxémie, la résistance à l’insuline et l’inflammation. Il est encore trop tôt pour envisager de traiter des patients atteints d’un trouble métabolique, mais cette avenue prometteuse devra être étudiée dans des essais cliniques rigoureux. Adopter un régime alimentaire sain, tel le régime de type méditerranéen (constitué principalement de légumes, légumineuses, fruits, noix, huile d’olive, et d’un peu de vin et de viande rouge) est une approche qui maximise les chances d’avoir un microbiote intestinal en santé et de prévenir les troubles métaboliques et certaines maladies chroniques.

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