Dr Daniel Gagnon, Ph. D.

Chercheur au centre ÉPIC de l’ICM. Professeur à l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique, Faculté de médecine, Université de Montréal.

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L’exposition à la chaleur a des effets importants sur le coeur

En bref

  • Des participants à une étude menée par notre équipe de recherche au centre ÉPIC de l’Institut de Cardiologie de Montréal ont été soumis à la chaleur dans des conditions contrôlées.
  • Le débit sanguin myocardique a été mesuré à l’aide d’un outil d’imagerie moléculaire à la fine pointe de la technologie : la tomographie par émission de positrons PET-CT.
  • L’augmentation de la température interne des participants de 1,5 °C a pratiquement fait doubler le débit sanguin dans le cœur.
  • L’augmentation du débit sanguin myocardique n’a pas varié en fonction de l’âge ou de la présence d’une maladie coronarienne, mais nous avons observé chez certains participants atteints d’une maladie coronarienne des manifestations d’ischémie (manque d’oxygène) myocardique asymptomatique. 

Une conséquence directe des changements climatiques est une plus grande fréquence des épisodes de chaleurs extrêmes, qui sont associés à une mortalité plus élevée. Des exemples frappants incluent les étés européens de 2003 et 2022 qui ont causé respectivement plus de 70 000 et 60 000 décès liés à la chaleur. Les décès lors d’épisodes de chaleurs extrêmes sont principalement dus à des événements cardiovasculaires (voir ici, ici et ici). Les températures extrêmes augmentent considérablement le risque d’événements ischémiques, tels que l’infarctus du myocarde (voir ici, ici et ici) et l’hospitalisation ou les décès liés à une maladie coronarienne (MAC) (voir ici et ici). Ces risques sont particulièrement élevés chez les adultes vivant avec une maladie cardiaque (voir ici et ici). Malgré des études épidémiologiques démontrant une association entre les températures extrêmes et un risque cardiaque accru, les mécanismes physiologiques à l’origine de cette association restent inconnus (voir ici et ici).

L’ischémie myocardique induite par la chaleur pourrait être l’un des mécanismes physiologiques à l’origine du risque cardiaque plus élevé associé aux températures extrêmes. Lors d’une exposition à la chaleur, l’hyperthermie corporelle provoque une vasodilatation cutanée et une production de sueur favorisant la perte de chaleur. Cependant, ces réponses entraînent une redistribution du débit et du volume sanguin vers la peau, ce qui diminue la résistance vasculaire périphérique et le volume sanguin central. Ces ajustements provoquent une augmentation du débit cardiaque pour la régulation de la pression artérielle (voir ici et ici). L’augmentation du débit cardiaque est principalement médiée par une augmentation de la fréquence cardiaque et de la contractilité cardiaque, deux déterminants de la consommation d’oxygène du myocarde (voir ici et ici). Ces réponses nécessitent une augmentation du débit sanguin myocardique (DSM), qui est principalement obtenue par vasodilatation coronaire (voir ici et ici). Ceci pourrait exposer les personnes vivant avec une MAC à un risque d’ischémie (manque d’oxygène). D’ailleurs, notre groupe a déjà observé des signes d’ischémie myocardique chez des adultes vivant avec une coronaropathie lors d’une exposition de 15 minutes dans un sauna finlandais (80 °C). Néanmoins, les besoins du DSM en matière d’exposition à la chaleur demeuraient inconnus. L’identification de ces besoins permettrait d’établir le DSM requis pour soutenir les exigences cardiovasculaires liées à l’exposition à la chaleur et aiderait potentiellement à identifier les personnes à risque d’ischémie induite par la chaleur.

Effets de l’exposition à la chaleur sur le débit sanguin myocardique

L’objectif principal de cette étude menée par notre équipe de recherche au centre ÉPIC de l’Institut de Cardiologie de Montréal était de déterminer si l’exposition à la chaleur augmente le DSM. Nous avons testé l’hypothèse selon laquelle le DSM serait plus élevé après une augmentation de la température centrale de 1,5 °C qu’avant l’exposition. Un objectif secondaire était de déterminer si l’augmentation du DSM lors d’une exposition à la chaleur est modulée par l’âge et la présence d’une coronaropathie. Des études antérieures ont montré que les personnes âgées en bonne santé présentaient une augmentation modérée de leur fréquence cardiaque lors d’une exposition à la chaleur. Par conséquent, nous avons émis l’hypothèse que l’augmentation du DSM lors d’une exposition à la chaleur serait réduite chez les personnes âgées en bonne santé par rapport aux jeunes adultes en bonne santé. Bien que les réponses cardiovasculaires lors d’une exposition à la chaleur chez les adultes vivant avec une coronaropathie étaient peu connues, nous avons émis l’hypothèse que la combinaison de la coronaropathie et de l’effet à long terme des médicaments cardiovasculaires atténuerait davantage l’augmentation du DSM pendant l’exposition à la chaleur.

L’étude a été réalisée auprès de 61 participants : 20 jeunes adultes (20 à 38 ans) en santé ; 21 adultes âgés de 60 à 80 ans et 20 adultes vivant avec une MAC (âgés de 61 à 79 ans). Les participants ont été soumis à un examen PET-CT afin de mesurer leur DSM avant et durant une exposition passive à la chaleur. Les participants ont enfilé une combinaison thermostatée qui couvrait tout le corps à l’exception de la tête, des mains et des pieds. Après une période d’acclimatation de 30 minutes à 34 °C, la température de la combinaison a été augmentée à 50 °C et maintenue à cette température jusqu’à ce que la température interne du corps augmente de 1,5 °C. Le DSM a été mesuré avant (niveau de base) et lorsque la température interne du corps a augmenté de 0,5 °C, 1,0 °C et 1,5 °C. 

Une hausse de la température corporelle interne de 1,5 °C a fait augmenter le DSM de 0,8 mL/min/g, 0,7 mL/min/g et 0,6 mL/min/g chez les participants jeunes et en santé, les adultes âgés et les adultes âgés vivant avec une MAC, respectivement. Par rapport aux niveaux de base, ces augmentations de DSM sont de 2,1-fois, 1,8-fois et 1,6-fois, respectivement. De plus, la DSM augmente proportionnellement en fonction de la hausse de la température interne de 0,5 °C, 1,0 °C et 1,5 °C, dans les trois groupes de participants.

Nous n’avons pas observé d’ischémie (manque d’oxygène) induite par la chaleur chez les participants en santé plus âgés. Par contre, l’imagerie PET-CT a révélé que 7 (35 %) adultes âgés et vivant avec une MAC étaient en ischémie durant l’exposition à la chaleur, malgré qu’ils n’avaient aucun symptôme d’angine. L’ischémie est apparue à une augmentation de la température interne de 0,5 °C pour 3 participants, 1,0 °C pour 2 participants et 1,5 °C pour 2 participants. 

Autres effets de l’exposition à la chaleur

L’exposition à la chaleur a fait augmenter le rythme cardiaque de 39 battements/minutes (bpm) et la pression artérielle systolique de 5 mmHg en moyenne. L’augmentation du rythme cardiaque provoquée par la chaleur était plus importante chez les jeunes (45 bpm) que chez les participants plus âgés en santé (34 bpm) ou vivant avec une MAC (34 bpm). La hausse de pression artérielle systolique était la même parmi les trois groupes de participants. Le taux de sudation était moins élevé dans les deux groupes de personnes âgées que dans le groupe de jeunes. Le niveau de déshydratation causé par la chaleur était modéré dans tous les groupes (<2 % de perte de poids corporel), mais plus faible chez les personnes âgées que chez les jeunes. 

Les résultats de cette étude soutiennent l’hypothèse selon laquelle des besoins plus élevés en DSM avec une prédisposition à l’ischémie myocardique pourraient être un mécanisme physiologique à l’origine du risque cardiaque plus élevé associé aux températures extrêmes chez les adultes vivant avec une maladie cardiaque. Il convient de noter que ces résultats sont spécifiques à une étude en laboratoire, dans laquelle les participants ont été invités à ne pas prendre de médicaments antiangineux (bêta-bloquants, inhibiteurs des canaux calciques et des médicaments à base de nitroglycérine) pendant 24 heures avant l’exposition à la chaleur et n’étaient pas autorisés à boire pendant l’étude. Ces facteurs peuvent avoir contribué aux résultats, et nos résultats ne se généralisent pas nécessairement aux personnes vivant normalement et prenant leurs médicaments prescrits.

Des besoins plus importants en DSM avec prédisposition à l’ischémie chez les adultes atteints d’une maladie cardiaque peuvent être suffisants pour augmenter le risque d’infarctus du myocarde. Même en cas d’hyperthermie corporelle légère à modérée, les personnes âgées vivant avec une MAC peuvent bénéficier d’une réduction du stress sur le cœur pendant les périodes de chaleur extrême, en utilisant un ventilateur, en humidifiant la peau ou en s’hydratant adéquatement en l’absence de climatisation.

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