Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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La vaccination contre l’influenza réduit le risque de mort prématurée chez les patients coronariens

En bref

  • L’infection par le virus de l’influenza crée des conditions inflammatoires qui haussent le risque d’infarctus du myocarde.
  • Chez les patients ayant subi un infractus, l’administration d’un vaccin contre l’influenza réduit significativement le risque de mortalité dans les 12 mois suivant l’accident coronarien.
  • Ces résultats suggèrent que la vaccination contre l’influenza devrait être considérée comme une partie intégrante des traitements post-infarctus. 

Avec la pandémie de Covid-19 qui sévit depuis maintenant presque deux ans, on en vient parfois à oublier que d’autres virus respiratoires existent et peuvent eux aussi avoir des impacts très négatifs sur la santé.  C’est le cas notamment de la grippe, une des maladies virales les plus communes et qui touche chaque année de 5 à 20 % de la population mondiale.

L’infection des cellules des voies respiratoires par le virus de l’influenza déclenche une myriade de symptômes cliniques, les plus communs étant le « nez qui coule », les maux de gorge, la fièvre et un malaise généralisé. Par contre, le corps humain possède généralement une bonne résistance au virus et les personnes en bonne santé réussissent dans la très grande majorité des cas à surmonter l’infection en quelques jours.  Par contre, la grippe demeure une maladie dangereuse pour les personnes dont l’immunité n’est pas optimale (jeunes enfants, personnes âgées ou touchées par une maladie chronique), car le virus peut entrainer chez ces personnes des complications pulmonaires graves (pneumonies, bronchites hémorragiques) et potentiellement mortelles.

En plus de ses effets néfastes sur les poumons,  plusieurs observations indiquent que l’infection par le virus de l’influenza peut également affecter le système cardiovasculaire.  Par exemple, on  sait depuis longtemps que le pic de la saison de la grippe est corrélé avec une hausse des décès associés aux maladies ischémiques comme l’infarctus du myocarde et les AVC.  Certaines études ont également rapporté que les patients qui sont admis à l’hôpital pour un infarctus aigu sont significativement plus à risque d’avoir été affectés par une infection respiratoire dans les jours ou les semaines précédant leur admission.  De la même façon, d’autres études ont montré que les personnes qui consultent un médecin pour une infection respiratoire aigüe ou des symptômes de la grippe sont plus à risque d’être touchées par la suite par un événement cardiovasculaire grave.

Ce lien entre l’influenza et les maladies cardiovasculaires est particulièrement bien illustré par les résultats d’une étude canadienne publiée dans le New England Journal of Medicine.  Les chercheurs ont observé que les personnes qui avaient été déclarées positives pour l’un ou l’autre des différents virus respiratoires avaient un risque beaucoup plus élevé d’être hospitalisées pour un infarctus aigu dans les 7 jours suivant le diagnostic.  Cette hausse du risque est particulièrement élevée pour les virus de l’influenza A et B (5 et 10 fois, respectivement), mais est également observée pour les infections par le virus syncytial (RSV) ainsi que pour d’autres virus respiratoires (adénovirus, métapneumovirus, coronavirus, etc.) (Figure 1).  Il est donc certain que ces hausses du risque d’événements cardiovasculaires graves contribuent à la mortalité associée aux infections respiratoires, en particulier celle causée par les virus de la grippe.

Figure 1. Impact de différents virus respiratoires sur le risque d’infarctus du myocarde. Tiré de Kwong et coll. (2018).

Cette association entre les infections pulmonaires et le risque d’événements cardiovasculaires pourrait être due à l’interaction étroite qui existe entre ces deux organes.   Au cours des échanges gazeux, le sang veineux (pauvre en oxygène) est propulsé du ventricule droit du cœur dans les artères pulmonaires, s’oxygène dans les capillaires pulmonaires, revient à l’oreillette gauche par les veines pulmonaires pour être finalement expulsé dans la circulation via l’aorte.  La présence d’un foyer inflammatoire associée à la présence d’une infection pulmonaire peut donc se transmettre rapidement à l’ensemble de l’organisme. Ceci est particulièrement dangereux pour le cœur, car ce climat proinflammatoire causé par l’infection  provoque une inflammation aigüe de la paroi des vaisseaux et une augmentation du potentiel de coagulation, deux phénomènes connus pour favoriser la rupture des plaques d’athérosclérose et provoquer l’obstruction des artères coronaires responsable de l’infarctus.

L’impact de la vaccination

L’hiver est le pic de la saison de la grippe, car le virus de l’influenza est très contagieux à basse température et à faible taux d’humidité, deux caractéristiques des conditions météorologiques hivernales. Malgré une protection imparfaite (environ 50-70 % d’efficacité, dans les meilleures années), la vaccination demeure la meilleure façon de réduire le risque de contracter l’influenza et de diminuer du même coup les complications parfois sévères de cette infection.

Ceci est particulièrement important pour les personnes à haut risque en raison d’antécédents de maladies cardiovasculaires.  Plusieurs études ont montré que la vaccination contre l’influenza réduit l’incidence d’événements cardiovasculaires chez les patients atteints d’une maladie coronarienne, en particulier ceux qui avaient récemment subi un infarctus.  L’étude randomisée FLUVACS (FLU Vaccination Acute Coronary Syndromes) a montré que chez des patients admis pour un infarctus ou pour une angioplastie (pose de « stent » pour dilater les coronaires obstruées), la vaccination réduisait le risque de décès de causes cardiovasculaires après 6 mois (75 % de réduction) et un an (66 % de réduction). Dans la même veine, l’étude randomisée FLUCAD a montré que la vaccination de patients atteints d’une maladie coronarienne (tel que visualisé par angiographie) réduit de moitié le risque d’infarctus dans l’année qui suit.

Les résultats d’une étude randomisée à double insu récemment publiée dans Circulation permet de bien visualiser ces bienfaits de la vaccination contre l’influenza pour les personnes qui ont subi un infarctus du myocarde.  Dans cette étude multicentrique, les patients hospitalisés pour un infarctus ou pour une revascularisation (pose de stents pour traiter une obstruction sévère des artères coronaires) ont été séparé en deux groupes, soit un groupe contrôle (placebo) et un groupe recevant un vaccin contre l’influenza dans les 72 heures suivant l’hospitalisation.  Pour juger de l’efficacité de l’intervention, le critère principal utilisé (primary endpoint) était une combinaison d’infarctus, de thromboses et de mortalité toute cause survenus dans l’année suivant la randomisation des patients.  L’incidence d’infarctus, de mortalité cardiovasculaire et de mortalité  toute cause aégalement été analysée séparément en tant que critères de jugement secondaires (secondary endpoints).

Comme le montre la Figure 2, les résultats de l’étude sont assez spectaculaires dans l’ensemble.  Par exemple, l’incidence du critère de jugement principal (infractus, thromboses et mortalité toute cause) a diminué de presque moitié chez les patients vaccinnés (5,3 % vs 7,2 % pour le placebo). Des diminutions similaires ont également été observée pour les critères secondaires comme la mortalité toute cause (2,9 % vs 4,9 %) et la mortalité cardiovasculaire (2,7 % vs 4,5 %). Seule la diminution d’incidence d’infarctus du myocarde n’est pas significativement modifiée chez les patients vaccinés (2,0 % vs 2,4 %).  Globalement, les résultats de l’étude confirment que la vaccination contre l’influenza des patients ayant subi un infarctus ou à très haut risque d’accidents coronariens (revascularisation) diminue significativement le risque de mort prématurée dans l’année qui suit l’hospitalisation. Ces observations sont en accord avec une méta-analyse récente, portant sur près de 240,000 patients atteints d’une maladie cardiovasculaire, qui montrait que la vaccination contre l’influenza  était associée à une réduction du risque de mortalité cardiovasculaire et toute casue, mais pas sur l’incidence d’infarctus du myocarde.

Figure 2. Courbes de Kaplan-Meier des événements survenus suivant l’administration d’un placebo (lignes rouges) ou d’un vaccin contre l’influenza (lignes bleues).  L’incidence cumulative des événements est présenté pour le critère jugement principal de l’étude (une combinaison d’infarctus, de thromboses et de mortalité toute cause) (A) et les critères secondaires comme la mortalité toute cause (B), la mortalité cardiovasculaire (C) et l’infarctus du myocarde (D).  Tiré de Fröbert et coll. (2021).

Il faut aussi noter que la vaccination contre l’influenza semble également bénéfique en prévention primaire, car une étude réalisée auprès de 80,363 personnes âgées de 65 et plus a montré que la vaccination réduisait l’incidence d’infarctus du myocarde de 25 % sur une période de 13 ans. Que l’on soit en bonne santé ou atteint d’une maladie cardiovasculaire, il n’y a donc que des avantages à se faire vacciner contre l’influenza.

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