Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Comment le sommeil participe à la guérison après un infarctus du myocarde

En bref

  • Après un infarctus du myocarde, des monocytes de la circulation sanguine sont acheminés vers le cerveau.
  • Les monocytes relocalisés dans le cerveau sont reprogrammés pour produire du facteur de nécrose tumorale (TNF).
  • Le TNF stimule les neurones glutamatergiques afin d’augmenter le sommeil profond.
  • Le sommeil profond réduit l’inflammation dans le cœur et participe à la guérison.
  • Un mauvais sommeil durant les semaines suivant un syndrome coronarien aigu augmente la susceptibilité à d’autres événements cardiovasculaires et réduit la récupération de la fonction cardiaque.

Le sommeil est essentiel à une bonne santé cardiovasculaire (voir ici, ici et ici) et une mauvaise qualité ou trop peu de sommeil augmente le risque d’infarctus du myocarde, indépendamment de la génétique et autres facteurs de risques (voir ici, ici et ici). Des études ont mis en évidence des circuits neuronaux complexes par lesquels le cerveau régule, lors du sommeil, des processus biologiques sous-jacents aux maladies cardiovasculaires. Ainsi, des signaux régulateurs du sommeil provenant de l’hypothalamus modulent la production de cellules immunitaires ayant une influence sur l’athérosclérose (voir ici et ici). Par contre, il n’est pas clair si une lésion ou une maladie cardiovasculaire a une influence sur le sommeil et ses circuits cérébraux à travers la signalisation cœur-cerveau et si les changements dans le sommeil influencent les signaux neuronaux du cerveau vers le cœur. 

Des études récentes ont mis en évidence des circuits par lesquels le cerveau perçoit des changements dans la physiologie cardiaque. Par exemple, la tachycardie (rythme cardiaque rapide) cause des comportements anxieux et les neurones sensoriels du nerf vague peuvent provoquer une syncope (perte de connaissance subite et brève).

Afin d’approfondir les connaissances sur le sujet, une équipe de chercheurs a induit des infarctus du myocarde (IM) chez des souris et mesuré les ondes cérébrales. Ces souris ont passé plus de temps en sommeil lent profond, une phase du sommeil qui a été associée à la réparation et la guérison, que les souris témoins n’ayant pas subi d’IM. 

Sachant qu’après un IM les cellules du système immunitaire déclenchent une inflammation massive dans le cœur, les chercheurs ont voulu savoir si de tels changements affecteraient aussi le cerveau. Ils ont trouvé qu’après un IM chez la souris la microglie recrute rapidement les monocytes de la circulation sanguine vers le cerveau au niveau du thalamus. Les monocytes relocalisés dans le cerveau sont reprogrammés pour produire du facteur de nécrose tumorale (TNF), un régulateur important de l’inflammation et qui favorise le sommeil (voir la Figure 1).

Figure 1. Le rôle du sommeil après un infarctus du myocarde. Adapté de Rowe, 2024, d’après les résultats de Huynh et coll., 2024. A. Le sommeil réparateur chez une souris après un infarctus du myocarde : des monocytes recrutés dans le cerveau sécrètent du TNF qui agit sur les neurones régulateurs du sommeil pour induire un sommeil à ondes lentes, caractérisé par des oscillations électriques lentes et synchronisées dans le cerveau. Ce type de sommeil inhibe les signaux nerveux du système sympathique vers le cœur, ce qui a pour effet de diminuer l’inflammation à un niveau qui permet de promouvoir la guérison. B. Lorsque le sommeil est perturbé, les signaux nerveux du système sympathique ne sont plus inhibés et le recrutement des monocytes dans le cerveau et dans le cœur augmente trop, causant en une inflammation accrue qui nuit à la fonction cardiaque et à la guérison.

L’injection d’un antagoniste dans le cerveau de souris tout de suite après un IM a réduit l’accumulation des monocytes et bloqué l’induction du sommeil lent profond. Afin de corroborer ces résultats, les chercheurs ont utilisé une lignée de souris Ccr2–/–  (qui n’exprime pas le récepteur Ccr2 localisé à la surface des monocytes) et observé peu de monocytes dans le cerveau et pas d’induction du sommeil lent profond après avoir provoqué un IM. 

Le rôle central du TNF dans l’induction du sommeil suite à un IM a été confirmé en bloquant cette cytokine par une injection d’anticorps neutralisants dans le cerveau de souris tout de suite après l’infarctus, ce qui a résulté en une baisse significative du sommeil lent profond. Des résultats similaires ont été observés dans une lignée de souris Tnf–/–(génétiquement modifiée pour ne pas exprimer de TNF).  

Dans une autre série d’expériences, les chercheurs ont interrompu le sommeil lent profond chez des souris ayant subi un IM. L’interruption du sommeil a détérioré la fonction cardiaque, réduit la variabilité du rythme cardiaque et causé une tachycardie ventriculaire spontanée (une arythmie sévère). Après un IM, les souris dont le sommeil a été perturbé avaient une moins bonne santé cardiovasculaire et une moins bonne guérison que les souris qui ont eu un sommeil normal, non perturbé. 

Les résultats observés chez la souris ont été validés chez l’humain en examinant les données d’un groupe de personnes atteintes du syndrome coronarien aigu (angine instable ou infarctus du myocarde, des conditions dans lesquelles le flux sanguin des coronaires au cœur est réduit ou bloqué). Parmi ce groupe, un mauvais sommeil durant les semaines suivant un syndrome coronarien aigu a augmenté la susceptibilité à d’autres événements cardiovasculaires et réduit la récupération de la fonction cardiaque.

Cette étude démontre l’importance d’un bon sommeil ininterrompu pour la guérison du muscle cardiaque après un infarctus. Les programmes de réadaptation cardiaque mettent l’emphase sur des modifications au mode de vie appropriées après une crise cardiaque afin d’améliorer la guérison du cœur et de la santé en général (cessation du tabagisme, alimentation, activité physique, etc.).   Insister sur l’importance d’avoir un sommeil de bonne qualité pourrait être bénéfique pour le rétablissement des patients qui ont subi une crise cardiaque. 

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