Dr Louis Bherer, Ph. D., Neuropsychologue

Professeur titulaire, Département de Médecine, Université de Montréal, Directeur adjoint scientifique à la direction de la prévention, chercheur et Directeur du Centre ÉPIC, Institut de cardiologie de Montréal.

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Dr Éric Thorin, Ph. D.

Professeur titulaire, Département de Chirurgie, Université de Montréal. Chercheur au centre de recherche de l'Institut de cardiologie de Montréal.

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Accumulation de microplastiques dans le cerveau : un lien avec la démence ?

En mars 2024, une étude italienne rapportait avoir détecté des nanoparticules (1-1000 nanomètre) et microparticules (1-1000 micromètre) de plastiques dans des plaques d’athérome de l’artère carotide chez 58% des patients ayant subi une endartériectomie de la carotide (voir notre article sur le sujet). La présence de particules de plastique dans une plaque était associée à un risque 4,5 fois plus élevé de décès ou d’événements cardiovasculaires majeurs, comparativement aux patients dont les plaques ne contenaient pas de plastique. Bien que les résultats de cette étude ne permettent pas d’établir un lien de causalité entre la présence de plastique dans les plaques d’athérome et la maladie cardiovasculaire, ils sont considérés comme très préoccupants par la communauté scientifique et médicale.

Des micro- et nanoplastiques (MNP) ont été détectés dans presque tous les organes du corps humain (voir figure 1). Jusqu’à présent, peu d’études ont rapporté la présence de MNP dans le cerveau ; or une étude américaine récente rapporte la présence de grandes quantités de MNP dans cet organe. Dans cette étude, publiée dans la revue Nature Medicine, des chercheurs ont utilisé des techniques à la fine pointe de la technologie (chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse, spectroscopie infrarouge, microscopie électronique) pour mesurer la quantité de MNP dans le cerveau, le foie et les reins provenant d’autopsies de personnes décédées entre 2016 et 2024. Les résultats indiquent la présence de 12 polymères de plastiques dans les 3 organes, le polyéthylène (PE) étant le plus abondant, tout particulièrement dans le cerveau où il représente 75% des MNP. Les concentrations de MNP dans le foie et les reins étaient similaires, avec des valeurs médianes de 433 et 404 µg/g. Les échantillons de cerveau (cortex frontal) contenaient des MNP en quantité significativement plus élevée que le foie et les reins, soit 3 345 µg/g pour les échantillons obtenus en 2016 et 4 917 µg/g pour ceux obtenus en 2024. Les MNP s’accumulent donc 7 à 12 fois plus dans le cerveau que dans le foie et le rein, une différence énorme qui pourrait avoir des conséquences néfastes sur la fonction cérébrale.

Figure 1. Les microplastiques dans le corps humain. Les voies d’exposition sont indiquées en turquoise et les quantités rapportées dans différentes composantes du corps humain sont indiquées en rouge. Les quantités de microplastiques (MP) sont celles déclarées dans différentes études publiées à ce jour. Les comparaisons entre les études doivent être faites avec prudence en raison de la variation des méthodes et des unités entre les études. Étant donné que certaines méthodes ne caractérisent pas les particules individuelles, il est probable que les quantités rapportées par masse se rapportent à la fois aux micro- et/ou aux nanoparticules. *Quantités déclarées comme étant près de la limite de détection. Adapté de Thompson et coll., 2024.

Les chercheurs ont aussi obtenu des échantillons provenant de personnes atteintes de démence lors de leur décès, ainsi que, pour comparaison, des échantillons provenant de personnes décédées qui n’étaient pas atteintes de démence. L’analyse des MNP des échantillons de cerveau montre une concentration médiane de 26 076 µg/g de tissus pour les personnes atteintes de démence, une concentration beaucoup plus élevée que celle mesurée dans les cerveaux normaux, soit 4 917 µg/g. L’examen microscopique des tissus révèle que les particules de plastique présentes sont en majorité des nanoparticules (<1 µm) en forme de bâtonnet, d’éclat ou de flocon. La présence de MNP dans les 3 organes n’était pas influencée par l’âge, le genre, la race ou par la cause du décès. Par contre, les concentrations de MNP dans les foies et cerveaux prélevés à l’autopsie en 2024 étaient significativement plus élevées que dans les échantillons de 2016. Les chercheurs ont estimé que les cerveaux prélevés en 2024 contenaient environ 50% plus de MNP que ceux prélevés 8 ans plus tôt en 2016. Cette augmentation pourrait s’expliquer par la croissance exponentielle de la présence des MNP dans l’environnement, mais cela reste à être établi. 

Une des critiques de ce genre d’étude est la possibilité d’une contamination par les contenants de plastique lors de l’entreposage et les manipulations. Or, les chercheurs ont pris soin de faire de nombreux contrôles et l’hypothèse d’une contamination significative peut être écartée. La présence de MNP en grande quantité dans les cerveaux de personnes atteintes de démence est intrigante, mais elle ne permet pas d’établir un lien de causalité. En effet, il est possible que les personnes atteintes de démence aient eu une mauvaise alimentation durant de nombreuses années avant leur décès (aliments ultra-transformés, fast-food, de boissons gazeuses, etc.) qui pourrait avoir causé une ingestion et par conséquent une accumulation plus importante de plastiques. Il est également plausible que la nature même de la pathologie neurodégénérative qui est associée à des dérèglements des mécanismes d’élimination des déchets du métabolisme cellulaire ait favorisé l’accumulation des MNP, sans pour autant être la cause directe de la démence.

Des études futures, utilisant des protocoles plus raffinés et des techniques analytiques plus performantes, devront être réalisées auprès de cohortes beaucoup plus grandes afin d’acquérir une meilleure connaissance de l’implication de la présence de plastiques dans le cerveau. Étant donné la croissance exponentielle de la présence des plastiques dans l’environnement, la communauté scientifique devra s’efforcer de mieux comprendre si les MNP jouent un rôle dans les troubles neurologiques et d’autres aspects de la santé humaine. 

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