Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Bains glacés, bénéfices santé ?

L’exposition, en tout ou en partie, du corps humain au froid est une pratique utilisée depuis des millénaires par plusieurs cultures pour soulager la douleur, contrôler la fièvre, accélérer la récupération après un effort et améliorer le bien-être général.  Cette pratique ancienne a gagné en popularité ces dernières années, en particulier sous la forme d’immersion en eau froide (IEF), où le corps est plongé partiellement ou totalement à des températures froides, généralement comprises entre 10 et 15 °C (Tableau 1).  

TypeTempératureDescription
Douche froide10-20oCExposition du corps à l’eau froide pendant une brève période, généralement lors de la douche régulière.
Immersion dans l’eau froide< 15 oCImmersion du corps dans l’eau froide pendant une durée déterminée.
Bains de glace0-15 oCImmersion du corps dans un récipient rempli d’eau froide et de glace.
Natation en eau froide< 15 oCImmersion dans des étendues d’eau naturelles froides, telles que des lacs, des rivières ou des océans.

Tableau 1. Principaux modes d’exposition délibérée du corps humain au froid. Adapté de Kunotsor et coll. (2025).

Cette technique est utilisée en routine depuis plusieurs années comme moyen de récupération par les sportifs après un effort intense. Plus récemment, l’IEF est devenue de plus en plus populaire auprès de la population en général, un engouement créé en majeure partie par divers médias sociaux vantant ses nombreux bénéfices sur la santé, autant du point de vie physique que mentale.   Il existe cependant un large fossé entre cet enthousiasme envers l’IEF et le peu de données scientifiques solides qui permettraient de confirmer ces bienfaits. Comme nous le verrons, même si les réactions physiologiques du corps humain en réaction à une exposition au froid sont assez bien comprises, l’impact réel de ces adaptations sur la santé demeure pour l’instant en général peu concluant. 

Le choc du froid

Il faut tout d’abord mentionner que l’exposition au froid représente une situation stressante pour le corps humain, qui entraine l’activation rapide de plusieurs mécanismes régulateurs visant à combattre cette chute rapide de la température ambiante. Lors d’une immersion dans l’eau froide (15oC et moins), les récepteurs au froid localisés sous l’épiderme réagissent à la diminution soudaine de la température de la peau pour causer :

  • une activation du système nerveux central (SNS) sympathique, caractérisée par une augmentation significative des taux plasmatiques de noradrénaline et de cortisol, deux hormones du stress;
  • une hyperventilation (qui peut mener à une hypocapnie, soit une diminution anormale de la quantité de CO2dans le sang);
  • une augmentation du débit cardiaque;
  • une vasoconstriction périphérique, pour diminuer les pertes de chaleur externes;
  • une hausse de la pression artérielle, causée par réduction du flot sanguin en surface qui redirige le sang vers les organes internes.

En somme, les réactions initiales à l’immersion en eau froide exercent une pression importante sur le système cardiovasculaire et peuvent représenter une menace pour les personnes atteintes de maladie coronarienne, chez qui une augmentation soudaine de la charge cardiaque peut causer une ischémie au niveau du myocarde.

Ces effets de l’eau froide sur la fonction cardiaque sont particulièrement complexes lorsque l’ensemble du corps est immergé, c’est-à-dire autant la tête que le corps (Figure 1). Dans ce cas, l’immersion en eau froide active deux réponses du système nerveux autonome, à l’opposé l’un de l’autre, soit la réponse de plongée (lors de l’immersion faciale) et la réponse au choc froid (lors de l’activation des récepteurs cutanés du froid). La réponse de plongée déclenche une bradycardie (ralentissement du rythme cardiaque) d’origine parasympathique, tandis que le choc froid provoque une tachycardie (accélération du rythme cardiaque) d’origine sympathique. On suppose que ces signaux cardiaques contradictoires (sympathique et parasympathique) peuvent entraîner, par des mécanismes complexes, un « conflit » au niveau du cœur lorsque la respiration est rétablie et déclencher des arythmies, en particulier en présence de différents facteurs prédisposants.

Figure 1. Réponses du système nerveux autonome à l’immersion en eau froide. L’immersion en eau froide active deux réponses puissantes : la réponse de plongée (lors de l’immersion du visage) et la réponse au choc froid (lors de l’activation des récepteurs cutanés du froid). L’ampleur de ces réponses peut varier en fonction de divers facteurs, notamment la température de l’eau, les vêtements et l’accoutumance. La réponse de plongée déclenche une bradycardie d’origine parasympathique, tandis que le choc froid active une tachycardie d’origine sympathique. On suppose que ces signaux cardiaques contradictoires peuvent entraîner des arythmies, notamment lors de la rupture de l’apnée. Le risque d’arythmie peut être grandement influencé par divers facteurs de risque cardiovasculaires comme l’athérosclérose, une maladie coronarienne, l’hypertrophie de myocarde ou encore des anomalies de l’intervalle QT. Cet intervalle, mesuré à l’aide d’un électrocardiogramme, représente le temps total nécessaire aux cavités inférieures du cœur (ventricules) pour se contracter et se détendre. Un allongement de l’intervalle QT, ce qu’on appelle un QT long, augmente le risque d’arythmies graves qui peuvent entraîner une mort cardiaque subite. Les causes du QT long peuvent être congénitales ou acquises (par l’usage de drogues, par exemple). Il est également possible que le « conflit » engendré par les stimulations autonomes sur les battements cardiaques puisse provoquer une mauvaise synchronisation de l’intervalle QT avec ces battements et ainsi l’apparition d’arythmies. Adapté de Bierens et coll. (2016).

Adaptation au stress du froid

Il est cependant important de mentionner que ces effets négatifs du froid sur le cœur sont très rares chez les personnes en bonne santé.  Lorsque le système nerveux sympathique s’emballe, comme c’est initialement le cas lors d’une immersion en eau froide, il y a immédiatement une activation réflexe du système nerveux parasympathique pour restaurer l’équilibre, c’est-à-dire ralentir le rythme cardiaque et réduire la tension artérielle (voir notre article à ce sujet).  Selon plusieurs études, cette activation du système nerveux parasympathique pourrait même être globalement prédominante, car l’immersion en eau froide semble augmenter la variabilité de la fréquence cardiaque, un des meilleurs indices de l’activité parasympathique.   Ceci est intéressant, dans la mesure où l’augmentation de l’activité parasympathique au repos est depuis longtemps associée à une meilleure santé, autant physique que mentale.  L’impact positif de l’IEF sur le système nerveux parasympathique pourrait donc contribuer, au moins en partie, aux effets positifs sur la santé et le bien-être attribués à l’immersion en eau froide.

Récupération sportive

C’est dans le contexte sportif que l’IEF a été le plus étudié, notamment sur sa capacité à accélérer la récupération après l’effort. Une méta-analyse de 52 études qui se sont penchées sur cette question a révélé que l’IEF après un exercice intense peut accélérer la récupération fonctionnelle, réduire les courbatures, améliorer la perception de la récupération et réduire l’inflammation post-exercice.  On a aussi observé que l’IEF accélérait l’activation du système nerveux parasympathiquedans les minutes qui suivent un exercice intense, ce qui facilite la récupération. 

Par contre, d’autres études ont montré que cette capacité à accélérer la récupération post-exercice peut avoir certaines conséquences négatives à long terme, notamment au niveau musculaire. Par exemple, on a observé que l’utilisation régulière de l’IEF après les séances d’entraînement peut freiner l’augmentation de la masse musculaire et le développement de la puissance et de la force musculaires. Cet effet du froid est vraisemblement dû à une réduction importante (55-75 %) de l’afflux sanguin vers les muscles, ce qui empêche les cellules musculaires de capter suffisamment d’acides aminésprésents dans la circulation sanguine pour fabriquer de nouvelles protéines.

Effets sur la santé globale

Comme mentionné auparavant, il n’existe que peu d’études ayant examiné l’impact réel de l’IEF sur la santé. Une méta-analyse de 11 études portant sur 3 177 participants suggère néanmoins certains effets positifs,  notamment une réduction du stress 12 heures post-immersion, une amélioration de la qualité du sommeil et de la qualité de vie en général. Par contre, l’ampleur de ces bénéfices présumés demeure difficile à quantifier étant donné la grande variabilité des protocoles expérimentaux utilisés dans les études.  

Il a également été proposé que l’exposition à l’eau froide pourrait renforcer l’immunité, un effet qui est biologiquement plausible dans la mesure où la réaction de stress causée par la chute de température prépare le système immunitaire à faire face aux blessures ou aux infections. Par contre, les recherches sur les effets de l’immersion en eau froide sur la fonction immunitaire ont produit des résultats mitigés et il est encore ici trop tôt pour affirmer que l’IEF exerce des effets véritablement bénéfiques sur le système immunitaire.  

Dans l’état actuel des connaissances, on peut donc considérer que les bénéfices santé associés à l’immersion en eau froide semblent être principalement sur le bien-être général. L’activation du système nerveux parasympathique pourrait jouer un rôle dans cet effet, tout comme la réponse  psychologique positive (placebo) engendrée par le plaisir ressenti par les personnes qui apprécient cette sensation de froid.  Il faut néanmoins garder en tête que l’eau froide est un choc pour le corps humain et il est fortement déconseillé d’être seul lors de l’immersion, surtout lorsqu’elle est effectuée en milieu naturel (rivière, lac, océan). Les bains d’eau froide peuvent également présenter des dangers pour les personnes qui souffrent (ou ont souffert) de maladies cardiaques en raison du potentiel d’arythmies générées par le choc thermique.  

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