Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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L’exercice réduit l’inflammation cardiovasculaire par une modulation du système immunitaire

En bref

  • L’exercice volontaire et régulier chez la souris diminue le nombre de leucocytes (globules blancs) inflammatoires dans la circulation sanguine.
  • L’exercice cause une diminution de la leptine (une hormone digestive) sécrétée par les cellules adipeuses, ce qui fait diminuer la production de leucocytes par les cellules souches et progénitrices hématopoïétiques dans la moelle osseuse.
  • Des patients cardiaques qui ont fait de l’exercice quatre fois ou plus par semaine avaient des niveaux sanguins de leptine et de leucocytes moins élevés.
  • Ces résultats suggèrent que le mode de vie sédentaire contribue au risque cardiovasculaire par un apport accru en leucocytes inflammatoires.

Il est bien établi que l’exercice pratiqué régulièrement a de nombreux bienfaits pour la santé cardiovasculaire, mais les mécanismes sous-jacents n’ont pas encore été entièrement identifiés et bien compris. Une étude publiée récemment dans Nature Medecine montre que, chez la souris, l’exercice volontaire réduit la prolifération des cellules souches et des progénitrices hématopoïétiques (CSPH), ce qui a pour effet de diminuer le nombre de leucocytes inflammatoires dans la circulation sanguine. Rappelons que les cellules CSPH ont la capacité de se transformer en différents types de cellules qui sont impliquées dans la réponse immunitaire (leucocytes, lymphocytes, macrophages, etc.)

Un mode de vie sédentaire, l’inflammation chronique et un taux de globules blancs anormalement élevé (leucocytose) favorisent l’athérosclérose qui peut potentiellement provoquer un infarctus du myocarde, un accident vasculaire cérébral ou l’insuffisance cardiaque.

Pour tester si l’exercice régulier peut moduler l’hématopoïèse, les chercheurs ont mis des souris dans des cages en présence (ou non pour le groupe témoin) d’une roue d’exercice, où elles pouvaient faire de l’exercice à leur guise. Les souris utilisent volontiers et avec beaucoup d’ardeur ces roues d’exercice et elles ne sont par conséquent pas soumises à un stress comme lorsqu’elles sont contraintes à faire de l’exercice tel que, par exemple, la nage forcée qui a déjà été utilisée dans d’autres études. Après six semaines, les souris qui ont fait de l’exercice volontaire, soit environ 20 fois plus d’activité physique que des souris sédentaires, avaient réduit leur poids corporel et augmenté leur consommation de nourriture.

Les analyses ont montré que l’exercice a fait diminuer de 34 % la prolifération des cellules souches et progénitrices hématopoïétiques. La diminution des CSPH par l’exercice a eu pour effet de réduire le nombre de leucocytes (globules blancs) inflammatoires dans la circulation sanguine. De plus, les cellules mononucléées de la moelle osseuse des souris qui ont fait de l’exercice étaient moins en mesure de se différencier en granulocytes, macrophages, cellules pré-B. Les chercheurs ont montré que le mécanisme implique une diminution de la production de leptine (une hormone sécrétée lors de la digestion pour réguler les réserves de graisse et contrôler la sensation de satiété) dans les tissus adipeux. La baisse de leptine dans la circulation sanguine des souris a eu pour effet d’augmenter la production de facteurs de quiescence et de rétention des cellules souches hématopoïétiques au niveau de la moelle osseuse, et par conséquent de diminuer le nombre de leucocytes dans la circulation sanguine (voir la figure ci-dessous).

Figure. Résumé schématique des effets de l’exercice sur le taux de leucocytes et le risque de maladie cardiovasculaire. LepR+ : exprimant le récepteur de la leptine. Adapté de Frodermann et coll., 2019.

Une supplémentation en leptine chez les souris faisant de l’exercice (à l’aide de micropompes sous-cutanées) a renversé les effets sur l’hématopoïèse induits par l’exercice, prouvant que cette hormone digestive est impliquée dans ce phénomène.

On a retiré la roue d’exercice dans la cage des souris après six semaines. Trois semaines plus tard, l’effet sur la production de leptine s’est estompé, mais les effets de l’exercice sur l’hématopoïèse ont perduré, c.-à-d. que le taux de leucocytes des souris ayant fait de l’exercice étaient toujours plus bas que celui des souris sédentaires. Il y a donc une « mémoire » de l’exercice qui était lié à des changements épigénétiques (voir cet article sur le sujet), c.-à-d. à une différence d’expression de certains gènes sans modification de leur séquence d’ADN.

Une réduction du taux de leucocytes dans le sang peut mener à un risque accru d’infections, comme cela a déjà été observé pour l’exercice de haute intensité. Les chercheurs ont voulu vérifier si tel était le cas avec les souris de leur étude. On a injecté une composante de la paroi cellulaire des bactéries (lipopolysaccharide) dans le ventre des souris afin de provoquer une réponse inflammatoire. Les souris ont répondu rapidement en augmentant le nombre de CSPH et des cellules de défense (neutrophiles, monocytes, lymphocytes B, lymphocytes T) dans le sang et au site de l’infection. Les souris qui ont fait de l’exercice ont réagi davantage que les souris sédentaires à l’injection de lipopolysaccharide et elles ont eu un taux de mortalité plus bas lorsqu’on a provoqué une véritable septicémie par perforation de l’intestin. Il est donc évident que l’exercice volontaire régulier chez la souris ne diminue pas la réponse immunitaire d’urgence à l’infection.

Les chercheurs ont ensuite voulu savoir si la baisse de leucocytes causée par l’exercice pouvait atténuer l’athérosclérose et l’inflammation des plaques d’athéromes. Pour ce faire ils ont utilisé une lignée de souris « knockout » dans laquelle le gène codant pour l’apolipoprotéine E a été inactivé (Apoe-/-). Cette protéine transporte des lipides dans le sang et est essentielle à leur élimination. L’inactivation du gène Apoe provoque chez la souris une hypercholestérolémie et l’athérosclérose. Des souris Apoe-/- ayant développé de l’athérosclérose ont été placées dans des cages contenant une roue d’exercice, ce qui a mené à une baisse du niveau de leptine, une baisse des leucocytes et à une diminution de la taille des plaques. Les mêmes effets bénéfiques de l’exercice sur l’athérosclérose ont été observés dans une lignée de souris dans laquelle le gène codant pour le récepteur de la leptine a été inactivé spécifiquement au niveau des cellules stromales.

Les chercheurs ont finalement voulu savoir si l’exercice pouvait avoir des effets bénéfiques sur l’hématopoïèse chez des patients atteints d’une maladie cardiovasculaire. Pour ce faire, ils ont vérifié s’il y a une association entre la quantité d’exercice et les niveaux sanguins de leptine ou le nombre de leucocytes, chez 4 892 participants à l’étude CANTOS qui ont tous été recrutés après avoir subi un infarctus du myocarde. Les participants qui ont fait de l’exercice quatre fois ou plus par semaine avaient des niveaux sanguins de leptine significativement moins élevés. Une autre étude (Athero-Express study) montre aussi une relation favorable entre la quantité d’exercice et les niveaux de leptine et de leucocytes. Les résultats de ces deux études cliniques, combinés à ceux obtenus chez la souris, indiquent que l’activité physique a des effets bénéfiques sur les niveaux de leptine et sur la leucocytose chez des patients atteints d’une maladie cardiovasculaire.

Cette nouvelle étude suggère que le mode de vie sédentaire contribue au risque cardiovasculaire par un apport accru en leucocytes inflammatoires, et elle confirme l’idée que l’activité physique réduit l’inflammation chronique. Rappelons les principales recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en matière d’activité physique pour la santé :

« Afin d’améliorer leur endurance cardio-respiratoire, leur état musculaire et osseux, et réduire le risque de maladies non transmissibles et de dépression,

  1. Les adultes âgés de 18 à 64 ans devraient pratiquer au moins, au cours de la semaine, 150 minutes d’activité d’endurance d’intensité modérée ou au moins 75 minutes d’activité d’endurance d’intensité soutenue, ou une combinaison équivalente d’activité d’intensité modérée et soutenue.
  2. L’activité d’endurance devrait être pratiquée par périodes d’au moins 10 minutes.
  3. Pour pouvoir en retirer des bénéfices supplémentaires sur le plan de la santé, les adultes devraient augmenter la durée de leur activité d’endurance d’intensité modérée de façon à atteindre 300 minutes par semaine ou pratiquer 150 minutes par semaine d’activité d’endurance d’intensité soutenue, ou une combinaison équivalente d’activité d’intensité modérée et soutenue.
  4. Des exercices de renforcement musculaire faisant intervenir les principaux groupes musculaires devraient être pratiqués au moins deux jours par semaine. »

Pour en savoir plus sur les bienfaits, la quantité et les types d’exercices, consultez ces articles :

Quantité d’exercice et longévité

Les bienfaits de l’exercice pour la santé cardiovasculaire : bien plus que l’atténuation des facteurs de risque traditionnels

Faire de l’exercice à jeun pour brûler davantage de gras

L’exercice physique régulier peut-il compenser de longues périodes passées en position assise ?

L’entraînement avec sprints supra-maximaux ou « sprint-interval training » : la nouvelle panacée en entraînement ?

L’exercice intermittent à haute intensité

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