Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Prévenir les maladies cardiovasculaires, c’est aussi prévenir le cancer !

Au Canada, le cancer et les maladies cardiovasculaires sont respectivement la première et deuxième cause de mortalité, étant responsables à eux seuls d’environ 55 % de tous les décès annuels.  On considère habituellement ces deux grandes classes de maladies comme des phénomènes complètement distincts, sans aucun lien entre les deux : d’un côté, les ravages causés par le cancer sont une conséquence de la croissance incontrôlée des cellules, menant au développement de tumeurs qui envahissent les organes et perturbent leur fonctionnement normal ; de l’autre, les maladies cardiovasculaires comme l’infarctus du myocarde et l’AVC sont plutôt des maladies ischémiques, c’est-à-dire causées par une croissance anormale d’amas cellulaires (plaques) dans la paroi des artères qui bloquent la circulation sanguine vers le cœur et le cerveau. 

Points communs

Malgré ces manifestations cliniques très différentes, plusieurs indices suggèrent que le développement du cancer et des maladies cardiovasculaires pourraient faire intervenir des phénomènes similaires. Par exemple, il est frappant de constater que la plupart des principaux facteurs qui haussent le risque de maladies cardiovasculaires représentent également des facteurs de risque pour plusieurs types de cancers (Tableau 1), ce qui implique l’existence de certains points communs dans la progression de ces deux classes de maladies.

Tableau 1.  Facteurs de risque communs aux maladies cardiovasculaires et au cancer.

Une caractéristique fondamentale  de l’ensemble de ces facteurs de risque communs aux maladies cardiovasculaires et au cancer (tabagisme, sédentarité, mauvaise alimentation, obésité, diabète) est de promouvoir le développement de conditions inflammatoires chroniques.  Puisqu’il est clairement établi que l’inflammation joue un rôle absolument essentiel dans la progression de l’athérosclérose responsable des accidents cardiovasculaires (voir notre article à ce sujet) ainsi que dans le développement de plusieurs types de cancers, il est donc très probable que cette inflammation représente une « racine du mal » commune aux deux maladies. Ceci est particulièrement bien illustré par les résultats de l’étude CANTOS, où il fut montré qu’un anticorps neutralisant la protéine inflammatoire interleukine-1b diminuait à la fois le risque d’accidents cardiovasculaires et de cancer, celui du poumon notamment.

Hausse de cancers

Les résultats d’une étude récente viennent renforcer ce lien étroit entre les maladies cardiovasculaires et le cancer. Dans cette étude, les chercheurs ont tiré profit des bases de données de recherche IBM MarketScan 2009-2019, qui contiennent des données anonymisées pour environ 161 millions de patients, y compris les dossiers de réclamations d’assurance maladie pour des services d’hospitalisation, les visites ambulatoires et les médicaments sur ordonnance ambulatoires. Parmi cette cohorte, ils ont identifié 27 millions d’individus âgés de 18 ans et plus, sans diagnostic de cancer durant les 2 premières années d’inscription aux bases de données, et les ont par la suite classifiés en deux grands groupes selon la présence ou l’absence d’une maladie cardiovasculaire.  Les patients atteints d’une maladie cardiovasculaire (MCV) ont été à leur tour séparé en deux autres groupes selon la nature de leur maladie, soit les MCV avec athérosclérose (aMCV) ou sans athérosclérose (naMCV) (des exemples de chacun des deux types de MCV sont présentés au Tableau 2).

Tableau 2.  Exemples de maladies cardiovasculaires attribuables ou non à l’athérosclérose.

L’analyse des nouveaux cas de cancers touchant ces populations dans les années suivantes montre clairement que la présence d’une maladie cardiovasculaire augmente significativement le risque de cancer futur, ce risque étant particulièrement plus élevé chez les patients atteints d’une MCV avec athérosclérose (Figure 1). Après avoir tenu compte de différents facteurs de confusion possibles (âge, sexe, diabète, hypertension, maladie rénale, hyperlipidémie, utilisation de statines, statut socio-économique), les auteurs ont calculé que le rapport des risques de cancer était environ 20 % (HR= 1,19) plus élevé pour les patients ayant une MCV avec athérosclérose et de 10% plus élevée pour les patients ayant une MCV sans athérosclérose (HR=1,08) comparativement à ceux sans MCV.

Figure 1. Influence des maladies cardiovasculaires sur l’incidence future de cancer.  Les résultats représentent les nouveaux diagnostics cumulés d’un cancer (tous types confondus, à l’exception des cancers de la peau autres que le mélanome) chez 27 millions d’individus qui étaient au départ sans maladie cardiovasculaire (ligne noire) ou atteints d’une maladie cardiovasculaire sans (ligne bleue) ou avec (ligne rouge) athérosclérose. Adapté de Bell et coll. (2023).

Une analyse plus détaillée a révélé que le risque de certains types de cancers est particulièrement élevé chez les patients touchés par une MCV avec athérosclérose (Figure 2).  C’est notamment le cas du cancer du poumon, avec une hausse de près de 3 fois du risque, possiblement parce que la plupart de ces cancers sont liés au tabagisme, lui-même un important facteur de risque de MCV.  Par contre, le risque de cancer du poumon demeure plus élevé qu’en absence de MCV (HR=1,43), même après avoir tenu compte de l’usage du tabac par les participants, et il est donc probable que cette hausse reflète réellement une association entre la présence d’une MCV et un risque accru du cancer du poumon. Les résultats de l’étude CANTOS mentionnée plus tôt, où un médicament anti-inflammatoire réduisait à la fois le risque de MCV et de cancer du poumon, pourraient suggérer que l’inflammation chronique contribue à ce plus haut risque.

Figure 2.  Variation du risque d’incidence de différents cancers associée à la présence d’une maladie cardiovasculaire causée par l’athérosclérose.  Adapté de Bell et coll. (2023).

Il faut aussi noter que la présence d’une MCV avec athérosclérose double le risque des cancers du cerveau et du foie.  Cette association est particulièrement intéressante dans le cas du cerveau, car les facteurs qui augmentent le risque de ce cancer demeurent très mal compris et la prévention des MCV pourrait donc s’avérer une approche prometteuse pour réduire le risque de ces cancers souvent incurables. À l’autre bout du spectre, on peut noter que le risque de plusieurs cancers influencés par les hormones (sein, utérus, ovaire, prostate) est plutôt diminué en présence d’une MCV avec athérosclérose (des diminutions similaires sont également observées pour les MCV sans athérosclérose).  Ce résultat étonnant demeure toutefois à être confirmé, car une analyse rétrospective d’études réalisées auprès de femmes atteintes d’un cancer du sein indique qu’un accident cardiovasculaire était associé avec une hausse de 60 % du risque de récidive du cancer du sein et de 60 % du risque de mortalité associé à ce cancer. Selon cette étude, il semble que suite à l’infarctus, la réponse immunitaire est reprogrammée pour devenir immunosuppressive, ce qui empêche l’élimination des cellules cancéreuses par les lymphocytes T tueurs (CD8).

Lien bidirectionnel

Si une MCV augmente le risque de plusieurs cancers, l’inverse est aussi vrai : on sait depuis les travaux de Armand Trousseau (1801-1867) que les patients atteints d’un cancer sont à très haut risque de développer des problèmes de coagulation comme les thromboses veineuses profondes (phlébites).  En plus de hausser le risque d’embolie pulmonaire, cette hypercoagulabilité (nommée syndrome de Trousseau) peut également affecter les artères qui irriguent le cœur et le cerveau et donc augmenter significativement le risque d’infarctus et d’AVC.  Par exemple, une étude récente a montré que dans les six mois qui suivent le diagnostic d’un cancer, le risque d’infarctus du myocarde est triplé et celui d’AVC est doublé comparativement à la population en général.   Un accident cardiovasculaire peut même être un signe annonciateur de la présence d’un cancer non diagnostiqué : par exemple, une étude a rapporté que le risque de thromboses artérielles était quintuplé dans le mois précédent le diagnostic de cancer.   Il y a donc clairement un lien bidirectionnel entre les MCV et le cancer, chaque type de maladie pouvant influencer le développement de l’autre.

Une pierre, deux coups

En termes de prévention, cette interaction étroite entre le cancer et les maladies cardiovasculaires suggère qu’il est possible de faire d’une pierre deux coups et de réduire simultanément le risque d’être touchés par ces deux maladies en adoptant un mode de vie sain.   Cesser de fumer, faire de l’exercice, demeurer aussi mince que possible et remplacer la consommation d’aliments ultratransformés par une alimentation riche en végétaux sont tous des moyens concrets (et à la portée de tous) de renverser l’inflammation chronique et ainsi réduire le risque de maladies cardiovasculaires, de cancer et des maladies chroniques en général.

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