Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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23 novembre 2021
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Les phtalates : une composante de certains plastiques et produits cosmétiques nuisible à la santé humaine

En bref

  • Les phtalates sont des produits chimiques ajoutés aux plastiques pour les rendre plus flexibles et à certains produits cosmétiques pour conserver leur parfum.
  • Une certaine quantité de ces produits sont relargués dans l’environnement, y compris dans la nourriture et les boissons vendues dans certains contenants de plastique.
  • À cause de leur utilisation répandue, les phtalates sont ingérés ou absorbés à notre insu et des métabolites de ces produits sont retrouvés chez la plupart des personnes.
  • Les phtalates sont des perturbateurs endocriniens et métaboliques, qui sont associés à des effets nuisibles sur le neurodéveloppement, l’asthme chez l’enfant, le diabète de type 2, le TDAH, l’obésité juvénile et chez les adultes, les cancers du sein et de l’utérus, l’endométriose et l’infertilité.
  • L’exposition aux phtalates de poids moléculaire élevé, tel le DEHP, a été associée à une hausse de la mortalité cardiovasculaire et de toute cause.
  • Des voix s’élèvent dans la communauté scientifique pour que l’utilisation des phtalates soit soumise et une réglementation plus stricte.

Les phtalates font partie d’une classe de produits chimiques utilisés à grande échelle au niveau industriel (voir le tableau 1 et la figure 1). Les phtalates de poids moléculaire élevé, tels le phtalate de bis (2-éthylhexyle) (DEHP) et le phtalate de diisononyle (DiNP), sont utilisés comme plastifiants pour conférer de la flexibilité à des matériaux en chlorure de polyvinyle (PVC) utilisés pour fabriquer des emballages pour la nourriture, des revêtements de plancher et des équipements médicaux (tubulures, poches de sang). Les phtalates de faible poids moléculaire, tel le phtalate de diéthyle (DEP) et le phtalate de dibutyle (DBP) sont ajoutés aux shampoings, lotions et autres produits de soins personnels afin de préserver leur parfum.

Ces phtalates n’étant pas liés chimiquement aux plastiques, ils sont relargués avec le temps dans l’environnement et peuvent pénétrer le corps humain par ingestion, inhalation et absorption par la peau. Une fois dans le corps, les phtalates sont rapidement métabolisés et excrétés dans l’urine et les fèces, de sorte que la moitié des phtalates sont éliminés du corps en moins de 24 h après y avoir pénétré. Malgré cette élimination rapide, la population est exposée en permanence aux phtalates puisque ces produits sont présents dans des produits de consommation utilisés pratiquement tous les jours. Des métabolites des phtalates DEHP et DiNP sont détectés dans 98 % de la population totale des États-Unis. Il a été estimé que l’exposition quotidienne à un phtalate très utilisé, le DEHP, varie de 3 à 30 µg/kg/jour, soit 0,21 mg à 2,1 mg par jour pour une personne pesant 70 kg (154 livres).

Tableau 1. Principaux phtalates utilisés dans des produits de consommation.  Adapté de Zota et coll., 2014.

PhtalateAbrév.
(anglais)
Restriction d’usage
aux États-Unis
Sources communes
Faible poids moléculaire
Phtalate de diméthyleDMPInsectifuges, bouteilles en plastique, aliments
Phtalate de diéthyleDEPParfums, déodorants, produits cosmétiques, savons
Phtalate de di-n-butyleDnBP++Cosmétiques, médicaments, emballages alimentaires, aliments, matériaux en PVC
Phtalate de diisobutyleDiBPCosmétiques, aliments, emballages alimentaires
Poids moléculaire élevé
Phtalate de butylbenzyleBBzP++Revêtements de sol en PVC, aliments, emballages alimentaires
Phtalate de dicyclohexyleDCHPAliments, emballages alimentaires
Phtalate de di(2-éthylhexyle)DEHP++Matériaux en PVC, jouets, cosmétiques, aliments, emballages alimentaires, sacs de sang, cathéters
Phtalate de di-n-octyleDnOP+Matériaux en PVC, aliments, emballages alimentaires
Phtalate de diisononyleDiNP+Matériaux en PVC, jouets, revêtements de sol, tapisserie
Phtalate de diisodécyleDiDP+Matériaux en PVC, jouets, fils et câbles, revêtements de sol

Figure 1. Structure chimique des phtalates les plus communément utilisés dans l’industrie.


Phtalates et mortalité cardiovasculaire et de toute cause
Une étude auprès de 5303 adultes faisant partie de la cohorte NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey) a évalué l’association entre l’exposition aux phtalates et la mortalité. Les participants ont fourni un échantillon d’urine dans lequel les principaux métabolites des phtalates ont été mesurés. L’exposition aux phtalates de poids moléculaire élevé a été associée à une hausse importante de la mortalité cardiovasculaire et de toute cause durant la durée de l’étude (de 2001 à 2010). Aucune association significative n’a été observée pour l’exposition aux phtalates de faible poids moléculaire totaux. Les participants qui ont été exposés davantage aux phtalates de poids moléculaires élevés (troisième tertile) avaient un risque de mortalité de toute cause 48 % plus élevé que les participants les moins exposés (premier tertile). L’examen du risque associé à chacun des métabolites des phtalates a révélé une association entre un taux urinaire élevé et un risque accru de 64 % de mortalité de cause cardiovasculaire pour le phtalate de monoéthyle (MEP, un phtalate de faible poids moléculaire). La présence de concentrations élevées de deux métabolites du DEHP (phtalate de poids moléculaire élevé), le MEHHP et le MECPP, était associée avec un risque accru de 27 % et 32 % de mortalité de toute cause, respectivement, par comparaison à la présence de plus faibles concentrations de ces métabolites. Un troisième métabolite du DEHP, le MEOHP, était associé à un risque 74 % plus élevé de mortalité cardiovasculaire (3e tertile vs 1er tertile).
En extrapolant les résultats de leur étude à la population américaine âgée de 55 à 64 ans, les auteurs estiment qu’environ 100 000 décès/année pourraient attribués à une exposition aux phtalates, pour un coût sociétal d’environ 39 milliards de dollars.

Les phtalates et la provenance de la nourriture
Une étude a évalué l’exposition aux phtalates de participants de la cohorte NHANES, selon qu’ils avaient pris un repas la veille à l’extérieur de la maison (restaurant, chaîne de restauration rapide, cafétéria) ou à la maison. Les personnes qui avaient mangé à l’extérieur avaient en moyenne 35 % plus de phtalates dans leur urine le lendemain que les personnes qui avaient mangé à la maison, surtout des aliments achetés à l’épicerie. L’association entre le fait de manger à l’extérieur et une concentration urinaire de phtalate élevée était la plus forte chez les adolescents. Parmi les adolescents, ceux qui ont rapporté être de grands consommateurs de fast-food et autre nourriture achetée à l’extérieur de la maison avaient des niveaux de phtalates jusqu’à 55 % plus élevés que les adolescents qui mangeaient à la maison. La consommation de certaines nourritures en particulier, plus particulièrement les cheeseburgers et autres sandwiches du même type, était associée à une exposition cumulative accrue aux phtalates, mais seulement lorsque ces nourritures étaient consommées dans les cafétérias, fast-food et autres restaurants. Les auteurs de l’étude jugent la situation inquiétante parce qu’aux États-Unis près des 2/3 de la population mangent au moins une fois de la nourriture à l’extérieur de la maison quotidiennement.

Phtalates et autres plastifiants dans la nourriture de restaurant de type fast-food
Une étude réalisée en 2021 a mesuré les concentrations de phtalates et d’un autre plastifiant dans des échantillons de hamburgers, frites, croquettes de poulet, burritos de poulet et pizza au fromage, ainsi que dans les gants de plastique utilisés dans les restaurants de fast food pour manipuler la nourriture. Les échantillons provenaient de restaurants des grandes chaînes américaines McDonald, Burger King, Pizza Hut, Domino’s, Taco Bell et Chipotle, dans la région de San Antonio au Texas. C’est le DEHT, un nouveau produit plastifiant utilisé en remplacement des phtalates, qui a été détecté en plus grande quantité dans la nourriture (médiane : 2,5 mg/kg) et dans les gants (28-37 % par poids). Les phtalates DnBP et DEHP ont été détectés dans 81 % et 70 % des échantillons de nourriture, respectivement. Les concentrations de DEHT étaient particulièrement élevées dans les burritos (6 mg/kg) que dans les hamburgers (2,2 mg/kg) et cet agent plastifiant n’était pas présent dans les frites. La pizza au fromage contenait les niveaux les plus bas de produits chimiques plastifiants (phtalates ou non), parmi les aliments de fast food analysés.   Il est à noter que, contrairement aux phtalates, peu de données sont actuellement disponibles sur la toxicité et les effets sur la santé des nouveaux plastifiants tel le DEHT, alors qu’ils sont de plus en plus utilisés dans l’industrie. Les résultats de cette étude ont des implications pour l’équité puisqu’aux États-Unis la population afro-américaine consomme davantage de fast-food que les autres groupes ethniques et qu’elle est davantage exposée à des produits chimiques d’autres sources dans leur environnement.

Les phtalates : des perturbateurs endocriniens
Dans une analyse de l’ensemble des études sur l’impact de l’exposition aux phtalates sur la santé humaine, les auteurs ont trouvé des preuves solides d’associations défavorables pour le neurodéveloppement, la qualité du sperme, et le risque d’asthme chez l’enfant, ainsi que des preuves de niveaux modérées à solides d’une association avec une anomalie de la distance ano-génitale chez les garçons (un marqueur de l’exposition aux perturbateurs endocriniens). Des associations entre l’exposition aux phtalates et l’incidence du diabète de type 2, endométriose, faible poids à la naissance, faible taux de testostérone, TDAH, cancer du sein et de l’utérus ont de plus été identifiés avec un niveau de preuve modéré. Enfin, d’autres associations ont été mises en évidence, mais avec niveau de preuve plus faible, incluant la naissance prématurée, l’obésité, l’autisme et la perte d’audition.

Implications pour le public
Des normes ont été adoptées dans plusieurs pays pour limiter et dans certains cas interdire l’utilisation des phtalates. Par exemple, l’utilisation de certains phtalates dans les jouets destinés aux très jeunes enfants a été interdite, puisque ces derniers mâchouillent et sucent leurs jouets. Dans les produits cosmétiques, l’utilisation du DEHP, le phtalate le plus problématique pour la santé, est interdite en Europe et au Canada. Selon l’European Chemicals Agency (ECHA), les doses dérivées sans effet (DNEL, ou « dose sécuritaire ») sont de 34 µg/kg pour le DEHP, 8,3 µg/kg pour le DiBP, 6,7 µg/kg pour le DnBP et 500 µg/kg pour le BBzP. Cette agence européenne a recommandé que l’utilisation de ces 4 phtalates sous forme de mélanges dans des produits soit limitée à 0,1 % (p/p) et que l’exception quant à l’utilisation du DEHP dans les emballages de produits médicaux soit abolie.

Un problème important avec ces « doses sécuritaires » a été mis en évidence pour le phtalate DEHP puisque selon une revue de 38 articles, l’exposition maximale au DEHP mesurée dans la population est plus de 6 fois supérieure à la dose dérivée sans effet (242 vs 34 µg/kg). De plus, pour trois autres phtalates (DiBP, DnBP et BBzP) les auteurs rapportent que des effets sur la santé ont été associés à des niveaux d’exposition beaucoup plus faibles que la dose dérivée sans effet établie par l’ECHA. Parmi ces effets nuisibles sur la santé, il y a l’augmentation de l’eczéma chez les enfants, des changements comportementaux chez les enfants, l’augmentation de l’indice de masse corporelle et du tour de taille chez les femmes et les hommes, des impacts sur la fertilité des femmes et des hommes.

Voici quelques suggestions pour limiter l’exposition aux phtalates :

  • Manger autant que possible à la maison et limiter au minimum la nourriture provenant de restaurants de type fast-food.
  • Dans la cuisine, utiliser des ustensiles et des contenants en verre, porcelaine, acier inoxydable ou en bois plutôt qu’en plastique.
  • Ne pas réchauffer son repas au four micro-ondes dans des contenants en plastique, puisque la chaleur fait augmenter le relargage des phtalates dans la nourriture.
  • Lire attentivement la liste des ingrédients des produits pour les soins corporels (pâte dentifrice, shampoings, etc.), les fabricants doivent indiquer la présence de phtalates dans leurs produits.
  • Pour les soins du corps, privilégier les produits naturels et qui contiennent peu d’ingrédients.
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