Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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17 mars 2022
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Les dispositifs portables intelligents : des outils utiles pour surveiller notre état de santé

En bref

  • Les montres intelligentes et autres dispositifs portables sont munis de capteurs sophistiqués qui permettent d’enregistrer plusieurs paramètres utiles pour surveiller notre état de santé : rythme cardiaque, électrocardiogramme, quantité d’activité physique (quantité et intensité), saturation d’oxygène dans le sang, détection de chutes et d’arythmies cardiaque, etc.
  • Porter un moniteur d’activité encourage l’activité physique en général et plus particulièrement l’activité physique d’intensité moyenne à vigoureuse, selon l’ensemble des études qui ont été publiées sur le sujet.
  • Les montres « intelligentes » ne sont pas encore suffisamment sensibles et spécifiques pour une détection fiable de la fibrillation auriculaire, le type d’arythmie cardiaque le plus répandu.
  • Les dispositifs portables intelligents ne cessent d’être perfectionnés et ils sont promis à un brillant avenir. Cependant, il faudra s’assurer que ces dispositifs soient accessibles à tous et qu’ils ne nuisent pas au système de santé en générant un trop grand nombre de données biométriques et des tests cliniques inutiles.

Les dispositifs de surveillance de l’exercice, ou moniteurs d’activité physique sont utilisés depuis des décennies dans le milieu de la recherche sur l’activité physique. Les premières versions de ces dispositifs enregistraient simplement la durée et l’intensité de l’activité physique. Les versions modernes des moniteurs d’activité physique peuvent en plus donner une rétroaction directe à l’utilisateur et ont ainsi le potentiel de favoriser les changements de comportement, c’est-à-dire d’encourager l’activité physique et possiblement détecter des problèmes de santé. Des articles de revue sur les applications de ces dispositifs portables pour les soins des maladies cardiovasculaires ont été publiés (en anglais) ici et ici.

Montres intelligentes
Il y a plusieurs types de dispositifs en vente sur le marché. Les montres dites « intelligentes » (de l’anglais « smartwatch ») comme par exemple les montres Apple Watch, Fitbit, Garmin, Omron, TomTom, contiennent des capteurs qui permettent de mesurer l’activité physique (le nombre de pas, l’énergie dépensée) grâce à l’accéléromètre et au gyroscope, la distance parcourue (GPS), le rythme cardiaque, ainsi que de détecter les chutes, surveiller le sommeil, détecter des arythmies cardiaques (électrocardiogramme) et estimer la saturation en oxygène du sang et la capacité cardiorespiratoire (VO2max). Ces dispositifs sont de plus en plus populaires pour suivre notre état de santé et notre forme physique, particulièrement lors des séances d’activité physique, incluant la marche, la course, le vélo et plusieurs autres sports.

Autres dispositifs portables intelligents
Il y a aussi des dispositifs qui se portent autour du thorax (ex. : BioHarness, Polar straps), du poignet (bracelets) ou qui sont insérés dans des « patchs » que l’on fixe sur la poitrine (ex. : Zio Patch, Nuvant MCT, S-Patch cardio), des vêtements (ex. : AIO Smart Sleeve) ou des chaussures. Ces dispositifs portables intelligents mesurent pour la plupart le rythme cardiaque et enregistrent des électrocardiogrammes. Ces dispositifs sont moins populaires parce qu’ils sont plus encombrants et que leurs fonctions sont plus limitées.

Un encouragement à faire davantage d’exercice ?
Une revue systématique et une méta-analyse des études sur l’effet d’interventions basées sur les moniteurs d’activité physique ont été réalisées par des chercheurs danois en 2022. Dans un premier temps les chercheurs ont fait une revue systématique où ils ont analysé 876 articles publiés sur le sujet, dont 755 articles ont été exclus parce qu’ils ne satisfaisaient pas aux critères de qualité établis (mauvais plan d’étude, protocole, intervention, comparaison, population, etc.). Ils ont ensuite contacté les auteurs de 105 études pour obtenir les protocoles détaillés et des données pertinentes qui n’auraient pas été incluses dans leurs études. Cela illustre combien il est difficile de réaliser ce genre d’étude de synthèse et que les études publiées sont de qualité variable.

La revue systématique a retenu 121 études randomisées contrôlées auprès de 16 743 participants, où la durée moyenne des interventions était de 12 semaines. Au tout début de l’intervention, le nombre de pas fait quotidiennement était de 6994 en moyenne et l’indice de masse corporelle moyen était de 27,8 (surpoids). Les trois principaux buts de l’étude étaient d’évaluer l’impact de l’intervention (porter un moniteur) sur : 1) l’activité physique en général ; 2) l’activité physique d’intensité modérée à élevée ; 3) la sédentarité.

  • Activité physique en général. Pour cette méta-analyse, les résultats de 103 études auprès de 12 840 participants ont été inclus. Les participants qui portaient un moniteur d’activité physique ont en moyenne fait plus d’activité physique que ceux qui n’en portaient pas. L’augmentation était significative, quoique modeste : 1235 pas de plus en moyenne quotidiennement par les porteurs d’un moniteur d’activité physique.
  • Activité physique d’intensité moyenne à vigoureuse. La méta-analyse sur l’effet d’une intervention avec un moniteur sur l’activité physique d’intensité moyenne à vigoureuse, qui incluaient 63 études auprès de 8250 participants, a elle aussi montré que le port d’un moniteur d’activité physique a un impact positif sur la quantité d’activité physique d’intensité moyenne à vigoureuse, soit environ 48,5 minutes de plus par semaine.
  • Sédentarité. Les interventions avec un moniteur indiquent un léger effet favorable sur le temps sédentaire, soit une réduction de 9,9 minutes en moyenne par jour.

Les auteurs concluent que le niveau de preuve pour les effets des interventions basées sur le port de moniteurs d’activité physique est faible en ce qui concerne l’activité physique en général, modérée pour l’activité physique d’intensité modérée à élevée et pour la sédentarité. Les effets sur l’activité physique et l’activité physique d’intensité modérée à intense des interventions basées sur l’utilisation de moniteurs sont bien établis, mais pourraient être surestimés à cause de biais de publication, c.-à-d. que les chercheurs ont parfois tendance à ne publier leurs résultats que si leur étude est positive.

Détection de la fibrillation auriculaire avec une montre « intelligente »
La fibrillation auriculaire est le type d’arythmie cardiaque le plus couramment diagnostiqué et plus de 37 millions de personnes en sont atteintes dans le monde. Ce type d’arythmie cardiaque est associée à un risque accrue de maladie cardiovasculaire (5 fois plus élevé pour l’accident vasculaire cérébral) et de mortalité prématurée.

Les montres intelligentes, telle la Apple Watch par exemple, contiennent des capteurs optiques qui permettent de mesurer la fréquence cardiaque des utilisateurs en émettant une lumière verte à travers la peau du poignet. Une application de l’Apple Watch utilise des algorithmes qui permettent d’identifier des anomalies qui suggèrent la fibrillation auriculaire.

Dans une étude financée par Apple, des chercheurs ont voulu vérifier si l’Apple Watch pouvait vraiment être utile pour la détection d’épisodes de fibrillation auriculaire (FA). Durant les 8 mois de l’étude auprès de 419 297 participants, 2161 (0,52 %) d’entre eux ont reçu des notifications de pouls irrégulier. Parmi ces derniers, ceux dont les symptômes n’étaient pas urgents ont reçu par la poste un enregistreur d’électrocardiogramme (ECG) (ePatch) qu’ils ont porté durant 7 jours. Parmi les 450 participants qui ont retourné l’enregistreur ECG pour l’analyse des données, 34 % ont eu une confirmation de la présence d’épisodes de fibrillation auriculaire, alors que pour 66 % d’entre eux un diagnostic de FA n’a pu être confirmé. Les principales critiques (voir ici et ici) de cette étude sont que la détection de la FA par l’Apple Watch est peu spécifique et peu sensible ; que ce type d’utilisation pourrait faire plus de mal que de bien en créant de l’inquiétude, en favorisant un surdiagnostic et un surtraitement et causant par conséquent un gaspillage des ressources du système de santé. De plus, le coût élevé de ce type de montre intelligente fait en sorte qu’il ne pourrait être déployé à grande échelle, s’il advenait que la technologie soit améliorée un jour.

Les montres intelligentes sont continuellement améliorées, de sorte que l’écart de la performance avec les dispositifs de qualité médicale ne cesse de s’amenuiser. Les médecins devraient être ouverts à examiner les données générées par les montres intelligentes puisqu’elles pourraient donner des informations personnalisées utiles pour le traitement du patient. Cependant, il manque un cadre réglementaire pour standardiser ces données et les incorporer dans la pratique clinique régulière. Ces dispositifs ont le potentiel de générer d’énormes quantités de données biométriques qui pourraient mener à faire des tests inutiles et coûteux, ce qui aura des conséquences sur les patients et le système de santé.

Autres utilisations

Mesure de la pression artérielle
L’hypertension est une cause très répandue de plusieurs maladies cardiovasculaires et de mort prématurée. La présence de capteurs pour la pression artérielle dans les dispositifs portables grand public pourrait potentiellement améliorer la détection de l’hypertension, particulièrement l’hypertension nocturne qui est associée aux pires conséquences. Il existe des dispositifs avec brassard, mais des dispositifs sans brassard ont été récemment mis au point, permettant d’envisager leur utilisation pour la mesure de la pression artérielle ambulatoire. Les résultats de comparaisons de ces nouveaux dispositifs avec les dispositifs médicaux existants sont encourageants, mais cette nouvelle technologie est encore à ses tout débuts et devra être perfectionnée et étudiée davantage.

Autres capteurs
Il y a des capteurs biochimiques minimalement invasifs qui mesurent des molécules d’intérêts dans des fluides physiologiques. Par exemple, les moniteurs de taux de glucose en continu mesurent le glucose dans le liquide interstitiel (sous la peau et non dans le sang). Ces moniteurs ont été validés en clinique, mais il demeure difficile de les intégrer dans des dispositifs portables grand public. Des capteurs utilisant la sueur ou la salive pourraient être plus facilement intégrés dans des dispositifs portables, mais cela reste à être mis au point.

Des capteurs biomécaniques incorporés dans des vêtements ou des souliers, tels les ballistocardiogramme et séismocardiogramme ou des capteurs diélectriques ont été développés dans le but de mesurer passivement et en continu le débit cardiaque, le volume et le poids des liquides dans les poumons. Ces dispositifs pourraient être utiles pour surveiller la condition de personnes atteintes d’insuffisance cardiaque.

Les dispositifs portables intelligents ne cessent d’être perfectionnés et ils sont promis à un brillant avenir. Cependant, il faudra s’assurer que ces dispositifs soient accessibles à tous et qu’ils ne nuisent pas au système de santé en générant un trop grand nombre de données biométriques et des tests cliniques inutiles. De plus, les dispositifs portables intelligents devront être évalués et soumis à des normes strictes pour s’assurer de leur qualité et de leur efficacité. Le corps médical devra sans doute s’ouvrir davantage à l’utilisation de ces dispositifs qui permettent un suivi à distance, surtout en ces temps de pandémie de Covid-19 où l’on a observé une diminution significative des visites des patients dans le bureau de leur médecin.

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