Les bons et mauvais côtés de l’alcool

Les bons et mauvais côtés de l’alcool

Ceci est une mise jour d’un article initialement publié en 2018

Bien que l’alcool fasse partie du quotidien de l’humanité depuis des millénaires, cette substance est loin d’être inoffensive et exerce même des effets très complexes sur la santé. Cette complexité est bien illustrée par la relation en « J » qui existe entre la quantité d’alcool ingérée et le risque de mort prématurée observée dans un grand nombre d’études épidémiologiques :  par exemple, une étude de grande envergure, réalisée auprès de plus de 300,000 personnes suivies pendant près de 10 ans, montre que la consommation modérée d’alcool (de 3 à 14 verres par semaine pour les hommes et de 3 à 7 verres pour les femmes) est associée à une diminution d’environ 20 % du risque de mortalité toute cause comparativement aux personnes qui n’ont jamais bu d’alcool de leur vie (Figure 1). Cette fenêtre protectrice est cependant très étroite, avec une hausse rapide du risque de mortalité observée à des quantités plus élevées.


Figure 1. Relation entre la consommation d’alcool et le risque de mortalité prématurée. La réduction maximale du risque observée dans l’étude (-0,1 log) correspond à une diminution d’environ 20 % du risque. Adapté de Xi et coll. (2017).

Rappelons que ce qu’on appelle communément un « verre » ou encore une « consommation standard » fait référence à la quantité de boisson alcoolisée qui entraine l’absorption d’environ 12 à 15 grammes d’alcool pur (Tableau 1). La taille d’un verre dépend donc directement de la teneur en alcool de la boisson consommée.

Type de boisson alcoolisée
Une consommation standard correspond à:
Bière (5 % alc/vol)
340 mL (12 oz)
Vin (12 % alc/vol)
140 mL (5 oz)
Vin fortifié (ex. Porto) (20 % alc/vol)
85 mL (3 oz)
Spiritueux (40 % alc/vol)
45 mL (1,5 oz)
Tableau 1. Teneur en alcool des principaux types de boissons alcoolisées. Adapté de Educ’alcool.

Cette effet protecteur de faibles doses d’alcool sur la mortalité a cependant été remis en question par une grande étude récemment publiée dans Lancet. Dans cette étude, qui a analysé les habitudes de consommation d’alcool d’environ 600,000 buveurs, les auteurs n’ont pas observé de diminution de la mortalité, même à des quantités faibles d’alcool, mais plutôt une hausse significative du risque de mort prématurée à partir de 100 g d’alcool par semaine, ce qui correspond à seulement un verre par jour (Figure 2A). Par contre, l’analyse des mêmes données a révélé une baisse du risque de mortalité cardiovasculaire, en accord avec des centaines d’études qui ont observé un effet cardioprotecteur découlant de la consommation modérée d’alcool (Figure 2B).  Malgré tout, les auteurs proposent que les quantités d’alcool qui sont actuellement recommandées (1 verre quotidien pour les femmes, deux pour les hommes) sont trop élevées et qu’il faudrait revoir ces limites à la baisse. Une autre étude, encore une fois publiée dans Lancet, en arrive à des conclusions similaires, c’est-à-dire qu’un apport aussi faible qu’un seul verre par jour est associé  à une hausse du risque de développer une ou l’autre des 23 pathologies associées à la consommation d’alcool et qu’il ne semble donc pas y avoir de seuil sécuritaire de consommation selon les auteurs.  Cependant, comme certains spécialistes l’ont fait remarquer, cette approche est quelque peu « absolutiste », car la hausse du risque observée aux faibles quantités d’alcool est excessivement faible, passant de 0,914 pour cent chez les non-buveurs à  0,918 chez ceux qui consomment un verre par jour et à 0,977 pour ceux qui en consomment deux. Pour les buveurs modérés, le risque réel associée à la consommation d’alcool est donc à toute fin pratique négligeable.


Figure 2. Relation entre la consommation d’alcool (en g par semaine) et le risque de mortalité prématurée toute cause (A) ou de mortalité d’origine cardiovasculaire (B) calculée à partir d’une synthèse de 83 études épidémiologiques regroupant 600,000 participants. Adapté de Wood et coll (2018).

Il est difficile à ce stade de dire si ces dernières études sont supérieures aux études précédentes et que la consommation modérée d’alcool est effectivement dépourvue d’effets bénéfiques sur la mortalité (voir l’encadré).  Chaque étude épidémiologique a ses forces et ses faiblesses et la seule véritable façon de résoudre cette ambiguïté serait de mener une étude clinique randomisée où on pourrait comparer la santé des buveurs modérés à celle d’abstinents, mais une telle étude n’est pas réalisable en raisons de considérations éthiques.  Chose certaine, une interprétation prudente de l’ensemble de ces études est de dire qu’il ne faut surtout pas banaliser les effets négatifs de l’alcool et qu’il est important d’en consommer très modérément pour profiter de ses bénéfices éventuels tout en évitant ses effets nocifs bien documentés (Tableau 2). Historiquement, on considère que les quantités maximales d’alcool qui sont associées à des bénéfices pour la santé sont de 1 à 3 verres par jour pour les hommes et de 1 à 2 verres par jour pour les femmes. À ces faibles doses, l’alcool augmente les taux de cholestérol-HDL, améliore le contrôle de la glycémie et exerce des actions anticoagulante et anti-inflammatoire, ce qui globalement contribue à diminuer le risque d’événement cardiovasculaire, notamment l’infarctus du myocarde. À la lumière des résultats des deux études du Lancet, il semble cependant préférable de diminuer quelque peu ces limites à 2 verres pour les hommes et 1 verre pour les femmes.

La cardioprotection par l’alcool n’est pas un mythe

On assiste depuis quelques années à l’émergence d’un courant de pensée assez radical qui prétend que les bénéfices cardiovasculaires de l’alcool sont un « mythe » et qu’il n’y a aucun niveau de consommation qui soit sécuritaire. Ce message, véhiculé par des organismes comme l’OMS ou encore le Centre canadien des dépendances et l’usage de substances (CCDUS), est cependant basé sur une lecture assez limitée de la recherche; par exemple, dans le récent rapport du CCDUS, les analystes ont sélectionné seulement 16 études sur plus de 5000 publications disponibles, ce qui augmente forcément les risques de biais. Mais même dans ces conditions, le rapport montre clairement une diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques à de faibles quantités d’alcool consommé, en accord avec des centaines d’études d’envergure qui se sont penchées sur cette question, incluant celle du Lancet mentionnée plus tôt (Figure 2B). La conclusion du CCDUS, selon laquelle il n’y a aucun bénéfice sur la santé associé à la consommation modérée d’alcool, va donc à l’encontre de leurs propres résultats et de l’ensemble des données accumulées depuis les 30 dernières années, en particulier en ce qui concerne la diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques comme l’infarctus du myocarde, la principale cause de mortalité d’origine cardiovasculaire. Une dissonance du même type est retrouvée dans un article récent, où les auteurs prétendent que la cardioprotection par l’alcool est un « mythe », tout en présentant du même souffle des données montrant une forte diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques. Autrement dit, les résultats obtenus par la recherche sur l’impact positif de l’alcool à faible dose sur la santé cardiovasculaire ne justifient aucunement la conclusion qu’il n’y a aucun seuil de consommation d’alcool qui soit sécuritaire. À notre avis, les recommandations d’organismes très sérieux comme l’école de santé publique d’Harvard ou encore l’institut national américain pour l’abus d’alcool et l’alcoolisme (NIAAA), soit une consommation quotidienne de 2 verres pour les hommes et de 1 verre pour les femmes, demeurent toujours les plus pertinentes.

Au-delà de ces quantités, par contre, la consommation est clairement abusive, car elle est associée à une augmentation du risque de plusieurs cancers, en particulier ceux de la bouche, du larynx, de l’œsophage, du côlon, du foie ainsi que du sein. L’ingestion chronique de fortes quantités d’alcool est également associée à plusieurs pathologies du système cardiovasculaire, incluant l’athérosclérose, l’hypertension, certaines cardiomyopathies ainsi que des arythmies, ce qui hausse considérablement le risque de mortalité cardiovasculaire. Il faut aussi noter que les beuveries, où de grandes quantités d’alcool peuvent être consommées dans un court laps de temps, sont également associées à plusieurs effets nocifs, en particulier une hausse très importante du risque d’AVC.

Mode de consommationAlcool pur (g)Consommations standardsEffet sur la santé
Légère
< 20 g par jour (hommes)
< 10 g par jour (femmes)
1 verre
¾ verre
Positif
Modérée
20-45 g par jour (hommes)
10-30 g par jour (femmes)
1-3 verres
1-2 verres
Controversé, pourrait dépendre du type d'alcool
Abusive
> 45 g par jour (hommes)
> 30 g par jour (femmes)
Plus de 3 verres
Plus de 2 verres
Négatif
Beuverie (“binge drinking”)
> 60 g en une seule occasion
4 verres et plus
Négatif
Tableau 2. Les différents types de consommation d’alcool. Adapté de Fernandez-Sola (2015).

L’alcool est donc une redoutable arme à double tranchant et il est important de limiter la consommation quotidienne d’alcool à des niveaux faibles, idéalement un maximum de 2 verres par jour pour les hommes et de 1 verre pour les femmes, et même fort probablement un peu moins.

Privilégier le vin rouge 

Le vin rouge est un breuvage complexe contenant plusieurs milligrammes de composés phénoliques (le resvératrol, notamment) qui sont extraits de la peau du raisin au cours du processus de fermentation.   Ces molécules possèdent des propriétés antioxydante, anti-inflammatoire, anti-plaquettaire et vasodilatatrice, ce qui suggère que le vin rouge pourrait entrainer des effets positifs plus grands que ceux associés simplement à la présence d’alcool.

Un des premiers exemples de ces bénéfices est le fameux « paradoxe français », où la consommation régulière de vin rouge serait responsable de la faible incidence de maladies coronariennes observées en France comparativement à d’autres pays occidentaux, en dépit d’un apport alimentaire élevé en gras saturés. Cet effet bénéfique est supporté par une étude danoise qui montrait que les consommateurs modérés de vin rouge avaient un risque de mort prématurée trois fois plus faible que les buveurs de bière ou de spiritueux, ainsi que par les résultats d’autres études réalisées dans le nord de la Californie et dans l’est de la France.

Un autre aspect qui milite en faveur de la consommation préférentielle de vin rouge est son impact plus faible sur le risque de cancer, possiblement en raison de son contenu en resvératrol. En laboratoire, cette molécule possède une des actions anticancéreuses les plus puissantes du monde végétal et pourrait donc contrecarrer l’effet cancérigène de l’alcool. Par exemple, une étude a montré que si la consommation modérée de boissons alcoolisées autres que le vin augmente le risque de cancer de la bouche de 38 %, cette hausse du risque diminue à seulement 7 % chez les buveurs de vin rouge.  Un phénomène similaire est observé pour le cancer du poumon où la consommation modérée de vin est associée à une réduction du risque de ce cancer, tandis que celle de bière et de spiritueux augmente le risque. Il semble donc que la plus grande réduction de mortalité associée à la consommation de vin rouge observée dans plusieurs études soit non seulement liée à un effet protecteur plus prononcé sur le risque de maladies du cœur, mais également à un effet moins néfaste sur le risque de cancer que d’autres types d’alcool. Ce phénomène a également été observé dans l’étude du Lancet mentionnée précédemment: lorsque les auteurs ont examiné la mortalité selon le type d’alcool consommé, ils ont observé une énorme différence de risque entre le vin et les autres types d’alcool, la consommation de vin (jusqu’à 300 g par semaine) étant associé à une légère hausse de 10 % de la mortalité, soit beaucoup moins que celle observée chez les buveurs de bière et de spiritueux (Figure 3).

Figure 3. Relation entre le type d’alcool consommé  (en g par semaine) et le risque de mortalité prématurée. Adapté de Wood et coll (2018).

La supériorité du vin rouge sur les autres types d’alcool est également suggéré par une étude récente portant sur l’association entre la consommation d’alcool et le risque de fibrillation auriculaire (FA), une arythmie qui hausse considérablement le risque d’AVC.  Dans cette étude, les chercheurs ont observé que la consommation modérée d’alcool en général (7 verres par semaine ou moins) était associée à une légère diminution du risque de FA, mais que ce risque  augmentait considérablement à des quantités plus élevées (14 verres et plus par semaine).  Par contre, lorsque la même analyse a été réalisée en tenant compte du type d’alcool consommé, on observe que le risque de FA n’augmente pas chez les personnes qui boivent jusqu’à 14 verres de vin rouge par semaine (Figure 4).  Le vin blanc semble lui aussi minimiser les risques de FA, mais à un degré moindre (hausse du risque qui débute à 10 verres par semaine), tandis que la bière et les spiritueux augmentent ce risque très rapidement, à partir d’environ 3 verres par semaine.

Figure 4. Relation entre le type d’alcool consommé  (en verres par semaine) et le risque de fibrillation auriculaire. Notez qu’un verre correspond à l’unité standard britannique, soit 8 g (10 mL) d’alcool. Les zones grises représentent les intervalles de confiance à 95 %. Adapté de Tu et Coll (2021).

Dans l’ensemble, ces observations confirment les résultats de l’étude INTERHEART et celle du groupe de Akesson montrant que la consommation modérée d’alcool représente un des facteurs du mode de vie qui peut contribuer à diminuer le risque de maladie coronarienne et de mort prématurée. Une étude récente illustre à quel point l’impact de ces habitudes de vie peut être extraordinaire: les personnes de 50 ans qui ne fument pas, mangent sainement, font 30 minutes et plus d’activité physique quotidienne, maintiennent un poids santé (IMC entre 19 et 25) et consomment modérément de l’alcool (5-15 g/jour pour les femmes, 5-30 g/jour pour les hommes) ont 82 % moins de risque de décéder de maladies cardiovasculaires et 65 % moins de risque de mourir d’un cancer.  En pratique, cela se traduit par une augmentation de la longévité de 14 ans pour les femmes et de 12 ans pour les hommes !  Pour être réellement bénéfique, la consommation d’alcool doit donc faire partie d’un mode de vie globalement sain, incluant une alimentation riche en végétaux, une activité physique régulière, le maintien d’un poids corporel normal et, évidemment, l’absence de tabagisme.

 

Des microorganismes intestinaux stimulent la motivation à faire de l’exercice

Des microorganismes intestinaux stimulent la motivation à faire de l’exercice

EN BREF

  • La composition du microbiote intestinal a un effet important sur la motivation de souris de laboratoire à faire de l’exercice selon une étude publiée récemment.
  • Deux bactéries intestinales sont particulièrement associées à une meilleure performance durant l’exercice : Eubacterium rectale et Coprococcus eutactus.
  • Ces bactéries produisent des métabolites, les amides d’acides gras (AAG), qui se lient au récepteur des endocannabinoïdes de type 1 (CB1), situés dans les nerfs sensitifs au niveau de l’intestin et qui sont connectés au cerveau via la moelle épinière.
  • La stimulation du récepteur CB1 cause une augmentation des niveaux de dopamine durant l’exercice, dans une région particulière du cerveau nommée striatum ventral où se trouvent les circuits de récompense.

Il est bien établi que l’exercice physique, pratiqué sur une base régulière, diminue le risque de développer des maladies chroniques, améliore la fonction cognitive et diminue le risque de mourir prématurément. Pour pouvoir profiter pleinement de ces nombreux bienfaits, il faut s’entraîner régulièrement et préférablement sur de longues périodes. Pourtant, nombreux sont ceux qui adoptent un style de vie sédentaire, et pour qui la motivation à faire de l’exercice est basse, voire inexistante. La motivation à faire de l’exercice est régie dans le système nerveux central et nécessite des signaux initiés par la dopamine, un neurotransmetteur impliqué dans une foule de fonctions, dont le contrôle moteur, l’attention, la mémoire, la cognition, le sommeil, le plaisir et la motivation. Les neurones qui produisent la dopamine sont retrouvés dans des régions du cerveau nommées aire tegmentale ventrale (ATV) et la substancia nigra. Les neurones dopaminergiques se prolongent dans d’autres parties du cerveau afin de réguler les aspects cognitif, émotionnel et motivationnel liés aux comportements associés à une récompense.

La motivation à faire de l’exercice dépend-elle uniquement de notre cerveau et de notre état d’esprit vis-à-vis cette activité ? Il semble que non selon une étude récente réalisée sur des souris qui montre que la motivation est en partie attribuable à des bactéries présentes dans l’intestin. Une découverte surprenante qui est le résultat des efforts combinés de plusieurs équipes de chercheurs.

Afin d’identifier de nouveaux régulateurs de la performance à l’exercice, les chercheurs ont utilisé une cohorte de 199 souris ayant une grande diversité génétique. La cohorte de souris a été soumise à des analyses poussées du génome, de métabolome, du microbiome et leur performance à l’exercice à été évaluée (tapis roulant, roue d’exercice). Les analyses génomiques suggèrent que les gènes contribuent très peu aux différences observées entre la performance à l’exercice des différentes souris.

Puisque des travaux antérieurs (voir ici, ici, ici, et ici) suggéraient que le microbiome aurait un rôle potentiel sur la performance durant l’exercice, les chercheurs ont voulu vérifier si la variabilité de la performance des différentes souris pouvait être attribuée au microbiome, en faisant des expériences dites de « perte de fonction » (déplétion du microbiome) et de « gain de fonction » (transplantation du microbiome). La déplétion complète du microbiome des souris avec des antibiotiques à large spectre a causé une diminution de la performance à l’exercice des souris d’environ 50 %. Au contraire, la transplantation du microbiome de souris performantes à l’exercice à des souris exemptes de germes (souris « germ-free », élevées dans des conditions stériles et ne contenant aucun microorganisme) a augmenté la performance à l’exercice des souris receveuses. De plus, la performance relative à l’exercice des souris receveuses était en corrélation avec celle des souris donneuses. Lorsque les traitements aux antibiotiques à large spectre ont cessé, la performance à l’exercice des souris est revenue à la normale, ainsi que celle des souris exemptes de germes lorsqu’on a cessé de les maintenir dans des conditions stériles. Dans l’ensemble, les résultats de ces expériences suggèrent que le microbiome contribue fortement à la capacité à faire de l’exercice chez la souris.

Afin d’identifier la classe de microorganismes et plus précisément quelles bactéries contribuent à la stimulation de la performance à l’exercice des souris, les souris ont été traitées par des antibiotiques à spectre plus étroit, et les intestins de souris exemptes de germes ont été colonisés avec un seul microorganisme. Parmi les bactéries testées, celles des genres Eubacterium et Coprococcus ont amélioré la performance à l’exercice des souris, à des niveaux comparables à ceux observés pour les souris ayant reçu une transplantation du microbiome complet.

Au niveau mécanistique, les chercheurs ont d’abord vérifié si l’amélioration de la performance à l’exercice par le microbiome n’était pas causée par un effet favorable sur la fonction musculaire. Or les résultats de plusieurs tests indiquent que le microbiome n’a pas d’effet significatif sur la physiologie des muscles. L’attention des chercheurs s’est ensuite portée sur la motivation, un des facteurs importants contribuant à la performance à l’exercice, avec la fonction musculo-squelettique.

Une région du cerveau qui est particulièrement impliquée dans le contrôle de la motivation est le striatum. Comme attendu, les niveaux du principal neurotransmetteur impliqué dans les signaux neuronaux de motivation/récompense dans le striatum, la dopamine, ont augmenté après que les souris ont fait de l’exercice. Or cette augmentation était beaucoup moins importante dans les souris dont le microbiome a été déplété, indiquant un rôle du microbiome dans le relargage de dopamine après l’exercice. Les niveaux de deux autres neurotransmetteurs importants dans le striatum, tels que le glutamate et l’acétylcholine, n’ont pas changé suite à l’exercice ou à la déplétion du microbiome.

De quelle façon des bactéries qui colonisent l’intestin peuvent-elles stimuler les niveaux de dopamine dans le cerveau ? Il y a deux voies possibles : 1) par des facteurs circulant, soit des métabolites produits par les bactéries ou 2) à travers des circuits neuronaux afférents. Des analyses protéomiques sur des échantillons de sang n’ont pas permis d’identifier de métabolite associé significativement à la performance à l’exercice qui est lié au microbiome. Les chercheurs se sont donc concentrés sur les neurones sensitifs qui innervent l’intestin.

Les chercheurs ont utilisé une lignée de souris (Trpv1DTA) dans laquelle une grande partie des nerfs vague et spinaux afférents qui expriment le récepteur vanilloïde sont absents. La performance à l’exercice des souris Trpv1DTA est peu élevée, comparable à celle des souris normales dont le microbiome a été déplété par des antibiotiques. La déplétion du microbiome dans les souris Trpv1DTA n’a pas modifié la performance à l’exercice.

Comment les bactéries intestinales peuvent-elles activer les nerfs sensitifs de l’intestin ? Les chercheurs ont montré que, in vitro, des neurones du nerf spinal isolés sont activés par des extraits fécaux de souris normales, mais beaucoup moins par des extraits provenant de souris sans microbiome. Ce résultat suggère qu’un métabolite provenant du microbiome est impliqué dans l’activation des nerfs sensitifs. Des analyses métabolomiques ont permis d’identifier des candidats, dont plusieurs parmi les plus puissants étaient des amides d’acides gras (AAG), tel le N-oléoyléthanolamide (OEA). Afin de prouver que ces composés peuvent à eux seuls stimuler la performance à l’exercice, les chercheurs ont introduit des suppléments de cinq AAG au régime alimentaire des souris dont le microbiome a été déplété par des antibiotiques. Cette supplémentation a rétabli les signaux générés par les nerfs sensitifs, la hausse des niveaux de dopamine dans le cerveau et la performance à l’exercice. Puis, les astucieux chercheurs ont transformé des bactéries E. coli que ne produisent normalement pas d’AAG en introduisant les gènes responsables de la production de ces métabolites. Les intestins de souris germ-free ont été colonisés avec cette bactérie modifiée pour produire des AAG ou avec la lignée parentale qui ne produit pas d’AAG. La performance à l’exercice a été améliorée par la colonisation avec les bactéries produisant des AAG, mais pas par celle avec les bactéries parentales. Finalement, les chercheurs ont montré que l’effet des AAG est médié par les récepteurs des endocannabinoïdes de type 1 (CB1), situés dans les nerfs sensitifs au niveau de l’intestin et qui sont connectés au cerveau via la moelle épinière.

Les études réalisées sur des souris ne se traduisent pas toujours chez l’humain, mais l’un comme l’autre possède un système endocannabinoïde similaire connecté au striatum ventral. Les résultats de cette étude laissent entrevoir de possibles interventions basées sur l’alimentation pour augmenter la motivation des personnes à faire de l’exercice et d’optimiser la performance des athlètes d’élite.

 

Un régime alimentaire riche en flavonols est associé à un ralentissement du déclin cognitif

Un régime alimentaire riche en flavonols est associé à un ralentissement du déclin cognitif

EN BREF

  • Les participants à une étude qui avaient un apport alimentaire élevé en flavonols ont eu un déclin cognitif plus lent que ceux qui avaient un apport plus faible.
  • Un apport plus élevé en flavonols totaux était associé à un déclin significativement plus lent de la mémoire épisodique, de la mémoire sémantique, de la vitesse perceptuelle et de la mémoire de travail.
  • Parmi les flavonols considérés individuellement, le kaempférol et la quercétine étaient associés à un ralentissement du déclin cognitif, mais non pas la myricétine et l’isorhamnétine.

Les flavonoïdes sont des composés polyphénoliques retrouvés dans les plantes et en grande quantité dans les fruits et légumes tout particulièrement. Ces composés sont surtout connus pour leurs propriétés anti-inflammatoire et antioxydante. Les flavonoïdes ont été associés dans plusieurs études antérieures à un ralentissement du déclin cognitif lié au vieillissement et de la démence. Cependant, peu d’études ont tenté d’identifier quelles sous-classes de flavonoïdes ou quelles molécules individuelles sont les plus actives pour protéger la santé du cerveau. Une étude américaine publiée récemment apporte des éléments de réponse en ce sens, en évaluant l’effet de l’apport en flavonols totaux et flavonols individuels (kaempférol, quercétine, myricétine, isorhamnétine) sur la performance cognitive de personnes âgées.

L’étude a été menée auprès de 961 participants de la ville de Chicago aux États-Unis, âgés de 60 à 100 ans, qui faisaient partie de la cohorte « Rush Memory and Aging Project », et qui ont été suivis durant 6,9 années en moyenne. Les participants, dont l’âge moyen était de 81 ans au début de l’étude, étaient en majorité des femmes (75 %), de race blanche (98 %) et avaient en moyenne 15 années de scolarité. Le régime alimentaire des participants a été évalué en utilisant un questionnaire semi-quantitatif validé, et l’apport alimentaire en flavonols a été déduit à partir des données recueillies. Les performances cognitives des participants ont été évaluées annuellement avec une batterie de 19 tests standardisés.

Un apport alimentaire plus élevé en flavonols totaux et flavonols individuels était associé à une baisse du taux de déclin cognitif global et de plusieurs domaines cognitifs. Un apport plus élevé en flavonols totaux était associé à un déclin plus lent de la mémoire épisodique (souvenirs d’événements personnels), de la mémoire sémantique (mémoire des faits et des concepts), de la vitesse perceptuelle, de la mémoire de travail (mémoire à court terme), mais n’avait pas d’effet sur l’habileté de construction visuospatiale (compréhension et représentation de l’espace en 2 et 3 dimensions).

L’analyse des flavonols individuels indique que des apports plus élevés en kaempférol et en quercétine sont associés à un ralentissement du déclin cognitif. Par contre, la myricétine et l’isorhamnétine n’étaient pas associées à un effet sur le déclin cognitif global. Le kale (chou frisé), les haricots, le thé, les épinards et le brocoli étaient les aliments les plus riches en kaempférol parmi ceux consommés dans cette étude. Les tomates, le kale (chou frisé), les pommes et le thé étaient les aliments les plus riches en quercétine dans cette étude.

Les mécanismes sous-jacents à cette association favorable ne sont pas encore bien compris. Les auteurs de l’étude suggèrent que les propriétés anti-inflammatoires des flavonols pourraient diminuer l’amplitude ou la durée de la neuroinflammation. De plus, les propriétés antioxydantes des flavonols pourraient diminuer, voir prévenir, les dommages cellulaires causés par le stress oxydatif qui génère des dérivés réactifs de l’oxygène (radicaux libres, ions oxygénés, peroxydes).

Une étude antérieure du même groupe de chercheurs avait rapporté que les légumes à feuilles vertes (épinard, chou frisé, chou vert, laitue) et certains constituants dont le kaempférol était associé à un ralentissement du déclin cognitif global. Les auteurs ont conclu que « la consommation d’environ une portion par jour de légumes à feuilles vertes et d’aliments riches en phylloquinone, lutéine, nitrate, folate, α-tocophérol et kaempférol peut aider à ralentir le déclin cognitif avec l’âge. »

Le rôle protecteur de certains flavonols sur la cognition a été démontré dans des modèles animaux. Ainsi, la supplémentation en quercétine améliore la mémoire et l’apprentissage de souris transgéniques utilisées comme modèle animal de la maladie d’Alzheimer. Dans une autre étude, le kaempférol et la myricétine ont amélioré la mémoire et l’apprentissage et réduit le stress oxydatif chez des souris utilisées comme modèle de la maladie d’Alzheimer.

Le design prospectif de l’étude américaine ne permet pas d’établir de lien de causalité entre l’apport alimentaire en flavonols et la cognition. Des essais cliniques randomisés permettraient de confirmer le rôle des flavonols sur les performances cognitives et à plus long terme la prévention du déclin cognitif associé à l’âge. Ce type d’étude permettrait aussi de préciser la relation dose-réponse pour une santé cérébrale optimale. Quoiqu’il en soit, l’étude comporte aussi plusieurs points forts : grand nombre de participants, durée de l’étude, mesure robuste de la cognition par les 19 tests cognitifs, questionnaires validés. Les résultats ont été ajustés pour minimiser les facteurs de confusion résiduels, puisqu’il est possible qu’un apport alimentaire plus élevé en flavonols soit un effet indirect d’une alimentation plus saine. Parmi les limites de cette étude, il y a : l’apport alimentaire auto-rapporté est sujet au biais de rappel ; à cause de leur âge avancé, les participants ont un risque d’atteinte cognitive légère qui pourrait causer des erreurs lorsqu’ils ont répondu aux questionnaires sur l’alimentation ; il subsiste une possibilité de causalité inverse (le déclin cognitif pourrait avoir modifié les habitudes alimentaires des participants). Selon les auteurs, des analyses supplémentaires (analyses de sensibilité) indiquent cependant que la causalité inverse est peu probable.

Les résultats de cette étude suggèrent que la consommation de fruits et légumes (particulièrement les légumes à feuilles vertes) chez les personnes âgées pourrait non seulement les aider à maintenir une bonne santé en général, mais en plus à retarder ou prévenir le déclin cognitif. Toutefois, d’autres études devront être menées pour confirmer et mieux comprendre comment les flavonols ralentissent le déclin cognitif et celui de la mémoire.