Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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30 janvier 2023
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Les bons et mauvais côtés de l’alcool

Ceci est une mise jour d’un article initialement publié en 2018

Bien que l’alcool fasse partie du quotidien de l’humanité depuis des millénaires, cette substance est loin d’être inoffensive et exerce même des effets très complexes sur la santé. Cette complexité est bien illustrée par la relation en « J » qui existe entre la quantité d’alcool ingérée et le risque de mort prématurée observée dans un grand nombre d’études épidémiologiques :  par exemple, une étude de grande envergure, réalisée auprès de plus de 300,000 personnes suivies pendant près de 10 ans, montre que la consommation modérée d’alcool (de 3 à 14 verres par semaine pour les hommes et de 3 à 7 verres pour les femmes) est associée à une diminution d’environ 20 % du risque de mortalité toute cause comparativement aux personnes qui n’ont jamais bu d’alcool de leur vie (Figure 1). Cette fenêtre protectrice est cependant très étroite, avec une hausse rapide du risque de mortalité observée à des quantités plus élevées.


Figure 1. Relation entre la consommation d’alcool et le risque de mortalité prématurée. La réduction maximale du risque observée dans l’étude (-0,1 log) correspond à une diminution d’environ 20 % du risque. Adapté de Xi et coll. (2017).

Rappelons que ce qu’on appelle communément un « verre » ou encore une « consommation standard » fait référence à la quantité de boisson alcoolisée qui entraine l’absorption d’environ 12 à 15 grammes d’alcool pur (Tableau 1). La taille d’un verre dépend donc directement de la teneur en alcool de la boisson consommée.

Type de boisson alcoolisée
Une consommation standard correspond à:
Bière (5 % alc/vol)
340 mL (12 oz)
Vin (12 % alc/vol)
140 mL (5 oz)
Vin fortifié (ex. Porto) (20 % alc/vol)
85 mL (3 oz)
Spiritueux (40 % alc/vol)
45 mL (1,5 oz)
Tableau 1. Teneur en alcool des principaux types de boissons alcoolisées. Adapté de Educ’alcool.

Cette effet protecteur de faibles doses d’alcool sur la mortalité a cependant été remis en question par une grande étude récemment publiée dans Lancet. Dans cette étude, qui a analysé les habitudes de consommation d’alcool d’environ 600,000 buveurs, les auteurs n’ont pas observé de diminution de la mortalité, même à des quantités faibles d’alcool, mais plutôt une hausse significative du risque de mort prématurée à partir de 100 g d’alcool par semaine, ce qui correspond à seulement un verre par jour (Figure 2A). Par contre, l’analyse des mêmes données a révélé une baisse du risque de mortalité cardiovasculaire, en accord avec des centaines d’études qui ont observé un effet cardioprotecteur découlant de la consommation modérée d’alcool (Figure 2B).  Malgré tout, les auteurs proposent que les quantités d’alcool qui sont actuellement recommandées (1 verre quotidien pour les femmes, deux pour les hommes) sont trop élevées et qu’il faudrait revoir ces limites à la baisse. Une autre étude, encore une fois publiée dans Lancet, en arrive à des conclusions similaires, c’est-à-dire qu’un apport aussi faible qu’un seul verre par jour est associé  à une hausse du risque de développer une ou l’autre des 23 pathologies associées à la consommation d’alcool et qu’il ne semble donc pas y avoir de seuil sécuritaire de consommation selon les auteurs.  Cependant, comme certains spécialistes l’ont fait remarquer, cette approche est quelque peu « absolutiste », car la hausse du risque observée aux faibles quantités d’alcool est excessivement faible, passant de 0,914 pour cent chez les non-buveurs à  0,918 chez ceux qui consomment un verre par jour et à 0,977 pour ceux qui en consomment deux. Pour les buveurs modérés, le risque réel associée à la consommation d’alcool est donc à toute fin pratique négligeable.


Figure 2. Relation entre la consommation d’alcool (en g par semaine) et le risque de mortalité prématurée toute cause (A) ou de mortalité d’origine cardiovasculaire (B) calculée à partir d’une synthèse de 83 études épidémiologiques regroupant 600,000 participants. Adapté de Wood et coll (2018).

Il est difficile à ce stade de dire si ces dernières études sont supérieures aux études précédentes et que la consommation modérée d’alcool est effectivement dépourvue d’effets bénéfiques sur la mortalité (voir l’encadré).  Chaque étude épidémiologique a ses forces et ses faiblesses et la seule véritable façon de résoudre cette ambiguïté serait de mener une étude clinique randomisée où on pourrait comparer la santé des buveurs modérés à celle d’abstinents, mais une telle étude n’est pas réalisable en raisons de considérations éthiques.  Chose certaine, une interprétation prudente de l’ensemble de ces études est de dire qu’il ne faut surtout pas banaliser les effets négatifs de l’alcool et qu’il est important d’en consommer très modérément pour profiter de ses bénéfices éventuels tout en évitant ses effets nocifs bien documentés (Tableau 2). Historiquement, on considère que les quantités maximales d’alcool qui sont associées à des bénéfices pour la santé sont de 1 à 3 verres par jour pour les hommes et de 1 à 2 verres par jour pour les femmes. À ces faibles doses, l’alcool augmente les taux de cholestérol-HDL, améliore le contrôle de la glycémie et exerce des actions anticoagulante et anti-inflammatoire, ce qui globalement contribue à diminuer le risque d’événement cardiovasculaire, notamment l’infarctus du myocarde. À la lumière des résultats des deux études du Lancet, il semble cependant préférable de diminuer quelque peu ces limites à 2 verres pour les hommes et 1 verre pour les femmes.

La cardioprotection par l’alcool n’est pas un mythe

On assiste depuis quelques années à l’émergence d’un courant de pensée assez radical qui prétend que les bénéfices cardiovasculaires de l’alcool sont un « mythe » et qu’il n’y a aucun niveau de consommation qui soit sécuritaire. Ce message, véhiculé par des organismes comme l’OMS ou encore le Centre canadien des dépendances et l’usage de substances (CCDUS), est cependant basé sur une lecture assez limitée de la recherche; par exemple, dans le récent rapport du CCDUS, les analystes ont sélectionné seulement 16 études sur plus de 5000 publications disponibles, ce qui augmente forcément les risques de biais. Mais même dans ces conditions, le rapport montre clairement une diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques à de faibles quantités d’alcool consommé, en accord avec des centaines d’études d’envergure qui se sont penchées sur cette question, incluant celle du Lancet mentionnée plus tôt (Figure 2B). La conclusion du CCDUS, selon laquelle il n’y a aucun bénéfice sur la santé associé à la consommation modérée d’alcool, va donc à l’encontre de leurs propres résultats et de l’ensemble des données accumulées depuis les 30 dernières années, en particulier en ce qui concerne la diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques comme l’infarctus du myocarde, la principale cause de mortalité d’origine cardiovasculaire. Une dissonance du même type est retrouvée dans un article récent, où les auteurs prétendent que la cardioprotection par l’alcool est un « mythe », tout en présentant du même souffle des données montrant une forte diminution du risque de maladies cardiaques ischémiques. Autrement dit, les résultats obtenus par la recherche sur l’impact positif de l’alcool à faible dose sur la santé cardiovasculaire ne justifient aucunement la conclusion qu’il n’y a aucun seuil de consommation d’alcool qui soit sécuritaire. À notre avis, les recommandations d’organismes très sérieux comme l’école de santé publique d’Harvard ou encore l’institut national américain pour l’abus d’alcool et l’alcoolisme (NIAAA), soit une consommation quotidienne de 2 verres pour les hommes et de 1 verre pour les femmes, demeurent toujours les plus pertinentes.

Au-delà de ces quantités, par contre, la consommation est clairement abusive, car elle est associée à une augmentation du risque de plusieurs cancers, en particulier ceux de la bouche, du larynx, de l’œsophage, du côlon, du foie ainsi que du sein. L’ingestion chronique de fortes quantités d’alcool est également est associée à plusieurs pathologies du système cardiovasculaire, incluant l’athérosclérose, l’hypertension, certaines cardiomyopathies ainsi que des arythmies, ce qui hausse considérablement le risque de mortalité cardiovasculaire. Il faut aussi noter que les beuveries, où de grandes quantités d’alcool peuvent être consommées dans un court laps de temps, sont également associées à plusieurs effets nocifs, en particulier une hausse très importante du risque d’AVC.

Mode de consommationAlcool pur (g)Consommations standardsEffet sur la santé
Légère
< 20 g par jour (hommes)
< 10 g par jour (femmes)
1 verre
¾ verre
Positif
Modérée
20-45 g par jour (hommes)
10-30 g par jour (femmes)
1-3 verres
1-2 verres
Controversé, pourrait dépendre du type d'alcool
Abusive
> 45 g par jour (hommes)
> 30 g par jour (femmes)
Plus de 3 verres
Plus de 2 verres
Négatif
Beuverie (“binge drinking”)
> 60 g en une seule occasion
4 verres et plus
Négatif
Tableau 2. Les différents types de consommation d’alcool. Adapté de Fernandez-Sola (2015).

L’alcool est donc une redoutable arme à double tranchant et il est important de limiter la consommation quotidienne d’alcool à des niveaux faibles, idéalement un maximum de 2 verres par jour pour les hommes et de 1 verre pour les femmes, et même fort probablement un peu moins.

Privilégier le vin rouge 

Le vin rouge est un breuvage complexe contenant plusieurs milligrammes de composés phénoliques (le resvératrol, notamment) qui sont extraits de la peau du raisin au cours du processus de fermentation.   Ces molécules possèdent des propriétés antioxydante, anti-inflammatoire, anti-plaquettaire et vasodilatatrice, ce qui suggère que le vin rouge pourrait entrainer des effets positifs plus grands que ceux associés simplement à la présence d’alcool.

Un des premiers exemples de ces bénéfices est le fameux « paradoxe français », où la consommation régulière de vin rouge serait responsable de la faible incidence de maladies coronariennes observées en France comparativement à d’autres pays occidentaux, en dépit d’un apport alimentaire élevé en gras saturés. Cet effet bénéfique est supporté par une étude danoise qui montrait que les consommateurs modérés de vin rouge avaient un risque de mort prématurée trois fois plus faible que les buveurs de bière ou de spiritueux, ainsi que par les résultats d’autres études réalisées dans le nord de la Californie et dans l’est de la France.

Un autre aspect qui milite en faveur de la consommation préférentielle de vin rouge est son impact plus faible sur le risque de cancer, possiblement en raison de son contenu en resvératrol. En laboratoire, cette molécule possède une des actions anticancéreuses les plus puissantes du monde végétal et pourrait donc contrecarrer l’effet cancérigène de l’alcool. Par exemple, une étude a montré que si la consommation modérée de boissons alcoolisées autres que le vin augmente le risque de cancer de la bouche de 38 %, cette hausse du risque diminue à seulement 7 % chez les buveurs de vin rouge.  Un phénomène similaire est observé pour le cancer du poumon où la consommation modérée de vin est associée à une réduction du risque de ce cancer, tandis que celle de bière et de spiritueux augmente le risque. Il semble donc que la plus grande réduction de mortalité associée à la consommation de vin rouge observée dans plusieurs études soit non seulement liée à un effet protecteur plus prononcé sur le risque de maladies du cœur, mais également à un effet moins néfaste sur le risque de cancer que d’autres types d’alcool. Ce phénomène a également été observé dans l’étude du Lancet mentionnée précédemment: lorsque les auteurs ont examiné la mortalité selon le type d’alcool consommé, ils ont observé une énorme différence de risque entre le vin et les autres types d’alcool, la consommation de vin (jusqu’à 300 g par semaine) étant associé à une légère hausse de 10 % de la mortalité, soit beaucoup moins que celle observée chez les buveurs de bière et de spiritueux (Figure 3).

Figure 3. Relation entre le type d’alcool consommé  (en g par semaine) et le risque de mortalité prématurée. Adapté de Wood et coll (2018).

La supériorité du vin rouge sur les autres types d’alcool est également suggéré par une étude récente portant sur l’association entre la consommation d’alcool et le risque de fibrillation auriculaire (FA), une arythmie qui hausse considérablement le risque d’AVC.  Dans cette étude, les chercheurs ont observé que la consommation modérée d’alcool en général (7 verres par semaine ou moins) était associée à une légère diminution du risque de FA, mais que ce risque  augmentait considérablement à des quantités plus élevées (14 verres et plus par semaine).  Par contre, lorsque la même analyse a été réalisée en tenant compte du type d’alcool consommé, on observe que le risque de FA n’augmente pas chez les personnes qui boivent jusqu’à 14 verres de vin rouge par semaine (Figure 4).  Le vin blanc semble lui aussi minimiser les risques de FA, mais à un degré moindre (hausse du risque qui débute à 10 verres par semaine), tandis que la bière et les spiritueux augmentent ce risque très rapidement, à partir d’environ 3 verres par semaine.

Figure 4. Relation entre le type d’alcool consommé  (en verres par semaine) et le risque de fibrillation auriculaire. Notez qu’un verre correspond à l’unité standard britannique, soit 8 g (10 mL) d’alcool. Les zones grises représentent les intervalles de confiance à 95 %. Adapté de Tu et Coll (2021).

Dans l’ensemble, ces observations confirment les résultats de l’étude INTERHEART et celle du groupe de Akesson montrant que la consommation modérée d’alcool représente un des facteurs du mode de vie qui peut contribuer à diminuer le risque de maladie coronarienne et de mort prématurée. Une étude récente illustre à quel point l’impact de ces habitudes de vie peut être extraordinaire: les personnes de 50 ans qui ne fument pas, mangent sainement, font 30 minutes et plus d’activité physique quotidienne, maintiennent un poids santé (IMC entre 19 et 25) et consomment modérément de l’alcool (5-15 g/jour pour les femmes, 5-30 g/jour pour les hommes) ont 82 % moins de risque de décéder de maladies cardiovasculaires et 65 % moins de risque de mourir d’un cancer.  En pratique, cela se traduit par une augmentation de la longévité de 14 ans pour les femmes et de 12 ans pour les hommes !  Pour être réellement bénéfique, la consommation d’alcool doit donc faire partie d’un mode de vie globalement sain, incluant une alimentation riche en végétaux, une activité physique régulière, le maintien d’un poids corporel normal et, évidemment, l’absence de tabagisme.

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