Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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25 janvier 2023
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Des microorganismes intestinaux stimulent la motivation à faire de l’exercice

En bref

  • La composition du microbiote intestinal a un effet important sur la motivation de souris de laboratoire à faire de l’exercice selon une étude publiée récemment.
  • Deux bactéries intestinales sont particulièrement associées à une meilleure performance durant l’exercice : Eubacterium rectale et Coprococcus eutactus.
  • Ces bactéries produisent des métabolites, les amides d’acides gras (AAG), qui se lient au récepteur des endocannabinoïdes de type 1 (CB1), situés dans les nerfs sensitifs au niveau de l’intestin et qui sont connectés au cerveau via la moelle épinière.
  • La stimulation du récepteur CB1 cause une augmentation des niveaux de dopamine durant l’exercice, dans une région particulière du cerveau nommée striatum ventral où se trouvent les circuits de récompense.

Il est bien établi que l’exercice physique, pratiqué sur une base régulière, diminue le risque de développer des maladies chroniques, améliore la fonction cognitive et diminue le risque de mourir prématurément. Pour pouvoir profiter pleinement de ces nombreux bienfaits, il faut s’entraîner régulièrement et préférablement sur de longues périodes. Pourtant, nombreux sont ceux qui adoptent un style de vie sédentaire, et pour qui la motivation à faire de l’exercice est basse, voire inexistante. La motivation à faire de l’exercice est régie dans le système nerveux central et nécessite des signaux initiés par la dopamine, un neurotransmetteur impliqué dans une foule de fonctions, dont le contrôle moteur, l’attention, la mémoire, la cognition, le sommeil, le plaisir et la motivation. Les neurones qui produisent la dopamine sont retrouvés dans des régions du cerveau nommées aire tegmentale ventrale (ATV) et la substancia nigra. Les neurones dopaminergiques se prolongent dans d’autres parties du cerveau afin de réguler les aspects cognitif, émotionnel et motivationnel liés aux comportements associés à une récompense.

La motivation à faire de l’exercice dépend-elle uniquement de notre cerveau et de notre état d’esprit vis-à-vis cette activité ? Il semble que non selon une étude récente réalisée sur des souris qui montre que la motivation est en partie attribuable à des bactéries présentes dans l’intestin. Une découverte surprenante qui est le résultat des efforts combinés de plusieurs équipes de chercheurs.

Afin d’identifier de nouveaux régulateurs de la performance à l’exercice, les chercheurs ont utilisé une cohorte de 199 souris ayant une grande diversité génétique. La cohorte de souris a été soumise à des analyses poussées du génome, de métabolome, du microbiome et leur performance à l’exercice à été évaluée (tapis roulant, roue d’exercice). Les analyses génomiques suggèrent que les gènes contribuent très peu aux différences observées entre la performance à l’exercice des différentes souris.

Puisque des travaux antérieurs (voir ici, ici, ici, et ici) suggéraient que le microbiome aurait un rôle potentiel sur la performance durant l’exercice, les chercheurs ont voulu vérifier si la variabilité de la performance des différentes souris pouvait être attribuée au microbiome, en faisant des expériences dites de « perte de fonction » (déplétion du microbiome) et de « gain de fonction » (transplantation du microbiome). La déplétion complète du microbiome des souris avec des antibiotiques à large spectre a causé une diminution de la performance à l’exercice des souris d’environ 50 %. Au contraire, la transplantation du microbiome de souris performantes à l’exercice à des souris exemptes de germes (souris « germ-free », élevées dans des conditions stériles et ne contenant aucun microorganisme) a augmenté la performance à l’exercice des souris receveuses. De plus, la performance relative à l’exercice des souris receveuses était en corrélation avec celle des souris donneuses. Lorsque les traitements aux antibiotiques à large spectre ont cessé, la performance à l’exercice des souris est revenue à la normale, ainsi que celle des souris exemptes de germes lorsqu’on a cessé de les maintenir dans des conditions stériles. Dans l’ensemble, les résultats de ces expériences suggèrent que le microbiome contribue fortement à la capacité à faire de l’exercice chez la souris.

Afin d’identifier la classe de microorganismes et plus précisément quelles bactéries contribuent à la stimulation de la performance à l’exercice des souris, les souris ont été traitées par des antibiotiques à spectre plus étroit, et les intestins de souris exemptes de germes ont été colonisés avec un seul microorganisme. Parmi les bactéries testées, celles des genres Eubacterium et Coprococcus ont amélioré la performance à l’exercice des souris, à des niveaux comparables à ceux observés pour les souris ayant reçu une transplantation du microbiome complet.

Au niveau mécanistique, les chercheurs ont d’abord vérifié si l’amélioration de la performance à l’exercice par le microbiome n’était pas causée par un effet favorable sur la fonction musculaire. Or les résultats de plusieurs tests indiquent que le microbiome n’a pas d’effet significatif sur la physiologie des muscles. L’attention des chercheurs s’est ensuite portée sur la motivation, un des facteurs importants contribuant à la performance à l’exercice, avec la fonction musculo-squelettique.

Une région du cerveau qui est particulièrement impliquée dans le contrôle de la motivation est le striatum. Comme attendu, les niveaux du principal neurotransmetteur impliqué dans les signaux neuronaux de motivation/récompense dans le striatum, la dopamine, ont augmenté après que les souris ont fait de l’exercice. Or cette augmentation était beaucoup moins importante dans les souris dont le microbiome a été déplété, indiquant un rôle du microbiome dans le relargage de dopamine après l’exercice. Les niveaux de deux autres neurotransmetteurs importants dans le striatum, tels que le glutamate et l’acétylcholine, n’ont pas changé suite à l’exercice ou à la déplétion du microbiome.

De quelle façon des bactéries qui colonisent l’intestin peuvent-elles stimuler les niveaux de dopamine dans le cerveau ? Il y a deux voies possibles : 1) par des facteurs circulant, soit des métabolites produits par les bactéries ou 2) à travers des circuits neuronaux afférents. Des analyses protéomiques sur des échantillons de sang n’ont pas permis d’identifier de métabolite associé significativement à la performance à l’exercice qui est lié au microbiome. Les chercheurs se sont donc concentrés sur les neurones sensitifs qui innervent l’intestin.

Les chercheurs ont utilisé une lignée de souris (Trpv1DTA) dans laquelle une grande partie des nerfs vague et spinaux afférents qui expriment le récepteur vanilloïde sont absents. La performance à l’exercice des souris Trpv1DTA est peu élevée, comparable à celle des souris normales dont le microbiome a été déplété par des antibiotiques. La déplétion du microbiome dans les souris Trpv1DTA n’a pas modifié la performance à l’exercice.

Comment les bactéries intestinales peuvent-elles activer les nerfs sensitifs de l’intestin ? Les chercheurs ont montré que, in vitro, des neurones du nerf spinal isolés sont activés par des extraits fécaux de souris normales, mais beaucoup moins par des extraits provenant de souris sans microbiome. Ce résultat suggère qu’un métabolite provenant du microbiome est impliqué dans l’activation des nerfs sensitifs. Des analyses métabolomiques ont permis d’identifier des candidats, dont plusieurs parmi les plus puissants étaient des amides d’acides gras (AAG), tel le N-oléoyléthanolamide (OEA). Afin de prouver que ces composés peuvent à eux seuls stimuler la performance à l’exercice, les chercheurs ont introduit des suppléments de cinq AAG au régime alimentaire des souris dont le microbiome a été déplété par des antibiotiques. Cette supplémentation a rétabli les signaux générés par les nerfs sensitifs, la hausse des niveaux de dopamine dans le cerveau et la performance à l’exercice. Puis, les astucieux chercheurs ont transformé des bactéries E. coli que ne produisent normalement pas d’AAG en introduisant les gènes responsables de la production de ces métabolites. Les intestins de souris germ-free ont été colonisés avec cette bactérie modifiée pour produire des AAG ou avec la lignée parentale qui ne produit pas d’AAG. La performance à l’exercice a été améliorée par la colonisation avec les bactéries produisant des AAG, mais pas par celle avec les bactéries parentales. Finalement, les chercheurs ont montré que l’effet des AAG est médié par les récepteurs des endocannabinoïdes de type 1 (CB1), situés dans les nerfs sensitifs au niveau de l’intestin et qui sont connectés au cerveau via la moelle épinière.

Les études réalisées sur des souris ne se traduisent pas toujours chez l’humain, mais l’un comme l’autre possède un système endocannabinoïde similaire connecté au striatum ventral. Les résultats de cette étude laissent entrevoir de possibles interventions basées sur l’alimentation pour augmenter la motivation des personnes à faire de l’exercice et d’optimiser la performance des athlètes d’élite.

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