Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Une « redécouverte » intéressante : les acides aminés à chaîne latérale ramifiée et les maladies cardiométaboliques

En bref

  • Les concentrations sanguines des acides aminés leucine, isoleucine et valine (acides aminés à chaîne latérale ramifiée ou BCAA en anglais) et des acides aminés phénylalanine et tyrosine augmentent de façon chronique chez les personnes atteintes de maladies associées à l’obésité, telles que le diabète de type 2, la résistance à l’insuline et les maladies cardiovasculaires, des maladies dites « cardiométaboliques ».
  • L’augmentation des concentrations des BCAA, phénylalanine et tyrosine dans le sang a été associée à un risque 5 fois plus élevé de développer le diabète de type 2 dans deux cohortes distinctes.
  • Il faut éviter les excès de calories, tout particulièrement celles qui proviennent du fructose si l’on veut éviter de développer une maladie cardiométabolique telle que le diabète de type 2, l’obésité et les maladies cardiovasculaires, qui sont associées à des taux élevés de BCAA circulants.

Mis à jour le 28 juillet 2019

Parmi les 20 acides aminés contenus dans les protéines, neuf sont considérés comme essentiels parce qu’ils ne peuvent être synthétisés par le corps humain et doivent donc provenir de l’alimentation. Parmi les neuf acides aminés essentiels, la leucine (Leu), l’isoleucine (Ile) et la valine (Val) sont nommées « acides aminés à chaîne latérale ramifiée » (couramment désignés BCAA, de l’anglais branched-chain amino acid) pour les distinguer des autres acides aminés aliphatiques qui ont une chaîne latérale linéaire (voir les structures ci-dessous).

Les sources alimentaires les plus riches en BCAA sont la viande, le poisson, les œufs et les produits laitiers. Bien que présent en moindre quantité dans les végétaux, les meilleures sources végétales de BCAA sont les légumineuses (soya, lentille, pois chiche, haricot de Lima), le blé entier, le riz brun et les noix (amande, noix de cajou et du Brésil). Les BCAA ont été étudiés depuis plusieurs décennies pour leur capacité à augmenter la synthèse des protéines musculaires et la masse musculaire durant l’entraînement physique, pour des personnes qui ont un syndrome de cachexie (perte de masse corporelle causée par une maladie) et dans le vieillissement. Les mécanismes moléculaires sous-jacents à ce phénomène impliquent l’activation de la synthèse des protéines par la leucine, principalement via la protéine régulatrice mTOR (voir plus loin). Les BCAA sont proposés sur le marché comme suppléments nutritionnels, dont les ventes annuelles sont de plusieurs millions de dollars, mais leur utilité pour les personnes en bonne santé qui n’ont pas de carence en protéines a été mise en doute.

BCAA et maladies cardiométaboliques
Si les BCAA ont des effets bénéfiques dans des conditions où la balance énergétique est négative, cela n’est pas le cas lorsqu’il y a un surplus énergétique (voir cette revue en anglais). En effet, les concentrations sanguines de BCAA et des acides aminés aromatiques phénylalanine (Phe) et tyrosine (Tyr) augmentent de façon chronique chez les personnes atteintes de maladies associées à l’obésité, telles que le diabète de type 2, la résistance à l’insuline et les maladies cardiovasculaires, des maladies désignées « cardiométaboliques ». Cette observation a tout d’abord été faite il y a 50 ans, mais elle avait été rapidement éclipsée par la découverte de l’hypercholestérolémie et autres dyslipidémies. Cependant, l’avènement de la métabolomique (étude des métabolites dans un organisme ou tissu donné) a permis à des chercheurs de répliquer les mêmes résultats d’il y a 50 ans, c.-à-d. une hausse de la concentration sanguine des BCAA, Phe et Tyr accompagnée d’une baisse de la concentration de la glycine (Gly) chez des personnes obèses par rapport à des personnes minces et sensibles à l’insuline. La métabolomique a aussi permis d’identifier que chez les personnes obèses les métabolites liés aux BCAA augmentent davantage que les métabolites liés aux lipides.

L’augmentation des concentrations de BCAA, Phe et Tyr dans le sang a été associée à un risque 5 fois plus élevé de développer le diabète de type 2 dans deux cohortes distinctes. De plus, une baisse de concentrations circulantes de ces acides aminés suite à des interventions (régime DASH, soutien psychologique) visant à faire perdre du poids à des personnes obèses était fortement associée à une amélioration de la sensibilité à l’insuline. Des personnes obèses qui ont subi une opération de by-pass gastrique ont vu leur concentration circulante de BCAA, Phe et Tyr chuter spectaculairement, davantage que des personnes qui avaient perdu autant de poids suite à une intervention sur le régime alimentaire. Ce dernier résultat est intéressant puisque l’on sait que les méthodes chirurgicales améliorent davantage le contrôle de la glycémie pour les personnes obèses que les interventions axées sur le mode de vie.

Même si les cellules humaines ne peuvent synthétiser les BCAA, les bactéries intestinales en ont la capacité et la production de BCAA y est activée chez les personnes obèses par rapport aux personnes minces. Par ailleurs, la transplantation du microbiote de personnes obèses dans des souris exemptes de germes (sans aucune bactérie intestinale) cause une hausse significative des BCAA dans le sang. Des analyses auprès de 674 Suédois ont permis d’identifier 19 métabolites associés à un indice de masse corporelle (IMC) élevé, dont l’acide aminé glutamate, les BCAA et leurs métabolites. De plus, l’analyse du microbiote des participants à l’étude a permis de montrer que certaines bactéries en particulier sont associées à l’obésité ainsi qu’aux métabolites liés à l’obésité.

BCAA et maladies cardiovasculaires
Une étude prospective auprès de 27 041 femmes de la cohorte de la Women’s Health Study a montré qu’il y a une association entre les niveaux élevés de BCAA circulants et certaines maladies cardiovasculaires (MCV). Durant les 18,6 années de suivi de l’étude, 2207 événements cardiovasculaires sont survenus. Des niveaux élevés de BCAA totaux (Leu, Val et Ile) étaient associés à un risque relatif 13% plus élevé de MCV, une augmentation comparable au risque associé à des niveaux élevés de cholestérol-LDL (+12%).  Des niveaux élevés de BCAA totaux étaient également associés à des risques accrus de maladie coronarienne (+16 %), de revascularisation (+17 %) et d’AVC (+7 %).

L’association entre les niveaux de BCAA et les MCV était plus prononcée pour les femmes qui avaient développé un diabète de type 2 avant de subir un événement cardiovasculaire, en particulier pour les événements coronariens (résultats résumés dans la figure 1). L’association est statistiquement significative pour les MCV en général (P<0,05) et la revascularisation (P<0,05), mais pas pour l’infarctus du myocarde (P=0,059) et l’AVC (P=0,066).

Figure 1. Associations entre les niveaux de BCAA circulants au début de l’étude et les MCV (P=0,036), l’infarctus du myocarde (P=0,059), l’AVC (P=0,066) et la revascularisation (P=0,019), selon le diagnostic de diabète de type 2 précédant l’événement cardiovasculaire. Adapté de Tobias et coll., Circ.: Genom. Precis. Med., 2018.

Mécanismes qui mènent aux maladies cardiométaboliques
De nombreuses études sur les effets d’une supplémentation ou une restriction en BCAA dans l’alimentation ont été réalisées dans des modèles animaux de l’obésité. Une restriction des trois BCAA dans le régime alimentaire de rongeurs obèses améliore leur sensibilité à l’insuline et le contrôle de la glycémie, réduit la concentration de plusieurs métabolites dérivés des lipides dans les muscles et augmente significativement l’oxydation (dégradation) des acides gras. Inversement, nourrir des rats avec un régime riche en matières grasses auquel on a ajouté des BCAA provoque une résistance à l’insuline et l’accumulation de lipides dans les muscles, et cela malgré une réduction de la consommation alimentaire et un plus faible gain de poids, comparé à un régime riche en matières grasses seulement.

La hausse des BCAA circulants observée chez les personnes obèses est en partie causée par la réduction de leur oxydation (dégradation) dans les muscles et en partie par une réduction du transport des BCAA du sang vers le foie. La suralimentation, particulièrement lorsque le régime alimentaire est riche en fructose, cause une accumulation de lipides dans le foie (stéatose) et une augmentation des BCAA circulants (voir figure 2).

Figure 2. Les acides aminés à chaîne latérale ramifiée : biomarqueurs et agents responsables des maladies cardiométaboliques.  Le régime alimentaire, l’obésité, le microbiote intestinal et des facteurs génétiques peuvent faire augmenter la concentration des BCAA dans la circulation sanguine. Les BCAA peuvent favoriser l’accumulation de lipides dans le foie, l’hypertrophie cardiaque et l’accumulation de lipides dans les muscles contribuant à la résistance à l’insuline. Adapté de White et Newgard, Science, 2019.

Dans les cardiomyocytes, le glucose fait diminuer la dégradation des BCAA, ce qui cause une augmentation de leur concentration et peut mener à l’activation de la synthèse des protéines via l’activation persistante de la protéine régulatrice mTORC1 et à l’hypertrophie cardiaque. Dans les muscles squelettiques, un métabolite dérivé de la valine, le 3-hydroxy-isobutyrate (3-HIB), est généré, ce qui active le transport des acides gras du sang vers le muscle. La concentration circulante de 3-HIB est par ailleurs corrélée avec la glycémie chez les personnes diabétiques.

BCAA et cancer
En utilisant une approche multi-omique, un groupe de chercheurs a montré récemment que le catabolisme (dégradation) des BCAA est bloqué dans certains types de cancers. L’accumulation de BCAA dans la cellule tumorale qui résulte de ce blocage provoque l’activation d’une voie de signalisation oncogénique via le récepteur mTOR. Dans un modèle animal (souris) de cancer du foie, les BCAA d’origine alimentaire semblent favoriser la croissance de la tumeur, ce qui suggère que des régimes à faible teneur en BCAA pourraient ralentir la progression tumorale et améliorer le taux de survie. Finalement, l’analyse des données d’une grande cohorte américaine (NHANES III), qui contient des données détaillées sur l’alimentation et l’histoire médicale des participants, suggère qu’un régime alimentaire à teneur élevée en BCAA est associé à un risque plus élevé de mortalité causée par le cancer.

Les BCAA sont maintenant bien établis comme des biomarqueurs des maladies cardiométaboliques. De plus en plus de données probantes indiquent qu’ils jouent un rôle dans la pathogenèse de ces maladies, surtout pour ce qui concerne l’obésité. Ce domaine de recherche sera certainement à surveiller dans les années à venir puisqu’il y a là un potentiel pour des thérapies ciblées et pour la prévention de l’obésité et des maladies cardiométaboliques.

En conclusion, il faut éviter les excès de calories, tout particulièrement celles qui proviennent du fructose si l’on veut éviter de développer une maladie cardiométabolique telle que le diabète de type 2, l’obésité et les maladies cardiovasculaires, qui sont associées à des taux élevés de BCAA circulants. L’adoption d’un régime alimentaire basé principalement sur les végétaux est certainement un moyen efficace de maintenir une bonne santé cardiométabolique.

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