Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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12 février 2019
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La cigarette électronique, un bon outil pour cesser de fumer

Je suggère depuis plusieurs années à mes patients fumeurs de se tourner vers la cigarette électronique pour diminuer les risques cardiovasculaires associés au tabagisme. Comme nous l’avons mentionné dans un autre article, la vaporisation d’une solution de nicotine par ces dispositifs  génère beaucoup moins de composés toxiques que la combustion du tabac et représente donc une alternative valable pour les personnes qui sont dépendantes à la nicotine et désirent réduire les dommages causés par le tabac.

Selon mon expérience clinique, le taux de succès de cette approche est excellent, avec environ 70 % des patients qui cessent de fumer la cigarette, incluant plusieurs personnes qui avaient « tout essayé » auparavant.  Par contre, ces personnes ne sont pas vraiment représentatives du « fumeur moyen », soit parce qu’elles sont très malades et doivent absolument cesser de fumer pour continuer à vivre, soit parce qu’un événement cardiovasculaire leur a donné la frousse de leur vie et qu’elles veulent réduire les probabilités qu’un tel événement se produise à nouveau.

Un essai clinique randomisé, récemment publié dans le New England Journal of Medicine permet de mieux visualiser le potentiel de la cigarette électronique chez les personnes qui désirent cesser de fumer, mais sans y être nécessairement obligés en raison d’une maladie.  Les chercheurs ont contacté 2045 personnes qui avaient entrepris des démarches auprès des services d’aide aux fumeurs offerts gratuitement par le National Health Service (NHS) britannique, et ont assigné au hasard 886 d’entre eux à deux types de protocoles de cessation du tabagisme, soit à l’aide  de la cigarette électronique (439 participants) ou à l’aide des substituts nicotiniques standards (timbres, gommes, vaporisateurs nasal ou buccal et pastilles, seuls ou en combinaison selon la préférence des fumeurs) (447 participants).  Tous les participants ont reçu un support psychologique sous forme de rencontre hebdomadaire personnalisée avec un médecin pendant toute la durée de l’étude.

Les résultats obtenus indiquent que le taux d’abstinence après un an est de 18 % pour les utilisateurs de la cigarette électronique, soit près du double de celui atteint à l’aide des substituts nicotiniques (9,9 %) (Figure 1). Selon les commentaires recueillis auprès des participants, la cigarette électronique procure une plus grande satisfaction et réduit plus efficacement l’urgence de fumer que les substituts nicotiniques, en particulier durant les premières semaines qui suivent l’arrêt du tabagisme, ce qui explique une meilleure adhérence au traitement tout au long de l’étude.  Cette supériorité de la cigarette électronique est particulièrement remarquable étant donné que le traitement à l’aide des substituts nicotiniques utilisés dans cette étude peut être considéré comme étant optimal, c’est-à-dire que les participants avaient accès à un soutien psychologique soutenu ainsi qu’à une vaste gamme de produits distincts capables d’administrer la nicotine de façon soutenue (timbres) ou plus rapidement, pour apaiser les crises aiguës causées par le manque (vaporisateurs). Avec un taux d’abandon du tabac deux fois plus élevé que celui obtenu par les substituts nicotiniques, il semble donc que la cigarette électronique représente une méthode beaucoup plus efficace pour cesser de fumer que ces produits.

Figure 1.  Comparaison des taux d’abstinence envers la cigarette entre les utilisateurs de cigarettes électroniques et de substituts nicotiniques. Adapté de Hajek et coll. (2019).

Ces résultats sont importants, car même si les substituts nicotiniques sont utilisés depuis plusieurs années pour la cessation du tabagisme, le taux de succès de ces produits demeure relativement faible.  Les traitements pharmacologiques avec la varenicline (Champix) ou le bupropion (Zyban) permettent d’améliorer ce taux de réussite, mais ces médicaments peuvent entrainer des effets secondaires très importants (en particulier le Champix), ce qui empêche leur utilisation à grande échelle.  Puisque la cigarette électronique permet d’obtenir un taux de succès supérieur aux substituts nicotiniques et similaire à la varénicline (environ 20%), sans effets secondaires notables, cet outil pourrait devenir un élément incontournable de la lutte au tabac.

Il faut donc souhaiter que les résultats de cette étude parviennent à modifier l’attitude plutôt négative de la communauté médicale envers la cigarette électronique.  En dépit du très grand nombre de données scientifiques montrant que ces produits sont beaucoup moins dangereux pour la santé que la cigarette traditionnelle, la majorité des organismes de lutte au tabac continue de déconseiller l’utilisation de cet outil pour cesser de fumer.

Cette réticence s’explique en grande partie par la peur que la cigarette électronique serve de « porte d’entrée » pour les jeunes vers la cigarette traditionnelle, et compromette ainsi les progrès réalisés depuis 50 ans dans la lutte au tabac.  Cette inquiétude a atteint son paroxysme cette année en raison de la hausse importante des jeunes utilisateurs de cigarettes électroniques aux États-Unis : entre 2017 et 2018, la proportion de jeunes du secondaire ayant utilisé une cigarette électronique dans les 30 derniers jours est passée de 11,7 % à 20,8 %, une augmentation due en majeure partie à l’énorme popularité de la cigarette électronique Juul (voir notre article sur ce nouveau produit).  Par contre, cette hausse du vapotage ne semble pas se traduire par une augmentation de l’usage de la cigarette traditionnelle, car les taux de tabagisme chez les jeunes sont stables (aux environs de 8 %), une proportion de fumeurs beaucoup plus faible qu’il a 25 ans (28,3 % en 1996). Ces données suggèrent donc que très peu de jeunes non-fumeurs vont devenir des fumeurs réguliers suite à l’expérimentation de la cigarette électronique et que ce produit ne semble donc pas représenter une porte d’entrée vers le tabagisme.

En somme, les données actuellement disponibles confirment que la cigarette électronique représente un outil précieux dans la lutte au tabagisme.  Plutôt qu’une « porte d’entrée » vers le tabac, la cigarette électronique pourrait au contraire représenter une « porte de sortie » et il faut souhaiter que la FDA américaine n’aille pas de l’avant avec sa menace de retirer les cigarettes électroniques du marché pour confronter la hausse de vapotage chez les jeunes. Il s’agirait d’une réponse disproportionnée à un problème hypothétique, mais avec des conséquences désastreuses pour les fumeurs qui désirent cesser de fumer.

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