Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Les effets cardiométaboliques du jeûne intermittent

En bref

  • Le syndrome métabolique est une complication fréquente du surpoids, caractérisée par une obésité au niveau abdominal et une série d’anomalies métaboliques (hyperglycémie, hypertriglycéridémie et hypertension).
  • L’alimentation restreinte dans le temps (ART) s’est imposée au cours des dernières années comme une approche simple et efficace pour améliorer la santé métabolique des personnes en surpoids et représente donc une approche intéressante pour le traitement du syndrome métabolique.
  • Une étude clinique randomisée réalisée auprès de personnes obèses affectées par ce syndrome montre que la restriction de l’apport calorique à une fenêtre de temps de 8-10 h améliore significativement plusieurs paramètres cardiométaboliques, en particulier ceux impliqués dans le métabolisme du glucose.

En janvier 2025, un groupe d’experts mandatés par le journal scientifique Lancet Diabetes & Endocrinology a proposé une nouvelle définition de l’obésité pour tenir compte des effets variables de l’excès de poids sur la santé des individus. En premier lieu, le comité recommande de ne plus définir exclusivement l’obésité sur la base d’un indice de masse corporelle supérieur à la normale (IMC ≥ 30 kg/m2), mais d’inclure également d’autres mesures anthropométriques comme le tour de taille pour mettre l’emphase sur les dangers associés à l’excès de graisse localisé au niveau abdominal.  Plusieurs études montrent en effet qu’un tour de taille supérieur à 100 cm pour les hommes et  88 cm pour les femmes est associé à une hausse importante du risque de maladies chroniques, même lorsque l’IMC < 30.  À l’inverse, certaines personnes (les athlètes, notamment) peuvent afficher un IMC > 30, mais sont considérés moins à risque puisque le surpoids et principalement dû à une masse musculaire importante. 

Le comité recommande aussi de considérer les manifestations pathologiques qui découlent de l’excès de poids.  On aurait ainsi deux grandes classes d’obésité, soit : 

  1. l’obésité préclinique,  lorsque le surpoids n’a pas d’impact mesurable (à court terme) sur les fonctions physiologiques et la santé en général;
  2. l’obésité clinique, lorsque l’excès de graisse est associé à l’apparition de différentes pathologies (anomalies de la glycémie, hypertension, stéatose hépatique, etc.) 

L’objectif de cette nouvelle classification est de personnaliser l’approche thérapeutique selon les risques encourus par les personnes en surpoids.  L’obésité préclinique, par exemple,  représente un facteur de risque futur de maladies chroniques, car plusieurs études montrent que cet état est transitoire et peut évoluer défavorablement avec le temps.  L’accent doit donc être mis sur la prévention, principalement par des modifications au mode de vie, en particulier du point de vue alimentaire. L’obésité clinique, quant à elle, peut être considérée comme une maladie qui doit être traitée à l’aide des thérapies actuellement disponibles (hypoglycémiants, agonistes GLP-1, antihypertenseurs) en raison des atteintes causées par l’excès de graisse au métabolisme et/ou à la fonction de certains organes clés (pathologies cardiaques, rénales ou hépatiques, par exemple). 

Cette distinction entre obésité préclinique et clinique est intéressante, mais il reste que pour la très grande majorité des individus, le surpoids représente un important facteur de risque de plusieurs maladies chroniques, que ce soit à court ou à moyen terme. Selon mon expérience clinique, il est courant de mesurer des désordres du métabolisme du glucose chez la plupart des patients en excès de poids, et même lorsque leur glycémie est normale au moment de la première consultation, elle évolue habituellement de façon négative dans les années qui suivent. Chez ces patients, il est fréquent d’observer des taux anormalement élevés d’insuline, car l’excès de graisse crée une inflammation chronique qui réduit l’efficacité des cellules à capter le glucose (résistance à l’insuline) et le pancréas doit donc compenser en produisant plus d’insuline  pour parvenir à maintenir la glycémie à un niveau le plus normal possible. Avec le temps, par contre, le pancréas ne peut soutenir cette cadence et l’hyperglycémie chronique qui en résulte mène au développement du diabète de type 2 et à de nombreuses complications, en particulier au niveau cardiovasculaire.   En d’autres mots, qu’elle soit préclinique ou clinique, l’obésité devrait être prise en charge le plus tôt possible à l’aide de modifications aux habitudes de vie qui permettent de diminuer l’apport calorique et de normaliser le poids corporel. 

Manger moins, moins souvent

L’alimentation restreinte dans le temps s’est imposée au cours des dernières années comme une approche simple et efficace pour améliorer la santé métabolique des personnes en surpoids (voir notre article à ce sujet). Cette forme de jeûne intermittent consiste à limiter l’apport calorique à une fenêtre bien précise, par exemple de 11 :00 à 19 :00, en alternance avec des périodes de jeûne de 16 h.  Dans la grande majorité des quelque 500 essais cliniques qui ont étudié les effets de l’alimentation restreinte dans le temps, on a noté une amélioration notable du poids corporel et de plusieurs aspects du métabolisme (voir ici et ici, par exemple), probablement en raison d’une réduction involontaire de l’apport calorique (de l’ordre de 300 kcal par jour) ainsi que d’un meilleur synchronisme  avec les rythmes circadiens qui règlent des processus métaboliques.  Un autre avantage de l’alimentation restreinte dans le temps est qu’elle est facile à mettre en pratique, n’exclut pas de catégories d’aliments comme certains régimes très restrictifs, et est donc généralement très bien tolérée.

Syndrome métabolique

L’effet positif de l’alimentation restreinte dans le temps est bien illustré par une étude récente réalisée auprès de personnes obèses atteintes du syndrome métabolique, une complication fréquente du surpoids (20 % des Canadiens sont affectés par ce syndrome).  Le syndrome métabolique est diagnostiqué lorsqu’une personne présente au moins 3 des 5 caractéristiques suivantes :

  • Obésité  abdominale (tour de taille > 88 cm pour les femmes et > 100 cm pour les hommes)
  • Pression artérielle élevée (≥ 130/80 mm Hg)
  • Glycémie à jeun élevée (≥ 5,6 mmol/L)
  • Taux de triglycérides élevés (≥ 1,7 mmol/L)
  • Taux de HDL-cholestérol bas (< 1 mmol/L pour les hommes et 1,3 mmol/L pour les femmes). 

La présence d’un syndrome métabolique implique la plupart du temps une résistance à l’insuline et une augmentation importante du risque de diabète de type 2 (5 fois) ainsi que de maladies cardiovasculaires (2-3 fois).  Selon la nouvelle classification de l’obésité préconisée par le comité du Lancet,  il s’agit donc clairement d’une obésité clinique, c’est-à-dire que l’excès de graisse a plusieurs effets négatifs mesurables sur la santé.

Dans cette étude, les chercheurs ont recruté 108 personnes obèses (IMC moyen de 31) atteintes d’un syndrome métabolique, avec notamment des désordres marqués du métabolisme du glucose (la totalité des participants présentait une glycémie à jeun > 5,55, une hémoglobine glyquée ≥ 5,7 % ou étaient traités avec des hypoglycémiants).  Les volontaires ont été séparés de façon aléatoire en deux groupes de traitement:

  1. Un groupe contrôle, dans lequel les participants ont été traités selon les protocoles actuels standards, c’est-à-dire une recommandation d’adopter un mode de vie plus sain incluant une activité physique régulière et une alimentation de meilleure qualité (le régime méditerranéen, par exemple).  
  2. Un groupe d’intervention, dans lequel les participants ont reçu les mêmes recommandations en matière de style de vie, mais à qui on a demandé en plus de restreindre leur apport alimentaire à une fenêtre de 8  à 10 heures en réduisant d’au moins 4 heures leur fenêtre habituelle de consommation de nourriture (par exemple, en passant de 13 heures à 9 heures).  

Tous les participants ont été suivis pendant une période de 3 mois, durant laquelle ils ont enregistré quotidiennement le moment de leur consommation alimentaire à l’aide d’une application pour téléphone portable (myCircadianClock). Les effets de l’intervention ont été évalués en mesurant différents paramètres anthropométriques et cardiométaboliques au début et à la fin du traitement.

Dans l’ensemble, les résultats obtenus indiquent que la restriction de l’apport calorique à une fenêtre de 8-10 h est associée à une amélioration significative de plusieurs facteurs de risque présents chez les personnes atteintes du syndrome métabolique (Figure 1). 

Figure 1.  Effets d’une alimentation restreinte dans le temps sur le poids corporel, le métabolisme du glucose et autres paramètres cardiométaboliques chez des patients atteints d’un syndrome métabolique.  HbA1c (hémoglobine glyquée) est un marqueur de l’hyperglycémie chronique; HOMA-IR (Homeostatic Model Assessment for Insulin Resistance) est test basé sur la glycémie et l’insulinémie à jeun qui permet de mettre en évidence une insulinorésistance; CRP (C-reactive protein) est une produite produite par le foie qui est un marqueur de l’inflammation chronique.  Adapté de Manoogian et coll. (2024).

Outre la perte de poids et de graisse qui est du même ordre de grandeur que celle rapportée par plusieurs études, soit aux environs de 2-3%,  l’étude met en bien en évidence que ce sont les paramètres associés au métabolisme du glucose qui sont le plus fortement améliorés par l’intervention.  On note en particulier une baisse marquée de l’insuline à jeun, de la résistance à l’insuline (HOMA-IR) ainsi que de la glycémie mesurée en continu et ces réductions sont corrélées avec une diminution de l’hémoglobine glyquée (HbA1c) un marqueur de l’hyperglycémie chronique.  La baisse de HbA1c peut sembler à première vue légère (1,7 %), mais des études antérieures ont montré que des diminutions de cet ordre sont associées à une diminution importante (58%) du risque de développer un diabète de type 2. Le simple fait de restreindre l’apport calorique à une fenêtre de 8-10 h exerce donc des impacts positifs mesurables sur le métabolisme du glucose. 

L’intervention semble aussi avoir provoqué des effets positifs sur d’autres facteurs de risque cardiométaboliques comme les taux de cholestérol-LDL, de CRP (un marqueur de l’inflammation chronique) ainsi que, bien que dans une moindre mesure, la pression artérielle.  

Ces résultats sont d’autant plus intéressants que la fenêtre d’alimentation testée dans l’étude était peu restrictive, l’objectif des participants étant de réduire la durée de leur apport calorique d’à peine 4 heures, pendant seulement 12 semaines. Il est probable qu’une intervention un peu plus agressive, comme l’alimentation 16 :8  ou 18 :6, soutenue pendant une période de temps plus longue, aurait des effets positifs encore plus prononcés.  C’est d’ailleurs ce que j’observe en routine dans ma pratique : les patients obèses hyperglycémiques qui adhérent à long terme à l’alimentation restreinte dans le temps améliorent leur métabolisme du glucose à un point tel qu’il est possible de réduire les dosages de leurs médicaments et même, dans certains cas, les éliminer. 

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