Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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L’aspartame pourrait favoriser le développement de l’athérosclérose

En bref

  • La consommation élevée d’aspartame, équivalente à environ 1 litre de boissons gazeuses diètes par jour, provoque une hausse importante des taux sanguins d’insuline.
  • Cette hyperinsulinémie favorise la migration de cellules immunitaires inflammatoires dans la paroi des vaisseaux sanguins et accélère la formation de plaques d’athérosclérose.
  • Ces résultats, ainsi que ceux provenant de plusieurs études antérieures, suggèrent que même s’ils sont dépourvus de calories, les édulcorants artificiels ne semblent pas représenter une alternative valable au sucre.

L’Organisation mondiale de la santé recommande de limiter la consommation de sucres libres à moins de 10 % de l’apport énergétique quotidien, ce qui correspond à environ 50 g (200 calories). Bien que cette recommandation s’appuie sur plusieurs études rapportant une association entre un apport excessif en sucres libres et le risque d’obésité, de maladies cardiométaboliques et de certains types de cancers, elle demeure en pratique peu suivie : au Canada, par exemple, la consommation d’aliments riches en sucres libres (boissons sucrées,  collations, desserts et pâtisseries, en particulier) est élevée et mène à un apport moyen supérieur à 100 g de sucres libres par jour, soit deux fois plus que la quantité maximale suggérée.

Les boissons sucrées représentent une des principales sources de sucres libres de l’alimentation :  une seule canette (355 mL) de ces boissons contient environ 40 g de sucrose (glucose-fructose) et représente donc 80 % de l’apport maximal suggéré en sucre.  La consommation de ces boissons cause un afflux massif de glucose et de fructose qui est difficile à gérer pour le métabolisme : l’arrivée soudaine d’une grande quantité de glucose suractive la production d’insuline qui peut, en cas de consommation répétée,  favoriser un gain de poids, en particulier au niveau abdominal, ainsi qu’une résistance à l’insuline au niveau hépatique et musculaire. De fortes quantités de fructose, quant à elles,  activent directement la synthèse hépatique des graisses, entraînant un dépôt de graisse ectopique et un dysfonctionnement métabolique au niveau du foie et des muscles. L’impact négatif de cet excès de sucre est illustré par les résultats  de nombreuses études qui ont clairement établi une association entre la consommation élevée de ces boissons sucrées et une hausse du risque d’obésitédu syndrome métaboliqued’hypertension et de diabète de type 2

Zéro calorie, zéro bénéfice

C’est dans ce contexte que s’est imposée l’utilisation d’édulcorants artificiels comme l’aspartame ou le sucralose pour remplacer le sucre dans plusieurs produits alimentaires industriels, en particulier les boissons gazeuses. Ces substances satisfont l’attirance des consommateurs pour le sucre, mais puisqu’elles sont dépourvues de calories, elles devraient en théorie éliminer les effets négatifs des sucres ajoutés sur le métabolisme.

En réalité, pourtant, ce n’est pas du tout ce qui est observé. Par exemple, il y a déjà près de 20 ans, une étude rapportait que les personnes qui consommaient en grande quantité des sucres artificiels, des boissons gazeuses diètes par exemple, avaient un risque accru d’obésité, d’hyperglycémie, d’hypertension et de syndrome métabolique identique à celles qui consomment des boissons contenant du vrai sucre (voir notre article sur ce sujet).  Plus récemment, il a été montré que les édulcorants artificiels provoquaient des anomalies dans le métabolisme du glucose en perturbant le microbiote intestinal, ce qui pourrait contribuer à la hausse du risque de diabète de type 2 observée chez les personnes qui consomment les plus grandes quantités de ces édulcorants (Figure 1). 

Figure 1. Association entre la consommation d’édulcorants artificiels et le risque de diabète de type 2. Tiré de Debras et coll. (2023).

Les dérèglements du métabolisme du glucose comme la résistance à l’insuline, l’hyperinsulinémie et le diabète de type 2 sont depuis longtemps reconnus pour contribuer au développement des maladies cardiovasculaires (voir ici et ici, par exemple), ce qui suggère que l’impact négatif des édulcorants artificiels sur ces phénomènes pourrait se traduire par une hausse du risque de ces maladies.  Ceci est d’ailleurs suggéré par les résultats d’une étude prospective récente, réalisée auprès de 103 388 participants, où on a observé une association entre la consommation plus élevée de ces édulcorants (en particulier l’aspartame, l’acésulfame de potassium et le sucralose) et une hausse d’incidence de maladies cardiovasculaires.

Hausse d’insuline

Une étude préclinique récente permet de mieux comprendre les mécanismes potentiellement en cause dans cette hausse du risque de maladies cardiovasculaires par l’aspartame, le principal édulcorant artificiel présent dans l’alimentation moderne.  Dans cette étude, les chercheurs ont observé que l’addition d’aspartame (0,15 %) au régime alimentaire de souris génétiquement prédisposées à développer des plaques d’athérosclérose (ApoE -/-) provoquait une augmentation importante de ces lésions  au niveau de la paroi de l’aorte de ces animaux (Fig. 1A).   

Figure 2. La formation de plaques d’athérosclérose induite par l’aspartame est corrélée avec une hausse des taux plasmatiques d’insuline. Le traitement de souris génétiquement prédisposées à l’athérosclérose (ApoE -/-) avec 0,15 % d’aspartame pendant 12 semaines cause une augmentation significative de plaques dans la paroi des vaisseaux sanguins (A) qui est associée à une hausse parallèle des taux d’insuline à jeun chez ces animaux (B).  Cette augmentation importante de l’insuline plasmatique induite par l’aspartame, qui atteint des niveaux similaires à celle associée à l’ingestion de sucrose, est également observée chez les primates non humains (C). Adapté de Wu et coll. (2025).

Les dérèglements du métabolisme du glucose semblent contribuer à ce phénomène, car on observe en parallèle une hausse marquée des taux sanguins d’insuline (hyperinsulinémie)  suite au traitement avec l’aspartame (Fig. 1B). Il est également intéressant de noter que cette hausse d’insuline en réponse à l’aspartame n’est pas restreinte aux rongeurs, mais est également observée chez les primates non humains, dont le métabolisme du glucose est similaire au nôtre (Fig. 1C) et il est donc très probable qu’elle puisse se produire chez les humains.  Puisque les quantités d’aspartame utilisées dans l’étude correspondent à celles qui peuvent être absorbées par les grands consommateurs de boissons gazeuses diètes (3 canettes, soit environ un litre par jour), ces résultats suggèrent donc que l’impact de l’aspartame sur l’insulinémie, et l’accélération du développement de l’athérosclérose qui en découle, pourrait contribuer à la hausse de maladies cardiométaboliques induite par les édulcorants artificiels qui est observée dans les études épidémiologiques.

Effet pro-inflammatoire

Cette hausse d’insuline observée en réponse à l’ingestion d’une molécule dépourvue de calories comme aspartame est à première vue étonnante, dans la mesure où c’est normalement la hausse du glucose sanguin qui est le principal déclencheur de la production d’insuline par le pancréas.  Par contre, il est bien établi que le système nerveux autonome parasympathique participe lui aussi à la sécrétion d’insuline, même en absence de sucre : par exemple, on sait depuis longtemps que l’élimination du nerf vague (une importante voie utilisée par le système nerveux parasympathique) par vagotomie réduit la sécrétion d’insuline. Il est probable qu’un phénomène similaire soit à l’œuvre en ce qui concerne la hausse d’insuline stimulée par l’aspartame, puisque les chercheurs ont montré que cette hausse est complètement bloquée suite à une vagotomie.  Selon eux, il est vraisemblable que l’aspartame interagisse avec les récepteurs au sucre qui sont présents au niveau de l’intestin, ce qui entrainerait une stimulation du système nerveux parasympathique menant à la production d’insuline par le pancréas.   Mais, quels que soient les mécanismes en cause, il semble de plus en plus clair que même si les édulcorants artificiels sont dépourvus de calories, ces molécules pourraient tout de même avoir plusieurs effets délétères sur le métabolisme du glucose.

Ces effets négatifs sont bien mis en évidence par les perturbations provoquées par la hausse d’insuline induite par l’aspartame sur la fonction de l’endothélium, la fine couche de cellules qui tapisse l’intérieur de la paroi des vaisseaux sanguins.  L’étude montre en effet que l’exposition chronique à des quantités élevées d’insuline provoque une hausse importante d’une protéine de surface (CX3CL), dont le rôle est « d’attraper » une classe de cellules immunitaires (les monocytes) présentes dans la circulation sanguine et de faciliter leur transfert à l’intérieur de la paroi du vaisseau (Figure 3). Comme nous l’avons mentionné dans un article précédent, cette relocalisation des monocytes dans la paroi du vaisseau peut avoir de graves conséquences, car ces cellules se transforment par la suite en macrophages, une classe de cellules immunitaires qui peuvent acquérir la capacité de sécréter plusieurs molécules inflammatoires qui vont faciliter le développement des plaques d’athérosclérose.  

Figure 3. Mécanismes potentiellement impliqués dans l’accélération du développement des plaques d’athérosclérose par l’aspartame.  La hausse des taux d’insuline induite par l’exposition chronique à des quantités élevées d’aspartame stimule la production d’un récepteur spécifique aux monocytes (CX3CL1) à la surface de l’endothélium. Ceci facilite l’entrée des monocytes circulants à l’intérieur de la paroi du vaisseau (intima) où ils se transforment en macrophages.  Ces macrophages peuvent alors acquérir de nouvelles caractéristiques (polarisation) et produire une variété de molécules inflammatoires qui endommagent la paroi du vaisseau et créent des conditions propices au développement de l’athérosclérose.
 
 

En somme, les résultats de cette étude sont en accord avec ce que l’on soupçonne depuis plusieurs années, c’est-à-dire que les édulcorants artificiels ne sont pas une solution valable pour enrayer l’épidémie d’obésité et réduire le risque des nombreuses maladies chroniques qui en découlent.  

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