Les risques potentiels pour la santé de la consommation des viandes rouges

Les risques potentiels pour la santé de la consommation des viandes rouges

Mis à jour le 2 avril 2020

Depuis quelques décennies, la consommation mondiale de viande rouge est en forte hausse, particulièrement dans les pays en voie de développement. Or de plus en plus d’études scientifiques indiquent que la consommation en grande quantité de viande rouge, particulièrement de viande transformée, est associée à un risque accru de plusieurs maladies chroniques, incluant les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2 et certains types de cancers, ainsi qu’à un risque accru de mortalité (voir cet article de revue récent). De plus, la consommation de viandes rouges est nuisible à l’environnement planétaire, un sujet que nous avons traité précédemment (voir « Manger moins de viande pour préserver la planète »).

La viande rouge non transformée et transformée.
La « viande rouge » est un aliment constitué des tissus musculaires de mammifères tel le bœuf, veau, porc, cheval, agneau et mouton, généralement consommé après cuisson. La couleur rouge de ce type de viande est attribuable principalement à la présence en concentration élevée de myoglobine, qui en se liant à l’oxygène se transforme en oxymyoglobine de couleur rougeâtre. La myoglobine est une protéine apparentée à l’hémoglobine (toutes deux contiennent un groupement prosthétique « hème » lié à du fer), mais la myoglobine a pour fonction d’emmagasiner l’oxygène dans les muscles plutôt que de le transporter comme c’est le cas pour l’hémoglobine dans les globules rouges. Les viandes transformées sont soumises à différents traitements pour augmenter leur durée de conservation (maturation, salaison, fumage, addition de produits de conservation). Des produits sont aussi ajoutés pour améliorer le goût, la couleur, la tendreté, la jutosité et l’homogénéité. Des exemples de viandes transformées sont le jambon, les saucisses, le bacon, le salami et autres charcuteries. La plupart des viandes transformées contiennent du porc ou du bœuf, mais peuvent aussi contenir d’autres types de viandes rouges, de la volaille, des abats ou du sang (boudin noir).

Les consommateurs de viande rouge mangent en moyenne quotidiennement de 50 à 100 g par personne et les grands consommateurs plus de 200 g par personne. La viande rouge est une importante source de protéines, d’acides aminés essentiels, de vitamines (incluant la vitamine B12), de minéraux (dont le fer héminique et le zinc) et d’autres micronutriments. Cependant, la viande rouge peut contenir aussi des additifs ajoutés lors du traitement et des contaminants tels que les polychlorobiphényles (PCB), le cadmium et des résidus d’antibiotiques et d’hormones utilisés dans la production animale. La pratique de cuire la viande rouge à haute température (poêle à frire, barbecue) peut mener à la production d’amines aromatiques hétérocycliques (AAH) et d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), qui peuvent causer le cancer. Une haute température de cuisson de la viande rouge produit aussi des produits dit « produits terminaux de glycation » qui sont pro-oxydatifs et pro-inflammatoires.

Nitrate, nitrites et nitrosamine
Les viandes transformées contiennent en moyenne environ 40 % plus de nitrates que la viande rouge non transformée. Les nitrates (-NO2) et nitrites (-NO3) utilisés comme agent de conservation dans les procédés de transformation de la viande sont transformés en nitrosamines en se liant à des composés aminés qu’on retrouve dans la nourriture et dans l’estomac. Dans des modèles animaux, ces nitrosamines sont toxiques pour les cellules bêta du pancréas, diminuant la sécrétion d’insuline et augmentant le risque de diabète de type 2. Les nitrosamines contribuent à endommager l’ADN, à générer des dérivés réactifs de l’oxygène qui sont impliqués dans la formation d’adduits sur les protéines, la peroxydation des lipides et l’activation de cytokines pro-inflammatoires.

Oxyde de triméthylamine
En utilisant une approche métabolomique, un groupe de recherche a identifié des petites molécules présentes dans le sang qui sont des prédicteurs de maladie cardiovasculaire (voir aussi notre article intitulé « Athérosclérose : le rôle du microbiome intestinal »). Trois métabolites de la phosphatidylcholine ; la choline, l’oxyde de triméthylamine et la bétaïne (triméthylglycine) ont été identifiés et une étude clinique a confirmé que la présence de ces molécules dans la circulation sanguine est associée à un risque accru d’athérosclérose. L’oxyde de triméthylamine, mieux connu sous l’acronyme anglais de TMAO (pour Trimethylamine N-Oxide), est produit dans l’intestin à partir de la phosphatidylcholine (lécithine) présente dans les viandes rouges, les œufs, le lait, la volaille, fruits de mer et poissons et de la L-carnitine présente en grande quantité dans les viandes rouges. Dans l’intestin, la phosphatidylcholine est d’abord dégradée en choline qui est à son tour transformée par le microbiote intestinal (flore intestinale) en triméthylamine (TMA), un gaz qui est absorbé dans le sang et qui sera ensuite métabolisé, au niveau du foie, en oxyde de triméthylamine sous l’action enzymatique de monooxygénases à flavine. Chez la souris, l’addition de choline ou d’oxyde de triméthylamine dans le régime alimentaire a eu pour résultat de promouvoir l’athérosclérose. Le même groupe de chercheurs a démontré dans une étude subséquente, que la L-carnitine (qui a une structure semblable à la choline) était aussi athérogène via la production intestinale de triméthylamine par le microbiote et la transformation en TMAO au niveau du foie. L’analyse des niveaux sanguins de carnitine de 2595 personnes qui subissaient une évaluation de la fonction cardiaque a montré que les personnes qui avaient des niveaux élevés de cette molécule étaient significativement plus à risque d’évènements cardiovasculaires. Fait intéressant, les végétaliens et végétariens ont une capacité réduite à produire du TMAO après une prise orale de carnitine, comparée à des personnes omnivores. De plus, chez la souris la synthèse de TMAO est inductible et est associé à la nature des bactéries qui composent le microbiote.

Accident vasculaire cérébral (AVC)
L’ensemble des données de la littérature indiquent que la consommation de viandes rouges, transformées ou non transformées, augmente le risque d’AVC. Une méta-analyse de 6 études prospectives, incluant les données recueillies auprès de 329 495 participants entre 2003 et 2012, indique que la consommation d’une portion par jour de viande rouge non transformée (100-120g) ou de viande transformée (50 g) était associée à une augmentation du risque de faire un AVC de 11 % et 13 %, respectivement. Une autre méta-analyse de 5 grandes études prospectives arrive à des conclusions similaires, c.-à-d. que la consommation de viande rouge est associée à un risque plus élevé d’AVC, particulièrement d’AVC ischémique. Le risque augmente avec la quantité de viande rouge consommée : 13 % et 11 % pour chaque portion de viande rouge non transformée (100 g) ou transformée (50 g).

Maladie coronarienne
La majorité des études épidémiologiques publiées à ce jour indiquent que la consommation de viandes rouges, transformées ou non transformées, augmente le risque de maladie coronarienne. Cependant, une méta-analyse de 3 études prospectives et d’une étude cas-témoin, incluant 56 311 participants et 769 incidents cardiaques, n’a pas établi d’association entre la consommation de viande rouge non transformée et le risque de maladie coronarienne. Les résultats d’une autre étude avec des données de la Nurses’s Health Study, incluant un plus grand nombre de participants (84 136) et d’incidents cardiaques (2 210 incidents non fatals et 952 décès causés par la maladie coronarienne) que la méta-analyse citée ci-dessus, montre une augmentation significative du risque de maladie coronarienne de 19 % par portion de viande rouge non transformée. Une méta-analyse de 6 études sur la relation dose-effet indique que chaque portion (50 g) de viande transformée consommée quotidiennement augmente le risque de maladie coronarienne de 42 %. Dans cette étude, la consommation de viande rouge non transformée n’augmentait pas significativement le risque de maladie coronarienne.

Insuffisance cardiaque
L’association entre la consommation de viande rouge et le risque d’insuffisance cardiaque (IC) a été l’objet de 4 études prospectives seulement, qui n’ont pas encore été résumées dans une méta-analyse. Dans une première étude auprès de 14 153 participants, où 1 140 hospitalisations causées par l’IC ont été nécessaires, aucune association significative entre la consommation de viande rouge et l’IC n’a été observée. Dans une autre étude auprès de 21 120 médecins américains, parmi les 1204 cas d’IC identifiés, la consommation de viande rouge (non transformée et hot-dogs) en grande quantité était associée à un risque accru de 24 % de développer l’IC. La consommation de viande rouge non transformée et transformée n’a été étudiée séparément que dans deux études de cohortes. Dans l’une de ces études, auprès de 37 035 hommes suédois, 2891 incidents d’IC et 266 décès causés par l’IC sont survenus. La consommation de viande rouge non transformée n’était pas associée à un risque plus élevé d’IC ou de mortalité causée par l’IC. Par contre, des associations ont été identifiées pour la consommation de viande rouge transformée : 8 % d’augmentation du risque d’IC pour chaque portion de 50 g/jour et 38 % d’augmentation du risque de mortalité causée par l’IC. Des résultats similaires ont été observés dans une autre étude auprès de 34 057 Suédoises, parmi lesquelles 2 806 ont développé de l’IC durant les 13 années de l’étude. Le risque d’IC augmentait de 11 % pour chaque portion de 50 g/jour de viande rouge transformée et de 19 % dans les analyses basées sur les données à long terme.

Diabète de type 2
Depuis une décennie, un nombre considérable d’études prospectives ont montré que le régime alimentaire riche en viande rouge et viande transformée est associé à un risque accru de diabète de type 2. La plus récente méta-analyse indique que le risque de diabète de type 2 augmente de 15 % pour chaque portion (100 g/jour) de viande rouge non transformée (11 études), de 32 % pour chaque portion (50 g/jour) de viande transformée (21 études). Pour chaque portion de 100 g/jour de volaille, une « viande blanche », l’augmentation du risque (4 %) n’était pas statistiquement significative (10 études). Les composés de la viande rouge ou transformée qui contribuent à l’augmentation du risque de diabète de type 2 n’ont pas encore été identifiés avec certitude, mais plusieurs composés ont été proposés, incluant les acides aminés ramifiés, les acides gras saturés, les produits terminaux de glycation, le fer héminique, nitrite, nitrate, nitrosamine, phosphatidylcholine et L-carnitine. Les mécanismes potentiels par lesquels ces composés sont impliqués dans le développement du diabète de type 2 sont présentés dans cet article de revue. La figure 1 illustre en résumé les risques de développer le diabète de type 2 ou une maladie cardiovasculaire, qui sont associés à la consommation de viande rouge non transformée ou transformée, selon les plus récentes méta-analyses (2010-2015).

Figure 1. Risques associés à la consommation de viande rouge non transformée ou transformée et l’incidence de diabète de type 2 et de maladies cardiovasculaires. Les résultats proviennent de méta-analyses sauf pour l’insuffisance cardiaque. Adapté de Wolk, J. Int. Med., 2017.

Cancer
Un résumé des résultats des plus récentes méta-analyses (2009-2015), basées sur des études prospectives sur 11 types de cancers est illustré dans la figure 2. En 2015, un comité consultatif international, composé de 22 scientifiques provenant de 10 pays, s’est rencontré au Centre international de Recherche sur le Cancer à Lyon en France, pour évaluer la cancérogénicité de la consommation de viande rouge et transformée. Le comité a conclu, sur la base des données disponibles pour le cancer colorectal, que la consommation de viande transformée est cancérogène pour l’humain et que la viande rouge non transformée est « probablement cancérogène pour l’humain ».

Figure 2. Risques associés à la consommation de viande rouge non transformée ou transformée et l’incidence de différents types de cancer. Adapté de Wolk, J. Int. Med., 2017.

Mortalité, toutes causes confondues, et mortalité causée par une maladie cardiovasculaire.
Une méta-analyse de 9 études prospectives qui ont évalué le risque de mortalité en relation avec la consommation de viande rouge non transformée ou transformée était basée sur 1 330 352 participants des États-Unis (5 cohortes), de l’Europe (3 cohortes) et de la Chine (1 cohorte). La consommation de viande transformée était associée à un risque accru de mortalité, toutes causes confondues, de 23 % alors que la consommation de viande non transformée en grande quantité n’augmentait pas significativement ce risque. En considérant séparément les cohortes américaines, européennes et de la Chine, une autre méta-analyse a montré qu’il y avait une association positive entre la consommation de viande rouge non transformée et le risque de mortalité pour 4 cohortes américaines (augmentation du risque de 15 % pour chaque portion quotidienne) mais aucune pour les cohortes européennes et de la Chine. Selon une méta-analyse récente, comprenant 6 cohortes et un total de 1 674 272 participants, le risque de mourir des suites d’une maladie cardiovasculaire était significativement plus élevé pour ceux qui ont consommé de la viande rouge et transformée. Pour chaque portion de 100 g/jour de viande rouge non transformée, le risque augmentait de 15 % (24 % pour chaque portion de 50 g/jour viande transformée).

Les données d’une étude prospective auprès de 29 682 Américains indiquent qu’une consommation modérée de viande (2 portions/semaine) est associée à une augmentation significative du risque de MCV : 7 % pour la viande transformée ; 3 % pour la viande non transformée et 4 % pour la volaille. La consommation de poisson ne fait pas augmenter ni diminuer, le risque de MCV. Une portion de viande non transformée ou de volaille était équivalente à environ 4 onces (113 g) alors qu’une portion de poisson était équivalente à environ 3 onces (85 g). Une portion de viande transformée était équivalente à 2 tranches de bacon ou 1 hot dog.

Le résultat pour la volaille était inattendu puisque dans la plupart des études publiées à ce jour la consommation de cette viande n’est pas associée à une augmentation du risque de MCV. Les auteurs suggèrent que cette association pourrait être reliée à la consommation de poulet frit (populaire aux États-Unis). La méthode de préparation des aliments n’a pas été évaluée de manière consistante et universelle dans toutes les cohortes de l’étude, par conséquent il n’a pas été possible d’isoler la consommation de poulet frit de celle de volaille. En ce qui concerne le risque de mortalité (toutes causes confondues), la consommation de viande transformée ou non transformée est associée à une augmentation du risque de 3 % pour chaque quantité consommée équivalente à 2 portions/semaines. Les personnes qui consomment davantage que 2 portions/semaine de ces viandes ont donc des risques plus élevés de mourir prématurément. Ni la consommation de volaille, non plus que celle de poisson, n’augmentent le risque de mortalité.

Santé mentale
La consommation de viandes traitées avec des sels nitrés a été associée à un risque plus élevé d’expérimenter un épisode maniaque selon une étude prospective américaine. Parmi les participants de la cohorte qui avaient un historique de trouble psychiatrique, ceux qui ont rapporté avoir mangé des charcuteries avaient un risque 3,5 fois plus élevé d’avoir un épisode maniaque. Par contre, la consommation de charcuteries n’était pas associée à d’autres symptômes ou diagnostics psychiatriques tels que la schizophrénie, la dépression bipolaire ou la dépression majeure. Parmi les différents types de charcuteries, ce sont les viandes de type « jerky » (viande salaisonnée et séchée) qui étaient davantage associées à un risque accru d’expérimenter un épisode maniaque : 5,15 fois plus pour les bâtonnets de viandes (meat sticks) ; 4,81 fois plus pour le « jerky » au bœuf et 3,54 fois plus pour le « jerky » à la dinde. La consommation d’autres types de charcuteries préparées par déshydratation, tel le prosciutto et le salami n’étaient pas associées à une augmentation d’épisodes maniaques.

En résumé, la littérature scientifique indique que la consommation de viandes rouges, particulièrement de viandes transformées augmente le risque de plusieurs maladies chroniques, incluant les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2 et le cancer. Cesser ou diminuer notre consommation de viande rouge pourrait permettre de vivre en meilleure santé et plus longtemps, en plus de diminuer la dégradation de notre environnement causée par l’élevage intensif.

Sel, hypertension, et maladies cardiovasculaires

Sel, hypertension, et maladies cardiovasculaires

Mis à jour le 9 juillet 2018

L’hypertension représente le principal facteur de risque de maladies cardiovasculaires.  Plusieurs études montrent en effet que toute augmentation des pressions systolique et diastolique au-delà de leurs seuils normaux est étroitement associée avec une hausse du risque de maladies cardiovasculaires, avec un risque de mortalité qui double pour chaque augmentation de la pression systolique/diastolique de 20 mm/10 mm Hg au delà de 115/75 mm Hg (Figure 1).

Figure 1. Une pression artérielle élevée augmente le risque de mortalité liée aux maladies cardiovasculaires. Adapté de Lewington (2002).

On estime que l’hypertension est responsable à elle seule de 54 % des cas d’AVC et de 47 % des maladies coronariennes, ce qui se traduit chaque année par environ 10 millions de décès prématurés à l’échelle mondiale. Il s’agit d’un grave problème, car la proportion de personnes hypertendues a fortement augmenté au cours de 25 dernières années, avec environ 3,5 milliards d’adultes qui ont une pression systolique ≥115 mm Hg, dont 874 millions qui présentent une pression systolique ≥140 mm Hg. Une réduction de la pression artérielle à l’échelle de la population revêt donc une grande importance pour diminuer l’incidence des maladies cardiovasculaires et la mortalité associée à ces maladies.

Bien que le développement de l’hypertension dépend de certains facteurs incontrôlables comme certaines prédispositions génétiques ou encore le vieillissement (environ 65 % des personnes de 50 ans et plus présentent une pression systolique ≥130 mm Hg), il est néanmoins clairement établi que l’augmentation de la pression artérielle est également fortement influencée par une foule de facteurs associés au mode de vie. Un des facteurs qui a reçu le plus d’attention au cours des dernières années est la consommation excessive de sel : plusieurs études épidémiologiques, d’intervention ou encore des expériences réalisées sur des modèles animaux ont en effet clairement montré une association étroite entre l’apport alimentaire en sodium et la pression artérielle (pour la distinction entre sel et sodium, voir l’encadré).

Sel ou sodium ?

La grande majorité du sodium de notre alimentation provient du sel (NaCl) et les termes « sodium » et « sel » sont souvent considérés comme des synonymes. Cependant, c’est seulement la quantité de sodium ingérée qui importe du point de vue de la santé, et c’est donc le contenu en sodium, et non en sel, qui est indiqué sur les étiquettes nutritionnelles. Le sel étant formé de 40 % de sodium et de 60 % de chlore, il est cependant facile de faire la conversion :

• Pour convertir le sel en sodium, il faut multiplier par 0,4

• Pour convertir le sodium en sel, il faut multiplier par 2,5

Par exemple, les comparaisons réalisées à l’échelle internationale (études INTERSALT et PURE) montrent que les populations qui consomment peu de sel ont une pression artérielle beaucoup plus faible que celles qui en consomment beaucoup.  Chez les Indiens Yanomanos du Brésil, par exemple, la quantité de sodium dans l’urine (un marqueur de la consommation de sel) est extrêmement faible et ces personnes ont une pression artérielle très basse (95/61 mm Hg) qui n’augmente pas avec l’âge.  À l’opposé, les Hongrois sécrètent environ 1000 fois plus de sel et présentent une pression artérielle moyenne plus élevée, avec une forte proportion de la population (30 %) qui est hypertendue.  Ces variations ne semblent pas d’origine génétique, car d’autres études ont montré que les personnes qui mangent peu de sel et présentent une pression artérielle normale voient leur pression significativement augmenter suite à une migration dans une région où l’alimentation est plus riche en sodium. Ce lien entre le sodium et la pression artérielle a également été bien documenté par plusieurs études cliniques randomisées, notamment les études DASH (Dietary Approaches to Stop Hypertension) et TOHP (Trial Of Hypertension Prevention), montrant qu’une réduction de l’apport en sel est associée à une diminution significative de la pression artérielle, en particulier chez les personnes hypertendues.  Ceci est confirmé par une méta-analyse de l’organisation Cochrane qui montre qu’une réduction du sodium (2300 mg) excrété dans l’urine pendant une période de 24 h mène à une diminution des pressions artérielles systolique et diastoliques de 5,4/2,8 mm Hg chez les personnes hypertendues et de 2,4/1,0 mm Hg chez les normotendues.

L’ensemble de ces observations suggère donc qu’une réduction de la consommation de sel représente une stratégie valable pour la prévention et le contrôle de l’hypertension.  C’est pour cette raison que l’ensemble des associations médicales de cardiologie (européennes ou nord-américaines) tout comme l’OMS, l’USDA et l’Institute of Medicine préconisent toutes une baisse importante de l’apport en sel, aux environ de 5 à 6 grammes par jour (2000-2400 mg de sodium) comparativement aux 9 à 12 grammes (3600-4800 mg de sodium) qui sont actuellement consommés quotidiennement dans la plupart des pays (8.5 g de sel ou 3400 mg de sodium au Canada).

Effet d’une réduction du sodium sur les maladies cardiovasculaires

Ces  recommandations s’appuient sur l’impact bien documenté d’une réduction de la pression artérielle sur le risque de maladies cardiovasculaires.  Par exemple, une revue systématique de 123 essais randomisés, impliquant 613,815 participants, a montré qu’une réduction de la pression artérielle de 10 mm Hg à l’aide de médicaments antihypertenseurs (diurétiques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, etc.) diminue de 17 % le risque de maladies coronariennes, de 27 % le risque d’AVC et de 13 % le risque de mort prématurée.  Il est donc probable qu’une diminution de la pression artérielle provoquée par une réduction de l’apport en sodium puisse exercer des effets positifs similaires. Les répercussions d’une telle réduction pourraient être majeures en terme de prévention des cardiovasculaires et de la mortalité prématurée, car certains modèles statistiques estiment qu’une consommation quotidienne de sodium supérieure à 2000 mg est directement responsable de 1,65 million de morts chaque année.

Les résultats de certaines campagnes nationales destinées à promouvoir une réduction de l’apport alimentaire en sel vont en ce sens.  Au Royaume-Uni, par exemple, la consommation de sodium a diminué de 15 % entre 2003 et 2011 et on a pu observer une baisse parallèle de la pression artérielle moyenne et une diminution d’environ 40 % de la mortalité liée aux AVC et aux maladies coronariennes. Des résultats positifs similaires ont été obtenus en Finlande, où les efforts conjoints du gouvernement et de l’industrie ont fait passé la consommation de sel de 14 à 8 g par jour entre 1972 et 2002, ce qui s’est traduit par une baisse marquée de la pression artérielle (de plus de 10 mm Hg pour la pression diastolique) et une diminution de 80 % de la mortalité liée aux AVC et aux maladies coronariennes, et ce, en dépit d’un taux de tabagisme stable, d’une augmentation du poids corporel de la population et d’une consommation accrue d’alcool.

Combien de sodium ?

Même s’il n’y a pas de doute que de grandes quantités de sodium augmentent le risque d’événements cardiovasculaires, la quantité minimale de sodium à atteindre pour obtenir ces bénéfices demeure néanmoins incertaine.

D’un côté, plusieurs spécialistes soulignent qu’un apport élevé en sel est un phénomène relativement récent à l’échelle de l’évolution de notre espèce (5000 à 10000 ans, suite à l’apparition de l’agriculture). En conditions normales, l’organisme ne requiert qu’environ 500 mg de sel (200 mg de sodium) pour assurer les besoins physiologiques de base, de sorte que notre métabolisme est parfaitement adapté à une alimentation très faible en sodium.  Les études réalisées auprès de populations dont le mode de vie est semblable à celui de la période paléolithique (homme des cavernes) indiquent que c’est effectivement le cas, avec une consommation quotidienne de seulement 800 mg de sodium. Un apport en sodium entre 1500 et 2400 mg par jour, tel que recommandé actuellement, serait donc amplement suffisant pour subvenir aux besoins de l’organisme, tout en évitant la hausse de pression artérielle provoquée par des quantités plus élevées.

D’un autre côté, certains chercheurs soulignent que ces recommandations sont des projections qui n’ont jamais été véritablement testées à l’aide d’essais cliniques randomisés et qu’un apport réduit en sodium pourrait avoir des répercussions négatives sur la santé.  Cette hypothèse est basée en majeure partie sur les résultats de l’étude PURE (Prospective Urban Rural Epidemiology): cette grande étude, réalisée auprès de 101,945 personnes vivant dans 17 pays différents,  a en effet observé une hausse du risque d’événements cardiovasculaires et de mortalité prématurée autant pour des apports en sodium faibles (inférieurs à 3000 mg par jour) qu’élevés (plus de 7000 mg par jour) comparativement à une consommation « normale » de 4000 à 6000 mg par jour (10-15 g de sel). Des hausses similaires du risque de mortalité provoquées par un apport en sodium inférieur à 3000 mg par jour ont également été rapportées par d’autres études, ce qui pourrait suggérer que les apports en sodium actuellement recommandés (1500-2400 mg) sont trop faibles et que c’est plutôt une consommation modérée de sel (3000-5000 mg de sodium) qui serait optimale pour la santé. L’étude PURE rapporte également que la consommation élevée de sel (plus de 7000 mg de sodium) n’a pas d’effets négatifs chez les personnes dont la pression artérielle est normale et n’augmenterait le risque de mortalité que chez les personnes hypertendues.  Autrement dit, les quantités de sodium actuellement consommées par la plupart des gens seraient adéquates et il n’y aurait donc pas d’avantages à promouvoir une réduction de l’apport en sel à l’échelle de la population, à l’exception des personnes hypertendues qui consomment beaucoup de sel.

Ces résultats sont cependant très loin de faire l’unaminité : la plupart des experts considèrent que la méthodologie utilisée par l’étude PURE est inadéquate, notamment en ce qui concerne la mesure du sodium.  Sans trop entrer dans les détails, mentionnons que les investigateurs de PURE n’ont utilisé qu’un seul échantillon d’urine du matin pour estimer l’apport en sodium, une technique peu fiable en raison de son énorme marge d’erreur (± 3000 mg).  Il est probable que cette lacune pourrait affecter les résultats rapportés par PURE, car les études qui ont mesuré le sodium à l’aide de techniques plus précises, par exemple en utilisant plusieurs échantillons d’urine récoltés pendant 24 heures, n’observent aucun effet négatif d’un apport réduit en sodium.  Au contraire, l’étude TOHP a montré que le risque d’événements cardiovasculaires est le plus faible à des quantités de sodium de 1500 mg de sodium et augmente graduellement à un rythme de 17 % pour chaque 1000 mg de sodium par jour (voir Figure 2). L’analyse des résultats obtenus lors de cette étude après un suivi de 20 ans indique que le risque de mortalité est le plus faible chez les personnes qui consomment moins de 2300 mg de sodium par jour et le plus élevé chez celles dont l’apport en sodium est supérieur à 6000 mg.

Figure 2. Relation entre la consommation quotidienne de sodium et le risque de mortalité.  Adapté de Cook (2016).

Tous ces facteurs font en sorte que plusieurs experts considèrent que les résultats de l’étude PURE devraient être pris « avec un grain de sel » et qu’une diminution de l’apport en sodium de façon à atteindre un maximum de 2300 mg est tout à fait sécuritaire et peut au contraire exercer des effets bénéfiques sur la pression artérielle et le risque de maladies cardiovasculaires.

Comment réduire le sodium ?

Une étude utilisant des échantillons d’urine récoltés sur une période de 24 h suggère un apport quotidien moyen en sodium de 3608 mg (4205 mg chez les hommes, 3039 chez les femmes), ce qui est bien au-delà des limites suggérées. Plus de 80 % de ce sel provient des produits alimentaires fabriqués industriellement et est donc consommé de façon tout à fait involontaire. Une analyse de l’INSPQ montre que le trois quarts du sodium retrouvé dans les aliments achetés par les québécois provient de 10 principaux contributeurs, soit les 1) pains, 2) charcuteries, 3) fromages, 4) produits de fromage en tranches, 5) saucisses, 6) repas réfrigérés et congelés, 7) pizzas petits formats et sandwichs congelés, 8) croustilles, 9) céréales prêtes-à-manger et 10) desserts du commerce et pâtisseries à déjeuner. À eux seuls, les pains représentent  24 % de tout le sodium présent dans les aliments consommés ! La seule façon vraiment réaliste de réduire l’apport en sel est donc de diminuer autant que possible la consommation de ces produits préparés et de cuisiner soi-même. Plusieurs produits industriels contiennent également des quantités importantes de sucres simples et de gras saturés, deux autres facteurs de risque de maladies cardiovasculaires, et il est donc possible de faire d’une pierre plusieurs coups en réduisant leur consommation.

On peut en ce sens s’inspirer du régime DASH mentionné plus tôt qui met une emphase particulière sur la consommation abondante de végétaux (fruits, légumes, grains entiers, noix) et qui privilégie les volailles et le poisson au lieu des viandes rouges. Lorsque combinée avec un apport réduit en sel, ce régime diminue grandement la pression artérielle, avec des baisses moyennes de 8.9/4.5 mm Hg chez les normotendus et de 11.5/5.7 mm Hg pour ceux qui sont hypertendus. Il faut souligner que ce régime est très semblable à l’alimentation méditerranéenne, reconnu pour diminuer signativement le risque de maladies cardiovasculaires autant chez les personnes à haut risque que dans la population en général.

Il faut aussi se rappeler que le sel n’est vraiment pas la seule façon d’assaisonner un plat. Nous avons la chance de pouvoir profiter de centaines d’épices et d’aromates provenant des quatre coins du monde et l’utilisation de ces ingrédients au goût unique représente une excellente façon de diminuer notre consommation de sel et d’explorer de nouveaux horizons culinaires.  Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’une étude a récemment montré que les personnes qui aiment manger épicé consomment moins de sel et présentent une pression artérielle plus basse.

 

 

 

La mort subite d’origine cardiaque chez le jeune athlète

La mort subite d’origine cardiaque chez le jeune athlète

La mort subite d’un athlète est un évènement rare, mais tragique, qui retient beaucoup l’attention des médias et du public. C’est difficile à comprendre dans le cas de jeunes athlètes, apparemment en excellente santé et bien entraînés, en particulier parce que la cause la plus commune (90 %) de mort subite est d’origine cardiaque et que les maladies cardiaques surviennent généralement à un âge plus avancé. La mort subite est définie comme un décès naturel (non traumatique), brutal, survenant dans l’heure suivant l’apparition de symptômes, chez un sujet apparemment en bonne santé. On parle de mort subite d’origine cardiaque (MSOC) lorsqu’une cardiopathie susceptible de causer une mort subite était connue, qu’une autopsie a établi une cause cardiaque, ou qu’aucune autre cause n’a été déterminée.

La mort subite dans la population en général et chez les jeunes athlètes.
La mort subite dans la population en général survient plus souvent chez les hommes (environ 2/3 des cas), d’âge moyen de 65 ans. La majorité de ces décès surviennent au domicile et un témoin est présent dans 70 à 80 % des cas. Le taux de survie est très faible, aux environs de 7 %. L’incidence de mort subite dans la population en général est difficile à estimer précisément à cause de la multitude de causes et de l’hétérogénéité des définitions utilisées, mais elle se situe entre 20 et 100 cas par 100 000 personnes par année. L’incidence de MOSC chez les jeunes athlètes (<35 ans) est beaucoup plus faible, soit environ 0,7-3,0 par 100 000 athlètes par année. L’incidence est plus élevée chez les athlètes plus âgés (>35 ans) et l’on s’attend à ce qu’elle augmente dans les prochaines années puisque de plus en plus de gens pratiquent des sports organisés. L’exercice physique pratiqué régulièrement est associé à de nombreux bienfaits pour la santé, incluant la diminution du risque de mortalité, toutes causes confondues, d’infarctus du myocarde, de diabète de type 2, de dyslipidémie et de certains cancers. Il y a donc un « paradoxe du sport » en ce sens qu’en plus des bienfaits incontestables de l’activité physique sur la santé, des efforts physiques vigoureux peuvent augmenter transitoirement le risque d’incidents cardiaques aigus. Il a été estimé que le risque de MSOC est approximativement doublé durant l’activité physique et jusqu’à 1 h après l’arrêt. En comparant les avantages et désavantages, il est évident que les nombreux bienfaits de l’exercice physique régulier pour la santé l’emportent de loin sur le risque accru de MSOC. Toutefois, le ratio avantages-risques pourrait être amélioré si les personnes qui ont un problème cardiaque sous-jacent, qui augmente le risque de MSOC, pouvaient être identifiées assez tôt par le dépistage.

Parmi les 2046 morts subites de jeunes athlètes identifiées entre 1980 et 2011 dans le US National Registry of Sudden Death in Athletes, 842 ont été confirmées par autopsie comme étant d’origine cardiaque. L’incidence était 6,5 fois plus élevée pour les hommes que pour les femmes. La cardiomyopathie hypertrophique était la cause la plus importante cause de MSOC : 36 % des jeunes athlètes (39 % des hommes). Les causes les plus importantes chez les femmes étaient des anomalies congénitales des artères coronaires (33 % vs 17 % des hommes), la dysplasie ventriculaire droite arythmogène (13 % vs 4 % des hommes), la cardiopathie hypertrophique (11 % vs 39 % des hommes) et le syndrome du QT long (7 % vs 1,5 % des hommes). L’incidence de MSOC était 5 fois plus élevée chez les Afro-Américains et autres minorités que chez les blancs (1 : 12 778 vs 1 : 60 746 athlète-année) et la cardiomyopathie hypertrophique était plus fréquente chez les Afro-Américains et autres minorités (42 %) que chez les blancs (31 %). Parmi les joueurs et joueuses de basketball décédées par MSOC, il y avait 3 fois plus d’Afro-Américains et autres minorités que de blancs. La mort subite de ces jeunes athlètes américains est survenue lors de la pratique d’une grande diversité de sports compétitifs ; pour les hommes surtout au football (34 %), au basketball (20 %), au baseball (7 %) et à la course/athlétisme (7 %). Pour les femmes, les sports où il y a eu le plus de morts subites sont le basketball (19 %), la course/athlétisme (16 %), le soccer (10 %) et le cheerleading (9 %).

 Dans la population en général, les causes sont nombreuses et dépendent du sexe et de l’âge de la personne. Dans la population en général, la première cause de MSOC est la maladie coronarienne (75-80 %), le plus souvent au cours d’un syndrome coronaire aigu (infarctus du myocarde). Chez les jeunes athlètes, la maladie coronarienne est la cause de seulement 4 % des morts subites. Les cardiomyopathies sont la deuxième cause principale (10-20 %) et plus rarement des cardiopathies électriques primitives, sans anomalie structurelle (5-10 %). Pour comparaison, les causes de la mort subite d’origine cardiaque dans la population en général et chez de jeunes athlètes américains sont illustrées dans la figure 1.

Figure 1. Causes de la mort subite d’origine cardiaque dans la population en général (adapté de Waldmann et coll., 2017) et chez de jeunes athlètes américains (adapté de Maron et coll., 2016).

 

La plupart des études répertorient les morts subites d’origine cardiaque plutôt que les arrêts cardiaques subits chez les athlètes ; or l’arrêt cardiaque subit est loin d’entraîner la mort dans tous les cas. Une étude récente a examiné les arrêts cardiaques subits survenus entre 2009 et 2014, durant la participation à des sports compétitifs et non compétitifs, dans une région précise de la province de l’Ontario au Canada. Durant les 6 années de l’étude, environ 18,5 millions de personnes-années ont été suivies et 74 arrêts cardiaques subits sont survenus lors de la participation à un sport : 16 durant la participation à un sport compétitif et 58 durant la participation à un sport non compétitif. L’incidence d’arrêts cardiaques subits durant la pratique d’un sport compétitif par des personnes âgées de 12 à 45 ans était de 0,76 cas par 100 000 athlètes-années, avec un taux de survie de 43,8 % après avoir reçu le congé de l’hôpital. Le taux de survie des personnes ayant subi un arrêt cardiaque subit en pratiquant un sport récréatif non compétitif était de 44,8 %. Trois cas d’arrêt cardiaque subits sur les 16 survenus en participant à un sport compétitif auraient probablement été prévenus si ces athlètes avaient participé à un programme de dépistage.

Principales causes de mort subite d’origine cardiaque.
La maladie coronarienne, aussi appelée cardiopathie ischémique, est une maladie des artères qui irriguent le cœur (artères coronaires) qui cause une diminution de l’apport sanguin (ischémie), et par conséquent de l’apport d’oxygène, au muscle cardiaque. Malgré les progrès importants réalisés depuis quelques dizaines d’années dans la prise en charge des syndromes coronaires aigus, 3 à 10 % des infarctus du myocarde se compliquent d’un arrêt cardiaque à la phase aiguë. La cardiomyopathie hypertrophique (CH) est une maladie cardiaque d’origine génétique, caractérisée par un épaississement de la paroi du ventricule gauche, sans cause habituelle (telle l’hypertension artérielle de longue date par exemple). Les causes génétiques de cette maladie sont des mutations dans des gènes codant pour une douzaine de protéines musculaires, dont la beta-myosine, la troponine T cardiaque, l’alpha-actine cardiaque, l’alpha-tropomyosine et la troponine I cardiaque et d’autres protéines. De 1 à 2 personnes sur 1000 naissent avec cette anomalie génétique et la plupart sont asymptomatiques ou ont des symptômes minimes. Les symptômes les plus fréquents (douleurs abdominales, dyspnée à l’effort , œdème, essoufflement, palpitations, syncope) sont causés par 4 conditions pathophysiologiques majeures : une dysfonction diastolique ventriculaire, une obstruction à l’éjection du ventricule gauche, un déséquilibre entre les besoins et les apports en oxygène au niveau du myocarde et des arythmies cardiaques. Malgré l’existence de morts subites et de crises cardiaques chez une minorité de personnes atteintes, la cardiomyopathie hypertrophique est une maladie le plus souvent relativement bénigne puisqu’environ les 2/3 des personnes atteintes ont une durée de vie normale, sans morbidité importante. Cela est particulièrement le cas pour des personnes atteintes qui n’ont pas d’obstruction importante à l’éjection du ventricule gauche et qui peuvent être asymptomatiques ou qui n’ont qu’une légère difficulté à respirer lorsqu’ils font de l’exercice.

La dysplasie ventriculaire droite arythmogène est une maladie génétique du muscle cardiaque, une condition rare qui touche 1 individu sur 1000 à 5000 personnes dans la population générale. Le remplacement progressif du muscle cardiaque par du tissu graisseux crée des zones de cicatrice qui peuvent entraîner des épisodes d’arythmies ainsi qu’une dysfonction des ventricules droit et gauche. La conséquence la plus grave de cette maladie est l’arrêt cardiaque secondaire à une arythmie maligne (ventriculaire). Malheureusement, cet événement peut être la première manifestation de la maladie chez un individu. Le gène défectueux causant la maladie peut être identifié dans environ la moitié des cas. Les trois principaux gènes associés à cette maladie sont le gène RYR2 qui code le récepteur cardiaque de la ryanodine, le gène DSP qui code la desmoplakine et le gène PKP2 qui code la plakophiline 2. Le récepteur cardiaque de la ryanodine est une composante majeure d’un canal calcique situé dans le réticulum sarcoplasmique (un compartiment intracellulaire), qui permet le relargage de calcium nécessaire pour la contraction du muscle cardiaque durant la systole. La desmoplakine et la plakophiline 2 sont des composantes essentielles des desmosomes, des structures du muscle cardiaque dont le rôle est de maintenir l’intégrité structurale des contacts entre deux cellules adjacentes.

Parmi les cardiopathies arythmiques, en l’absence d’anomalies structurelles, qui causent parfois des morts subites, on retrouve le syndrome du QT long. Il y a 13 types de QT long, avec une prévalence de 1 pour 2500 dans la population en général. 90 % des formes d’origine génétique sont dues à des mutations dans 3 gènes distincts, codants pour des canaux potassique et sodique impliqués dans la repolarisation. Les personnes atteintes sont à risque de mort subite, particulièrement lors de l’effort ou la baignade (LQT1), émotions fortes (LQT2) ou pendant le repos ou le sommeil (LQT3). Le syndrome de Brugada est une maladie génétique rare, et dans 1 cas sur 5 il est possible d’identifier des mutations spécifiques dans des gènes tels SCN5 et CACN1Ac, qui causent une perte de fonction du canal sodique.

Le dépistage pour prévenir la mort subite chez les jeunes athlètes
Bien que les cas de mort subite soient très rares chez les jeunes athlètes, il est approprié de se demander si ces morts subites ne pourraient pas être prévenues. En tenant compte des causes les plus communes de décès, des comités scientifiques tels que l’American Heart Association (AHA), l’American College of Cardiology, l’European Society of Cardiology (ESC), des associations sportives telles la Commission médicale et scientifique du comité international olympique et la Fédération internationale de football (FIFA) recommandent des programmes de dépistage avant de permettre aux jeunes athlètes de participer à sports compétitifs, afin de prévenir la mort subite chez ceux qui ont une maladie cardiaque congénitale ou génétique. Ces programmes comprennent des questionnaires sur les antécédents familiaux et personnels et un examen physique. Aux États-Unis, les directives de l’AHA ne recommandent pas le dépistage systématique par électrocardiographie (ECG) lors de l’évaluation de la condition physique des athlètes avant leur admission dans une équipe compétitive, mais cela demeure un sujet de débats (voir ici, ici, et ici), principalement à cause du rapport coût-efficacité et du nombre de faux positifs qui excède 10 %. Le dépistage par ECG est obligatoire en Italie et l’ESC recommande que le premier dépistage auprès de jeunes athlètes âgés de 12 à 35 ans inclue un ECG au repos et qu’il soit répété tous les deux ans. En Italie, après que le dépistage par ECG fut devenu obligatoire, l’incidence annuelle de mort subite a diminué, de 3,6 par 100 000 en 1979-1980 à 0,4 par 100 000 en 2003-2004. Par contre, en Israël, l’incidence de mort subite n’a pas changé après l’implantation du dépistage. Dans les sports professionnels, les directives médicales pour le dépistage sont plus strictes ; la FIFA, par exemple, inclut systématiquement un ECG à 12 dérivations et une échographie cardiaque dans les examens médicaux d’avant compétition.

 

Pouvons-nous endiguer l’épidémie d’obésité ?

Pouvons-nous endiguer l’épidémie d’obésité ?

Un rapport spécial sur l’obésité, « Obesity: can we stop the epidemic? » paru au printemps 2017 dans le magazine Harvard Public Health a retenu notre attention. Nous souhaitons présenter ici un résumé en français de cet excellent rapport rédigé par Madeline Drexler, qui examine les solutions à l’épidémie d’obésité qui sévit dans le monde et qui aura des conséquences importantes pour la santé publique.

Pouvons-nous endiguer l’épidémie d’obésité ?
Rapport spécial – Printemps 2017
par Madeline Drexler
Harvard Public Health

Avez-vous déjà regardé de vieilles photos des marches de protestation des années 1970 ?  Des féministes exigeant l’égalité des droits, des défenseurs de l’environnement appelant à l’assainissement de l’air et de l’eau, les défenseurs des droits des homosexuels, les Black Panthers, le mouvement Chicano, etc. Dans chaque cas, des personnes engagées et astucieuses ont transformé des expériences personnelles et collectives d’injustice en un mouvement mobilisateur. Regardez de plus près ces photos. Oui la mode et les coiffures sont différentes, mais il y a une autre différence significative : à nos yeux d’aujourd’hui les gens ont l’air minces. Nous savons maintenant qu’aux États-Unis dans les années 1970, deux crises de santé publique étaient en train de germer. L’une était le VIH/sida, dont les victimes ont été négligées jusqu’à ce que l’activisme entraîne des changements dans le financement de la recherche, les protocoles médicaux et les attitudes sociales.

L’autre crise était une épidémie d’obésité sans précédent et qui a toujours cours. Elle a été créée non pas par une soudaine vague de gloutonnerie individuelle (même les tout-petits en sont affligés), mais par un changement radical et toxique dans notre environnement alimentaire. L’establishment de la santé publique a passé des décennies à ne compter que sur les seuls individus pour changer leur comportement. Aujourd’hui, les chercheurs commencent à se demander s’il n’est pas temps d’adopter une approche entièrement différente.

Cette nouvelle approche pourrait-elle s’inspirer de l’énergie rebelle des mouvements sociaux des 40 dernières années ?

Statistiques
Aux États-Unis en 2014, 35 % des hommes adultes et 40,4 % des femmes adultes étaient obèses c’est-à-dire que leur indice de masse corporelle ou IMC, défini comme la masse corporelle (en kilogramme) divisée par le carré de la taille (en mètre), est plus grand ou égal à 30 kg/m2. Pour référence, un IMC normal se situe entre 18,5 et 24,9 et les personnes en surpoids ont un IMC entre 25 et 29,9. Parmi les jeunes Américains âgés de 2 à 19 ans, la prévalence de l’obésité est de 17 % et celle de l’obésité extrême est de 5,8 %. Au total, ce sont plus de 70 % des Américains âgés de 20 ans et plus qui sont soit en surpoids ou obèses.

Il n’est pas question ici que de « rondeurs » sans conséquence. Comparées aux personnes qui ont un poids santé normal, celles qui sont obèses ont un risque accru de mourir prématurément et, plus spécifiquement, d’être atteint de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2, d’AVC, d’arthrose, d’apnée du sommeil, de certains cancers (20 % des cancers chez les femmes et 16 % chez les hommes sont liés à l’obésité), de dépression et d’anxiété, et plusieurs autres maladies chroniques.

De plus en plus de travaux de recherche, incluant une étude publiée en 2016 dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), suggèrent que l’espérance de vie aux États-Unis pourrait commencer à diminuer, la première fois depuis 1993 alors que les décès liés au VIH/sida ont atteint un sommet. Les taux de mortalité ajustés en fonction de l’âge ont nettement augmenté durant les 9 premiers mois de 2015 comparés à la même période en 2014 — et notamment une hausse des décès dont les causes sont liées à l’obésité. Si la trajectoire se maintient, les problèmes de santé causés par l’obésité aux États-Unis vont bientôt éclipser les bienfaits générés par la diminution du tabagisme.

Comment en sommes-nous arrivés là ?
En 1987, Steven Gortmaker, professeur à la Harvard T.H. Chan School of Public Health, a publié une étude dans l’American Journal of Diseases of Children qui a sonné l’alarme. Entre 1963 et 1980, parmi les enfants âgés de 6 à 11 ans, il y a eu une augmentation de 54 % de la prévalence de l’obésité et une augmentation de 98 % de ce qui était alors nommé « super-obésité ». Ce n’était pas le premier indice qui signalait que quelque chose n’allait pas. Une étude de Gortmaker et coll. publiée en 1985 a mis en évidence un lien entre l’obésité juvénile et le visionnement de la télévision (surtout à cause de l’exposition à la publicité). Ces premiers avertissements d’une épidémie imminente ont été suivis par des hausses rapides de la prévalence de l’obésité chez tous les groupes d’âge.

Mais ce n’est pas avant 1999, lorsque JAMA a consacré un numéro complet à ce sujet, que l’obésité a fait la « une » des médias comme une véritable menace à la santé publique, et non seulement comme un problème esthétique personnel. Comme un autre article du même numéro l’a noté : « Il est rare que des conditions chroniques telles que l’obésité se répandent avec la rapidité et la dispersion d’une épidémie de maladie contagieuse ».

Alors que les causes de la montée en flèche de l’obésité étaient en grande partie inconnues il y a 30 ans, elles sont aujourd’hui évidentes. L’ère de l’alimentation moderne a répandu un assortiment d’aliments à palatabilité très élevée, savoureux, bourrés d’additifs, pratiques et relativement abordables, riches en sucres, en mauvais gras et en sel, et qui ont été conçus pour déjouer nos signaux homéostatiques internes qui régissent la satiété.

La nutritionniste et critique de l’industrie alimentaire, Marion Nestle, a écrit dans son livre Food Politics qu’une convergence des affaires et du marketing « nous a encouragés à manger davantage de nourriture, plus souvent et dans plus d’endroits ». Dans une culture qui ne cesse d’attiser le désir pour la nourriture, plusieurs Américains croient que ce mode de consommation désordonné est un droit de naissance ; jusqu’à récemment nous avons montré peu d’appétit pour l’ingérence des gouvernements.

Alors que le poids est, bien sûr, en partie une question de responsabilité personnelle, l’épidémie d’obésité en Amérique est principalement causée par les influences de l’industrie, des politiques fédérales et des normes sociales. Aujourd’hui, les gens commencent à percevoir ces forces qui agissent en amont. Considérons que depuis 2014, les électeurs de sept villes ou comtés des États-Unis ont approuvé des taxes sur les boissons sucrées, ce qui était inconcevable il y a cinq ans, et une foule de propositions pour des taxes encore plus élevées sur ces boissons nutritionnellement vides sont au stade de projet dans tout le pays. Les ventes de fast-food, de boissons sucrées et de pizzas sont en train de faiblir. L’industrie réduit les publicités de malbouffe pour les enfants et réduit également le sucre ajouté dans les produits annoncés à la télévision le samedi matin. Les repas scolaires pour les enfants sont plus sains qu’auparavant. Les restaurants peaufinent des recettes meilleures pour la santé. La Panera Bread Company est récemment devenue la première grande chaîne à inscrire la quantité de sucres ajoutés dans ses boissons en fontaine. La société de conseil en boissons Beverage Marketing Corporation a annoncé qu’en 2016, pour la première fois, les Américains ont consommé plus d’eau embouteillée que de boissons gazeuses.

« C’est un tournant sur plusieurs fronts importants », déclare Kelly Brownell, doyen de la Sanford School of Public Policy de l’Université de Duke et grand spécialiste de la contribution de l’industrie alimentaire à l’épidémie d’obésité. « Le pays a donné au gouvernement l’autorisation d’agir de manière à rendre le paysage nutritionnel plus sain. » Pourtant, les gains sont ténus, en partie à cause du poids de l’industrie et du dégoût des politiciens à Washington pour la réglementation.

Alors, que faudrait-il pour soutenir le progrès naissant ? En 2017, à quoi ressemblerait un programme inspiré pour endiguer l’épidémie d’obésité ?

Cela pourrait ressembler à cela.

1- Prévention, prévention, prévention.

Perdre du poids est difficile à faire. Aux États-Unis, sur six adultes qui ont perdu des kilos en trop, un seul réussira à maintenir un poids inférieur par au moins 10 % de leur poids initial. La raison de cet échec est un décalage entre la biologie et l’environnement. Nos corps sont programmés de manière évolutive pour fabriquer de la graisse pour surmonter les famines et emmagasiner l’excès en ralentissant le métabolisme et, surtout, en provoquant la faim. Les gens qui ont maigri et qui reprennent du poids ne manquent pas de volonté — leur corps leur livre un combat de tous les instants.

Cette prédisposition innée à conserver le poids excédentaire se répercute tout au cours de la vie. Peu d’enfants naissent obèses, mais une fois qu’ils sont en surpoids, ils sont généralement destinés à être des adolescents obèses et des adultes obèses. Selon une étude publiée en 2016 dans le New England Journal of Medicine, environ 90 % des enfants atteints d’obésité sévère deviendront des adultes obèses avec un IMC de 35 ou plus. Les jeunes adultes en surpoids le sont généralement aussi à l’âge mûr et dans la vieillesse. L’obésité se transmet entre les générations ; avoir une mère obèse est l’un des principaux facteurs de prédisposition de l’obésité chez les enfants.

Tout cela signifie que la prévention de l’obésité infantile est la clé pour endiguer l’épidémie. Au moment où l’on prend du poids à l’âge adulte, il est généralement trop tard. Heureusement, la prévention de l’obésité chez les enfants est plus facile que chez les adultes, en partie parce que les calories en excès qu’ils absorbent sont peu importantes en quantité et que cela peut être traité par de petits changements dans le régime alimentaire, par exemple en substituant l’eau aux jus de fruits sucrés ou aux boissons gazeuses sucrées.

Pourtant, la majeure partie du problème de l’obésité concerne les adultes. Selon Frank Hu, président du Harvard Chan Department of Nutrition, « la plupart des gens prennent du poids durant le début et le milieu de l’âge adulte. Le gain de poids est inférieur à 1 lb (0,45 kg) par an, mais s’accumule de façon constante de 18 à 55 ans. Pendant cette période de leur vie, les gens accumulent des gras, pas de la masse musculaire. Quand ils atteignent l’âge de 55 ans, ils commencent à perdre leur masse musculaire existante et à accumuler encore plus de gras. C’est à ce moment que tous les problèmes métaboliques apparaissent : résistance à l’insuline, taux de cholestérol élevé, hypertension artérielle. »

Walter Willett, professeur d’épidémiologie et de nutrition à Harvard Chan, ajoute que « Les cinq premières livres (2,26 kg) sont prises à l’âge de 25 ans — c’est le moment où il faut prendre des mesures. Parce que cette personne est en voie d’avoir 30 lb (13,6 kg) en trop à l’âge de 50 ans. »

Par conséquent, l’objectif de santé publique le plus réaliste à court terme n’est pas de renverser, mais plutôt de ralentir la tendance — et même cela exigera un engagement fort des gouvernements et à plusieurs niveaux. En mai 2017, l’administration Trump a annulé les normes adoptées récemment pour les repas scolaires, retardant l’entrée en vigueur d’une nouvelle règle de réduction du sodium et l’obligation pour les cafétérias de servir des aliments riches en grains entiers. Si des efforts récents tels que la mise en place des repas scolaires subventionnés par l’État sont sapés, « ce serait un « désastre », selon Marlene Schwartz, directrice du Rudd Center for Obesity & Food Policy à l’Université du Connecticut. « Les programmes alimentaires fédéraux sont extrêmement importants, non seulement en raison de la nourriture et de l’argent qu’ils fournissent aux familles, mais aussi parce qu’ils soutiennent une meilleure nutrition dans les garderies, les écoles et parce qu’un programme comme le WIC a créé de nouvelles normes sociales. Nous ne pouvons absolument pas effacer les progrès que nous avons réalisés pour aider cette génération à faire la transition vers une alimentation plus saine.

2- S’appuyer sur une base scientifique solide.

Il est impossible de suggérer des solutions à l’obésité sans se rappeler que les spécialistes de la nutrition ont bâclé des choses il y a des décennies et ont probablement favorisé l’épidémie. À partir des années 1970, le gouvernement des États-Unis et les principaux groupes professionnels ont recommandé que les gens adoptent un régime alimentaire faible en gras et riche en glucides. L’avis a été codifié en 1977 avec la première édition du document The Dietary Goals for the United States, qui visait à réduire les maladies liées au régime alimentaire telles que les maladies cardiaques et le diabète. Ce qui s’en est ensuivi est sans doute la plus grande expérience de santé publique de l’histoire des États-Unis, et les résultats n’ont pas été ceux escomptés.

À l’époque, les gras saturés et le cholestérol alimentaire étaient considérés comme les principaux facteurs responsables des maladies cardiovasculaires — une théorie simplifiée à outrance qui ignorait le fait que tous les gras ne sont pas égaux. Bientôt, le blitz de santé publique contre les gras saturés est devenu une guerre contre tous les gras. Dans le régime alimentaire américain, les calories provenant des gras ont diminué et les calories provenant des glucides ont augmenté.

« Nous ne pouvons pas blâmer l’industrie pour cela. C’était un effet d’entraînement dans la communauté scientifique, et cela malgré le manque de preuves, voire même avec des preuves du contraire », nous dit Willett. « Les agriculteurs savent depuis des milliers d’années que si vous mettez des animaux dans un enclos, sans possibilités de gambader, et que vous les gavez avec des grains, ils grossissent. C’est essentiellement ce qui s’est passé avec les gens : nous avons créé un grand parc d’engraissement américain. Et nous avons ajouté du sucre, des colorants et une campagne publicitaire séduisante pour la malbouffe faible en gras. »

Les scientifiques savent maintenant que les fruits et légumes (autres que les pommes de terre), les grains entiers, les protéines de haute qualité (contenues dans le poisson, le poulet, les haricots et les noix) et les huiles végétales saines (comme l’huile d’olive, d’arachide ou de canola) sont les bases d’une alimentation saine.

Mais il y a aussi beaucoup de choses que les scientifiques ne comprennent pas encore. Une question qui demeure sans réponse est pourquoi certaines personnes souffrant d’obésité sont épargnées par les complications médicales de l’excès de poids. D’autres questions concernent les principaux mécanismes par lesquels l’obésité entraîne la maladie. Bien que l’excès de poids corporel puisse par lui-même causer directement des problèmes tels que l’arthrose due à une charge supplémentaire sur les articulations ou le cancer du sein causé par les hormones sécrétées par les adipocytes, l’obésité déclenche une myriade de processus biologiques. La plupart des affections qui en résultent, comme l’athérosclérose, le diabète et même la maladie d’Alzheimer, sont provoquées par une inflammation pour laquelle la réponse immunitaire du corps devient dangereusement autoentretenue. En ce sens, le régime alimentaire d’aujourd’hui est aussi pro-inflammatoire qu’obésogène.

Les scientifiques doivent aussi mieux comprendre les effets nuancés de certains aliments. Par exemple, les produits fermentés tels que le yogourt, le tempeh ou la choucroute ont-ils des propriétés bénéfiques ? Certaines études ont montré que le yogourt protège contre la prise de poids et le diabète et suggèrent que des bactéries saines (connues sous le nom de probiotiques) pourraient y jouer un rôle. D’autres études indiquent que les fruits sont plus protecteurs que les légumes dans le contrôle du poids et la prévention du diabète, bien que les types de fruits et de légumes aient aussi une influence.

Un article publié en 2017 dans l’American Journal of Clinical Nutrition a montré que de substituer des grains entiers à des grains raffinés mène à une perte de près de 100 calories par jour en accélérant le métabolisme, en réduisant le nombre de calories que le corps retient et, de façon surprenante, en modifiant la digestibilité des autres aliments consommés. Ces calories perdues quotidiennement — en substituant, par exemple, le riz brun au riz blanc ou l’orge au pain pita — équivalent à une marche rapide de 30 minutes.

Une étude complémentaire a révélé que les adultes qui ont suivi un régime riche en grains entiers ont développé une flore intestinale plus saine et amélioré leurs réponses immunitaires. Ces aliments particuliers modifient le microbiome intestinal, la communauté dense et vitale de bactéries et autres microorganismes qui fonctionnent en symbiose avec le système digestif. Le microbiome aide à maintenir le poids corporel en contrôlant comment notre corps extrait des calories et stocke les graisses dans le foie. Les microbiomes des individus obèses sont particulièrement efficaces à extraire des calories à partir des aliments. . Les effets hormonaux de la privation de sommeil et du stress, deux épidémies simultanées et étroitement liées à la tendance à l’obésité sont d’autres pistes de recherche prometteuses.

Et puis il y a les facteurs mystères. Une hypothèse récente est qu’un agent connu sous le nom d’adénovirus 36 explique en partie notre problème de poids collectif. Un article paru en 2010 dans Proceedings of The Royal Society décrivait une étude dans laquelle des chercheurs ont examiné des échantillons provenant de plus de 20 000 animaux, dont huit espèces vivant avec ou autour de l’homme dans des pays industrialisés : macaques, chimpanzés, singes verts, ouistitis, souris et rats de laboratoire, rats sauvages, chiens et chats domestiques. Tout comme l’homme, les sujets de l’étude (animaux sauvages, de laboratoire ou domestiques) avaient pris du poids au cours des dernières décennies. La probabilité que cela soit une coïncidence est, selon les estimations des scientifiques, de 1 sur 10 millions. Les auteurs mystifiés supposent que des virus, des modifications de l’expression des gènes ou des facteurs « non encore identifiés et/ou mal compris » soient à blâmer.

3- Maîtriser l’art de la persuasion.

Un article paru en 2015 dans l’American Journal of Public Health a révélé le gouffre philosophique qui entrave les progrès des États-Unis sur la prévention de l’obésité. Il a constaté que 72 % à 98 % des rapports médiatiques sur l’obésité mettent l’accent sur la responsabilité personnelle pour le poids, par rapport à 40 % des articles scientifiques.

Une étude récente de chercheurs de l’Université Drexel a également quantifié la polarisation politique autour des mesures de santé publique. De 1998 à 2013, les démocrates ont voté conformément aux recommandations de l’American Public Health Association, 88,3 % du temps en moyenne, alors que les républicains ont voté pour les propositions à seulement 21,3 % du temps.

De toute évidence, nous ne pouvons pas compter sur la bonne volonté bipartite pour endiguer la crise de l’obésité. Mais nous pouvons demander quels types de messages font appel à des publics politiquement divergents. Une stratégie furtive peut être d’éviter de prononcer le mot « obésité ». Le 1er janvier 2017, la taxe de 1,5 cent par once sur les boissons sucrées et diète a pris effet à Philadelphie. Lorsque le maire de Philadelphie, Jim Kenney, a fait pression sur les électeurs pour qu’ils approuvent la taxe, son offre ne visait pas à améliorer la santé (l’argument infructueux de son prédécesseur), mais à amasser 91 millions de dollars par année pour les programmes de prématernelle.

« C’est une question dont beaucoup de gens se soucient et qu’ils peuvent appuyer, c’est une politique de bien-être et cela a du sens », explique la psychologue Christina Roberto, professeure adjointe en éthique médicale et en politiques de la santé à l’Université de Pennsylvanie et ancienne professeure adjointe des sciences sociales et du comportement et de la nutrition à Harvard Chan. Elle ajoute que le choix de taxer aussi les boissons diètes est judicieux, car il fait partager le fardeau de la taxe par un plus grand nombre de personnes ; puisque les personnes plus riches sont plus susceptibles que les individus moins riches d’acheter des boissons diètes, la taxe ne pourrait être qualifiée de « régressive ».

Mais Christina Roberto voit une plus grande leçon à tirer de l’histoire de Philadelphie. Les messages de santé publique qui font appel à des valeurs qui transcendent l’individu posent moins de problèmes, sont moins stigmatisants et sont peut-être plus efficaces. Comme elle le dit : « C’est très différent d’entendre le message « Mangez moins de viande rouge, aidez la planète » et « Mangez moins de viande rouge, aidez-vous à éviter les gras saturés et les maladies cardiovasculaires » ».

Les transformations des supermarchés
Les allées des supermarchés sont d’autres endroits où la santé publique peut rebrasser les cartes et guider les clients vers des choix de consommation plus sains.

Avec de faibles marges de profit et plus de 50 000 produits sur les rayons, les épiceries dépendent fortement des incitatifs promotionnels des fabricants de produits alimentaires pour faire des profits. « Les fabricants paient des frais de référencement pour mettre leurs produits sur les tablettes ainsi que des frais de promotion : Nous vous donnerons un rabais sur chaque litre de Coca-Cola si vous le mettez en vente pour un certain prix ou si vous le mettez en vedette au bout d’une allée », explique José Alvarez, ancien président et chef de la direction de Stop & Shop/Giant-Landover, maintenant maître de conférences en administration des affaires à la Harvard Business School. De tels paiements promotionnels, ajoute Alvarez, dépassent souvent les bénéfices nets des détaillants.

Des repas surgelés plus sains, préparés avec beaucoup de légumes et de grains entiers et relativement peu de sel, ne peuvent pas concurrencer les macaronis au fromage ou les céréales sucrées du petit-déjeuner pour les meilleurs espaces sur les étalages. Selon Alvarez, une des solutions consisterait pour les entreprises de biens de consommation courante à acheter ce qu’il appelle les entreprises de type « hippies dans leur sous-sol » qui ont concocté des produits plus nutritifs. Les mastodontes de l’industrie alimentaire pourraient appliquer leurs prouesses de production, de marketing et de distribution aux nouvelles offres de produits sains — en fait, cela a commencé à se produire au cours des cinq dernières années.

Une autre approche consiste à rendre les aliments nutritifs plus faciles à manger. « Nous avons ces émissions de cuisine à la télévision et ces magazines gastronomiques haut de gamme, mais la plupart des gens n’ont ni le temps ni l’envie de cuisiner », explique Alvarez. « Au lieu de cela, nous devrions nous concentrer sur la création d’aliments préparés de haute qualité, sains et abordables. »

Jeff Dunn, un vétéran de l’industrie des boissons gazeuses pendant plus de 20 ans et ancien président de Coca-Cola North America, est devenu un défenseur des aliments frais et sains et suggère un autre modèle. Dunn a été président et chef de la direction de Bolthouse Farms de 2008 à 2015, où il a considérablement augmenté les ventes de carottes en utilisant les techniques de commercialisation courantes dans le secteur de la malbouffe. « Nous avons opéré sur les principes des trois « A » : accessibility, availability, and affordability (accessibilité, disponibilité et abordabilité) », dit Dunn. « C’est, en passant, la formule qui a assuré le succès de Coca-Cola depuis 70 ans. »

4- Allocation de budgets.

L’obésité a un coût très élevé. Selon la « Campagne pour mettre fin à l’obésité », une collaboration entre des dirigeants de l’industrie, du milieu universitaire, de la santé publique et des décideurs, les coûts annuels de santé liés à l’obésité approchent les 200 milliards de dollars aux États-Unis. En 2010, le Congressional Budget Office, non partisan, a signalé que près de 20 % de la hausse des dépenses en santé de 1987 à 2007 était liée à l’obésité. Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis ont constaté que les travailleurs à temps plein aux États-Unis qui souffrent d’embonpoint ou d’obésité et d’autres problèmes de santé chroniques manquent environ 450 millions de jours de plus chaque année que les employés en bonne santé, ce qui équivaut à 153 milliards de dollars de perte de productivité chaque année.

Mais plaider l’économie d’argent par la prévention de l’obésité n’est pas simple. Pour les interventions ciblant les enfants et les jeunes, seule une petite fraction des économies est enregistrée au cours de la première décennie, puisque les complications les plus graves ne se manifestent pas avant plusieurs années. En d’autres termes, la prévention à long terme de l’obésité ne s’inscrit pas dans les programmes politiques des élus.

Pourtant, les législateurs sont désireux de savoir comment les programmes de prévention de l’obésité peuvent les aider à court terme. Au cours des deux dernières années, Steve Gortmaker de Harvard Chan et ses collègues ont travaillé avec les départements de santé de l’État en Alaska, au Mississippi, au New Hampshire, en Oklahoma, à Washington et en Virginie-Occidentale ainsi qu’avec la ville de Philadelphie, en utilisant des données locales pour faire une grande variété d’interventions — de l’amélioration des soins aux jeunes enfants aux environnements scolaires sains, en passant par les campagnes communautaires. « Nous collaborons avec les ministères de la Santé et les intervenants communautaires, leur fournissons des données factuelles, aidons à évaluer le coût des différentes options, modélisons les résultats sur une décennie et ils choisissent ce sur quoi ils veulent travailler. » dit Gortmaker.

Dans une étude réalisée en 2015 dans Health Affairs, Gortmaker et ses collègues ont décrit trois interventions qui seraient plus que rentables : une taxe sur les boissons sucrées par l’État ; élimination de la subvention fiscale pour la publicité des aliments malsains pour les enfants ; et des normes nutritionnelles strictes pour les aliments et boissons vendus dans les écoles. Mises en œuvre à l’échelle des États-Unis, ces interventions permettraient d’éviter respectivement 576 000, 129 100 et 345 000 cas d’obésité chez les enfants d’ici 2025. Les économies nettes prévues pour la société sur les coûts des soins de santé liés à l’obésité sont respectivement de 31 $, 33 $ et 4,60 $, pour chaque dollar investi.

Gortmaker est l’un des chefs de file d’un effort collaboratif de modélisation connu sous le nom de CHOICES – pour Chilhood Obesity Intervention Cost-Effectiveness Study (étude sur le rapport coût-efficacité de l’intervention sur l’obésité chez les enfants) – un acronyme qui semble réfuter l’argument conservateur selon lequel la réglementation gouvernementale piétine les choix individuels. Ayant grandi non loin de Des Plaines en Illinois, site de la première franchise de McDonald’s au pays, il souligne aux décideurs politiques que les États-Unis ne peuvent pas se sortir de la crise d’obésité avec les soins de santé offerts actuellement. Seul un investissement important dans la prévention va inverser la tendance. « Les interventions cliniques produisent un effet trop faible, sur une faible portion de la population et à un coût élevé », explique Gortmaker. « La bonne nouvelle est qu’il existe de nombreuses options rentables parmi lesquelles nous pouvons faire un choix. »

Alors que Gortmaker souligne l’importance d’améliorer à la fois les choix alimentaires et les options pour l’activité physique, il a montré que l’amélioration de l’environnement alimentaire offre un bien meilleur retour sur l’investissement. Ceci est en accord avec le consensus scientifique actuel : ce que nous mangeons joue un plus grand rôle dans l’obésité que le mode de vie sédentaire (bien que l’exercice protège contre beaucoup des conséquences métaboliques de l’excès de poids). « La façon la plus facile de l’expliquer, dit Gortmaker, est de prendre l’exemple d’une boisson sucrée qui contient 140 calories. Vous pouvez rapidement réduire un excès d’énergie de 140 calories par jour d’un enfant en substituant simplement une boisson sucrée par jour par de l’eau ou de l’eau gazeuse. Mais pour qu’un garçon de 10 ans brûle 140 calories supplémentaires, il devrait remplacer une heure et demie de sédentarité par une heure et demie de marche. »

De petits changements dans le régime alimentaire des adultes peuvent également faire une grande différence en peu de temps. « Avec les adultes, les coûts des soins de santé augmentent rapidement avec un gain de poids excessif », explique Gortmaker. « Si vous pouvez ralentir l’apparition de l’obésité, vous ralentissez l’apparition du diabète et, potentiellement, vous économisez non seulement sur les coûts des soins de santé, mais vous augmentez également la productivité des gens sur le marché du travail. »

L’un des calculs les plus intrigants de Gortmaker découle de l’estimation des dépenses de 633 millions de dollars par l’industrie alimentaire consacrée au marketing télévisé visant les enfants. Actuellement, le régime fiscal fédéral considère la publicité comme une dépense d’entreprise ordinaire, ce qui signifie en réalité que le gouvernement subventionne la vente de la malbouffe aux enfants. Gortmaker a modélisé une intervention nationale qui éliminerait cette subvention des publicités télévisées pour les aliments et boissons vides nutritionnellement destinés aux enfants de 2 à 19 ans. S’appuyant sur des relations bien définies entre l’exposition à ces publicités et la prise de poids subséquente, il a constaté que l’intervention permettrait d’économiser 260 millions de dollars en coûts de soins de santé en aval. Bien que l’effet serait probablement faible au niveau individuel, il serait significatif au niveau de la population.

5- Taxation et réglementation : pour de nouvelles règles du jeu plus équitables.

Lorsque la santé publique a commencé à se préoccuper du tabagisme, à partir des années 1960, elle l’a fait en adoptant des politiques strictes interdisant les publicités télévisées et autres activités de marketing, en augmentant les taxes pour faire augmenter les prix, en rendant les lieux publics sans fumée et en offrant aux fumeurs des traitements comme le timbre à la nicotine. En 1965, le taux de tabagisme chez les adultes américains était de 42,2 % ; il est aujourd’hui de 16,8 %.

De même, les États-Unis ont réduit le taux de décès causés par les accidents de véhicules motorisés — une diminution de 90 % au 20e siècle, selon les CDC — avec des lois sur le port obligatoire de la ceinture de sécurité, la fabrication de voitures plus sécuritaires, les panneaux d’arrêt, les limites de vitesse, les bandes rugueuses et la stigmatisation de la conduite en état d’ébriété.

Changer le produit. Changer l’environnement. Changer la culture. C’est aussi la recette politique pour arrêter l’obésité.

Les lois qui favorisent les comportements sains sont souvent suivies de changements positifs dans ces comportements. Et les gens qui essaient d’adopter des comportements sains ont tendance à soutenir des politiques qui rendent leurs aspirations personnelles réalisables, ce qui pousse les législateurs à soutenir les propositions.

Il y a ces derniers temps aux États-Unis un débat à savoir si les bénéficiaires des prestations du Programme d’aide alimentaire (SNAP) du gouvernement fédéral américain (anciennement appelées timbres alimentaires) ne devraient pas se voir interdire l’achat des boissons gazeuses sucrées ou de la malbouffe avec l’aide alimentaire. La plus grande composante du budget de l’USDA (U.S. Department of Agriculture), SNAP alimente un Américain sur sept. Un rapport de l’USDA, publié en novembre dernier, a révélé que l’achat numéro un par les ménages qui reçoivent des prestations du SNAP était des boissons sucrées, catégorie comprenant les boissons gazeuses, les jus de fruits, les boissons énergisantes et les thés sucrés, ce qui représente près de 10 % des prestations du SNAP. L’USDA finance-t-il donc l’industrie des boissons gazeuses et plante-t-il les graines des maladies chroniques pour lesquelles le gouvernement devra payer des traitements dans quelques années ?

Eric Rimm, professeur aux départements d’épidémiologie et de nutrition de l’école Harvard Chan, analyse la question différemment. Dans une étude réalisée en 2017 dans l’American Journal of Preventive Medicine, lui et ses collègues ont demandé aux participants au SNAP s’ils préféraient le forfait standard ou un « SNAP-plus » qui interdisait l’achat de boissons sucrées, mais offrait 50 % d’argent supplémentaire pour acheter des fruits et légumes. Soixante-huit pour cent des participants ont choisi l’option « SNAP-plus ».

« Beaucoup de travail autour du programme SNAP est fait par des universitaires et des politiciens, sans consulter les bénéficiaires », explique Rimm. « Nous n’avons pas demandé aux participants : « Qu’en dites-vous ? Comment pouvons-nous améliorer ce programme pour vous ? » » Chose certaine : le SNAP est criblé de contradictions nutritionnelles. Selon les règles actuelles, par exemple, les participants peuvent utiliser les prestations pour acheter une caisse de 12 bouteilles de Pepsi ou une barre Snickers ou un sac géant de croustilles de pommes de terre Lay’s, mais pas de vrais aliments, parce qu’ils sont chauffés, tel un poulet rôti. « C’est la population la plus vulnérable du pays », dit Rimm. « Nous n’écoutons pas assez les électeurs. »

D’autres leviers fiscaux novateurs pour modifier les comportements pourraient également faire diminuer l’obésité. En 2014, un trio de leaders en matière des pratiques de l’industrie alimentaire – Dariush Mozaffarian, doyen de la Friedman School of Nutrition Science and Policy de l’Université Tufts et ancien professeur agrégé d’épidémiologie à l’école Harvard Chan ; Kenneth Rogoff, professeur d’économie à Harvard ; et David Ludwig, professeur au département de nutrition de Harvard Chan et médecin à l’hôpital pour enfants de Boston, a abordé l’idée d’une taxe « significative » sur presque tous les aliments emballés et sur de nombreuses chaînes de restaurants, qui serait utilisée pour offrir des aliments et des repas plus sains aux écoliers. En substance, la taxe externaliserait les coûts sociaux des comportements individuels nuisibles.

« Nous avons fait une proposition simple d’imposer tous les aliments transformés et d’utiliser ensuite les revenus pour subventionner les aliments non transformés, sans incidence sur les revenus », explique Ludwig. « La puissance de cette idée est que, puisqu’il y a tant de consommation d’aliments transformés, même une taxe modeste (entre 10 et 15 %) ne va pas gonfler considérablement le coût de ces aliments. Leur prix augmenterait modérément, mais les bénéfices ne disparaîtraient pas dans les coffres du gouvernement. Au lieu de cela, le produit de la taxe rendrait les aliments sains abordables pour la quasi-totalité de la population, et les avantages seraient immédiatement évidents. Oui, les gens paieront modérément plus pour leur Coca-Cola ou pour leur friandise à la cannelle, mais beaucoup moins pour des aliments non transformés et nourrissants.

Une autre suggestion nous vient de Sandro Galea, doyen de l’École de santé publique de l’Université de Boston, et d’Abdulrahman M. El-Sayed, médecin en santé publique et épidémiologiste. Dans un article paru en 2015 dans l’American Journal of Public Health, ils ont appelé à des « crédits caloriques », semblables aux crédits de carbone utilisés pour atténuer les dommages environnementaux causés par les industries du gaz et du pétrole. Un programme de « crédits caloriques » pourrait permettre aux industries agroalimentaires de se réinventer en les invitant à investir dans des entreprises telles que des fermes urbaines, des cours de cuisine pour les parents, des cafétérias scolaires saines et des espaces verts urbains.

Ces propositions ambitieuses font face à des obstacles presque infranchissables. Les luttes politiques opposent généralement la santé publique aux entreprises, Big Food jetant le doute sur une science nutritionnelle solide, estimant que la réglementation gouvernementale menace le libre choix et prend des engagements, non tenus, à s’autoréglementer. Sur le site web des Americans for Food and Beverage Choice, un groupe mené par l’American Beverage Association, on peut lire : « Que ce soit dans un restaurant ou dans une épicerie, ce n’est jamais au gouvernement de décider ce que vous choisissez de boire et manger ».

Pourtant, de nombreux professionnels de la santé publique sont convaincus que la seule façon d’arrêter l’obésité est de faire cause commune avec l’industrie alimentaire. « Ce n’est pas comme le tabac, où c’est un combat à mort. Nous avons besoin de l’industrie alimentaire pour faire de la nourriture plus saine et faire des profits », dit Mozaffarian. « L’industrie alimentaire est beaucoup plus diversifiée et hétérogène que celle du tabac ou même l’industrie automobile. Tant que nous pourrons les aider, en maniant la carotte et le bâton, avec des incitatifs fiscaux et des mesures dissuasives, à adopter des produits plus sains, ils feront partie de la solution. Mais nous devons être vigilants, car ils utilisent les mêmes tactiques que l’industrie du tabac. »

6- Semer ce que nous voulons récolter.

Les Américains mangent en trop grande quantité les aliments que nos agriculteurs surproduisent. « Le système alimentaire américain est vraiment mauvais pour la santé humaine et planétaire », explique Walter Willett. C’est tellement lamentable que Willett a fait un diagramme circulaire de la production de céréales américaine consommée dans le pays. Il montre que la plupart des terres agricoles du pays sont utilisées pour les deux grandes cultures de base : le maïs et le soja. La plupart de ces cultures sont utilisées pour engraisser des animaux et pour la production d’éthanol, et sont également très utilisées dans les grignotines transformées. Aujourd’hui, seulement environ 10 % des grains cultivés aux États-Unis pour usage domestique sont consommés directement par les êtres humains. Selon un rapport de l’Union of Concerned Scientists paru en 2013, seulement 2 % des terres agricoles américaines sont utilisées pour la culture de fruits et légumes, tandis que 59 % sont consacrés aux cultures de base.

Historiquement, ces proportions déséquilibrées avaient du sens. Les politiques alimentaires du gouvernement fédéral américain, rédigées dans le but de soulager la faim, favorisent la subvention de la production de maïs et de soja. Et tandis que le maïs ou le soja pouvaient être expédiés par train durant plusieurs jours, les fruits et légumes devaient être cultivés près des villes par les producteurs maraîchers afin que les produits ne se gâtent pas. Mais ces contraintes du passé n’expliquent pas les priorités agricoles déséquilibrées d’aujourd’hui.

Dans un article de Politico paru en 2016 et intitulé « The farm bill drove me insane », Marion Nestle illustre le fossé irrationnel entre ce que le gouvernement recommande de manger et ce qu’il subventionne : « Si vous deviez créer un repas MyPlate qui correspondrait à ce que le gouvernement a visé historiquement avec ses subventions, vous vous feriez réprimander par votre médecin. Un énorme beignet de maïs prendrait plus des trois quarts de votre assiette (80 % des profits de l’agriculture vont au maïs, aux céréales et à l’huile de soja). Vous auriez une tasse de lait (l’industrie laitière obtient 3 % des profits), un hamburger de la taille d’une pièce de monnaie de 50 cents (bétail : 2 % des profits), deux petits pois (fruits et légumes : 0,45 %) et une cigarette après le repas (tabac : 2 % des profits). Oh ! et une très grande serviette de table (coton : 13 % des profits) pour essuyer vos lèvres. »

En ce sens, l’USDA néglige la santé humaine. La plupart des aliments recommandés par les nutritionnistes, notamment les fruits, les légumes et les noix, sont classés dans la catégorie bureaucratique dite de « cultures spéciales », qui comprend également les fruits secs, l’horticulture et les cultures de pépinière (y compris la floriculture). Les lois agricoles, qui sont adoptées tous les cinq ans environ, renforcent le statu quo. Le Farm Bill de 2014, par exemple, a fourni 73 millions de dollars pour le programme de subventions en cultures spécialisées en 2017, sur un total d’environ 25 milliards de dollars pour le budget discrétionnaire de l’USDA. (Le prochain projet de loi sur l’agriculture, actuellement en cours de discussion, sera soumis en 2018.)

En revanche, un système agricole véritablement anti-obésogène stimulerait le soutien à la diversité des cultures par l’USDA — par l’assistance technique, la recherche, les programmes de formation agricole et par l’aide financière aux agriculteurs qui démarrent une culture ou qui transforment leur production agricole. Cela permettrait aussi aux agriculteurs, dont la plupart survivent grâce à des marges de profit très faibles, de gagner leur vie décemment.

7- Mobilisation.

Au début des années 1970, le taux de mortalité causée par la maladie coronarienne en Finlande était le plus élevé au monde et dans la région de l’est de la Carélie du Nord — une contrée de forêts et de lacs et peu peuplée — le taux était 40 % supérieur à la moyenne nationale. Chaque famille a vu des hommes physiquement actifs, des bûcherons et des fermiers forts et minces, mourant dans la force de l’âge.

C’est ainsi qu’est né le projet de la Carélie du Nord, qui est devenu un modèle mondial pour sauver des vies en transformant les modes de vie. Le projet a été lancé en 1972 et s’est officiellement terminé 25 ans plus tard. Alors que son objectif initial était de réduire le tabagisme et les graisses saturées dans l’alimentation, il a ensuite été décidé d’augmenter la consommation de fruits et de légumes.

Le projet de la Carélie du Nord a rempli toutes ces promesses. Quand il a commencé, par exemple, 86 % des hommes et 82 % des femmes mettaient du beurre sur leur pain ; au début des années 2000, c’était seulement 10 % des hommes et 4 % des femmes. L’utilisation de l’huile végétale pour la cuisine a bondi de pratiquement zéro en 1970 à 50 % en 2009. Les fruits et légumes, autrefois rares dans l’assiette, sont devenus plus courants. Au cours de l’existence officielle de ce projet d’un quart de siècle, les décès dus aux maladies coronariennes chez les hommes de Carélie du Nord en âge de travailler ont chuté de 82 % et l’espérance de vie a augmenté de sept ans.

Le secret du succès du projet de la Carélie du Nord était une philosophie générale. Les membres de l’équipe ont passé d’innombrables heures à rencontrer les résidents et à s’assurer qu’ils avaient les moyens d’améliorer leur propre santé. Les volontaires ont demandé l’aide d’un groupe de femmes influentes, d’organisations paysannes, de clubs de chasse et de congrégations religieuses. Ils ont repensé l’étiquetage des aliments et amélioré les services de santé. Des villes ont participé à des concours de baisse de taux de cholestérol. Le gouvernement finlandais a adopté une législation radicale (y compris une interdiction totale de la publicité pour le tabac). Les subventions aux produits laitiers ont été abolies. Les agriculteurs ont été fortement incités à produire du lait à faible teneur en matières grasses, de la viande et des produits laitiers à haute teneur en protéines plutôt qu’en gras.

« Une épidémie massive nécessite un plan d’action massif », déclare Pekka Puska, le directeur du projet de Carélie du Nord, « et le changement des modes de vie ne peut réussir que grâce à une action communautaire. Dans ce cas, les gens ont encouragé le gouvernement à agir — et non l’inverse. »

Les États-Unis pourraient-ils apprendre en 2017 de la grande expérience des années 1970 dans la région de la Carélie du Nord ?

« Les Américains ne sont pas devenus une nation obèse du jour au lendemain. Cela a pris beaucoup de temps — plusieurs décennies, le même temps que pour les individus », note Frank Hu. « Que faisions-nous au cours des 20 ou 30 dernières années, avant de franchir ce seuil ? Nous n’avons pas posé ces questions. Nous n’avons pas fait ce genre d’introspection, en tant qu’individus ou en tant que société dans son ensemble. »

Aujourd’hui, les Américains pourraient être enfin prêts à examiner sérieusement ce que la nourriture représente dans leur vie. En juillet 2015, dans un sondage Gallup auprès d’Américains âgés de 18 ans et plus, 61 % ont déclaré qu’ils essayaient activement d’éviter la consommation régulière de boissons gazeuses (41 % en 2002) ; 50 % essaient d’éviter le sucre ; et 93 % essaient de manger des légumes (mais seulement 57,7 % en 2013 ont déclaré avoir mangé cinq portions ou plus de fruits et légumes au moins quatre jours de la semaine précédente).

La motivation individuelle compte pour peu dans des problèmes aussi immenses que l’épidémie d’obésité. La plupart des succès en santé publique s’appuient sur une action collective pour soutenir la responsabilité personnelle, tout en luttant contre la discrimination subie par les victimes des épidémies.

Pourtant, de nombreux succès légendaires de la santé publique ont également pris beaucoup trop de temps avant de se réaliser. Avons-nous ce luxe ?

« En ce moment, manger sainement en Amérique, c’est comme nager à contre-courant. Si vous êtes un bon nageur et que vous êtes en forme, vous pourrez nager pendant un bout de temps, mais finalement, vous allez vous fatiguer et commencer à être emporté par le courant », explique Margo Wootan, directrice du programme de nutrition du Center for Science in the Public Interest. « Si vous êtes distrait pendant un instant — votre enfant tire sur votre jambe de pantalon, vous avez eu une mauvaise journée, vous êtes fatigué, vous êtes inquiet de ne pas pouvoir payer vos factures — par défaut vous êtes poussé à manger de mauvais types d’aliments et en trop grande quantité. »

Mais Wootan n’a pas réduit ses ambitions pour autant. « Ce dont nous avons besoin, c’est de la mobilisation », dit-elle. « Mobiliser le public pour faire face à la nutrition et à l’obésité en tant que problèmes sociétaux — en reconnaissant que chacun d’entre nous fait chaque jour des choix individuels, mais qu’en ce moment l’environnement est contre nous. Si nous ne changeons pas cela, endiguer l’obésité sera impossible. »

La passation du pouvoir aux jeunes générations pourrait aider la cause. Les milléniaux sont plus enclins à considérer la nourriture non seulement au point de vue nutritif, mais aussi comme une histoire — une tendance qui laisse Kelly Brownell de l’Université Duke optimiste. « Les jeunes ont été élevés à se soucier de leur nourriture. Ils s’intéressent à son origine, à qui l’a cultivée, à sa contribution à l’agriculture durable, à son empreinte carbone et à d’autres facteurs. La génération précédente a prêté attention aux problèmes plus spécifiques, tels que la faim ou l’obésité. Les milléniaux sont en phase avec le concept des systèmes alimentaires. »

Nous sommes à un point d’inflexion de la santé publique. Dans quarante ans, quand nous regarderons les photos couleur numériques à haute résolution de notre époque, que penserons-nous ? Réaliserons-nous que nous avons perdu la lutte contre l’épidémie d’obésité, ou réaliserons-nous que nous avons agi avec sagesse ?

La question nous ramène aux années 1970, et à Pekka Puska, le médecin qui a dirigé le projet de Carélie du Nord pendant 25 ans. Puska, maintenant âgé de 71 ans, avait 27 ans et il était motivé par de grandes idées lorsqu’il s’est engagé à mener cet effort audacieux. Il connaît l’espoir ainsi que les périls de l’idéalisme. « Changer le monde a peut-être été une utopie », dit-il, « mais améliorer la santé publique a été possible ».