Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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14 mai 2020
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Obésité et fonction cardiaque

En bref

  • L’obésité est normalement associée à une baisse du métabolisme énergétique cardiaque, mais l’on ne sait pas précisément comment le cœur s’adapte pour faire face à ce déficit énergétique.
  • Les participants à une étude qui étaient obèses avaient en moyenne un ratio phosphocréatine/ATP 14 % moins élevé que les participants non obèses, mais l’apport en énergie totale (ATP) fournie au muscle cardiaque était préservé par un mécanisme compensatoire qui implique l’accélération de la réaction enzymatique catalysée par la créatine kinase.
  • Ce mécanisme d’adaptation a des conséquences négatives chez les participants obèses dans des situations où la charge de travail du cœur augmente.
  • Les participants obèses qui ont réussi à perdre du poids (-11 % en moyenne) à la suite d’une intervention nutritionnelle d’une durée de 6 mois ont vu leurs paramètres énergétiques du myocarde revenir à des valeurs semblables à celles mesurées chez les participants non obèses.

L’obésité est un problème majeur de santé publique, qui augmente si rapidement dans nos sociétés qu’on parle maintenant d’une « épidémie d’obésité » (voir cet article sur le sujet). L’obésité est un facteur de risque important pour plusieurs maladies cardiovasculaires, incluant l’insuffisance cardiaque et tout particulièrement l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (ICFEP). L’insuffisance cardiaque est une incapacité du cœur de fournir suffisamment de sang pour fournir l’oxygène aux tissus tout en maintenant des pressions de remplissage normales. Les personnes atteintes d’ICFEP représentent environ la moitié des personnes atteintes d’insuffisance cardiaque, l’autre moitié étant atteinte de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite (ICFER). Aux États-Unis, plus de 80% des patients atteints d’ICFEP sont en surpoids (IMC entre 25 et 30) ou sont obèses (IMC > 30), soit deux fois plus que dans la population en général. L’obésité est aujourd’hui un facteur de risque d’ICFEP presque aussi important que l’hypertension. Pourtant, jusqu’à maintenant l’hypertension a retenu beaucoup plus l’attention que l’obésité comme cause de l’ICFEP.

Les mécanismes par lesquels l’obésité mène à l’ICFEP sont multiples:  surcharge cardiaque, inflammation systémique, rétention rénale, résistance à l’insuline et des altérations dans le métabolisme cellulaire. Les effets directs de l’obésité sur les cellules du muscle cardiaque font depuis peu l’objet d’études intéressantes. Les études publiées à ce jour suggèrent que l’accumulation de lipides dans le cœur a des effets toxiques qui favorisent une dysfonction cardiaque chez les personnes obèses. L’obésité est normalement associée à une baisse du métabolisme énergétique cardiaque, mais l’on ne sait pas précisément comment le cœur s’adapte pour faire face à ce déficit énergétique.

Une étude publiée en 2020 dans le journal Circulation apporte une contribution importante à notre compréhension de la relation entre l’obésité et le métabolisme énergétique cardiaque. Les chercheurs ont recruté 80 volontaires qui n’avaient pas de maladie cardiovasculaire connue, incluant 35 personnes non obèses (IMC : 24±3 kg/m2) et 45 personnes obèses (IMC : 35±5 kg/m2). Tous les participants ont été soumis à une batterie de tests avant et après l’intervention nutritionnelle auprès des participants obèses seulement, qui visait à leur faire perdre du poids. Parmi les différents tests effectués, l’imagerie par résonance magnétique nucléaire (RMN) a permis d’évaluer la fonction cardiaque, le volume de gras viscéral abdominal et dans le foie ; la spectroscopie à RMN au phosphore (31P) conventionnelle a permis de mesurer la phosphocréatine et l’ATP (sources d’énergie) au repos, et une variante plus sophistiquée de la spectroscopie à RMN au phosphore, nommée « 31P saturation transfer », a été utilisée pour évaluer la cinétique enzymatique de la créatine kinase, l’enzyme qui permet la formation rapide d’ATP à partir de phosphocréatine dans les cellules musculaires (ADP + phosphocréatine + H+ → ATP + créatine).

L’étude a montré que les participants obèses avaient en moyenne un ratio phosphocréatine/ATP 14% moins élevé que les participants non obèses, mais que l’apport en ATP total fourni au muscle cardiaque était préservé par un mécanisme compensatoire qui implique l’accélération de la réaction enzymatique catalysée par la créatine kinase. En effet, la constante catalytique de la créatine kinase au repos, kfCKrest, était 33% plus élevée chez les participants obèses que chez les non obèses.

Les chercheurs ont suspecté que ce mécanisme d’adaptation pourrait avoir des conséquences négatives dans des situations où la charge de travail du cœur augmente. Pour tester cette hypothèse, ils ont induit une augmentation du débit cardiaque du cœur en administrant de la dobutamine par infusion aux participants, tout en faisant les tests d’imagerie et de spectroscopie à RMN décrits précédemment. Chez les participants non obèses, l’apport en ATP et kfCK ont tous deux augmenté en réponse à l’infusion de dobutamine, par 80% et 86%, respectivement. Par contre, il n’y a pas eu d’augmentation significative de l’apport en ATP et de kfCK chez les participants obèses dans les mêmes conditions de stress imposées au cœur. De plus, l’augmentation systolique provoquée par l’augmentation de la charge de travail du cœur était moins élevée chez les participants obèses (+16%) que chez les participants non obèses (+21%).

Impacts de la perte de poids
Parmi les 45 participants obèses, 36 ont accepté de participer à une intervention nutritionnelle d’une durée de 6 mois visant à faire perdre du poids, et parmi ceux-ci 27 ont réussi à perdre du poids (-11% du poids corporel et -23% du gras corporel, en moyenne). Cette perte de poids était associée à une amélioration de plusieurs paramètres, incluant une baisse 13% du taux de cholestérol sanguin, une baisse de 9% du taux de glucose à jeun et une réduction de la résistance à l’insuline de 41%. La perte de poids a aussi été associée à une réduction de la masse et du volume télédiastolique du ventricule gauche, une amélioration de la fonction diastolique et une hausse de la capacité à faire de l’exercice. La perte de poids chez les participants obèses était associée à une augmentation du ratio phosphocréatine/ATP et à une diminution de kfCkrest et de l’apport en ATP. En fait, les participants obèses qui ont réussi à perdre du poids ont vu leurs paramètres énergétiques du myocarde revenir à des valeurs semblables à celles mesurées chez les participants non obèses.

Ces résultats mettent en lumière la cause probable des symptômes d’épuisement après un effort sont présents chez la majorité des personnes obèses. La diminution de la capacité énergétique cardiaque induite par l’obésité est heureusement réversible par la perte de poids, ce qui représente de nouvelles avenues pour le traitement des cardiomyopathies associées à l’obésité.

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