Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Après une angioplastie, cesser de fumer à l’aide de la cigarette électronique permet de réduire le risque de complications

Le tabagisme représente toujours une des principales causes de mortalité prématurée à l’échelle mondiale en raison des nombreuses maladies graves qui touchent de façon disproportionnée les fumeurs, en particulier les maladies cardiovasculaires (infarctus, AVC) et pulmonaires (cancer du poumon, maladie pulmonaire obstructive chronique) (Figure 1). 

Figure 1.  Mortalité annuelle liée au tabagisme aux États-Unis, 2005-2009.  Sur les 480 317 décès annuels liés à l’usage du tabac, près de 40 % sont dues aux maladies cardiovasculaires, en particulier la maladie coronarienne (133 251 décès). * Les valeurs incluent les décès liés à la fumée secondaire. ** Décès causés par d’autres maladies liées au tabac, en particulier, différents cancers (vessie, bouche, larynx, œsophage, etc.). Source : Centers for Disease Control and Prevention

Le lien étroit qui existe entre le tabagisme et le développement des maladies cardiovasculaires est particulièrement bien établi, avec plusieurs études montrant que le risque d’infarctus du myocarde est globalement de 2-3 fois plus élevé chez les fumeurs que chez les non-fumeurs, et même beaucoup plus élevé chez les gros fumeurs (un paquet et plus par jour) (Figure 2). On a aussi observé que le risque de mort cardiaque subite est 10 fois plus élevé chez les fumeurs. Il n’y a donc clairement rien de pire que la cigarette pour la santé cardiovasculaire et, pour les fumeurs, l’arrêt tabagique demeure l’intervention la plus efficace pour réduire le risque d’accidents cardiaques graves.

Figure 2. Hausse du risque d’infarctus selon le nombre de cigarettes fumées par jour. Pour chaque cigarette additionnelle, le risque d’infarctus du myocarde augmente rapidement (risque doublé dès 7-8 cigarettes par jour) et continue d’augmenter significativement par la suite pour atteindre 6 fois pour les fumeurs d’un paquet par jour et même 9 fois chez les très gros fumeurs (≥ 40 cigarettes par jour). Adapté de Koon et coll. (2006).

Tabagisme post-infarctus

L’importance de cesser de fumer revêt un caractère encore plus urgent pour les fumeurs qui ont été touchés par un infarctus et qui ont dû subir une revascularisation pour rétablir l’apport sanguin au cœur, soit par angioplastie (pose de tuteurs (stents) qui dilatent les artères) ou par pontage aortocoronarien.  Les études montrent que les fumeurs qui continuent à fumer après avoir été traités par l’une ou l’autre de ces procédures sont à plus haut risque de resténose (récidive du blocage de l’artère) et de subir un autre infarctus. Le tabagisme diminue également l’efficacité des agents anti-plaquettaires administrés aux patients ayant subi une revascularisation, ce qui contribue à la hausse du risque de complications chez les fumeurs persistants. 

Cet effet négatif du tabagisme est particulièrement bien documenté par des études sur le risque de mortalité après angioplastie, la procédure la plus fréquemment utilisée pour traiter l’infarctus ou l’angine sévère (environ 50,000 interventions annuellement au Canada).  Par exemple, un suivi pendant une dizaine d’années de patients fumeurs ayant subi une angioplastie a montré que ceux qui ont continué à fumer après l’intervention (presque les 2/3 des patients dans cette étude) avaient une probabilité de survie significativement plus faible que ceux qui avaient abandonné le tabac immédiatement après le traitement (Figure 3). Lorsque ces taux de survie sont comparés à ceux des patients non-fumeurs, on observe une hausse de 76 % du risque de mortalité prématurée chez les fumeurs persistants, tandis que cette hausse du risque diminue à 21 % chez ceux qui ont abandonné le tabac après l’angioplastie. Cesser de fumer après un infarctus est donc absolument essentiel pour améliorer les chances de survie des patients à long terme.

Figure 3. Comparaison des courbes de survie des fumeurs ayant abandonné ou non le tabac après une angioplastie. Les fumeurs persistants (ligne rouge) représentent les patients qui fumaient avant et après l’angioplastie, tandis que les ex-fumeurs (ligne bleue) sont ceux qui ont cessé de fumer immédiatement après la procédure. Adapté de Hasdai et coll. (1997).
 

Vapoter pour cesser de fumer

La cigarette électronique s’est imposée au cours des dernières années comme un des meilleurs outils disponibles pour cesser de fumer, avec un taux d’abandon environ deux fois plus élevé qu’avec les approches utilisant les substituts nicotiniques traditionnels (timbres, gomme). 

Un autre avantage de la cigarette électronique est qu’elle permet de réduire drastiquement l’exposition aux toxiques du tabac et représente en conséquence une alternative très intéressante pour les fumeurs très dépendants, qui ont énormément de difficulté à cesser de fumer.   Rappelons que cette forte dépendance au tabac est due à la nicotine, mais que ce sont plutôt les quelque 7000 composés chimiques produits lors de la combustion du tabac qui sont responsables des problèmes de santé liés au tabagisme (la nicotine n’a quant à elle pas d’effets négatifs majeurs sur la santé).  En permettant l’inhalation de nicotine, mais sans les toxiques présents dans la fumée de cigarette, la cigarette électronique permet de reproduire en grande partie les avantages associés à la cessation tabagique.  

Ceci semble particulièrement vrai en ce qui concerne la santé cardiovasculaire.  Par exemple, une étude clinique randomisée a en effet observé que la transition du tabac vers la cigarette électronique était associée à une amélioration rapide de la santé des vaisseaux (fonction endothéliale, rigidité artérielle). Une autre étude a quant à elle montré que les vapoteurs avaient un risque d’accidents cardiovasculaires beaucoup plus faibles que les fumeurs de cigarettes de tabac et même similaire à celui des non-fumeurs.  Étant donné l’effet catastrophique du  tabac sur la santé des patients ayant subi une angioplastie, il est donc possible que la transition de ces fumeurs vers la cigarette électronique après l’intervention puisse diminuer les risques de complications et améliorer leur survie.

Vapotage post-angioplastie

Cette possibilité a récemment été examinée par une étude coréenne réalisée auprès de 17 973 adultes qui fumaient en moyenne une vingtaine de cigarettes par jour au moment de subir une angioplastie pour traiter un infarctus ou une angine. Après l’intervention, les patients ont été suivis pendant environ 5 ans pour mesurer l’incidence d’accidents cardiovasculaires majeurs (une combinaison de mort subite, d’infarctus ou d’une autre angioplastie) chez ceux qui avaient continué à fumer, ceux qui étaient parvenus à abandonner la cigarette et ceux qui avaient remplacé la cigarette par la cigarette électronique.

Sans surprise, les résultats montrent que les fumeurs persistants sont les patients les plus à risque de développer des complications post-angioplastie, avec près de 1 personne sur 5 qui est affectée par un accident cardiovasculaire dans les premières années suivant l’intervention. Par contre,  l’étude montre clairement que l’incidence de ces complications est significativement réduite autant chez les patients qui ont cessé de fumer que chez ceux qui ont remplacé la cigarette par la cigarette électronique (Figure 4).   

Figure 4.  Comparaison de l’incidence d’accidents cardiovasculaires majeurs selon les modifications faites par les fumeurs suite à une angioplastie. Sur les 17 973 patients qui fumaient avant l’angioplastie, la moitié d’entre eux (8951 personnes) ont continué à fumer après la procédure, 41 % (7328 personnes) sont parvenus à cesser complètement de fumer et 9,5 % (1694 personnes) ont plutôt utilisé la cigarette électronique comme alternative au tabac.  Notez la diminution importante d’accidents cardiovasculaires post-angioplastie (un amalgame de mortalité, infarctus du myocarde et angioplastie additionnelle), autant chez les abstinents que chez les vapoteurs comparativement aux fumeurs persistants. Adapté de Kang et coll. (2024).
 

Cet effet positif de la cigarette électronique est encore plus prononcé lorsqu’on restreint l’analyse aux vapoteurs exclusifs, c’est-à-dire ceux qui ont complètement éliminé la cigarette et utilisent la cigarette électronique comme unique source de nicotine (Figure 5).  Ceci est en accord avec des études antérieures qui ont montré que les utilisateurs doubles (tabac et cigarette électronique) sont exposés à une plus forte quantité de substances toxiques et demeurent plus à risque d’accidents cardiovasculaires que les vapoteurs exclusifs.  Il semble donc que pour être réellement efficace en termes de réduction des méfaits, la cigarette électronique doit être un substitut au tabac et non simplement un complément, par exemple pour obtenir une dose de nicotine en cas d’impossibilité de fumer la cigarette. 

Figure 5.  Comparaison de l’incidence d’accidents cardiovasculaires majeurs entre les vapoteurs exclusifs et les doubles utilisateurs. Après l’angioplastie, environ la moitié des vapoteurs ont abandonné définitivement la cigarette de tabac pour la cigarette électronique, tandis que l’autre moitié utilisaient les deux modes d’administration de nicotine.  Notez la plus forte baisse d’incidence d’accidents cardiovasculaires chez les vapoteurs exclusifs. Adapté de Kang et coll. (2024).
 

Même si après un accident cardiovasculaire cesser de fumer doit être considéré comme une urgence médicale,  une forte proportion des patients continuent à fumer en raison de leur forte dépendance à la nicotine.  La démonstration que la cigarette électronique est aussi efficace que l’abandon pur et simple du tabac pour réduire le risque de complications post-angioplastie est en ce sens une excellente nouvelle, car un apport régulier en nicotine peut grandement faciliter l’abandon de la cigarette chez les fumeurs très dépendants et ainsi améliorer substantiellement leurs probabilités de survie. 

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