Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Le changement d’heure saisonnier n’influence pas le risque d’infarctus du myocarde

En bref

  • Dans les latitudes éloignées de l’équateur, l’heure avancée d’été a pour but d’harmoniser la longue période d’ensoleillement estivale avec l’horaire des activités humaines. 
  • Certaines études rapportent cependant que ce changement d’heure, de même que le retour à l’heure normale en automne, perturbe le sommeil et pourrait avoir des impacts négatifs sur la santé, en particulier en ce qui concerne le risque d’accidents automobiles et d’accidents cardiovasculaires.
  • Ces craintes d’un impact sur la santé cardiovasculaire semblent cependant infondées, car une analyse de plus de 200,000 cas d’infarctus du myocarde qui sont survenus entre 2013 et 2020 ne montre aucune différence d’incidence associée aux changements d’heure saisonniers.

La vie de toutes les espèces vivantes est basée sur le cycle jour-nuit associé à la rotation de la Terre.  Les humains n’échappent pas à cette règle, car l’efficacité de plusieurs processus physiologiques essentiels au fonctionnement de l’organisme requiert une synchronisation optimale avec le cycle lumière/obscurité. Un des meilleurs exemples est le cycle gouvernant le métabolisme du glucose : durant le jour, l’arrêt de la sécrétion de mélatonine causée par le début de la période d’ensoleillement permet au pancréas de produire de l’insuline en réponse à l’ingestion de glucides, et la capture du glucose présent dans la circulation sanguine qui s’ensuit est utilisée par les cellules pour soutenir nos besoins en énergie durant la période d’éveil. En soirée, le coucher du soleil induit la sécrétion de mélatonine (pour favoriser le sommeil) et interfère avec celle d’insuline, ce qui diminue l’absorption de sucre par les cellules et facilite la transition vers l’utilisation des graisses comme principale source d’énergie pendant la période de repos (voir notre article à ce sujet). 
 
Horloge sociale
Les humains se distinguent cependant des autres animaux par l’existence d’un autre type d’horloge, dite « sociale », qui sert à encadrer la plupart de  nos activités quotidiennes, qu’il s’agisse du travail, de l’école, du moment des repas ou encore de nos loisirs et interactions interindividuelles.  Cette horloge sociale est quelque peu différente du cycle lever/coucher du soleil, dans la mesure où nous dormons environ 8 heures et que nos périodes d’éveil sont donc forcément plus longues que la durée totale d’ensoleillement.  Pour la très grande majorité des gens, ce temps excédentaire (souvent sous forme de loisirs) se déroule en soirée, après le coucher du soleil, et il semble que ce comportement soit une caractéristique innée à l’être humain, car il est aussi observé chez les sociétés pré-industrielles tropicales qui vivent selon un mode de vie traditionnel, sans électricité et donc sans éclairage artificiel. Ces personnes se lèvent à l’aube, vaquent à leurs activités durant la journée, s’endorment en moyenne 3-4 heures après  le coucher du soleil et ont globalement une durée de sommeil à peu près équivalente à la nôtre (7 heures).  C’est donc le lever du soleil qui semble représenter le principal paramètre qui sert de référence pour régler l’horloge sociale.  

Dans les pays situés près de l’équateur (comme c’est le cas pour ces sociétés pré-industrielles), cette horloge sociale est très facile à adapter au cycle jour-nuit de la Terre puisque le soleil se lève et se couche à des heures relativement constantes tout au long de l’année (à quelques minutes près, le jour et la nuit ont chacun 12 heures à l’équateur).  Par contre, pour les habitants des pays plus éloignés de l’équateur, la légère inclinaison de l’axe de rotation de la Terre crée d’énormes différences dans la durée des périodes d’ensoleillement en été et en hiver. À Montréal, par exemple, il y a environ 7 heures de différence entre la durée du jour au solstice d’été (15h41 heures) et celle du solstice d’hiver (8h43 heures), ce qui crée évidemment une discordance entre l’horloge biologique et l’horloge sociale, surtout en été lorsque le soleil se lève extrêmement tôt, bien avant le début des activités normales. 

 
La principale raison d’être du changement d’heure saisonnier actuellement en vigueur est donc de chercher à atténuer en partie ces différences pour permettre au lever du soleil d’être mieux synchronisé avec notre horloge sociale : au printemps et en été, on « emprunte » donc une heure d’ensoleillement qui survient très tôt le matin pour la transférer en soirée et allonger du même coup la durée de l’ensoleillement pendant la période d’activité humaine. Une exposition accrue à la lumière naturelle pendant les journées plus longues du printemps et de l’été peut avoir un effet positif sur les niveaux d’énergie et l’humeur générale. Passer plus de temps à l’extérieur peut également inciter à être plus actif physiquement : par exemple,  on a observé que l’augmentation de la période d’ensoleillement était associée à une hausse significative (6 %) de l’activité physique des enfants.  À l’inverse, lorsque le soleil se lève de plus en plus tard en automne, le recul de l’horloge permet de faire coïncider le lever du soleil avec l’horloge sociale et le début de nos activités (Figure 1).

Figure 1. Variations mensuelles de la durée du jour à Montréal. Les courbes représentent les heures du lever du soleil (jaune), du coucher du soleil (rouge) et le temps d’ensoleillement (bleu). Les valeurs indiquées en encadré correspondent aux solstices d’été et d’hiver.  Tiré de https://ptaff.ca/soleil/

Effets sur la santé

Même si elle est en vigueur en Amérique depuis environ un siècle, cette approche est cependant loin de faire l’unanimité :  la plupart des enquêtes montrent en effet qu’une proportion significative des répondants affirment détester les changements d’heures saisonniers, surtout lors du passage à l’heure d’été, et une majorité d’entre elles préfèrerait ne jamais avoir à changer d’heure.  La  difficulté à s’endormir et/ou à se réveiller normalement dans les premiers jours (et dans certains cas les deux premières semaines) qui suivent le passage à l’heure avancée est associée à une réduction moyenne de 15-20 minutes de la durée du sommeil, ce qui semble représenter un irritant majeur pour certaines personnes.

Cette insatisfaction face aux changements d’heure a été amplifiée ces dernières années par plusieurs études qui ont rapporté leurs impacts potentiellement négatifs sur un certain nombre de phénomènes liés à la santé, les plus étudiés étant les accidents automobiles et les maladies cardiovasculaires.  En ce qui concerne les accidents, les résultats obtenus sont assez variables, c’est-à-dire que certaines études rapportent effectivement une augmentation des accidents dans la semaine suivant le passage à l’heure d’été, alors que d’autres notent une absence d’effet ou même une diminution.  L’exemple le plus fréquemment cité par les opposants à l’heure avancée est  une analyse portant sur près de 733 000 collisions mortelles qui  a révélé une augmentation de 6 % dans la semaine suivant le passage à l’heure d’été entre 1996 et 2017, en particulier le matin. Selon les auteurs, environ 28 collisions mortelles pourraient être évitées chaque année si les États-Unis mettaient fin à l’heure avancée. Il faut cependant mentionner que ces effets négatifs semblent surtout être à court terme (et attribuables à la perturbation du sommeil dans les jours qui suivent le changement d’heure); à plus long terme, plusieurs études montrent que l’heure avancée serait plutôt associée à une diminution du nombre total de collisions.  

En ce qui concerne les maladies cardiovasculaires, il est bien documenté que les rythmes circadiens exercent une forte influence sur le fonctionnement du cœur  et que des perturbations à ces rythmes haussent le risque d’arythmies et d’infarctus du myocarde. Dans le contexte du changement d’heure, certaines études suggèrent que la perturbation du sommeil qui lui est associée, ainsi que les modifications qu’elle entraine sur l’activité cardiaque (hausse de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque, par exemple), pourraient augmenter le risque d’infarctus dans les premiers jours suivants le passage à l’heure avancée. Par exemple, une étude suédoise a montré qu’entre 1987 et 2006, l’incidence d’infarctus du myocarde était augmentée d’environ 5 % le lundi, mardi et mercredi suivant le changement à l’heure d’été. Des hausses similaires ont été rapportées par d’autres études réalisées au Michigan, en Croatie, au Brésil, mais aucune augmentation n’a été notée en Allemagne, aux Pays-Bas, en Finlande ou encore au Canada. Selon une méta-analyse de l’ensemble de ces études, la hausse du risque d’infarctus serait relativement modeste, aux environs de 3 %, et exclusivement observée lors de la transition à l’heure d’été.

Incidence d’infarctus stable

Cette légère hausse de l’incidence d’accidents cardiovasculaires causée par le changement d’heure vient cependant d’être remise en question par une étude portant sur 168 870 cas documentés d’infarctus du myocarde, provenant de 1124 hôpitaux différents, soit un échantillon beaucoup plus élevé que dans les études précédentes. Pendant la période comprise entre 2013 et 2022, la comparaison des incidences d’infarctus pendant la semaine avant l’heure d’été,  la semaine de l’heure d’été ou la semaine après l’heure d’été ne montre aucune différence significative, autant au printemps qu’à l’automne (Figure 2).  

Figure 2. Ratios de l’incidence d’infarctus du myocarde au cours de la semaine de passage à l’heure d’été au printemps et à l’heure normale à l’automne, comparés aux semaines précédentes et suivantes au cours des années 2013-2022. * Début de l’épidémie de Covid-19.

Aucune différence n’a également été observée dans le risque de décès à l’hôpital, de l’incidence d’accident vasculaire cérébral ou de procédures de revascularisation une semaine avant ou après la semaine des changements d’heure au printemps ou à l’automne. La seule différence est la hausse significative de l’incidence d’infarctus en 2020, une période qui coïncidait avec le début de la pandémie de Covid-19, et il est donc probable que cette hausse soit liée à l’augmentation subite de mortalité durant cette période. 

Comme il a été récemment souligné,  toutes les études antérieures sur ce sujet portaient sur un nombre beaucoup plus réduit de patients, provenant souvent de la même région géographique, et il devient alors statistiquement difficile d’isoler précisément un effet spécifique au changement d’heure parmi la myriade de facteurs qui peuvent influencer le risque d’infarctus.  Le nombre élevé de cas répertoriés et l’hétérogénéité de la population étudiée (plus de 1000 hôpitaux répartis à l’échelle des États-Unis) donnent énormément de poids aux résultats de cette étude et suggèrent fortement que le changement d’heure saisonnier n’a pas d’impact significatif sur le risque d’infarctus.  

Conserver l’heure normale ou avancée ?

Même si les impacts négatifs du changement d’heure saisonnier sur la santé cardiovasculaire sont probablement beaucoup moins prononcés qu’on le pensait, il reste qu’un grand nombre de personnes préfèreraient tout de même cesser cette pratique et demeurer à la même heure toute l’année. Dans les enquêtes, la majorité des répondants ont tendance à privilégier le maintien de l’heure avancée de façon permanente, un choix qui reflète sans doute les nombreux avantages procurés par une augmentation de la durée de la période d’ensoleillement des soirées estivales et qui permettent de profiter au maximum de la belle saison. Par contre, il ne faudrait surtout pas négliger les effets négatifs de l’heure avancée en hiver : cette pratique retarderait le lever du soleil jusqu’à 08:30 lors du solstice, de sorte que le début de journée de l’immense majorité des personnes se déroulerait dans la noirceur (Tableau 1).  

Tableau 1. Heures de lever et de coucher du soleil à Montréal (45o Latitude Nord).  * Les heures indiquées sont celles associées aux solstices d’hiver (21 décembre) et d’été (21 juin).

La situation serait encore pire pour les habitants des zones situées à l’ouest du fuseau horaire, avec un lever du soleil environ une heure plus tard, donc aux environs de 9:30.  Un lever de soleil aussi tardif est incompatible avec nos deux horloges, autant la biologique que la sociale, et il y a unanimité chez les experts pour dire que l’heure avancée permanente est probablement la pire solution possible, justement en raison de son impact hivernal qui accentue le décalage entre le lever du soleil et le début des activités.  Avant d’appliquer la proposition de conserver l’heure avancée toute l’année, souhaitée par la majorité de la population, il serait bon de considérer que plusieurs pays ont tenté cette expérience dans le passé (États-Unis (1973), Russie (2011-2014), et le Royaume-Uni (1968-1971), par exemple) et ont tous abandonné cette pratique, justement en raison du mécontentement provoqué par les débuts de journée tardifs en hiver. 

Les associations médicales spécialisées, composées d’experts dans les domaines du sommeil et des rythmes circadiens, comme l’ American Academy of Sleep Medicine (AASM) et la Society for Research on Biological Rhythms (SRBR), s’entendent pour dire que la seule alternative valable aux changements d’heure saisonniers est de demeurer à l’heure normale durant toute l’année.  En hiver, elle permet de synchroniser le lever du soleil et le début des activités humaines, tandis qu’en été, le coucher plus hâtif du soleil favoriserait la mise en branle des processus impliqués dans le sommeil (la sécrétion de mélatonine, l’hormone du sommeil) et inciterait à se coucher plus tôt.  Il faut cependant mentionner qu’à nos latitudes septentrionales, l’heure normale permanente impliquerait un lever du soleil extrêmement précoce au moment du pic de l’été, aux environs de 04:00 (avec l’apparition de la clarté de l’aube encore plus tôt, vers 03:30), ce qui est en fort décalage avec l’horloge sociale de la très grande majorité des gens (Tableau 1).  

En conclusion, le principal effet des changements d’heure saisonniers est de perturber temporairement la routine de sommeil.  Ces perturbations ne sont cependant pas inévitables et peuvent être grandement atténuées par ce qu’on appelle une « adaptation circadienne » : en prévision de la transition vers l’heure d’été (celle qui incommode le plus grand nombre de personnes), il s’agit simplement de devancer l’horloge du réveil de 15 min chaque semaine au cours des 4 semaines qui précèdent le changement d’heure (ou de 20 min pendant 3 semaines ou de 30 min pendant 2 semaines).

En termes d’effets plus généraux sur la santé, l’étude décrite plus tôt suggère que les changements d’heure saisonniers ont un impact mineur, voire nul, sur le risque d’infarctus et qu’il serait donc prématuré d’invoquer des bénéfices cardiovasculaires pour justifier l’abolition de cette pratique. Avec l’emphase qui est mise sur les effets du changement d’heure, on a aussi tendance à oublier que l’époque moderne n’est plus régie exclusivement par la luminosité du soleil et que les éclairages artificiels peuvent fortement contribuer à la perturbation de notre horloge biologique et moduler le risque de maladies, incluant les maladies cardiovasculaires. Par exemple, la lumière bleue de nos écrans, désormais omniprésents, possède la longueur d’onde la plus courte et la plus haute énergie lumineuse que l’œil humain puisse voir et a un effet particulièrement déstabilisateur sur les rythmes circadiens, particulièrement lors d’une exposition en soirée. Il est donc fort probable que l’omniprésence de la lumière artificielle ait des impacts négatifs beaucoup plus prononcés sur la qualité du sommeil et les perturbations métaboliques qui en découlent que les changements d’heure saisonniers.

Enfin, si on désire malgré tout abolir ces changements d’heure, il faut accepter de sacrifier les plus longues soirées ensoleillées en été, car la seule alternative valable est de conserver l’heure normale en permanence.

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