Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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Graisses alimentaires et maladies cardiovasculaires

Cholestérol, gras hydrogénés « trans », saturés, monoinsaturés, polyinsaturés, oméga-6, oméga-3…..décidément, il n’est pas facile de s’y retrouver dans le monde des matières grasses !  Il s’agit pourtant d’un sujet qui mérite d’être mieux compris, car ces différents gras exercent tous une influence, positive ou négative, sur le fonctionnement de notre organisme.  Apprendre à distinguer les bons des mauvais gras peut donc avoir des répercussions extraordinaires sur notre santé, en particulier en ce qui concerne la prévention des maladies cardiovasculaires.

Pour simplifier, les matières grasses de l’alimentation peuvent être divisées en trois grandes catégories :

  • les gras saturés, principalement retrouvés dans les sources de protéines animales (viandes, produits laitiers, œufs).
  • les gras insaturés, principalement d’origine végétale. Ces lipides peuvent être sous forme de gras monoinsaturés (huile d’olive, avocats, certaines noix), polyinsaturés de type oméga-6 (huiles végétales) ou encore polyinsaturés de type oméga-3 (graines de lin, de chia).  Certains poissons gras (saumon, sardine, maquereau, hareng) contiennent également des gras insaturés de type oméga-3 à longues chaînes.
  • les gras trans, d’origine synthétique, qui sont utilisés pour améliorer la texture et la conservation de plusieurs produits industriels, en particulier ceux de la malbouffe.

On sait depuis plusieurs années que ces différents types de gras ont des effets très différents sur le risque d’être touché par une maladie coronarienne. Historiquement, une des meilleures illustrations de ce concept est la différence spectaculaire d’incidence de maladies cardiovasculaires entre certaines populations du monde. Par exemple, l’étude des sept pays (Seven Countries Study) a révélé que les habitants de l’île de Crête en Grèce étaient beaucoup moins touchés par les maladies cardiovasculaires que les Finlandais, même si ces deux peuples consommaient environ la même quantité de matières grasses.  Avec toutefois une énorme différence : le gras consommé par les Crétois était sous la forme de gras mono-insaturés (huile d’olive) et de gras polyinsaturés oméga-3, tandis que chez les Finlandais, les matières grasses étaient surtout saturées (viandes, produits laitiers).  Ces observations suggéraient donc pour la première fois que le simple fait de remplacer les gras saturés de l’alimentation par des gras insaturés pourrait avoir des répercussions extrêmement positives en terme de prévention des maladies cardiovasculaires.

Un des exemples les plus impressionnants des bénéfices procurés par une réduction des gras saturés de l’alimentation provient de la Carélie du Nord, une région de l’Est de la Finlande.  Au début des années 1970s, les habitants de cette région présentaient la plus forte incidence de mortalité cardiovasculaire au monde, ce qui a entrainé une mobilisation politique et sociale sans précédent pour modifier les habitudes de vie responsables de cette forte incidence de décès prématurés, en particulier le taux de tabagisme et la très forte consommation de gras saturés.  L’objectif était de réduire le niveau de cholestérol sérique en diminuant  l’apport en gras saturés et en accroissant l’apport en légumes, en fibres alimentaires et en gras polyinsaturés. Ces modifications ont entrainé une diminution très importante (73 %) de la mortalité cardiovasculaire et du taux de mortalité prématurée en général entre 1970 et 1995, ce qui s’est traduit par une augmentation de 7 années de l’espérance de vie.  Un phénomène similaire a été observé en Pologne, où la réduction des gras saturés au profit des gras insaturés s’est là aussi accompagnée d’une diminution très rapide de la mortalité coronarienne.   Ces observations sont en accord avec une revue systématique réalisée par la réputée Cochrane Library qui montrait que la réduction des gras saturés dans l’alimentation est associée à une diminution de 17 % des événements cardiovasculaires lors d’essais cliniques randomisés.

Effet d’un excès de gras saturés
Mécanisme proposé
InflammationAugmentation de l’infiltration de cellules inflammatoires dans le tissu adipeux
Résistance à l’insulineL’inflammation chronique induit une résistance à l’insuline au niveau des muscles et endommage les cellules bêta du pancréas.
Hausse des lipides hépatiquesAltération du métabolisme hépatique
Altération du microbiomeLa perturbation du microbiome stimule l’inflammation du tissu adipeux et le développement de la résistance à l’insuline.
MétastasesActivation d’une sous-population de cellules tumorales possédant un potentiel métastatique

Pour diminuer le risque de mort prématurée, il ne s’agit donc pas de simplement diminuer la quantité de gras saturés dans l’alimentation, mais surtout de les remplacer par des matières grasses insaturées protectrices.  Les gras trans ne sont évidemment pas une option, car ce sont de très loin les pires matières grasses de l’alimentation (et qui heureusement seront bientôt bannis en Amérique du Nord), pas plus que les  glucides simples comme les farines raffinées et les sucres ajoutés : les sucres simples favorisent l’athérosclérose et peuvent même tripler le risque de mortalité cardiovasculaire lorsqu’ils sont consommés en grandes quantités. Les aliments « faible en gras » ou « 0 % de gras » ne sont donc pas une solution, car  ces produits contiennent très souvent de grandes quantités de sucres ajoutés qui vont contrecarrer les bénéfices que pourrait apporter une diminution des gras saturés.

Quelles sont les sources de gras saturés à remplacer ? Les études réalisées jusqu’à présent indiquent que ce sont les viandes rouges et les charcuteries qui sont le plus souvent associées à une augmentation de la mortalité prématurée , conséquence de leur effet négatif sur le risque de maladie coronarienne, de diabète de type 2 et de cancer colorectal.  Réduire l’apport en viandes rouges et charcuteries au profit de protéines d’origine végétale comme les légumineuses, les noix, les graines et les légumes peut donc être très avantageux pour la prévention des maladies cardiovasculaires et le maintien d’une bonne santé ben général.

L’impact des deux autres sources importantes de protéines animales, soit les produits laitiers et les œufs, semble plus neutre. La consommation de lait (200 ml/jour) ne semble pas influencer le risque de maladies coronariennes ou de mortalité précoce et certaines études suggèrent que la consommation de produits laitiers fermentés tels que le yogourt pourrait même être associée à un plus faible risque de diabète de type 2 . La consommation modérée de produits laitiers faibles en gras et en particulier ceux qui sont fermentés semble donc avoir un impact neutre sur la santé cardiovasculaire. Il est cependant intéressant de noter que même si les produits laitiers ne sont pas nocifs, ils n’apportent pas non plus de bénéfices marqués pour la santé et qu’il peut être avantageux de les remplacer par d’autres sources de gras.  Par exemple, une étude récente suggère que la substitution des gras des produits laitiers par des gras polyinsaturés est associée à une diminution de 24 % du risque de maladie cardiovasculaire.

Quant aux œufs, plusieurs études ont montré que leur consommation modérée (< 7 œufs par semaine) n’a pas d’impact notable sur le risque d’infarctus du myocarde ou d’AVC. La consommation d’oeufs sans restriction est cependant déconseillée par plusieurs experts, comme le Dr Jean Davignon de l’IRCM, car les œufs ont la propriété d’oxyder le cholestérol LDL et de le rendre plus toxique pour la paroi des artères. Une étude récente a également démontré que la phosphatidylcholine des œufs est transformée par le microbiome intestinal en une molécule inflammatoire toxique pour les artères coronaires, le triméthylamine-N-oxyde (TMAO). Les personnes touchées par une maladie coronarienne ou celles qui sont très à risque de l’être (les diabétiques, par exemple) ont donc avantage à limiter leur consommation à un maximum de 1 à 2 œufs par semaine.

En somme, pour prévenir les maladies cardiovasculaires, l’idéal est  de diminuer la consommation de viandes, en particulier de viandes rouges et de charcuteries, et d’augmenter celle de végétaux comme les fruits, légumes, noix et légumineuses. Ce simple changement permet de diminuer l’apport en gras saturés tout en augmentant celui de gras polyinsaturés et de glucides complexes comme les fibres, ce qui se traduit par une diminution marquée du risque de maladie coronarienne. En ce sens, il est intéressant de noter que plusieurs régions du monde reconnues pour la longévité de leurs habitants comme Loma Linda en Californie, Okinawa au Japon, Ikaria en Grèce et la Sardaigne ont tous en commun une alimentation riche en végétaux et dans laquelle l’apport en protéines animales est faible ou modéré. Il s’agit donc vraisemblablement de la combinaison optimale pour prévenir les maladies cardiovasculaires et augmenter l’espérance de vie en bonne santé.

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