Dr Josep Iglesies-Grau, M.D., Ph.D.

Centre de recherche et Centre ÉPIC, Institut de cardiologie de Montréal. Département de Médecine, Université de Montréal, Montréal, Québec, Canada, Département de Nutrition, Université de Montréal, Montréal, Québec, Canada

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Dr Éric Thorin, Ph. D.

Professeur titulaire, Département de Chirurgie, Université de Montréal. Chercheur au centre de recherche de l'Institut de cardiologie de Montréal.

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19 août 2025
Éviter les aliments ultratransformés facilite le contrôle du poids corporel

L’obésité est devenue au cours des dernières années l’une des principales causes de mortalité et de morbidité, étant responsable de plus de 4 millions de décès chaque année dans le monde. Fondamentalement, la prise de poids est le résultat d’un déséquilibre causé par une consommation de calories qui excède les besoins énergétiques du corps. La recherche des dernières années a montré que c’est plus la surconsommation de nourriture qu’une activité physique insuffisante qui est la grande responsable de ce déséquilibre, en particulier lorsque les calories proviennent des aliments industriels ultratransformés; au Canada, cela représente 43,4% de l’apport calorique journalier chez les adultes. Un très grand nombre d’études épidémiologiques ont en effet observé une association entre la consommation de ces produits et l’incidence d’obésité, un effet qui serait dû à plusieurs caractéristiques intrinsèques à ces aliments, comme leur densité énergétique très élevée (des aliments riches en gras et sucre), leurs propriétés orosensorielles particulières (texture moelleuse, absence de fibres) qui favorisent la surconsommation de calories, ainsi que leur contenu en additifs divers (émulsifiants, en particulier) qui perturbent le métabolisme. 

Plusieurs guides alimentaires officiels comme le « Eat Well Guide » Britannique (EWG) et le 2025 US Dietary Guidelines for Americans Committee (DGAC) considèrent toutefois que les données demeurent insuffisantes pour suggérer de réduire les aliments ultratransformés des recommandations actuelles. On continue plutôt de privilégier une approche standard pour le contrôle du poids corporel et du maintien de la santé en général, c’est-à-dire la consommation de 5 portions quotidiennes de fruits et de légumes, de consommer la majorité des calories sous forme de glucides, de limiter l’apport en gras, sucre et sel, et de consommer une variété d’aliments, sans tenir compte que ces aliments soient peu ou très transformés industriellement (notons que le guide alimentaire canadien, quant à lui, recommande de limiter la consommation de ces aliments). 

Selon une étude britannique récente, il est grand temps d’actualiser ces recommandations, car même lorsque les personnes adhèrent fortement aux grandes lignes de ces guides alimentaires, la présence d’aliments ultratransformés compromet le contrôle du poids corporel.

Dans l’étude de Dicken et collègues publiée dans Nature Medicine le 4 août 2025, il est tout d’abord clairement démontré que si l’on a de mauvaises habitudes alimentaires et que l’on adopte les recommandations gouvernementales d’une alimentation saine promues dans le Eat Well Guide, on perd généralement du poids. Mais la véritable force de cette étude réside dans la démonstration que toutes les calories ne se valent pas : suivre ces recommandations sans réduire la part des aliments ultratransformés (UPF, « ultraprocessed food ») constitue un frein majeur à la perte de poids. L’essai montre clairement que les UPF sont le talon d’Achille des recommandations officielles : sans leur réduction, la perdre du poids reste limitée. Dans l’étude, ceux qui ont mangé des plats à base d’aliments frais ou des aliments minimalement transformés (MPF, « minimally processed food ») ont perdu le double de poids par rapport aux consommateurs d’aliments ultra-transformés (–2 % vs. –1 %), tout en suivant les mêmes recommandations nutritionnelles. Ces données probantes manquaient, c’est-à-dire des données provenant d’études cliniques randomisées parfaitement contrôlées comparant UPF et MPF dans le contexte de suivi des recommandations alimentaires. Cette étude met en évidence que suivre une alimentation dite saine perd une partie de ses effets lorsque les UPF sont maintenus, alors qu’un régime basé uniquement sur des MPF en maximise pleinement les bénéfices. Nous avons d’ailleurs déjà rapporté que les UPF avaient des impacts néfastes sur la santé, tant mentale que cardiovasculaire, et favorisaient le gain de poids en encourageant la surconsommation de nourriture, aux environs de 500 calories par jour.

Regardons l’étude de plus près : les chercheurs ont voulu voir si cet effet obésogène des UPF pouvaient interférer avec la perte de poids normalement observée lors de l’adhérence à une alimentation saine. Pour y arriver, ils ont mesuré les pertes de poids induites par deux types de régimes, soit une alimentation composée principalement d’aliments minimalement transformés (MPF) ou, à l’inverse, une alimentation où les aliments ultratransformés (UPF) constituent la majorité des calories (Voir Tableau 1).

Par 2000 kcal de diète fournieRecommandations du guide EatwellDiète MPFDiète UPF
Energie (kcal/jour)
Energie, densité (kcal/g)
2000
1,37
2000
1,70
UPF (kcal)N/A34,91812,6
UPF (%)N/A1,7%90,7%
MPF (kcal)N/A1643,061,7
MPF (%)N/A82,1%3,1%
Gras total (g)78 g ou moins / 2000 kcal76,670,1
Gras total (%)35% de la prise d’énergie fournie, ou moins34,2%31,6%
Gras saturé (g)24 g ou moins / 2000 kcal21,519,0
Gras saturé (%)10% de la prise d’énergie fournie, ou moins9,6 %8,60%
Glucides (g)267 g / 2000 kcal255,0250,2
Glucides (%)env. 50% de la prise d’énergie fournie50,5%50,0%
Sucre (g)Moins de 90 g / 2000 kcal66,183,7
Sucre (%)Moins de 18% de l’énergie totale13,1%16,7%
Protéines (g)45 g / 2000 kcal77,278,2
Protéines (%)env. 15% de la prise d’énergie fournie15,3%15,6%
Sel (g)Moins de 6 g par jour. Apport en accord avec les lignes directrices actuelles visant moins de 6 g par jour3,03,8
Fibres (g)Au moins 30 g / 2000 kcal35,932,4
Fruits et légumes (portions/j)5 portions par jour6,15,1

Tableau 1. Composition des diètes utilisées dans l’étude. Abréviations : MPF, nourriture minimalement transformée; UPF, nourriture ultra-transformée.

L’impact de ces deux types d’alimentation a été comparé en même temps et chez les mêmes sujets à tour de rôle, c’est-à-dire que pendant 8 semaines, des volontaires ont suivi les recommandations du Eat Well Guide, ce qui inclus les UPF dans l’alimentation, sans autres changements dans leurs habitudes de vie. Puis, après une période de 4 semaines sans guide ni contraintes, ces mêmes volontaires devaient suivre les recommandations EWG, mais cette fois en éliminant les UPF, intégrant ainsi les MPF. La moitié des sujets avaient commencé dans le groupe UPF et l’autre dans le groupe MPF, et cela de manière aléatoire et à l’aveugle, avant de changer de groupe pour la seconde phase de l’étude. Critères essentiels : aucune des personnes volontairement enrôlées dans l’étude ne connaissait l’objectif primaire de l’étude, c’est-à-dire leur différence de poids entre le commencement et à la fin de l’étude. D’autre part, tous les sujets de l’étude recevaient en excès leur nourriture préparé de manière adéquate en fonction du groupe auquel ils étaient inclus et cela sans savoir s’il s’agissait de menus incluant des UPF ou seulement des MPF; ils pouvaient donc manger la quantité de nourriture qu’ils désiraient. Il ne pouvaient pas ajouter des aliments, même le thé et le café étaient fournis. Il n’y avait donc aucun biais possible.

Les résultats sont sans appel (voir Figure 1 pour un résumé). En Grande-Bretagne, plus de 60% de la population adulte est en surpoids, et plus de 60% des calories de l’alimentation provient des UPF : la population de l’étude (90% de femmes, âge moyen de 42,6±1,6 ans) était représentative, avec un indice de masse corporel (IMC) de 32,7±0,5 kg/m2 pour un poids moyen de 89,4±1,7 kg, et une consommation de 67,3±1,1% kcal/jour provenant des UPF, le tout sans adhérence au Eat Well Guide, sauf pour la viande rouge. Une fois dans l’étude, l’adhérence au Eat Well Guide a permis en 8 semaines une réduction du poids dans les deux groupes (Figure A) : cependant, dans le groupe MPF, il y a eu une réduction de 2,06% du poids (~1,8 kg), alors que dans le groupe UPF, cette réduction était moindre (p=0,012) et limitée à 1,05% (~0,9 kg). 

Figure 1. Effets d’un régime alimentaire suivant les recommandations nutritionnelles optimales Britanniques sur la perte de poids des volontaires de l’étude. A) décrit l’effet synergique de l’utilisation de produits/aliments minimalement transformés (MPF) avec le suivi des recommandations nutritionnelles qui elles, incluent les produits ultratransformés (UPF). B) décrit la valeur ajouté d’éliminer les UPF tout en suivant les recommandations du guide alimentaire Britannique, ce qui représente un gain supérieur de perte de poids de près de 1 kilogramme en seulement 8 semaines d’adhérence aux recommandations nutritionnelles de saines habitudes alimentaires.

 

Le bénéfice d’éliminer les UPF en  faveur des MPF est donc de près d’un kilogramme de plus de perte de poids en 8 semaines (Figure 1B). D’autres conséquences sont à noter : seul le régime MPF a réduit la pression artérielle, de même que la masse grasse, incluant la masse grasse viscérale (p=0,008) dont nous venons récemment de rapporter les effets néfastes sur la santé dans l’Observatoire; logiquement, cette perte de masse grasse a été associé à une baisse des marqueurs de prédiabète. D’autre part, qui dit baisse de poids, dit baisse de prise de calories : bien que les sujets de l’étude mangeaient à volonté et ne savaient pas quel régime ils suivaient, ils ingéraient 327±110 kcal de moins par jour dans le régime MPF que dans le régime UPF (p=0,005). Comme mentionné en introduction, la raison provient de l’appétence supérieure créé par les UPF, c’est-à-dire que ces produits transformés favorisent un désir instinctif qui porte vers la nourriture propre à satisfaire un penchant naturel.

La différence, en seulement 8 semaines, est impressionnante et sans appel considérant les contraintes imposées par le devis de l’étude, car non seulement les sujets suivaient le guide alimentaire gouvernemental, mais qu’ils mangeaient sans restriction et à l’aveugle les aliments du type de régime suivi. Nous le supposions, mais cette étude a le mérite d’éliminer tout ambiguïté quant à l’impact néfaste des produits industriels ultratransformés sur notre santé cardio-métabolique, et à long-terme, sur notre espérance de vie en santé. 

Durant la rédaction de ce texte, une étude des chercheurs de l’Institut de Cardiologie de Montréal vient de montrer que l’ingestion d’un seul repas ultratransformé (en comparaison à un repas minimalement transformé) avait des conséquences directes sur la perfusion du muscle cardiaque et sur les performances cognitives. Les sujets étaient jeunes (31±11 ans) et en santé, et pourtant, les régulations hémodynamiques et cérébrales ont été temporairement perturbées. Ces données montrent à quelle point une telle alimentation est un stress, et que lorsque cette alimentation devient chronique, l’accumulation du stress qu’elle génère est néfaste pour notre système cardiovasculaire, mais pas seulement. Dans la même lignée, l’essai DIABEPIC-1, mené à l’Institut de Cardiologie de Montréal, a montré qu’une intervention nutritionnelle innovante ciblant spécifiquement la réduction des aliments ultratransformés, intégrée à un programme structuré d’exercices et de suivi multidisciplinaire, pouvait entraîner des améliorations métaboliques majeures, allant jusqu’à la rémission du prédiabète et du diabète de type 2 chez certains participants. Toutes ces données confirment donc les effets néfastes des aliments ultratransformés, et il n’y a pas de doute que tenter de les éliminer de notre alimentation ne peut être que bénéfique.

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